★ VI - Retour de flamme ★ 3/4
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Edit du 04/01/2025
◢Chapitre VI : Retour de flamme (partie 3)◣
Palais de Rubis – tour Pourpre, chambre du roi.
Tel un ressort, Red se redressa dans son lit, la respiration hachée. La violence de son cauchemar continuait de couper sa ventilation. Son asphyxie l'obligea à appeler à l'aide.
Rumiko pénétra en toute hâte dans la chambre du roi, sollicitée par la sonnette qu'il utilisait rarement. Cette nuit-là, son intuition l'avait poussée à remplacer ses « filles » pour veiller sur le sommeil de Red. Elle s'en félicita.
Aucun page n'était au service direct du roi. Le Grand Red se faisait servir par des femmes et jeunes filles dans ses appartements privés ; une règle tacite découlant de la fonction historique de gynécée royal de la tour Pourpre. Ces servantes particulières suivaient une formation spéciale qui les destinait à finir espionnes ou Prêtresses Vestis. Elles apprenaient les habitudes et goûts de Red, aussi prenaient-elles le poste de doublures royales quand leur morphologie se rapprochait de celle du monarque. Une sensation de soif nocturne de sa Majesté, elles accouraient avec un breuvage. Une baisse de température, elles ajoutaient une couverture supplémentaire, ravivaient le feu dans l'âtre et le baissaient en cas de forte chaleur. Elles tiraient les rideaux quand la clarté nuisait ou les ouvrait grand avant que le roi n'ait émis le souhait de contempler les étoiles. Les chaussons de sa Majesté étaient toujours assortis à sa robe de chambre ; à son réveil, il trouvait toujours celle qu'il désirait porter. Parfois, elles lui faisaient la conversation. Mais la plupart du temps, elles étaient aussi furtives et discrètes que des souris. D'ailleurs, Red les appelait ses petites souris.
Rumiko intervenait uniquement à sa demande.
Dernièrement, la Gouvernante du palais de Rubis avait noté une recrudescence des cauchemars du roi. Les rapports des petites souris l'alarmaient. Aussi prenait-elle cette nuit-là ses quartiers dans l'antichambre de la suite royale. La voilà devant son occupant qui s'étouffait. Un frisson lui courut le long de l'échine. Un empoisonnement à effet tardif ? Refusant de paniquer face aux râles de Red, elle sonna l'alerte.
En quelques minutes, la tour Pourpre s'était réveillée. Ça courait partout. Lorsqu'on apprit que le Médicure royal était en déplacement en raison d'une urgence personnelle, garde et valetaille se trouvèrent impuissantes contre l'ennemi invisible qui prenait la vie de leur souverain. La respiration sifflante, Red se griffait le cou, se débattait afin d'aspirer plus d'air. Il ne parvenait pas à s'exprimer et rougissait sous le faible éclairage des chandelles. Le désespoir gagnait les témoins quand l'assistant du Médicure royal, Stephan, fit son entrée, suivi du Grand Conseiller, de son épouse et de l'Intendant. Au même moment, le roi s'affaissa, inerte. Des lamentations s'élevèrent. Stephan intima le silence.
— Il respire. À quoi se mithridatise-t-il en ce moment ?
— Je vous demanderai de quitter la pièce, exigea Sacha.
L'information sous le sceau du secret, très peu savaient la nature des poisons qu'ingurgitait Red. Même les soldats du Cordon Rouge n'étaient pas admis dans la confidence. Malgré la réticence, le roi fut laissé aux soins de Stephan, Sacha et Rumiko.
— Nous avons introduit les Larmes de Lune, dit Sacha, la voix nouée d'émotion. (Elle sortit une petite fiole de la poche de sa robe de chambre.) Voici l'antidote. Je suis certaine de n'avoir commis aucune erreur de dosage hier.
Elle se savait rigoureuse dans cette mission dangereuse. La responsabilité pesait suffisamment lourd pour l'obliger à effectuer des doubles vérifications à chaque étape.
— Sa Majesté dort peu en ce moment, révéla Rumiko. Avec sa fatigue, il se peut qu'il ne parvienne plus à supporter une dose habituellement inoffensive, supposa-t-elle.
Elle attendit l'opinion de Stephan. Ce dernier releva le corps amorphe du roi, soutint sa tête et lui fit boire le contrepoison.
— Les préoccupations de sa Majesté peuvent en effet l'affaiblir, aussi bien mentalement que physiquement.
Vu la situation actuelle, ces préoccupations n'iraient pas en s'amenuisant, songea Sacha.
— Le poison Larme de Lune est vicieux et puissant, reprit Stephan. En ce sens qu'il est indécelable tant qu'on ignore l'astuce cachée dans son nom.
Il ne se détectait que par nuit de lune ; les lèvres du sujet empoisonné présentaient un aspect brillant et légèrement bleutées sous les rayons de l'astre.
— Ça date de quand ?
— De notre retour d'Orsei voilà quelques lunes.
— Dans le doute, arrêtons celui-là.
Notant la respiration régulière du roi, Stephan finit de l'ausculter et informa la Gouvernante de la nouvelle marche à suivre. Il prescrivit un breuvage à base de lait de pavot qui aiderait Red à s'endormir et lui donna une dose préparée de façon extemporanée. Le reste du traitement serait finalisé dans la journée pour une prise avant le coucher.
— Sa Majesté a besoin de repos. Si son corps refuse de le lui accorder, nous lui forcerons un peu la main.
— Le connaissant, il refusera de le prendre, maugréa Rumiko.
— Je confirme, dit Sacha.
Un morphinique l'engourdirait, nuirait à ses réflexes, quand cela ne l'endormirait pas. De quoi contrarier tout projet nocturne du Tueur Écarlate.
— Faites-le lui consommer à son insu s'il le faut ! asséna Stephan. Sa Majesté a besoin d'au moins trois jours de repos, sinon elle tombera d'inanition. Son état est alarmant. C'est à se demander comment il a réussi à le cacher à Maître Horace.
— Il le prendra, assura Rumiko. Je vais mettre Lana à son service. Sa Majesté ne se méfiera pas si le breuvage vient d'elle.
