✣ III - Départ de feu ✣ 3/7
🎵 Opening : 陳雪燃 Xueran Chen《大漠經》【電視劇沙海主題曲 Tomb of the Sea OST】官方高畫質
Edit du 07/05/2022
Petit récapitulatif des dernières évolutions. 1000 ans plus tard !!!!!
Dans l'ancienne version, Vince White était le fondateur de la tribu, l'ancêtre qui s'est battu aux côté d'Andrew Red. Désormais, Thomas White remplace Vince et Christopher Red remplace Andrew. Certains partis pris lors de la rédaction de la première version ne me conviennent plus. D'où ces changements. Oui, dans HC, Andrew et Christopher sont les prénoms du même personnage. Mais le fun de l'univers alternatif est la liberté qu'il m'accorde de twister le matériel d'origine à ma guise, en m'assurant toutefois de ne pas perdre de la crédibilité. Le résumé de cette fiction a donc subi une modification. Je vous invite aussi à relire la partie précédente, qui a été rééditée avec un léger apport d'infos supplémentaires. Mais rien de perturbant.
◢Chapitre III : Départ de feu (partie 3)◣
*
Mégapole de Nacir – Palace du gouverneur, appartements de James Leblanc
Sonia, dans la fleur de l'âge, avait des habitudes de vieille dame. Par beau temps, elle ne dérogeait presque jamais à sa promenade dans le parc d'agrumes. Sa routine l'aidait à garder un œil sur les courants du fleuve politique d'Orsei. De sources nombreuses, ils convergeaient tous vers l'office du gouverneur. À l'abri du feuillage, humant les senteurs fraîches, sucrées et acidulées du verger, Sonia exerçait son acuité visuelle sur le va-et-vient des serviteurs, le ballet des dignitaires et régisseurs Whites, les audiences des ambassadeurs et autres émissaires Reds, les comités restreints et les délégations discrètes, les satisfaits et les mécontents, les puissants et les profiteurs, les flatteurs et les détracteurs, les amis et les débiteurs.
Depuis quelques jours, le palace vivait au rythme des préparatifs du départ du gouverneur. Un long périple sur la Route Royale. Les implications d'une longue absence du maître du domaine n'étaient pas les seules causes de la fébrilité de Sonia. Dean se rendait au palais de Rubis, mais avant d'arriver à Aram, il convoquerait le Conseil des Clans. James n'y serait pas présent. L'apathie de son époux devant cette nouvelle hérissait Sonia.
Libérée du sommeil avant l'aurore, elle s'agitait dans sa couche. L'évolution de la situation requérait une mise au point avec son conjoint, or réveiller James de bonne heure pour palabrer lui aliénerait son oreille. Un coït matinal, en revanche, le rendrait réceptif... La sueur n'avait même pas séché sur sa peau échauffée par l'étreinte qu'elle abordait le sujet de ses tracasseries.
— Je n'arrive pas à comprendre pourquoi cela me révolte plus que toi !
— Moi non plus, dit James, sarcastique.
— Rien ne t'empêche de suivre Dean à TarN. Tous les chefs de clan l'y rejoignent.
— Comme tu dis, les chefs de clan. Je n'occupe pas cette position.
— Et cela n'a pas l'air de te déranger, constata-t-elle, écœurée. Tu restes en membre du Conseil, aux dernières nouvelles.
— Ma présence n'y changera rien. Le clan Leblanc a déjà son représentant, accompagné en prime par son héritier.
Elle n'y arriverait pas ainsi, conclut Sonia. Dépassionnant son propos, elle titilla la curiosité de James.
— Tu ne t'interroges même pas sur la raison de cette réunion inhabituelle ?
Le Conseil des Clans se tenait tous les ans en fin d'année. Chacune des villes sous l'hégémonie White accueillait cette réunion, en suivant un ordre préétabli. La cité de Vair, dirigée par les Orlando, avait été désignée comme la prochaine hôte et la date butoir surviendrait dans une saison. Or voilà qu'un Conseil précoce se réunirait à TarN.
— Il y a une raison derrière ce changement de calendrier.
— Ne me prends pas pour un imbécile, je suis au courant, s'impatienta James. Dean a renforcé les fortifications de la ville. Mon neveu me croit dupe, mais il ne fait aucun doute qu'il a entamé une manœuvre militaire.
Sonia sursauta. Quel rapport avec le Conseil des Clans ? Dean s'assurait en permanence de l'impeccabilité de l'armure de granit de Nacir.
— Mais... il l'a toujours fait. Il suit l'exemple de son père, ton frère agissait de même.
