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✥ V - Incandescence ✥ 4/5

🎵 Opening :  Vas ~ Saphyrro

Edit du 21/12/2024

Chapitre V : Incandescence (partie 4)

*

Aram – Palais de Rubis. Nuit du bal des Demoiselles.

Les titres et personnalités continuaient de se succéder. Le crieur ne fatiguait pas, pour le plus grand amusement de Junior et Taïji.

— Ses sérénissimes, le duc et la duchesse d'ici ! imita Junior d'un air ampoulé. Sa splendeur, la comtesse d'ailleurs ! Ses éminences, le marquis et la marquise d'autre part !

— Son excellence, le margrave de céans et dame son épouse ! ajouta Taïji. Monsieur le baron d'outre-lieu et consort, et mesdemoiselles ses filles !

Devant Adrien et Inna pliés de rire, Rudy feignit de ne pas les connaître. Ses camarades lui faisaient honte. Quelle image croyaient-ils renvoyer en se comportant ainsi ? Ils nourrissaient le préjugé qu'avaient les reds envers les whites, qu'ils traitaient de malappris ou barbares !

— Franchement, Rudy, admet que les Baylorians appuient fort sur la pédale des titres et honneurs, rétorqua Inna. A-t-on vraiment besoin de se nommer « duc, duchesse, comtesse, marquise ou margrave » ? Tous ces nobles et nobliaux seront logés à la même enseigne à ce bal.

En dehors de noblesse et plèbe, Maar ne reconnaissait pas d'autre hiérarchisation de classe sociale, et la fortune créait un échelonnage de statut. Seul le Grand Red s'élevait au-dessus de tout.

— Pourquoi ressentent-ils le besoin d'être annoncé aussi pompeusement, alors qu'ils ne viennent pas en ambassadeur mais s'adonner à la galipette sous couvert d'une coutume étrangère ? continua Inna.

— Tous aux abris, elle a sortie l'aigrie de sa tanière ! lança Taïji.

Les garçons ricanèrent. Reniflant d'un air hautain, Inna décida de trouver meilleure compagnie. Son cavalier l'avait prévenue de son retard et le temps d'attente frisait l'impolitesse.

— Qui est son cavalier ? s'enquit Rudy.

— Teddy Nagy, fils du Général Nagy de l'armée de terre, répondit Adrien.

— Une attirance mutuelle ou s'est-elle entichée du fils du Général sur ordre de Père ?

— Voyons, Rudy, ton père n'est pas aussi fourbe, dit Taïji.

Rudy le dévisagea. S'il posait la question, c'est parce que les auras d'Adrien et Junior laissaient entendre qu'ils ne croyaient pas une seconde en ce couple. Le mieux à faire restait encore de sonder Inna. Comme son visage s'illuminait à l'arrivée du capitaine Teddy Nagy, Rudy se dit qu'il pouvait se passer de son don. 

Dans ce cas qu'est-ce qui nourrissait le scepticisme de Junior et Adrien ? Il les étudia.

— Non... ne me dites pas que vous êtes jaloux ?

— C'est un Red ! renifla Adrien.

— Et sectaires en plus de ça !

— Elle est trop bien pour lui, opposa Junior.

— Il est plutôt pas mal, il a de quoi faire tourner des têtes, contra Rudy. Et à en juger par ses galons, il occupe un poste de haut gradé de l'armée.

— Reste à savoir s'il n'a pas acquis ses galons par l'entremise de papa, glissa Adrien.

Rudy peina à comprendre son attitude.

— Ça va, on a compris que ce copinage red-white ne te dérange pas, sinon tu ne ferais pas copain-copain avec le Grand Banquier, dit Junior.

Refusant de rougir, Rudy s'intéressa à la salle de bal. Les lieux tapissés de velours et or avaient été richement décorés. L'animation de la soirée prévoyait un opéra de pyrotechnie avec un grand feu d'artifice visible dans toute la capitale. La diversité des invités était au diapason du faste et de la chère s'annonçant succulente et opulente. Des cuisines du palais leur parvenaient des plats garnis de légumes tendres, sautés, caramélisés. Des crudités aux couleurs appétantes faisaient honneur à la qualité des primeurs du Village Royale. Les nombreux buffets disposés un peu partout dans la grande salle égayaient les papilles. Le grand épeautre remplaçait le blé. Le riz parfumé comblait ceux qui le préféraient au pain. Le bouillon visitait les contrées marines avec ses fruits de mer et Rudy se demandait comment ils avaient pu conserver leur fraicheur jusqu'à Aram, contrairement aux poissons issus de la pisciculture locale. La viande était laquée, luisante de miel, parfumée d'épices, rôtie, fumée, nappée de sauce, en pavé, embrochée, fricassée, farcie, hachée. Les fruits étaient gorgés de soleil, le lait frais, la pâtisserie gourmande en plus d'être un chef-d'œuvre. La boisson coulait à flot et la cuvée était digne de rois.

Prenant la mesure de cette ruche d'activité, Rudy voyait son appréhension grimper. Trop de pollution astrale. Il désirait se mettre en retrait, par crainte de noyade dans les nouvelles senteurs d'auras. Celles de ses amis perdaient leur effet tampon, pour la raison désolante qu'ils étaient tous fébriles à l'idée de desserrer les vis de leur moralité ce soir. Rudy était mal placé pour les juger. De temps à autre, l'exubérance d'une tenue le distrayait quand l'originalité d'un atour lui faisait presque oublier sa gêne extrasensorielle.