— Laissons-le dormir. Appelez-moi en cas d'agitation.
— Il fait beaucoup de cauchemars ces temps-ci, avança Rumiko.
Fallait-on mander le Médicure au moindre rêve mouvementé du roi ?
— Appelez quand cela vous semblera « anormal ».
L'aparté prit fin. Il était la troisième heure du matin mais, trop secoués pour retrouver le repos, ils ne retournèrent pas dans leur lit.
*
Palais de Rubis – tour du Dragon
Mû par l'urgence, Rey exigea une entrevue tôt le matin avec le premier Triumvir, Sacha et Lou-Ahn qu'il voulait présente afin qu'elle fasse un rapport au Général Timothy. Le voyant nerveux, Korgan demanda :
— Qu'y a-t-il ?
— J'ai reçu un courrier de ma famille. Je comptais en informer sa Majesté aujourd'hui or, dans son état actuel, ça risque d'aggraver les choses. Peut-être que je me trompe, mais...
— Rey, accouche ! ordonna Sacha, gagnée par sa nervosité.
— Ma mère m'a appris qu'il y a eu des raids armés à Pizê.
— Lima a donc officiellement ouvert les hostilités ? grommela Lou-Ahn.
— Eh bien, je n'en suis pas certain, fit Rey, embêté.
— Nous savons que les troupes de Bosco stationnent non loin de la frontière de Pizê, dit Korgan.
À l'issue d'un conseil militaire, plusieurs escouades avaient été détachés à la frontière septentrionale. Le Général Timothy avait ordonné à Enzo, qui suppléait le régisseur Alistair, de hâter les préparatifs de guerre de la Légion Rouge stationnée à la ville militaire de Blame.
— Mes parents ne se trouvent pas à Pizê, révéla Rey. Ça m'a paru curieux que l'information vienne de ma mère. Habituellement, Père me tient informé de la situation à Pizê. Mère me fait savoir qu'il est souffrant et ils ont dû se rendre au Centre Médicurial de Gizê.
— Est-ce grave ? demanda Sacha.
— En général, lorsque l'on se rend à Gizê..., commença Korgan.
Il ne finit sa phrase, sans doute par égard pour Rey. Sacha le tança du regard. Il n'aurait pas dû la commencer tout court ! Elle-même réalisait sa bourde. Le Centre Médicurial de Gizê accueillait les patients ayant tenu en échec les Médicures locaux car la maladie s'avérait très grave, étrange, voire inconnue. Rey affichait un sang-froid admirable pour ne pas se laisser abattre par la triste nouvelle.
Voilà un moment qu'il n'avait pas vu ses parents. Rey avait été élevé par des précepteurs à la suite de son admission à l'Université Royale d'Aram dès ses huit ans. Néanmoins, il recevait la visite de ses géniteurs de façon régulière, quand ce n'était pas celle du majordome de sa famille. Sa mère comptabilisait plus de virées à la capitale. Uma profitait des visites à son fils pour faire une razzia des boutiques prisées d'Aram.
À la tête de la chambre commerciale de la Guilde Marchande de Pizê, Sebastian Lee-Cooper disposait d'un vaste réseau d'informations que Rey utilisait volontiers afin de mener à bien ses missions de Grand Banquier. Alors il devait porter foi aux révélations de sa mère, elle ne l'aurait pas informé sans l'approbation paternelle.
— Des raids armés de quels groupes ? le pressa Lou-Ahn. Selon qu'il s'agisse de rebelles ou des forces armées limanes, la riposte sera différente.
— D'où mon incertitude, soupira Rey. Une mauvaise décision de notre part pourrait donner à Lima le parfait prétexte pour attaquer. La missive de Mère parle d'Allégeurs. Elle n'est pas suffisante pour tirer des conclusions mais l'est assez pour qu'on ouvre l'enquête. Il s'agirait de forbans étrangers qui se feraient passer pour des brigands Maarians. Or ils sont bien armés et agissent avec une discipline qu'on ne prêterait pas à des brigands de bas chemins. Ces étrangers ne sont pas Limans, ce qui éloigne Lima de tout soupçon. Or j'ai le sentiment que c'est le but recherché.
— Je vois une similitude avec l'attaque essuyée par sa Majesté à son retour d'Orsei, dit Lou-Ahn. Des assassins étrangers bien trop disciplinés pour n'être que des mercenaires. Ils avaient des techniques de combats inhabituelles... Pourtant je m'y connais en techniques de combat.
La Légion Rouge avait l'habitude de recevoir des visiteurs de délégations étrangères venues se perfectionner dans les arts martiaux. Certains mercenaires profitaient aussi de cet avantage de l'école militaire de Blame. Les cours d'art martiaux accessibles au public étaient un des moyens mis en place par le Général Timothy pour gagner de nouvelles recrues. Mais officieusement, il avait imposé une condition à l'admission.
— Laquelle ? demanda Rey.
Lou-Ahn hésita. Pouvait-elle révéler cette information à des individus non-inclus dans les cercles militaires de la Légion Rouge ? Elle haussa les épaules. Elle discutait avec les confidents du roi, après tout.
— Chaque personne doit livrer un secret de sa guilde ou une information utile à l'armée. Le plus souvent, les gens échangent des techniques de combat, d'espionnage ou d'assassinat. L'école militaire diversifie et enrichit ainsi son programme de formation mais surtout, Blame devient plus efficace contre les Allégeurs qui tentent inlassablement des percées vers Aram.
En théorie, les Allégeurs n'appartenaient à aucune guilde, on les disait « mercenaires sans employeurs ». En réalité, certains voleurs et brigands s'organisaient en bandes si bien structurées qu'il était naïf de ne pas soupçonner l'existence d'une guilde en arrière-plan.
— En apprenant des Guildes de Mercenaires, Blame parvient à anticiper ou contrer les manigances des Allégeurs, d'où leur très faible présence à Aram. Mais ceux qui nous ont attaqués sur la Route Royale juste avant que nous accédions à la cité n'avaient pas des réflexes d'Allégeurs.
— Des Allégeurs qui n'en sont pas... comme à Pizê, fit Sacha, pensive. Dans tous les cas, ça soulève la question de savoir s'il existe un lien entre toutes les attaques perpétrées par ces faux brigands ou si nous ne faisons pas fausse route en nous perdant en conjectures.