— Pas de manière aussi obsessionnelle et rigoureuse. Dean a réussi à rendre Nacir inébranlable devant un siège. Tous les travaux qu'il a entrepris depuis bientôt une décennie semblent concourir à rendre la cité autosuffisante.
— Ce que ferait tout chef guerrier White. Je ne vois pas où tu veux en venir.
James soupira, à peine surpris que cela échappe à sa femme.
— Mon neveu va se mettre en guerre. Il est déjà en train de se constituer une flotte.
Une guerre ? C'était absurde ! Une telle intrigue ne pouvait pas avoir échappé à Sonia. Le cœur battant, elle se montra sceptique.
— Je croyais que la Maariane avait une vocation commerciale.
— La changer en flotte de guerre ne demandera qu'un discours à Dean. Haranguer les foules ne lui a jamais posé de problème. L'idée de la compagnie fluviale vient des Reds, mais Nacir a financé le projet et rémunère la main d'œuvre.
Ce faisant, Dean avait placé ses pions dans le système. Sa majesté ne l'avait probablement pas vu venir, le gouverneur s'était accaparé de La Maariane.
— De toute façon, c'était perdu d'avance pour le Grand Red.
— Comment cela ?
James se résigna à inculquer quelques notions de stratégie à son épouse.
— Outre celui de Nacir, tous les gros chantiers navals se trouvent en territoire white. À Ezier, TarN, Vair et Fort-Zen.
Ezier était une ville maritime située dans une zone boisée à l'embouchure de l'If, petit fleuve via lequel on ralliait la capitale d'Orsei.
— C'est le bastion des Van Hoover. Leur chef Emich est un débiteur de feu mon frère. À la mort de Vince, Dean s'est assuré d'hériter de cette dette.
— Sans surprise, renifla Sonia.
Un Leblanc s'assure toujours que ses débiteurs paient leurs dettes. Le dicton se chuchotait dans toute la province et son origine remontait à plusieurs générations.
— Les trois autres cités accueillent les chantiers navals de plus grande envergure grâce à leur position géographique. TarN et Vair sont situées à proximité de la forêt Zelen et du lac Hapnes. La première, dirigée par Bart Pratchett, un vieil ami de Vince, et la seconde...
— Par les Orlando, compléta Sonia. Le chef Yakim est un proche ami de Dean. Quant à Fort-Zen, c'est le bastion des Wales, et les Wales sont le bras armé des Whites, chargé de couper la progression des Reds si le Nord venait à attaquer. Je sais tout cela !
— Bah, si madame le sait, elle sait donc que le domaine des Wales est non seulement collé à la forêt mais aussi traversé par le Merlion, un puissant affluent du fleuve Alliance. Aucune ville côtière red ne se trouve dans une zone suffisamment boisée pour autoriser une exploitation intensive de cette matière première. Cela donne un avantage considérable à Dean.
— Je vois.
— Les cités reds ne possèdent pas la même expertise en construction navale et encore moins de budget pour lancer de très gros chantiers. Certes, Saalt, Saev et Esa sont des villes maritimes – ils ont de bons navigateurs en mer –, mais une seule cité red connait les caprices et les subtilités de la navigation fluviale.
— Laquelle ?
— Akkar. C'est un gros pôle commerçant dirigé par une femme qui n'a rien d'une navigatrice, rien d'une guerrière et aucune notion militaire. D'ailleurs, elle est un cas exceptionnel. Normalement, les femmes n'occupent pas le poste de gouverneur.
— Cela ne devrait pas être « normal » ! grommela Sonia. Nous sommes aussi douées que les hommes, voire plus intelligentes. Notre couple le prouve.
— Ne me provoque pas, maugréa James. C'est par l'influence de son fils, le Triumvir Jay, que la Gouverneuse d'Akkar se maintient à son poste depuis son veuvage.
Le Triumvirat, trinité conseillère de sa majesté, possédait la primauté sur le Sénat. L'institution avait vu le jour en même temps que la prise de pouvoir du roi Andy. Ainsi donc, le troisième Grand Conseiller royal avait joué de sa position élevée pour octroyer à sa génitrice le titre de feu son époux... Jay avait-il été nommé Triumvir par le truchement de son père, ancien gouverneur Red d'une riche cité ? Sonia s'intéressait peu aux rouages de la politique du Nord. Vu son ambition de briguer le pouvoir au Sud, il était sans doute temps de se pencher dessus.