Dire qu'il devait ouvrir la danse devant tout ce monde quand la perspective de se fondre dans la masse ne l'apaisait guère ! Ce serait bien que Rey daigne enfin montrer le bout de son nez. Rudy se sentait seul... Hélas, en tant qu'Intendant Royal, son cavalier aurait une soirée très chargée.

Rudy envia ses amis quand Mir rejoignit Torcy-Junior et l'entraina dans une discussion avec des damoiseaux intéressés. 

Une fois de plus, il les soupçonna d'être en mission pour Dean. Quoique, Mir accordait du crédit aux grivoiseries que chuchotait un jeune homme à son oreille. Ce soir se noueraient de nombreux liens profitables à la province d'Orsei. Son gouverneur ne ratait jamais une occasion de rapporter de nouvelles richesses – matérielles ou relationnelles – de retour de voyage.

Cette pensée fit tiquer Rudy. Sans se l'expliquer, il eut le pressentiment incongru qu'ils ne rentreraient pas de voyage. Peinant à saisir cette émotion ni à le mettre sur le compte d'une intuition, Rudy en conclut que tout ce beau monde dissimulant leurs pensées derrière des sourires le rendait paranoïaque. À moins que l'évolution de son don soit responsable de son hypersensibilité... Peut-être qu'inconsciemment, il redoutait l'arrivée de Père. Dean – toujours absent pour on ne sait quelle raison – pourrait débarquer sans crier gare avec celle qu'il aurait épinglée comme sa future bru. Rudy ne se sentait plus très disposé à trouver une fiancée. Ses projets, ce soir, n'incluaient aucune donzelle, n'en déplaise au sieur son père.

Il chercha à nouveau Rey des yeux, à défaut de le détecter à « l'odeur ». Le marasme des auras l'intoxiquerait s'il s'aventurait à dénicher celle sucrée du jeune homme. C'était aussi étrange de penser qu'il pourrait y arriver avec un peu d'effort. Il n'avait encore jamais essayé de trouver quelqu'un dans une foule en pistant son aura à l'odeur. D'où lui venait le sentiment que ce serait réalisable ? Que c'était une possibilité ? Il soupira, las. Sa découverte des toits de rubis soulevait bien plus de questions qu'elle n'apportait de réponse.

Corroborant ses pensées, Rudy nota une fragrance de façon distincte, malgré l'éloignement de Lou-Ahn qui discutait avec Adrien. Les soldats du Cordon Rouge semblait plus détendus. Ils avaient sans doute quartier libre, à leur manière de se laisser charmer par les danseuses dénudées, en plein spectacle sur les scénettes aménagées çà et là, inspirées de décors mythologiques, exotiques ou épurés. Rudy sentit Ilona surveiller son homme d'un œil de rapace. Yakim se gardait d'avoir les mains baladeuses. Farrell n'avait pas la même rigueur. Les yeux inquisiteurs d'Ashley – sa femme restée en Orsei – ne lui perçaient pas le dos.

Certains hommes de Père courtisaient déjà la poulette, comme dirait Rick, qui semblait plus intéressé par le décolleté indécent de dame Elena que par sa conversation. La femme appartenait à la suite de quelque marquise bayloriane. Des servants et servantes, se distinguant à peine des danseurs et danseuses en tenue légère, sillonnaient la grande salle, louvoyaient entre les convives, transitaient entre cuisines, balcons, patios internes, terrasses... Kurt suivait les allées et venues de l'une d'elles, et la belle en jouait. Mareva, qui avait jeté son dévolu sur l'ambassadeur du roi depuis quelques jours, faisait de Julian sa chasse gardée. Le concerné était un homme heureux à en juger par son aura gorgée de fierté, à l'idée d'une femme sublime suspendue à son bras. Le tailleur royal s'était surpassé en mettant les Orseianes en beauté.

Chayton et Elan causaient plus avec le sommelier qu'avec la demoiselle. Mais le beau sexe aurait bientôt du mal à contenir leurs ardeurs une fois qu'ils se seraient assez imbibés. Déplorable ! Will croulait déjà sous les assauts féminins ; ses potentielles clientes ne se faisant point de cadeau dans le but d'attirer ses faveurs. Sans scrupule, Will brandissait tel un bouclier la jeune Heidi à son bras, subliment vêtue par ses soins. D'un autre genre généreux, Taïji se pavanait aux bras de deux jeunes femmes reds. Il avait toujours eu cette propension à ne jamais faire dans la demi-mesure. Iris ne se trouvait nulle part. Rudy le soupçonnait d'être occupé à prendre du bon temps. Il avait cru le voir se retirer, une main sur la croupe d'un adonis à peine gêné.

Rudy déclina poliment une proposition. Avec subtilité, il détourna les avances d'une jeune femme, esquiva celles d'un jeune noble et se réfugia sur une mezzanine. De sa position, il observa la masse grouillante et luxueuse, un énième soupir au bout des lèvres. Il se crispa quand deux mains épousèrent sa taille avec tendresse.

— Je t'ai cherché. Tu es très beau, ce soir.

Le souffle de Rey lui chatouilla l'oreille.

— Merci, dit-il, une fois de plus troublé de constater que Rey pénétrait dans son espace personnel sans l'alerter.

Ce phénomène devenait récurrent. Il fallait y remédier. Ne serait-ce que pour préserver son égo de Guerrier White entrainé par un maître d'arme exceptionnel. Son oncle Dan aurait été déçu, d'autant plus que le Grand Banquier n'avait rien d'un homme d'armes malgré sa pratique de l'escrime. Sans retenue, Rey huma le parfum de Rudy. Le nez frôlant sa nuque lui arracha un agréable frisson.

— Tu te caches ?

— Je t'attendais.