— Si nous mettons la main sur ces brigands et établissons un lien avec les précédentes attaques, l'identité de l'ennemi sera connue avec une certitude irréfutable, dit Rey. Nous ne pouvons pas écarter l'hypothèse que le roi Bosco emploie des assassins de Guildes étrangères à son royaume pour brouiller les pistes.
— Seulement, pendant qu'on perdra du temps à mener l'enquête au nord, Lima pourrait attaquer du côté de la mer, souligna Lou-Ahn. Privilégier Pizê qui se trouve à l'opposé deviendrait une erreur tactique. Et c'est peut-être ce que veut Lima.
— La décision d'envoyer des renforts armés à Pizê ou une équipe d'enquêteurs relève du Conciliabule Royal, rappela Korgan. Je vais organiser une session.
— J'en informe mon oncle Percy, dit Sacha. Ses troupes sont plus proches de Pizê, les premiers renforts viendront de Lirm en cas d'escalade. Autant qu'il soit prêt.
Cela dit, Percy Nuttingham devait déjà avoir mobilisé ses hommes, s'il échangeait avec les Nuttingham de Fort-Grey en pleine effervescence militaire. Il fallait s'attendre à ce que Lima attaque sur plusieurs fronts pour prendre Raam en tenaille. Hypothèse plus que probable, dans le cas où Lima tirerait les ficelles derrière la dissension entre Raam et Orsei. Bosco accélérerait ses plans afin de profiter de l'aubaine. Cette conversation leur faisait prendre conscience de l'imminence de la guerre. Ils devaient tous se préparer à finir au front, d'une manière ou d'une autre, pour le bien de Maar.
Le cœur de Sacha se serra. Pour le bien de Maar, laisserait-elle son homme aller au combat ? Rien au monde ne justifiait que l'on envoie son bien-aimé mourir ! Pas même « le bien d'autrui » ! La guerre, cette horreur, ne devait pas être admise dans le monde des humains. Hélas, seuls les humains savaient si bien la faire.
— J'ai le sentiment que les prévisions du Général Timothy vont se réaliser, marmonna Sacha, sombre.
Les plans des Généraux Medley et Nagy avaient été amorcés à l'issu du premier conseil de guerre. Les villes côtières de Seav et Saalt seraient les premières exposées en cas d'attaque par voie maritime. La défense au nord-ouest serait menée par les différents Amiraux aidés des garnisons de la Légion Rouge basée à Fort-Red. Timothy chargeait son Frère d'Encre et de Sang, Hayden, d'être sa liaison. Les Nuttingham de Fort-Grey constituaient une arrière-garde censée entraver une percée de l'ennemie. Pour le reste, Aram était protégée par le Bois du Roi qui occupait une partie de la frontière entre Lima et Maar. En cas d'attaque dans le nord, Pizê ou TarQ seraient les premières cibles. Une escouade mobile sous le commandement du Capitaine Alex serait envoyée où la situation urgerait.
— Quelque chose me dit que ces raids sont des missions de reconnaissance, avança Lou-Ahn. Ça tombe vraiment trop mal, ce conflit avec Orsei.
— À qui le dis-tu ? maugréa Korgan. Je vais en informer le Général, cela ne peut plus attendre le réveil du roi.
Il déchargea Lou-Ahn de cette mission, la sienne étant de veiller sur le sommeil dudit roi.
*
Palais de Rubis – tour Pourpre.
Le réveil de Red fut brutal, malgré le lait de pavot censé le sédater.
— Garde ! hurla-t-il, essoufflé.
Lou-Ahn déboula dans la chambre et tomba sur Red, trempé de sueur. Sa chevelure humide lui collait au front. La Capitaine ouvrit ses sens. Qui s'était infiltré sans qu'elle ne le sente ? Un autre fichu Dissimulateur vêtu d'une cape d'invisibilité ? Elle ne détectait rien. Aucun danger.
— Majesté ?
— Nous sommes attaqués !
Sceptique, Lou-Ahn se garda de soutenir qu'elle ne décelait aucune autre présence que la leur en plus de celle de Rumiko. Le roi aussi devait l'avoir remarqué. Qu'est-ce qui justifiait ses propos ? Rumiko, qui venait de faire irruption, se détendit en notant que son souverain était en possession de ses moyens. Elle s'attela à aérer la pièce. La lumière du soleil manqua d'aveugler Red. Il cilla. Comment avait-il pu dormir jusqu'à une heure aussi avancée de la matinée quand la situation urgeait ? Il sortit du lit, mais ses gestes maladroits le ralentirent. Bon sang, il devait se reprendre !
— Lima a attaqué TarQ. Loup, vérifie l'arrivée d'éperviers « rouges » en provenance de cette ville. S'il n'y en a pas, envoie un dans toutes les cités frontalières avec mon ordre d'enclencher l'état d'alerte maximale. Préviens ensuite le Conseil de Guerre pour une réunion séance tenante. J'arrive.
Il débita ses instructions comme Rumiko apprêtait sa tenue et donnait des ordres afin qu'on prépare le nécessaire pour des ablutions rapides. Lou-Ahn masqua son inquiétude.
— Vous allez bien, Majesté ?
Comment le roi savait-il que TarQ avait subi une attaque ? Sur quelle base ? Avait-il reçu la visite d'un espion directement dans sa chambre à l'insu de la garde ? Sans vouloir être arrogante, elle glorifiait les qualités de ses recrues. Très peu de choses passait entre les mailles de la vigilance du Cordon Rouge.
— Si je vais bien ? répéta Red, incrédule. Nous sommes en guerre ! gueula-t-il. La question ne se pose pas. Exécution !
Lou-Ahn disparut sans demander son reste, non sans avoir lancé un regard suppliant à Rumiko. La Gouvernante tirerait donc les vers du nez du roi afin de rassurer la Capitaine sur son état de santé. Red nota l'échange. Devant sa suspicion, Rumiko confessa :
— Elle faisait allusion à la nuit dernière, Majesté.