— Quant à Fort-Red, disait James, le bastion de la Légion Rouge consacre sa flotte militaire à la protection de la côte nord-ouest. Conséquence : les navigateurs de La Maariane proviennent en grande majorité des villes whites. Nos effectifs dominent ceux des Reds, pourtant nos deux tribus possèdent un nombre similaire de cités côtières.
James avait été chargé de gérer la Chambre Fluviale de Nacir. Si la décision de Dean l'avait étonné, il n'en avait rien montré. Ce nouveau poste lui permettait d'étudier les manœuvres de son neveu, voire deviner ses intentions cachées. Plus le temps passait, moins Dean se montrait subtil. Le gouverneur d'Orsei devenait avide et nourrissait le dessein de destituer le Grand Red. James le jurerait. En était-il surpris ? Pas vraiment. Dean respirait le contrôle malgré son impulsivité. Ce n'était qu'une question de temps avant que la situation chaotique du Nord use sa patience et le pousse à agir, à prendre les choses en main, quitte à imposer sa vision de l'ordre. L'attaque récente de la cité d'Esa grossissait la liste des prétextes pour passer à l'acte. Le Conseil des Clans qui irritait tant Sonia était en réalité un conseil de guerre. Le premier d'une possible longue série.
James se garda cependant de partager cette réflexion. Nourrir les illusions et l'ambition vorace de Sonia restait dangereux. Il avait pensé que son nouveau poste à la tête de la Chambre Fluviale apaiserait la vénalité de sa femme. À son grand dam, la folie des grandeurs de cette dernière avait gagné de l'embonpoint.
— Si Dean monte une flotte de guerre, c'est une bonne chose que tu appartiennes aux rouages de sa gestion, décréta-t-elle. En jouant de finesse, tu pourrais diriger la flotte entière. Commence par faire en sorte que toutes les Chambres Fluviales whites rendent leurs rapports à celle de Nacir. Cela ne devrait pas être difficile à concevoir. Je me chargerai de rédiger le décret si la tâche te déplait. Tu te contenteras de le faire valider par Dean.
Exaspéré, James souffla par le nez.
— Que sais-tu de la gestion d'un...
— J'aidais mon père à tenir sa compagnie de saltimbanques, le coupa Sonia. Ce ne sera pas si différent. Il s'agit d'itinéraire, de calendrier, de comptabilité, d'inventaire et de sécurité, auxquels on greffe un aspect douanier, dédaigna-t-elle. Les hommes qui oublient que les femmes aussi reçoivent une instruction s'en repentent. Que tu le veuilles ou non, ce jeu demande un travail d'équipe, et c'est le moment d'abattre nos meilleures cartes, James. À ton avis, pourquoi ton neveu remporte autant de succès ? C'est parce qu'il travaille en équipe avec son frère. Et je suis ta partenaire, martela-t-elle.
— J'ai compris, soupira James. Par Hayden, on frise l'inondation quand tu l'ouvres !
Piquée, Sonia étrécit les yeux. James soutint son regard.
— C'est un fait, Femme, tu parles beaucoup.
— Garde-toi d'ajouter « pour ne rien dire » si tu ne veux pas dormir dans un lit froid pendant une semaine.
Les sourcils froncés de James dirent l'efficacité de la menace. Satisfaite, Sonia embraya :
— J'ai reçu une nouvelle correspondance de mon « amie ». Elle a informé le roi de la présence de son frère au palace.
— Cette correspondance ressemble de plus en plus à l'échange entre deux espionnes, grommela James.
— Ne dis pas de bêtise. Dean a beau essayer de taire la présence de son Altesse Damien à Nacir, le domaine entier est au courant qu'il l'héberge. Le concerné lui-même ne se retient pas de révéler son statut et d'exiger les égards qui lui sont dus, ironisa-t-elle.
— Il est mal tombé avec Dean, se moqua James.
Damien profitait d'un confort princier mais son titre n'avait aucune espèce de poids au palace. Quand Sonia avait découvert la véritable identité de l'invité de marque logé dans les appartements d'amis, elle avait compris qu'elle devait mener une action décisive. Elle s'était réjouie de sa communication secrète avec l'épouse du Triumvir Korgan. Sacha n'était pas une simple courtisane. La femme du premier Grand Conseiller possédait une voix, non pas à la cour mais dans le cercle fermé de sa majesté. Elle remonterait au Grand Red toute information digne d'intérêt. Aussi Sonia s'assurait-elle que son courrier transmette des données importantes, à défaut de capitales.
— De toute façon, je ne pense pas que Dean ait voulu dissimuler le prince, analysa-t-elle. Sinon, il s'y prend d'une piètre manière.