Rudy réalisa alors à quel point sa réponse était véridique. Il avait le sentiment d'avoir trouvé une chose qu'il attendait depuis belle lurette. Il servit à Rey son premier sourire de la soirée. La fragrance de son partenaire supplanta toutes les auras présentes. Sa tension chuta et Rudy se raccrocha à cette odeur sucrée comme à une bouée. Ses autres sens se détendirent. Il se sentit respirer avec plus de facilité. Rey l'apaisait de manière marquante, tel le remède d'une pathologie chronique. Non que son don soit maladif mais, jusqu'ici, il était plus coutumier de ses effets secondaires. L'aura du Grand Banquier fonctionnait comme un antidote.

Rey s'inquiéta de son mutisme.

— Tu m'as l'air pâle. Tu vas bien ?

— Penses-tu que le roi nous en tiendra rigueur si on se sauve avant le début de la séance de danse des convives ? Tout ce monde me rend nerveux. Je me sens nauséeux, avoua-t-il.

Tant pis pour la promesse de Red de lui accorder du temps durant le bal. Quoique, la nuit était jeune, se dit-il avec un soupçon de culpabilité.

— Tu ne veux pas assister au spectacle des prêtresses ? s'étonna Rey.

— Je l'ai déjà vu. J'ai même eu le privilège de me baigner avec elles, si tu veux savoir.

Rey se serait passé de ce détail. Jugeant son renfrognement immature, il choisit de savourer sa chance. Il s'amenderait plus tard auprès de sa majesté pour leur absence.

— Je fais parvenir de quoi nous sustenter et on se retire dans mes appartements.

— Je pensais plutôt à un toit de rubis, proposa Rudy.

— Tu y as pris goût ?

— On va dire ça.

— Dans ce cas, suis-moi, soupira Rey. Une fille de Rumiko nous confectionnera bien un panier repas.

— Rumiko... Qui est-ce ?

— La matrone des majordomes. Toutes les servantes sont ses « filles ». Elle s'occupe particulièrement du Grand Red, c'est sans doute pour ça que tu ne l'as pas encore rencontré.

Rey le prit par la main et l'entraîna à sa suite. Le geste fut machinal, naturel. Focalisé sur la fragrance addictive de son acolyte, Rudy ne se rendit pas compte du tableau qu'ils renvoyaient ainsi. Ils empruntèrent un passage dérobé derrière une statue, qui les mènerait aux cuisines de la tour d'Ivoire. Rudy loupa donc l'émoi qui saisit la grande salle de bal et se propagea à l'extérieur de la tour Écarlate.

La cacophonie et la chaleur des fourneaux en cuisine vous invitaient dans un autre monde. La distraction n'y avait pas droit de cité. La seule personne dans cette ruche échaudée qui consentit à leur accorder un minimum d'attention s'avéra une gamine. Rudy lui donnait moins de dix ans. Elle portait une version enfantine de la tenue de majordome de la cour, et cela attribuait à l'uniforme un caractère mignon. Elle apostropha Rey.

— Que fait le Grand Banquier dans la Grande Cuisine du palais de Rubis ? Tu n'y as pas ta place !

— Que fait la fille du Grand Conseiller Jay en cuisine ? opposa Rey sur le même ton.

Elle leva le menton d'un air trop guindé pour être pris au sérieux, encore moins avec sa bouille de poupée.

— Je supervise ! J'espère ne pas t'informer du fait que je suis aussi la fille de la Grande Gouvernante.

Sa réponse arracha des sourires chez la valetaille affairée autour d'eux. Rey se garda de pouffer.

— Mais bien entendu. Bonsoir, Lana.

Rudy devina à leur sourire complice qu'il s'agissait d'une plaisanterie privée. L'humeur joyeuse de la fillette mourut quand elle nota la présence de Rudy. Elle arqua les sourcils.

— Finalement ? Eh ben, ce n'est pas trop tôt, dit-elle d'un air entendu. (Cette fois, elle s'adressa directement à Rudy tout en servant une œillade moqueuse à Rey.) Il te l'a donc dit ?

Rudy la dévisagea, interloqué. Que devait-il comprendre ? Il interrogea Rey du regard, qui bâillonna la pipelette et lui demanda son aide.

— C'est bien parce que c'est toi, fit Lana en se dégageant.

Elle les aida à constituer de quoi faire leur bonheur. Rey jeta un œil dans le panier en osier qui contenait une grande boîte à repas en bois laqué noir décoré de fleurs de coquelicot. Rudy distingua des verres en cristal emmaillotés dans des serviettes immaculées et brodées du sceau royal. Au fond se trouvait un panier plus petit contenant un échantillon des pâtisseries servies cette nuit-là. Rudy saliva à leurs arômes, comme Rey finissait sa vérification. Il souleva une amphore de vin près d'une carafe d'eau, et Lana en vanta les mérites.

— Tu ne le dis à personne, je t'ai mis le vin spécial de sa Majesté. C'est le meilleur du palais. (Avec un vice ne seyant point à son jeune âge, elle ajouta :) C'est aussi le vin le plus mortel, potentiellement. Le goûteur de sa majesté n'y a pas encore goûté.

— Je prends le risque, fit Rey. Je sais que tu veux te débarrasser d'un rival mais ta « Grande Supervision » a de quoi décourager un empoisonneur. Tu es si consciencieuse que c'en est parfois problématique.

— Oh zut alors ! Tant pis. Pour être honnête, ça me ferait mal de me débarrasser d'un rival aussi beau.