Red n'aimait pas discuter au réveil avant d'avoir pris son bain, et particulièrement lorsqu'il se levait du pied gauche comme à l'instant. Il fut cependant plus intrigué qu'irrité.
— De quoi parles-tu ?
— Vous ne vous souvenez pas ? s'étonna Rumiko.
Le lait de pavot faisait donc son effet, se dit-elle.
— Explique-toi, s'impatienta Red.
Il glissa ses pieds dans ses chaussons et noua sa robe de chambre autour de sa taille de façon lâche.
— Vous avez fait un malaise plutôt sérieux dans la nuit. Je croyais que c'était un cauchemar mais... vous avez perdu connaissance.
— C'était un cauchemar, dit Red non sans froncer les sourcils, perplexe.
Il ne se souvenait pas d'un malaise l'ayant terrassé mais il savait l'origine du malaise. Une situation bien troublante.
— Maître Horace étant absent, Stephan a été mandé, ajouta Rumiko.
Nul besoin de minimiser la gravité de la chose, quand l'assistant Médicure s'était déplacé. Les marques de griffures dans le cou de Red en disaient long. Elle ne le laisserait pas se dérober. Red soupira.
— J'ai vraiment fait un cauchemar, dit-il avec franchise.
— Mais il n'était pas habituel, fit Rumiko, pensive.
Red accéda à la salle d'eau attenante à sa suite et s'installa dans la baignoire. Il aurait aimé prendre un bain plus ressourçant dans les sources thermales souterraines du palais, mais il n'en avait pas le loisir.
— C'est la troisième fois seulement que j'ai ce genre de rêve étrange, avoua-t-il comme Rumiko l'aidait dans sa toilette. La première fois remonte à dix ans. J'avais seize ans et je rêvais de la mort d'Henri.
Il ne se sentait plus la force de garder ce secret. Cette bizarrerie cesserait sans doute de l'être s'il pouvait en discuter avec quelqu'un qui ne le jugerait pas. Rumiko lui lança un regard aigu et eut l'intelligence de ne faire aucun commentaire.
— Je le trouvais mort dans son bain et j'avais du sang sur les mains. Ce n'était pas le mien ni celui de mon père. Enfin... celui que j'appelais Père.
Rumiko sourcilla. Red lui servit un sourire désabusé.
— Tout le monde se doute que cet homme n'a jamais été mon géniteur. Inutile de se voiler la face. Je ne lui ressemble même pas un peu et je suis bien différent de ma fratrie pour que cela saute aux yeux. La descendance d'Henri a le cheveu noir et d'après les portraits, son ascendance possède aussi le poil capillaire sombre. Je suis le seul, avec ma génitrice, à arborer cette crinière flamboyante.
— Toujours est-il que dans ce premier cauchemar étrange, une voix m'a confirmé que cet homme n'était pas mon père. Elle ne m'a pas révélé qui l'était, en revanche. Je ne le connaîtrai donc jamais, dit-il d'une voix affectée.
Rumiko n'était pas au bout de ses surprises. Elle dut tendre l'oreille car Red parlait désormais d'une voix très basse.
— Dans ce rêve, cette voix m'a ensuite confié que, pour sauver Maar, je devais prendre le trône car j'étais fils du royaume. J'étais né de Maar. Je lui ai demandé plus d'explications. Elle m'a rétorqué que le jour où je verrai Henri mort dans son bain sera le premier jour de mon règne. « Un règne rouge sang ». Je me suis réveillé avec une sensation poisseuse sur les mains, l'odeur du sang dans les narines et la conviction de devoir agir pour mon royaume. Trois ans plus tard, je devenais le Grand Red, comme elle l'a prédit.
— Vous croyez que c'était prémonitoire ?
— Je ne le crois pas, ça l'est, statua Red. La deuxième fois que la voix m'a visité remonte à trois ans. Je rêvais alors d'un guerrier Mô'Lar à la peau métissée. Je l'arrachais des flammes de l'Enfer et de la Damnation Éternelle. Du moins, c'est ainsi que ce rêve bizarre me le montra. Je me réveillais alors avec une obsession : trouver cet homme dont la place était à mes côtés. Cela m'a obnubilé durant toute l'année m'ayant séparé de ma rencontre avec le Général Timothy.
Rumiko fit des yeux ronds. Red marqua une pause. La symbolique dans ses rêves prémonitoires se matérialisait de manière très figurative. Le sang sur ses mains dans son premier cauchemar représentait ses missions de Tueur Écarlate. Il avait orchestré et perpétré des assassinats dans le but de déraciner les partisans du roi Henri et implanter les siens à des postes stratégiques. Petit à petit, il avait modifié la balance du pouvoir de son « père » et celle des autres princes, jusqu'au jour où se créait la bascule en sa faveur. Il avait cessé de se poser des questions en constatant que la reine Tina avait aplani certains sentiers en prévision de son passage, comme si elle avait secrètement souhaité mettre son dernier-né à la tête du royaume.
— Tu verras, mon fils, ils t'aduleront !
Sans remords, fort de la foi maternelle, Red avait clairsemé les rangs du Sénat, la populace des hauts fonctionnaires corrompus, jusqu'à chambouler la trame de la gouvernance des cités de Raam utiles à son règne. Une tâche de longue haleine qui lui aliénerait la cour et sa propre fratrie. Mais il avait un objectif et comptait l'atteindre sans se laisser parasiter par des états d'âme. Le Tueur Écarlate était loin de prendre sa retraite. Toutefois, il avait réduit sa charge sanguinaire avec l'arrivée de Timothy. Le dénicher avait nécessité des recherches sur le royaume de Mô'Lar. Ainsi découvrait-il les subtilités de la religion pratiquée en ces contrées et ses coutumes. Il avait mis la main sur des savoirs sacrés, désuets ou secrets via des documents traitant d'archimagie, de magie et de sorcellerie mô'lariane. Des lectures bien discutables à taire à ses proches.