— Comme tu t'y prends pour dissimuler tes visites à son Altesse ? ironisa James.
Sonia ne cilla même pas.
— Ce n'est point ma faute si les hommes succombent à mon charme, je suis née belle. Tu m'as épousée en connaissance de cause. Par vanité et non pour mes lumières. Pour le plaisir de m'exhiber à ton bras et savourer la jalousie de tes pairs.
Elle ne nierait même pas qu'elle accordait du bon temps à Damien. Si James la confrontait, elle serait capable de lui dire dans le détail les gâteries faites au prince. Épargnant des tourments à son esprit, James ne navigua pas plus avant dans ces eaux boueuses. Sa femme n'avait aucune notion de repentir, encore moins de pudeur. Elle s'assit à califourchon sur lui, le menton levé, les reins cambrées, les seins dressées. Une stature d'impératrice consciente de son pouvoir de séduction.
— Réjouis-toi que ma beauté t'octroie de l'influence. J'arrive à avaler que tu possèdes moins de pouvoir que Rudy ; il s'agit du jeune maître, après tout. Mais cela me désole que tu aies encore moins d'ascendant que ces gamins qui singent des hommes faits et se complaisent dans l'idée que le pouvoir leur reviendra par voie de naissance. Mir n'est que le troisième fils Wales, pourtant il sera du Conseil des Clans. Le bâtard de Torcy y assistera, alors que l'oncle paternel du gouverneur, le frère du précédent Chef White, n'y siègera pas ! Et cela ne bouscule même pas ton amour propre ! lui jeta-t-elle au visage.
Devant son indignation enflée comme une vessie de porc, James perdit patience.
— Que veux-tu que j'accomplisse à TarN alors que j'aurais plus d'intérêt à rester à Nacir en l'absence de Dean ? De toutes les personnes, j'aurais pensé que tu serais la dernière à qui je devrais en expliquer les implications.
Les sourcils de Sonia s'arrondirent.
— Oh, réalisa-t-elle. Ta pleutrerie prend si souvent la parole que j'en oublie la voix de ton ambition. Eh bien, il était temps qu'elle s'exprime.
C'était vraiment plus fort qu'elle, elle ne pouvait pas s'empêcher de se montrer odieuse. James ravala son reproche, comme elle lui caressait le torse.
La présence de Mir et Torcy-Junior au prochain conciliabule corroborait ses spéculations sur le conseil de guerre. Joachim Wales élevait ses fils comme des machines de guerre. Du haut de ses dix-huit printemps, Mir avait déjà remporté plusieurs épreuves durant les tournois martiaux. Imbattu dans de nombreuses disciplines, le gamin était un Guerrier White redoutable, pour le moins terrifiant quand on y regardait de près. Quant au bâtard de Torcy, il représenterait simplement la bourse paternelle. Une campagne militaire siphonnait de l'argent. Les coffres du Trésor de Nacir avaient beau déborder des richesses amassées par le clan Leblanc, le siège de la Banque d'Orsei se trouvait à Fort Blaak, tenue par les Reich-Andriana. Information jalousement gardée. Ainsi, même si la capitale venait à tomber, la province ne manquerait jamais de ressources financières.
— Que pense sa majesté de la présence du prince Damien au palace ?
James ne s'attarda pas à demander où se trouvait le courrier. Sonia ne le lui avait encore jamais montré ; elle le brûlait avant qu'il ait eu vent de sa réception.
— Sacha ne le dit pas dans sa lettre. Simplement que sa majesté en a été informée. Impossible de savoir s'il est soulagé d'apprendre que son frère est vivant ou fâché de découvrir les cachoteries du gouverneur. Elle ne dit pas non plus s'ils sont déjà arrivés au palais ou si leur délégation se trouve toujours en route. En parlant de cachoterie, Dan se montre très fermé à chaque fois que j'aborde le sujet du prince. Et je doute que tu aies eu plus de chance avec Dean. D'ailleurs, c'est pour cela que j'ai rendu visite à son Altesse. Voir avec lui en personne restait le meilleur moyen d'être fixé à son sujet.
Tentait-elle de justifier son adultère ? Non. Elle le présentait comme la conclusion d'un raisonnement logique. Nacir regorgeait de maris et femmes cocufiés ; James n'en ferait pas de l'urticaire. Connaissant la moralité élastique des Légendaires Guerriers des Steppes Orseianes, c'était à peine si leurs descendants condamnaient l'infidélité. Il fut une époque où les Whites prenaient plusieurs compagnes. Celles-ci le leur rendaient bien. Enfin, Sonia œuvrait pour le bien de James ; il serait la dernière personne à lui reprocher ses actes.