Elle sourit enfin à Rudy. Ce dernier craignit de comprendre de quoi il retournait. Il la toisa de façon torve mais n'eut guère le loisir de s'exprimer. Rey l'entraînait hors des cuisines, laissant une Lana aux oreilles rosées, conséquence d'un baiser sonore de l'Intendant sur ses joues rondes.

— Qui est-ce ? s'enquit Rudy, amusé.

— La vrai fille de Rumiko et du Triumvir Jay.

— Elle voulait se débarrasser de moi, si j'ai bien compris.

— Bah, tu lui as volé son promis après tout, dit Rey, pince-sans-rire.

Rudy s'horrifia.

— Tu lui es promis ?!

Rey ne sut comment prendre cette réaction ? Rudy était-il scandalisé ou jaloux ?

— Le premier jour qu'on s'est vus, elle a décrété que je l'épouserai. Je prenais mes fonctions d'Intendant royal. Voilà deux ans que c'est un secret connu.

Rudy l'aurait frappé. Le jeune homme le tournait vraiment en bourrique.

*

Palais de rubis – sommet de la tour d'Ivoire

Rey ordonna à un page survolté, qui courrait comme ses collègues dans tout le palais, de leur apporter des couvertures chaudes. Dans la coupole de la tour d'Ivoire, Rudy constata ses rubis plus clairsemés que ceux des autres tours. Il nota la température agréable sous le dôme, de quoi questionner l'utilité des couvertures. Il faisait bon, en contraste avec le temps frisquet de la nuit à l'extérieur, comme si une cheminée invisible avait été allumée. Il comprit pourquoi Rey ne s'était pas muni d'une lampe. Un halo iridescent nimbait la serre et se reflétait sur sa peau en nuances arc-en-ciel. Le tableau semblait féérique.

Un instant, Rudy oublia Rey, attiré par le verre. L'Intendant se rappela à lui en apposant sa main contre la sienne, au contact du verre. La même scène s'était produite la veille. Rey chuchota :

— Me diras-tu qui tu es vraiment, Rudy Leblanc ? J'avais espéré que tu le fasses sans que je ne pose la question.

Conclusion : Rudy n'avait pas envie de lui en parler. Il comprit qu'il se fourvoyait quand Rudy confessa :

— Peut-être... parce que je l'ignore moi-même.

Rudy se surprit à se montrer franc pour ne pas gâcher ce moment avec de faux-semblants. Il haussa les épaules face au regard interrogateur. Il était peut-être archimage mais ignorait tout de l'archimagie. Alors oui, il ignorait ce qu'il était. Finalement, il choisit de tester Rey.

— Et qu'est-ce qui te fait croire que je suis différent ? Tu pourrais très bien avoir inventé cette histoire, en feignant de ne pas arriver à toucher le verre.

— Dans quel but ? Tu parles au conditionnel, preuve que si tu remets ma parole en question, tu m'accordes néanmoins le bénéfice du doute.

En effet, Rey n'avait aucun intérêt à affabuler. Le jeune homme n'avait pas besoin de bonimenter pour faire son intéressant. De toute façon, Rudy l'aurait su si l'Intendant mentait. De plus, le rubis détruisait ses œillères, car Rudy communiquait à nouveau avec la gemme. Elle lui parlait cette fois d'un ton chuintant, différent de celui de Mère. Il entendait plusieurs tonalités dans cette voix étrange, comme venue d'un autre monde. Une chimère dotée de multiples larynx lui disait d'une seule bouche :

« Dangereuse est l'arme du savoir
Mais le Danger est l'ignorance.
Prends garde, Fils du Savoir,
À ta soif de connaissances. »

Tremblant, Rudy retira sa main, étreint par une peur nouvelle. Son ignorance de sa propre nature lui serait préjudiciable. Tel était le message du rubis. Il craignit de toucher la coupole qui l'appelait toujours, se sentant des affinités avec une mouche attirée par une plante carnivore au parfum tentant.

Rey, qui l'observait, ne comprenait pas son expression. Il pensait avoir apporté suffisamment de preuves de ce qu'il avançait, la veille. Mais le scepticisme restait une bête difficile à dompter. Voulant tuer le quiproquo ou malentendu, il fit une chose insensée. Il plaça la main de Rudy au-dessus de la sienne et obligea le jeune homme à forcer le contact avec le toit. Rudy sentit une résistance opposée à la main de Rey. Elle s'accentua quand ce dernier s'aida de son autre main et imprima plus de pression. Une décharge énergique les projeta au sol. Ramenant sa main meurtrie contre sa poitrine, Rey gémit de douleur. Rudy paniqua.

— Mais qu'est-ce qui t'a pris ?

— Tu me crois maintenant ?

— Pauvre imbécile ! Tu es masochiste ou quoi ?

— Sans doute, pouffa Rey d'un air bravache.

Rudy lui prit la main et l'examina, inquiet.

— Tu t'es vraiment brûlé...

— Un archimage pourrait me guérir, je suppose.

— Je ne sais pas si j'en suis un ! protesta Rudy, apeuré par le poids de ce que cela impliquait. Ils sont tous morts depuis des siècles ! Je n'en suis pas un, nia-t-il avec véhémence.

Son propre déni lui rit au nez. Et s'il n'y avait que le déni... La peur de l'inconnue, cette voix dénaturée, les conséquences de ses découvertes, le fait d'être le seul de son engeance... du moins à sa connaissance, tout cela serrait des nœuds d'angoisse dans ses viscères. La personne capable de le rassurer avait quitté ce monde. Alors oui, il admettait sa frayeur, pourtant il n'était pas du genre couard. Mais seul un inconscient n'aurait pas éprouvé de crainte dans une telle situation. Le déni restait son mécanisme d'autodéfense.