Le retrait du patronyme d'un parjure, par exemple, concernait uniquement les personnes accusées de crime de lèse-Majesté. C'était la pire sentence édictée par le Grand Rakam, chef suprême Mô'larian déifié par son peuple et par qui parlait la Justice Divine. En Mô'Lar, retirer son nom à quelqu'un ou refuser de nommer un enfant à sa naissance revenait à le condamner à la Damnation Éternelle. C'était le maudire. Red avait croisé la route d'un guerrier Mô'Lar maudit et l'avait élevé au rang de Général de la Légion Rouge. Son règne était marqué du sceau de l'absurde. Comme pour le confirmer, la voix le visitait une troisième fois dans un songe éprouvant.
— C'était comme si une main crochue, invisible, m'arrachait de mon corps, et me faisait survoler l'extrême nord du royaume à une vitesse fulgurante. La voix me hurlait à m'en crever les tympans :
« Maar meurt. Maar se meurt de l'intérieur. Le mal est à ta porte et frappe. Tu as manqué de vigilance et lui as ouvert. D'abord Esa, maintenant TarQ suffoque. Alors suffoque avec elle, Fils de Maar ! »
Et il avait suffoqué.
— C'est...
Rumiko ne sut quoi dire. Il n'y avait rien à dire de toute façon, pensa Red. Fils de Maar... avait dit Saïd Zahed, cet homme étrange à la cape étrange.
Red n'aimait pas cette expression. Elle ravivait le complexe du gamin qui se languissait d'un père.
— Je ne peux décemment pas en parler à mes conseillers, se plaignit-il. Qui soutiendrait un roi qui dirige son royaume à l'aide d'une voix qui lui dicte la marche à suivre dans ses cauchemars ?
— Vous oubliez une chose, Majesté. (Il la dévisagea et Rumiko lui sourit.) Seuls des insensés vous suivent depuis le début.
Red lui rendit son sourire. Peut-être le dernier sourire qu'il aurait avant longtemps. Les pertes matérielles et humaines annoncées par son cauchemar l'attendaient car Lima annexait bien le nord de Maar. Sous bonne escorte, il se hâta d'atteindre la tour de Feu de l'anneau extérieur.
*
Palais de Rubis – tour de Feu, salle du Conseil
Le Conseil de Guerre, constitué d'un brassage de sénateurs, bureaucrates du Ministère des Affaires militaires, et hauts gradés de l'armée et de la marine, reçut le roi dans un brouhaha qui s'étiola lorsqu'il prit place dans son siège en bout de table. Dessus, différentes cartes montraient le continent dans les détails : cours d'eau et formations végétales, paysages montagneux et grottes souterraines, grandes voies du réseau routier et flux commerciaux. Des armoiries décoraient la salle, quand les tentures relataient des batailles historiques. La plus imposante, la mieux ouvragée, restait pourtant la plus ancienne. De quoi soupçonner une technique de tissage oubliée et si performante qu'elle rendait la toile insensible aux affres du temps. La bataille de l'Alliance apparaissait dans toute sa grandeur et sa formidable apocalypse. Maar était née dans le sang et l'horreur. Les guerres ne l'effrayaient pas, se dit Red en y puisant de la force.
Une bibliothèque très garnie habillait l'entièreté de la façade sud. Dans une alcôve était mise à disposition le nécessaire pour une correspondance rapide. De l'alcôve, l'on accédait à une passerelle qui menaient à la tour voisine abritant la volière royale, de laquelle parvenait en arrière-fond une cacophonie de chant aviaire. Le système d'insonorisation restait louable, tant la torture auditive était réelle une fois au cœur de la volière. Un système d'aération et ventilation bien pensé masquait l'odeur en provenance de la gigantesque cage ouverte où la soldatesque nourrissait ses oiseaux.
Des fleurs de lavande, une des fragrances préférées de sa Majesté, avaient été fraichement disséminées dans la grande salle. Compte tenu de l'urgence, il avait demandé que le petit-déjeuner soit servi en pleine réunion. L'audience discutait stratégie en cassant la croute.
— Nous devons concentrer les troupes au nord, disait un officier de l'Armée maariane.
Red croqua dans une datte. Le sucre satura ses papilles comme Timothy haussait le ton :
— Je m'échine à vous dire que non !
Apparemment le conseil s'était déjà réuni bien avant les instructions du roi. S'il avait apprécié de les voir anticiper ses ordres, Red déchantait face à la stagnation du débat.
— Combien de guerres as-tu menées, jeune impudent ? gronda Teddy.
Il n'appréciait pas le ton péremptoire qu'employait le jeune Général face à des vétérans de l'armée ayant l'âge d'être son paternel. Ce Mô'Larian l'aurait moins ramené si son père avait été là. Le Général Keziah Nagy aurait dû présider ce conseil, mais sa Majesté l'avait déjà stationné à Fort-Grey. Timothy le toisa.
— Tu n'es pas plus vieux que moi, Nagy. Et j'ai plus d'expérience que toi en tant que meneur d'hommes.
Red se débarrassa du noyau de datte dans une coupelle, se demandant s'il ne devait pas s'en servir pour étouffer le roquet qui caquetait un peu trop fort.
— J'ai l'expertise du Général mon père et une connaissance du terrain qui te fait défaut. Ça fait à peine deux ans que t'es citoyen de Maar !
À en juger par les récriminations à l'encontre de Timothy, Teddy avait de nombreux partisans. En ces temps de conflit, Teddy Nagy avait été promu Commandant afin de justifier ses nouvelles responsabilités. Le jeune homme bénéficiait d'une popularité respectable, en partie facilitée par le charisme paternel. Red les observait en silence. Ils lui firent penser à la volière non loin. Certains jugeaient son manque d'intervention comme un aveu d'inexpérience. Ils n'avaient pas tort. Mais tous les hommes dans la pièce n'avaient connu Maar qu'en temps de paix, contrairement à Timothy qui avait déjà participé à des batailles nées de la soif de conquêtes d'un Grand Rakam.
Les hauts gradés de l'Armée Maariane venaient de familles influentes pour ne pas dire nobles, la plupart ayant gravi les échelons grâce à la fortune de leurs patronymes ou aux faveurs accordés par plus aisés. En créant la Légion Rouge, Red avait instauré une forme d'émulation. Par orgueil, l'Armée de Maar avait révisé sa discipline et mis plus d'ardeur dans son entrainement, refusant d'être traitée de petite nature face à la Légion Rouge. Cependant, les préjugés et statuts sociaux continuaient à gangréner un corps qui avait grand besoin de réformes. Hélas, le moment était mal choisi pour procéder à des amputations.