— Tu n'as rien eu contrairement à moi, dit Rey, le sortant de ses pensées négatives. (Son air entendu et la paume de sa main rougie interdisaient à Rudy de fuir la réalité.) Que te faut-il de plus comme preuve ? Le toit te reconnaît comme l'un des siens.

Tu ne penses pas si bien dire ! songea Rudy, terrifié. Fils du Savoir, ainsi l'appelait le rubis.

— Tu te trompes, asséna-t-il d'un ton brusque. Tu ne sais pas ce que je suis, moi non plus, et je préfère qu'on en reste là.

Buté, Rudy se leva et lui tourna le dos. Rey soupira d'agacement face à la dénégation de son interlocuteur. Avec sa soif de connaissances, il ressentait toujours de la frustration ou de l'irritation quand une personne douée refusait d'admettre ses capacités ou de s'en servir. Vu le destin funeste des archimages par le passé, Rey pouvait comprendre que Rudy éprouve de la peur ou une forme de honte... Mais bien sûr ! Rey se traita d'idiot. Rudy était transi d'effroi et le dissimulait derrière le rejet ou le déni. Quoi de plus normal. Si ce garçon étrange s'avérait bien ce qu'il pensait, alors Rudy Leblanc serait le premier archimage répertorié en plus de mille ans. Difficile d'assumer une telle responsabilité.

— Tu es spécial, c'est certain. Sinon tu n'aurais pas confondu Lucas Levy le jour de ton arrivée. Savais-tu qu'il était l'une des têtes pensantes derrière les émeutes qui ont agité Aram dernièrement ?

Rudy se tourna vers lui.

— Son interrogatoire aura révélé des vérités sidérantes et inquiétantes. Il détournait les caisses du Trésor et finançait des cellules rebelles. Les ramifications de leurs activités terroristes s'étendent jusqu'aux sphères politiques limanes et baylorianes. Les virées des espions de Lima et Baylors ont été facilitées par l'aide de ce cafard ! Dire qu'il officiait sous mes ordres et je n'ai rien vu venir. La question est désormais de savoir s'il est un transfuge de Lima ou de Baylor. Autant pour Sloan, l'homme-lige du prince Dorien, les preuves ont été limpides concernant son appartenance à Baylor, autant pour Lucas Levy, ça reste flou.

— Vraiment ? s'étonna Rudy.

Il ignorait tout cela mais se doutait que Père le savait. Sinon Dean ne se serait pas adonné au spectacle sordide dont il avait gratifié l'assemblée à leur arrivée. Père s'était assuré de connaître l'identité de l'homme avant de le poinçonner au mur. Les auras nauséabondes abondaient au palais, or Dean n'avait pas aculé ces individus toxiques comme il l'avait fait avec Lucas Levy. Le Gouverneur d'Orsei disposait déjà des preuves de la culpabilité du secrétaire du Grand Banquier, par le truchement de son espionne, Kohana.

— Là aussi, tu te trompes. Je ne l'ai point confondu, c'est Père.

— Ne me prends pas pour plus dupe que je ne le suis. Je n'ai jamais cessé de t'observer... Même si c'était pour d'autres raisons, marmonna Rey avec gêne. Depuis le phénomène étrange de la veille avec le toit de la tour Écarlate, je me suis posé des questions à ton sujet.

Méfiant, Rudy demanda d'un air se voulant détaché :

— Et qu'as-tu découvert ?

— Que tu es très original, répondit Rey, refusant de se mouiller.

Il sentait que Rudy pouvait se braquer à tout instant. Il changerait son approche afin d'apprivoiser une bête effrayée et farouche. Le sourire espiègle, il se rapprocha de Rudy.

— Ça me plait de savoir que je me suis épris d'une personne extraordinaire.

Rudy se détendait à peine qu'il s'empourpra face à la déclaration. Rey ferma les yeux, le temps de se convaincre qu'il prenait la bonne décision. Au fond de lui, il savait que ses sentiments pour le jeune homme seraient préjudiciables au Grand Red. Il en était un peu terrifié. Alors il comprit l'état d'esprit de Jeff. Le comble : il s'apprêtait à commettre un acte de trahison pire que celui du second Triumvir. Contrairement à Jeff qui avait ignoré la mission de Kohana lorsqu'il s'en était entiché, Rey n'ignorait rien des conséquences d'une fraternisation avec un Leblanc. Il pactisait avec le fils du félon, au détriment du Grand Red.

Il savait que Dean avait introduit une espionne au palais de Rubis. Il se doutait que Dean fomentait un coup d'État impliquant le prince Damien. Certes cela restait spéculatif mais certaines preuves circonstancielles allaient dans ce sens. Par ses propos, Dean convoitait le trône à sa façon. Découvrir que ce même Dean avait un fils potentiellement archimage, le premier archimage après un millénaire, restait une information à rapporter au roi. Le gouverneur d'Orsei deviendrait bien plus dangereux avec cet atout inqualifiable dans sa manche.

Peut-être que Dean ignorait la nature de son fils, à en juger par la frayeur du concerné. Ou peut-être pas. Cette information s'avérait capitale pour Red, Rey le savait. Le taire à son souverain lui porterait un coup dur, Rey le supputait. Mais... il subsistait la possibilité que cela reste sous scellé s'il tenait sa langue. Les dérobades de Rudy insinuaient que le jeune homme tenait à garder ses secrets. Si Rudy lui demandait de faire vœu de silence, il s'exécuterait.

— Tu dis ignorer ce que tu es... N'as-tu pas envie de l'apprendre ? Tes dons hors du commun peuvent te jouer des tours si tu ne sais pas à quoi t'attendre. Je peux t'aider, dans la mesure de mes moyens. Ça restera entre nous.