Nombreux voyaient d'un mauvais œil que les opérations soient dirigées par un ex-gladiateur de naissance mô'lariane, esclave affranchi uniquement par la grâce du roi. Aussi brandissait-on le patriotisme, l'identité nationale, tandis que le peuple en détresse attendait de l'aide. Red perdit patience.
— Teddy, interpella-t-il de cette voix doucereuse qui refilait des frissons. J'ai de l'estime pour le Général Nagy. Puisque tu parles au nom de ton père, fais en sorte que cette estime reste sauve. J'ai besoin que mes conseillers de guerre s'entendent. Pas demain. Aujourd'hui.
— Que chacun expose son plan et l'assemblée tranchera, tenta d'arbitrer Korgan.
— Sauf votre respect, Grand Conseiller, le temps n'est plus aux palabres ! opposa Timothy. D'après les rapports d'éperviers rouges de ce matin, l'est de la cité de TarQ est en feu. Elle est à proximité d'une formation boisée, de quoi augmenter les risques de propagation d'incendie. Au moment où nous parlons, le nombre de victimes et sinistrés augmente. L'attaque dure depuis une semaine !
Red perdit son appétit déjà capricieux.
— Pourquoi est-ce seulement maintenant que la nouvelle nous parvient ?
Et encore, il avait demandé ce conseil de guerre à cause d'un satané rêve prémonitoire !
— Les messages ne nous parviennent que maintenant parce que les volières de la ville ont été empoisonnées, dit Timothy.
Red ferma les yeux. Il savait qu'il aurait dû se pencher sur cette foutue coïncidence entre Esa et Nacir, qui n'en était pas une en fin de compte.
— Qu'Hayden nous vienne en aide ! pria le Premier Sénateur Terry.
Rey, Red, Korgan et Timothy s'échangèrent un regard. Ils tiraient les mêmes conclusions.
— Nous avons donc plusieurs destructions de volières dans les grandes villes, commença Korgan. Esa, Nacir, TarQ.
Le Triumvir exposa la situation au reste de l'assemblée, étayant son propos des faits constatés et rapportés par Jay à Esa. L'ennemi avait une sacrée longueur d'avance. Ceci n'était pas simplement l'œuvre d'un homme avide réclamant des dettes. Lima sapait les fondations de Maar et menait un plan insidieux visant l'implosion du royaume de l'intérieur. Et il passait à la vitesse supérieure. Red comptait contrarier ses plans, en commençant par ne pas jouer le jeu de la guerre contre les Whites. L'ordre fut donné de ne pas riposter aux provocations venues d'Orsei. Sauf contrordre. Et il y en aurait. L'ennemie comptait sur le temps et la haine pour faire le travail, puis cueillerait la chose affaiblie qui en résulterait.
— Se pose alors la question de l'allégeance véritable de Sonia Leblanc, releva Sénateur Nigell. Pour le compte de qui œuvrait-elle en réalité ?
— Doit-on incriminer Lima pour l'assassinat du Maître d'armes Dan Leblanc ? émit Terry.
Hélas ils n'avaient que des spéculations. L'épine Sonia grossissait et ne serait plus seulement une gêne mais un handicap. Déjà, Sacha s'en voulait d'avoir manqué de discernement en introduisant cette femme au roi. Red avait beau lui dire avoir pris ses décisions en son âme et conscience, la déprime de son amie lui restait chevillée au corps. Elle s'était convaincue que les relations entre le roi et Dean auraient évoluées différemment si elle avait été meilleure conseillère. Si elle avait deviné la nature véritable de la femme de l'oncle du gouverneur, qu'elle soupçonnait d'avoir trempé dans le meurtre de Dan Leblanc en dépit du sentiment contraire de Timothy. Sacha soutenait que si cette Sonia n'était pas la main ayant empoisonné Dan, elle n'ignorait pas l'identité du responsable. Red ne voulait plus présumer de rien. L'heure n'était plus aux « si » mais à l'action.
— Une puissance œuvre dans l'ombre et donne ses ordres depuis un territoire ennemi. L'affronter dans le brouillard s'avère un défi. Et en attendant de pouvoir contre-attaquer, nous devons poser des actes qui coûteront le moins possible à Maar.
Du moins, des actes dont il garderait un contrôle dans la mesure du possible. À commencer par envoyer un homme de confiance récupérer cette Sonia.
— Le Triumvir Jay sera retiré de son enquête sur le prince David que les circonstances innocentent. Timothy, tu lui transmettras toutes les informations concernant la localisation de Sonia. Sa mère étant la régisseuse d'Akkar, Jay aura une meilleure latitude d'action. Jusqu'à preuve du contraire, Sonia Leblanc est à considérer comme recherchée et dangereuse.
Des chuchotements allèrent bon train autour de la table comme Red mettait un tabellion à la rédaction de la missive contenant le nouvel ordre de mission du troisième Triumvir.
— Sa Majesté prend une sage décision en lui attribuant le statut de criminelle. Certes, grâce à elle, la femme du Premier Conseiller a pu prévenir le roi d'un possible coup d'État fomenté par Dean Leblanc, mais rien n'est moins sûr à présent.
— Voilà où ça mène de ne s'entourer que de femmes !
— Faites confiance aux femmes et elles vous détruisent un royaume !
— Elle a même partagé la couche du prince Damien pour lui soutirer des informations. L'interrogatoire de son Altesse aînée n'a laissé planer aucun doute sur ses pratiques.
— En parlant d'Altesse, le prince Dilan manque encore à l'appel.
— On sait tous qu'il n'a jamais été impliqué en politique.
— Tsk, c'est surtout qu'il n'a pas l'étoffe de son jumeau ! Le prince David aurait dû siéger à cette table. Il est bien plus apte à prendre le commandement.
— Fais attention à ta langue si tu y tiens !
— Croyez-vous vraiment que Dean Leblanc voulait placer ce mollasson de prince Damien à la tête de Maar ? Parce que si ce n'était pas le cas, alors sa Majesté s'en serait prise au Gouverneur d'Orsei sur la base d'une accusation fallacieuse. Cette femme sournoise est responsable du fiasco dans lequel se trouve Maar aujourd'hui. Tout ça par ambition ! Raison pour laquelle les femmes ne sont pas taillées pour diriger.
Un grognement échappa à Lou-Ahn qui posa sur Teddy un regard assassin. Il haussa ses sourcils comme pour la narguer. Elle n'avait pas droit à la parole comme tout membre de la garde. Korgan se pencha en direction du jeune Commandant.
— Ma Sacha t'aurait empoisonné devant témoin, simplement pour te prouver qu'elle est taillée pour cela. Une bénédiction donc qu'elle ne soit pas « taillée » pour siéger au Conseil de Guerre, ironisa-t-il.
Son sourire serein fit froid dans le dos. Un silence pesa soudain à table. Red essaya de ne pas pouffer. Le pire, c'est que Korgan parlait au premier degré.
— En parlant d'empoisonnement, à Esa, les volières n'ont pas été empoisonnées mais vandalisées, remarqua Fabrizzio, un des vice-amiraux de la Flotte maariane. Le premier empoisonnement est survenu à Nacir. Peut-on considérer Esa comme un test ? Ils rodaient leur plan ?
— D'après Sacha, Sonia lui aurait montré une collection de poisons insolites et rares en argüant qu'elle était la maitresse des poisons de Dean. Elle savait où se trouvaient les nouvelles acquisitions du gouverneur et Sacha a vu en elle une homologue.
— L'empoisonnement de Dan et des volières serait de son fait ? insinua Teddy.
— Il s'agit tout de même de l'empoisonnement de toutes les volières d'une très grande cité, nuança Timothy. Nacir est aussi imposante qu'Aram. Une seule personne ne peut pas mener cette tâche.
— En effet, appuya Nigell. J'ai vu cette Sonia. Elle se donnait des airs. Je pense que Sacha a été dupe. Et même si l'on partait du fait qu'elle était maitresse des poisons à Nacir, rien n'explique qu'elle ait pu sévir à TarQ. Enfin, nous avons tous côtoyé Dean Leblanc. Et j'ai longuement échangé avec lui au sujet du projet de la Compagnie Fluviale Royale. C'est un homme d'une vive intelligence. Il ne confierait certainement pas ses poisons, encore moins ses secrets, à une femme qui montre autant de convoitise.
Sacha avait exploité l'aigreur ambitieuse qu'elle avait sentie chez Sonia, pensant que sa Majesté saurait l'utiliser à son avantage. Majesté qui, à ce moment-là, rencontrait un mur face à Dean. Red avait besoin d'une Orseil loyale, Dean voyait en Red une courtisane royale. Nigell se garda bien d'exposer cette situation ridiculement désolante à l'assemblée. Tout avait été biaisé dès le départ, faussant le jugement du roi sur James, qui apparaissait alors comme le chemin le plus rapide permettant de rallier Orsei à la cause de Raam.
— Lors de notre visite au palace de Nacir, la plus grosse préoccupation n'était pas une guerre mais une crise économique, intervint le Sénateur Marius. Un Leblanc servile à la tête de la province florissante ressemblait à une proposition alléchante et Sonia s'était montrée motivée pour réaliser le vœu de sa Majesté. Qui aurait pensé qu'elle interprèterait aussi mal les propos du roi au point d'éliminer Dan ?
— Bref, qu'elle soit coupable ou non, ce meurtre aura eu pour seul mérite de révéler le véritable visage de Sonia, dit Korgan. Celui d'une femme qui, pour sauver sa peau, n'hésite pas à diriger vers la couronne les griefs de guerriers coléreux et endeuillés.
— Ouais, à présent, Dean Leblanc est convaincu de la culpabilité de sa Majesté et les pourparlers relèvent de l'utopie alors qu'une guerre incendie le nord de Maar, grogna Teddy. Ça ne changera pas mon opinion sur les femmes et le pouvoir, marmonna-t-il par devers lui.
Timothy rebondit sur son commentaire :
— Puisqu'il ne faut pas espérer l'aide d'Orsei, j'ai pris des dispositions pour contenir l'avancée ennemie à TarQ.
Il n'avait pas de temps à perdre en conflit d'égo. Plus vite il exposerait ses plans, plus vite le roi les validerait vu l'urgence de la situation. Lui reprocher ses origines mô'larianes quand il avait prouvé sa valeur en tant que Général revenait à insulter le Grand Red. Après tout, il tenait sa nationalité maariane du monarque en personne ; un roi qui lui avait redonné un nom. Timothy aurait trois vies, il les consacrerait toutes au Grand Red et sa gratitude resterait toujours trop faible. Ces gens choisissaient cette période trouble, où leur monarque avait besoin de soutien, pour contester ses décisions passées. Ils ne méritaient pas leur souverain !
— Le Capitaine Alex qui se rendait à Pizê a reçu de nouvelles instructions et met le cap sur TarQ. Son escouade sera rejointe en chemin par un contingent détaché de Blame.
— Alex Ziegler est tout juste un officier subalterne ! s'indigna Teddy.
Red aurait aimé mettre sa déclaration sur le compte de l'impertinence de la jeunesse. Le nouveau grade de Teddy lui était monté à la tête s'il s'oubliait au point de discréditer, devant le roi, l'un des premiers éléments du Cordon Rouge. Certes, la préférence du Grand Red pour ce corps de défense nourrissait des complexes chez l'Armée de Maar qui avait à cœur de ne pas faire moins bien que la Légion Rouge. Les Généraux s'en accommodaient. Au contraire, ils trouvaient cette comparaison bénéfique car la rivalité tacite tirait le meilleur de leurs hommes. Les moins gradés, en revanche, peinaient à avaler la pilule. Teddy exposait simplement son complexe d'infériorité, à moins que ce ne soit son insécurité face à ses nouvelles fonctions. Red ne se montrerait pas indulgent.
— Général, tu informeras ta Fratrie d'Encre et de Sang qu'elle monte au grade de Colonel.