— Tu ferais ça ? souffla Rudy.

Pour la première fois de sa vie, il entrevoyait une possibilité de réponse fiable, une aide impromptue venue d'une personne qui aurait dû le craindre en découvrant sa bizarrerie. Son père l'avait caché dans un cocon protecteur, de peur qu'il ne soit rejeté par les autres à cause de ses dons hors normes. Or il avait la preuve que sa différence, son unicité, ne ferait pas de lui un paria. Ou est-ce que le désir de Rey à son égard biaisait ses réactions ? Quoi qu'il en soit, cela lui fit du bien.

— Je pense pouvoir trouver de la documentation qui t'intéressera.

Rudy rendit à Rey son sourire.

— Je serai ravi d'y jeter un œil. Mais je préfère n'avoir aucune attente, ajouta-t-il face à la joie de Rey. On peut très bien faire fausse route. Je n'ai jamais ouïe dire que l'archimagie se transmettait par le sang. Je suis peut-être d'une autre nature.

— C'est-à-dire ? fit Rey, perdu.

— Je tiens mon... étrangeté de ma mère. Elle ignorait aussi ce qu'elle était, du moins d'après Père. J'étais trop jeune pour m'en souvenir. Et elle m'a quitté trop tôt alors que je réalisais à peine que je n'étais pas comme les autres enfants.

— Oh... ça n'a pas dû être évident. Je suis désolé, marmonna Rey.

La tristesse de Rudy disait le sujet toujours douloureux. Sans réfléchir, il le prit dans ses bras. Rudy se laissa faire et inspira la fragrance de l'aura sucrée pour calmer ses émotions. Un ange passa. Avant que l'embarras ne s'en mêle, Rudy proposa :

— Il serait peut-être temps de faire honneur au vin du roi.

— Je pense aussi.

*

Palais de rubis – toit de la tour d'Ivoire

— Parle-moi de toi, demanda Rudy alors qu'ils entamaient le dessert.

Leur repas avait été agrémenté d'une discussion légère portant sur la vie d'un jeune étudiant à l'Université Royale d'Aram et celle d'un jeune guerrier, héritier d'une dynastie historique. Les deux garçons – l'un issu d'une classe populaire aisée, l'autre noble –, s'étaient amusés à trouver des analogies insoupçonnées entre leur train de vie. En un sens, la vie d'un étudiant impérial était aussi militaire que celle d'un guerrier White. Rudy avait été reconnaissant envers Rey de ne pas l'assaillir de questions sur ses particularités. Il n'en avait jamais parlé à qui que soit, excepté ses parents. Accorder sa confiance sur ce sujet restait difficile. D'un autre côté, il se disait qu'il serait facile de se confier s'il connaissait mieux Rey.

— Que veux-tu savoir ?

— Tout ce que tu voudras bien me dire.

Un instant, Rey se perdit dans la contemplation des yeux d'émeraude qui luisaient d'une manière assez similaire au halo émit par le toit de rubis. L'Intendant se demanda s'il devait en faire la remarque ou s'il gardait cette nouvelle bizarrerie pour lui. Si cela le perturbait, Rey estimait cependant que c'était sans doute normal venant d'un archimage. Mais était-ce « normal » que lui l'accepte aussi vite, aussi naturellement, sans se poser des questions ? Lui, si logicien et rationnel d'ordinaire ? Ce garçon l'avait envoûté... Aussi s'entendit-il dire :

— Si je devais te parler de moi à l'instant, je te dirais que j'ai très envie de faire miennes tes lèvres.

Rudy lui servit une moue blasée, jugeant son jeu de séduction bradé. Qu'à cela ne tienne, Rey poursuivit :

— Si je devais te parler du moi d'hier, je te dirais qu'il avait très envie de faire siennes tes lèvres.

— Il me semble qu'il l'a fait, si je ne m'abuse, pouffa Rudy.

— Et il aimerait recommencer, là, maintenant, susurra Rey en se penchant vers lui.

Leurs lèvres se frôlèrent. Rudy ne se fit pas prier. Il initia lui-même le baiser. La langue de Rey chercha la sienne. Lorsqu'elles se trouvèrent, Rudy agrippa la nuque de Rey et approfondit l'échange. La fulgurance soudaine de son désir l'interloqua. Il n'opposa aucune résistance quand Rey l'allongea sur les couvertures et inséra une cuisse entre les siennes.

Le soupir de Rey, comme Rudy glissait ses mains dans son dos puis les descendait jusqu'à ses fesses, annonça que cette affaire finirait par deux corps nus empêtrés l'un dans l'autre. Le jeu de reins de Rey appuya cette conclusion et finit de réveiller l'érection de Rudy. Il brûlait d'un feu nouveau qu'il voulait communiquer à Rey. Le geste empressé, il l'effeuilla. Turban, ceinture, bracelet-manchette, tunique, chemise...

— Bon sang, tu te dissimules sous combien de couches de vêtements !?

Rey rit de son impatience. Il aida Rudy à les dévêtir. Tout à sa besogne, il sema des baisers tendres le long de la peau dénudée. Une épaule, une clavicule, un téton malmené par des dents coquines et suçoté par des lèvres quémandeuses. Rudy devint incendie. Il refusait l'idée de s'éteindre, embrassant sans retenue l'idée qu'un homme puisse l'étreindre. Il se cambra, offrit son intimité à la torture vénérienne des lèvres de Rey. Celles-ci avaient joué avec le fin duvet doré sous son nombril, suivi la ligne viril de poils jusqu'à son entrejambe et fini autour de sa lance dressée.