Lou-Ahn lutta contre son hilarité comme elle savourait la déconvenue du fils Nagy. Bien qu'ils ignorent le véritable sens ou la coutume mô'lariane derrière « Fratrie d'Encre et de Sang », ceux qui s'intéressaient au Général Timothy savaient à qui cela faisait référence. À l'instant, Alex, Enzo, Hayden et Lou-Ahn devenaient les supérieurs hiérarchiques du Commandant Teddy Nagy.
L'assemblée incendia ce dernier du regard, le vilipendant en sourdine d'avoir invoqué l'impulsivité versatile de sa Majesté. Un Red de mauvaise humeur – enfin, plus qu'il ne l'était en arrivant – pondait des décisions arbitraires ne souffrant aucune désobéissance. Teddy se tint coi.
— Que faisait Alex en direction de Pizê ? s'enquit Red. Ne me dites pas qu'elle subit aussi une attaque !
— Il est question de raids armés, répondit Timothy. Mais au regard de la situation, j'ai tout lieu de penser qu'il s'agit d'une diversion ayant permis l'attaque de TarQ.
— Raison pour laquelle le Commandant Teddy soutient l'idée d'y envoyer le plus gros de nos troupes.
Celui-là était un sbire du jeune Commandant. D'ailleurs, son intervention redonna une nouvelle impulsion à Teddy.
— Une victoire écrasante à TarQ dissuadera ce maudit roi d'attaquer à nouveau !
Rey leva les yeux au plafond sans se montrer discret. Timothy se mordit l'intérieur des joues, tuant un sourire. L'affront ne serait pas digéré par Teddy. Rey n'avait rien d'un homme d'armes. Son avis sur la guerre devait se limiter au plan financier. De quel droit se permettait-il cette attitude ? Rey prit Teddy de vitesse.
— Nous concentrer sur la défense de TarQ désignera Pizê en prochaine cible. (Il remercia le ciel que ses parents ne s'y trouvent plus, même si c'était à cause d'une raison qui le poussait à maudire les dieux.) La situation d'Esa semble vouloir se reproduire. Le mode opératoire est le même mais à une échelle plus grande.
— Si à ce moment-là, j'avais demandé à mes hommes de Fort-Red de se lancer à la poursuite des responsables, ils se seraient dispersés dans les montages de Vyrez. Cela aurait ouvert à l'ennemie une voie vers Aram. Nous aiguiller sur la culpabilité du prince David servait la diversion. De plus, TarQ est une ville plus grande qu'Esa, sa défense est plus élaborée.
Esa était quasiment à flanc de montagne et limitée au sud par une forêt. La cité comptait sur sa géographie pour se protéger. Elle concentrait donc sa défense sur la côte maritime ouest car les assaillants viendraient en nombre par cette voie. Un peu plus au nord se trouvaient Fort-Red et Fort-Grey, des obstacles dissuasifs difficiles à franchir. Cela annulait toute attaque rapide. En réalité, Esa avait subi autant de dommages lors de son précédent sac parce que les agresseurs se trouvaient déjà entre ses murs. Une ville aussi exposée que TarQ possédait un corps sécuritaire plus important. Sans compter qu'elle servait aussi de base à une partie des garnisons de la Légion Nord, disséminée le long de la frontière entre elle et Pizê.
Le Gouverneur Brent Scott avait l'habitude des opérations militaires de l'époque où le prince David gardait la frontière. C'était par son biais, en synergie avec son frère Jeff, que Red avait su prédire les mouvements du Général de la Légion Nord et le prendre de vitesse durant son coup d'État. TarQ résisterait donc à une attaque extérieure le temps qu'arrivent les renforts s'ils étaient dépêchés rapidement. Seulement, le paramètre « volières empoisonnées » faussait les prévisions. La capitale n'avait aucune idée de la situation exacte sur le terrain. Combien de temps tiendrait la ville ? Un coursier ralliait Aram en cinq jours. Aussi Maar privilégiait son système de rapaces postaux ; système démantelé à petit feu par les empoisonnements intempestifs. L'ennemi frappait fort.
— Nous focaliser sur TarQ est peut-être ce que le roi Bosco recherche, disait Timothy. Une fois qu'il aura vent des déplacements de nos troupes dans le périmètre de TarQ, il lancera une attaque massive sur Pizê. Si nous tombons dans son piège, nous aurons deux champs de bataille.
Red se massa les tempes. Il se serait épargné cette angoisse s'il avait pu compter sur les Whites.
— Soit. Acceptons la situation, décréta-t-il. Il s'agit désormais de sortir victorieux de la prochaine bataille, quelle que soit la ville attaquée. Une défaite à TarQ ou Pizê ouvrira une brèche et exposera Lirm à l'arm...
— Majesté !
Un soldat déboula dans la grande salle. Il avait été annoncé par le martellement précipité de ses bottes sur les dalles, mais personne ne s'attendait à ce qu'il coupe la parole au roi. Une assemblée à la mine revêche l'accueillit. C'était injuste ! Avait-il seulement eu le choix ?
— U-un épervier « violet », glapit-il avant d'être pétrifié par le regard courroucé du roi.
Red arracha le message de ses mains figées.
— Eh bien, quelles sont les doléances abjectes de mon cher homologue Ethan, cette fois ?
Le salopiaud choisissait bien son moment ! Cet Imbécile Royal attaquait d'abord, puis ouvrait le dialogue ensuite. Ethan s'était assez moqué de lui de la sorte !
Les éperviers sertis d'un collier rouge relayaient les rapports de guerre et les urgences impliquant des pertes humaines. Les éperviers « jaunes » acheminaient le courrier à caractère commercial. Les éperviers « blancs » transmettaient la correspondance simple entre proches. Les éperviers « violets » étaient réservés au seul usage des rois. Raison du juron coloré de Red face au sceau à briser. Rey sourcilla en l'identifiant. Quelle était cette mascarade ? Le cachet du monarque Liman ne scellait pas la missive. Korgan la ramassa comme elle échappait des mains du roi. À l'instar de tous, il s'était fourvoyé. Le message venait d'Orsei et portait l'estampille de la dynastie royale historique White.
Dean Leblanc s'arrogeait officiellement un titre royal.
*o*
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