Rudy s'arcbouta, à genoux, comme son partenaire le besognait avec appétit. Le tableau de Rey, à quatre pattes, lui donnait des envies de domination. Il comprit vite que les rôles étaient inversés car le pouvoir se trouvait dans la poigne ferme de Rey, la chaude expertise de sa gorge et la sensualité de sa langue. Rudy rendit les armes quand Rey leva les yeux et établit le contact visuel. L'érotisme de cette position fit grimper son excitation à des sommets. La soumission de Rey : un appât pour mieux le capturer. Si Rey cherchait à le charmer, c'était réussi. Rudy était désormais captif d'un regard d'obsidienne reflétant la faible émanation des gemmes du toit. Le White était à la merci du Red.

Cette bouche merveilleuse autour de son membre n'occultait pas à Rudy le spectacle de la nudité de Rey. Celui-ci le sortit presque de sa transe en le forçant à s'allonger sur le dos. Rey retourna à sa besogne de lui faire miroiter les étoiles, la tête allant et venant entre ses jambes dans une position indécente. L'embarras avait mis les voiles. L'instant devint enchanteur quand Rudy sentit une langue titiller son intimité. Il se mordit la lippe face à la sensation d'humidité. Sensation vite oubliée, quand le geste audacieux, provocateur, l'incita à se cambrer de plus belle. Il en voulait davantage. La promesse de l'extase n'était plus suffisante.

De ses doigts experts, et un peu sadiques, Rey taquina son méat, ses bourses, fit des merveilles le long de sa hampe hardie. Rudy se sentit manipulé tel un instrument à soupirs licencieux. La chaleur des caresses de son amant envahissait son être, troublait son corps qui se découvrait sensible d'endroits insoupçonnés. La course de son cœur accéléra comme il plongeait ses doigts dans la capillarité noir de jais qui lui chatouillait l'intérieur des cuisses. Puis l'instant enchanteur devint divin. Le massage intime de doigts intrusifs et lubrifiés – de toute évidence, Rey s'était bien équipé – relégua aux douves de sa mémoire la douleur aigüe de leur intrusion. Un point particulièrement sensible était en train de chambouler son univers.

L'instant divin devint infini, lorsque les doigts se retirèrent, cédant leur place à un convive qui passa le seuil de son monde intérieur remodelé, dans une lenteur qui en accentua la volupté. Rudy ouvrit les yeux, jusque-là clos, et se figea devant la vision lascive d'un Rey entre ses cuisses. La peau diaphane du garçon reflétait les lueurs de la lune qui se dévoilait enfin, dénaturées par l'irisation du dôme de verre et rubis.

Le moment s'étira, s'éternisa. Chaque seconde sembla durer une vie. Le temps n'eut plus d'importance dans cet univers de chaleur, moiteur et sueur. Et sa peau se languissait toujours des caresses de Rey. Touche-moi... Il le pensait à peine que Rey s'exécutait. La passion de son toucher lui brûla la peau. Ses doigts lui arrachèrent des cris impudiques, ses ongles lui labourèrent les flancs. L'idée de garder la marque de ces griffures sensuelles le mit dans un état second.

Passant les cuisses de Rudy par-dessus ses bras, Rey décida de l'emporter au septième ciel par une danse de hanches langoureuse et vigoureuse. En conquérant, il le prit avec une sauvagerie mêlée de tendresse. Rudy resserra ses jambes autour de la taille de Rey, qui modifiait à nouveau leur position, autorisant ainsi les frictions de son vit contre leur ventre.

Un réchauffement climatique guettait la planète de Rudy, changée en comète sur le point de franchir un cap de non-retour. La respiration saccadée de Rey devint son atmosphère. Son amant remplissait les vallées de son corps de caresses, survolait ses dunes de baisers papillons, parsemait son ciel d'étoiles. Dans le cosmos de son orgasme, Rudy sentit en lui l'essence de Rey lorsqu'un ultime coup de rein lui fit voir la naissance d'un astre incandescent. Puis ce fut l'éclipse totale.

*

Palais de rubis – toit de la tour d'Ivoire

Quand Rudy se réveilla, une part de son esprit lui dit qu'il avait séjourné dans les vapes à la suite d'une jouissance fulgurante. Le sourire niais, il savoura sa béatitude dans le cocon satiné des membres de Rey. Une explosion le ramena brutalement à lui. Rattrapé par son instinct guerrier, il se redressa avec vivacité, à la recherche de sa dague d'apparat. Rey l'emprisonna dans son étreinte et lui chuchota avec calme :

— Ce n'est le feu d'artifice, rien d'alarmant.

Rudy cligna des yeux pour mieux accommoder sa vision. Il réalisa que Rey était éveillé depuis un moment. Le jeune homme s'était adossé contre la seconde couverture inusitée, roulée en boule et calée contre le grand panier d'osier. Rudy s'était endormi entre ses jambes légèrement relevées, reposant sa joue contre son aine. Il rougit furieusement. Pas étonnant que le cocon ait été chaud et douillet !

— Bien dormi ?

Rudy lutta contre son embarras face au sourire un brin narquois de Rey.

— Le bal touche à sa fin ?

— Non, il est minuit. Les festivités continueront jusqu'à quatre ou cinq heures du matin. On entame la seconde partie, le point culminant où on ne devrait pas s'étonner de voir des gens forniquer au détour d'un couloir dérobé.

Rudy lui lança un regard torve. Rey rit de sa pruderie déplacée, compte tenu de leur précédente activité.

— Après le feu d'artifice du bal des Demoiselles, mieux vaut éviter de se balader dans le palais de Rubis avec une torche ou une lampe, si on a l'intention de préserver la vertu de ses yeux et ses oreilles. C'est l'heure du couvre-feu des plus jeunes.

Tous deux nus comme au jour de leur naissance, ils se rapprochèrent du dôme afin de mieux assister au spectacle pyrotechnique. Rey l'étreignit et Rudy se laissa naturellement aller contre son buste. Le renflement contre ses fesses lui apprit que son partenaire n'était pas aussi détendu que lui.

— Ça ne redescend jamais ? le taquina-t-il.

— Ta peau a un drôle d'effet sur moi, confessa Rey avec le plus grand sérieux. Son odeur me rend ivre de désir.

Rudy se tourna vers lui, passa ses bras autour de son cou et susurra :

— Alors enivre-toi jusqu'à l'inconscience. Cette nuit est faite pour, non ?

Il ne l'avouerait pas mais il était dans le même état d'addiction. Il avait le sentiment qu'il ne pourrait plus se passer de la fragrance du corps éthéré de Rey. Aime-moi encore.

Leurs baisers fougueux les ramenèrent à leur couche improvisée. Cette fois, leur jeu polisson laissa la part belle à la langueur et la complicité. La passion restait la même mais l'urgence avait disparu. Les sens en émois, la raison éperdue, ils refirent l'amour. Leur corps semblait danser au rythme d'une mélopée entendue d'eux seuls, dans laquelle se mêlait la percussion des explosions illuminant le ciel. Deux âmes enlacées dans leur bulle érotique, un lâcher-prise dans une ambiance presque magique, ils ne faisaient qu'un, une communion de désirs teintés d'onirisme et sensualité. La même fièvre les liait. Drapé dans la lumière irisée sous le toit de rubis, leur bonheur les déroba du monde physique et matériel.

Ils se passèrent de mots. Un échange de regard, un sourire, suffisait. Rudy explorait le corps tremblant de plaisir de Rey, des mots tendres au bout des lèvres, qu'il n'osait pas dévoiler. Il savourait chaque frisson exquis. Rey connut la plénitude quand Rudy prit entièrement possession des rênes. Avide, ce dernier se montra d'un appétit vorace. Rey l'encouragea, l'accueillit sans retenue. Le feu d'artifice continuait d'illuminer le voile sombre des cieux, animant le dôme de reflets hypnotiques. Le moment semblait sorti d'un rêve.

Grisé par les gestes parfois maladroits de Rudy, Rey se laissa porter par la flamme. Les mains calleuses rompues au maniement du sabre du jeune guerrier lui échauffaient les sens. Son sang ne fit qu'un tour quand Rudy se lança à l'assaut de son territoire intime. Rey ne se montra pas avare en gémissements de plaisir. Au seuil du paradis, il se redressa brusquement, plaqua Rudy contre la couverture et l'enfourcha tel un cavalier intrépide. Rudy lui griffa les cuisses, le regard voilé, la tête rejetée en arrière, la lèvre mordue pour contenir son excitation. Mais le délice et l'indécence de leurs corps en fusion lui arrachèrent des râles sauvages.

Alors que Rey ne le croyait plus possible, la cadence s'accéléra. L'endurance de Rudy lui fit réaliser que l'entrainement du jeune guerrier était une bénédiction. La jouissance fut ardente au point de les drainer. Comme les derniers éclairs du feu d'artifice éclipsaient la lune, le sommeil n'eut aucun mal à les cueillir après une toilette sommaire aidée par la carafe d'eau.

*o*

Palais de Rubis, toit de la tour d'Ivoire

— Je t'ai donné mon impérium, Jeffrey, je t'ai confié le trône...Et tu l'as négligé pour les cuisses d'une catin au service de l'homme qui a menacé de scinder Maar en deux si je ne me donnais pas à lui !

— Que décidez-vous, Majesté ? ...Maar court un grand danger si on ne se retire pas le doigt d'où je pense.

« Prends garde, Fils du Savoir ! »

— Dean Leblanc... retenu... à Aram, afin de permettre à son oncle... d'assumer la gouvernance d'Orsei... Pour ses actes et pensées l'accusant de félonie, ...Gouverneur d'Orsei ...sa délégation ...otages ...au palais de Rubis. Les sarricks ...éliminés.

— ...Tu as l'ordre de le tuer.

Père ! Rudy ouvrit brusquement les yeux.

Une main plaquée contre sa bouche l'empêcha de crier. Il eut à peine le temps de paniquer et saisit sa dague. Son agresseur porta l'index de sa main libre à ses lèvres, lui intimant le silence. Les iris turquoise brillant dans la pénombre étaient angoissants. 

Reconnaissant le visage de son père, Rudy écarquilla des yeux.

Il se trouvait dans le dôme de la tour d'Ivoire. Il faisait encore nuit... ou plutôt l'aube approchait mais il ne saurait le dire avec certitude ; le toit de verre biaisait son estimation. Le phénomène d'irisation s'était évanoui. Rudy était nu comme un ver. Les quelques heures de repos n'avaient pas débarrassé l'air de l'odeur de sexe. Et son père était penché au-dessus de lui, sa main droite en bâillon, le regard désapprobateur. Plus gênante comme situation, tu meurs !

Rey dormait à poing fermé. Rudy n'avait pas entendu Dean arriver car l'homme usait de ses facultés de maître Dissimulateur. En silence, le chef White lui ordonna de le suivre, embarquant une partie de ses vêtements. Pas de tergiversation. La colère sourde de Père le prenait à la gorge. Bon sang, il ne pouvait pas y avoir pire scénario ! Père n'était pas content de sa découverte. Un bel euphémisme.

*

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