En usant d'un terreau de flatterie et compassion, elle avait récolté de Damien des fruits intéressants. Voilà longtemps qu'une présence féminine avait réchauffé la solitude du prince. Quand il le lui avait avoué, Sonia s'était montrée généreuse. Bien entendu, sa générosité avait un prix. En digne épouse Leblanc, elle exercerait sa créance le moment venu. Délier la langue de Damien n'avait coûté que quelques attentions et une amphore de vin exquis. Au palais de Rubis, ses servantes se pliaient à ses moindres désirs. Lui donner l'illusion de retrouver ce pouvoir, le temps d'une passe buccale, avait soulagé la frustration d'un homme privé des plaisirs charnels depuis des mois.
L'entrejambe comblé, les bourses vides et cajolées, Damien avait relaté les péripéties de son existence placée sous le sceau de l'injustice par la faute de ses cadets incapables. Sonia avait dû orienter la conversation à plusieurs reprises, sinon les oreilles de la chasseuse de prime siffleraient encore. Comment avait-elle osé prendre en otage une notabilité de haute naissance ?! Sonia avait écouté d'une oreille les plaintes du prince, se demandant où rangeait-il sa dignité d'homme. C'était pisser sur sa virilité de trentenaire que de s'être laissé molester par une jeune femme à peine plus vieille que Rudy. Aucun White digne de ce nom ne s'y rabaisserait.
— Et il n'est pas très content, le prince Damien Rell, railla-t-elle. Tu sais ce qui l'énerve le plus dans la pluie d'injustice qui arrose les pelouses jadis belles de sa vie princière ?
— Ce n'est pas difficile à deviner, sa tête en dit assez quand on bafoue son titre.
— Eh bien, non, mon cher ami. Figure-toi que Damien est heurté au-delà du possible par l'intérêt que porte Dean à son défunt frère Dorien plutôt qu'à son illustre personne. Apparemment, le gouverneur l'emmerde à le questionner sur son cadet décédé.
James se redressa dans le lit.
— Intrigant, admit-il. Qu'as-tu découvert ?
Sonia ravala son sourire. Voilà que pour de l'information, son époux l'absolvait de son péché.
— Damien ne l'a pas révélé à Dean, sans doute pour lui faire les pieds, mais le prince Dorien échangeait avec la cour de Baylor. Damien soupçonne même son assassinat d'y être lié. Il pense que l'homme-lige de son frère, Sloan, n'était pas Maarian mais Baylorian.
James hoqueta.
— Et c'est à toi qu'il le dit ? demanda-t-il, sceptique. As-tu conscience de la gravité de cette information si elle s'avérait ?
Sonia arqua un sourcil. Pour qui la prenait-elle ? Il était bien placé pour savoir qu'elle pouvait soutirer n'importe quoi d'une verge sous son emprise sensuelle. Quand ses charmes ne suffisaient pas, une potion aphrodisiaque graissait les verrous. Sonia concoctait et vendait ces philtres qui affaiblissaient l'esprit et échauffaient le corps. James ne comptait plus le nombre de fois qu'elle avait testé ces poisons sur sa libido démissionnaire, inhibée par l'eau-de-vie. Y penser lui arracha un frisson.
— Je ne t'ai pas attendu pour apprendre le pouvoir du savoir, asséna-t-elle, cassante. Voilà qui te donne un avantage sur Dean. Désormais, il s'agit de choisir quelle information remonter au Grand Red et surtout comment la formuler. L'utiliser à bon escient est primordiale. Tu imagines, si l'homme-lige d'un prince de Maar était en réalité un élément infiltré de Baylor, alors à quel point l'Impérateur Arrow serait-il concerné ?
— Cela n'a peut-être aucun rapport. Rien ne prouve l'implication de l'Impérateur, nuança James.
Sonia claqua la langue contre son palais.
— Je te savais pleutre mais pas naïf. De toute façon, ce n'est pas à nous de le déterminer. Déjà, nous manquons de preuve. Ensuite, notre humble rôle se limite à informer sa Majesté dans le noble but de l'aider à protéger son royaume. Ce que fera Le Grand Red de cette donnée ne relève pas de notre responsabilité. Et enfin, il dispose de plus de ressources pour mener l'enquête, contrairement à sa pauvre servante, dit-elle de manière compassée, une main apposée contre sa poitrine.
James grogna, vaincu. Cette femme les embarquait dans un périple dangereux, et il n'était pas de taille à l'antagoniser.
— Le blâme de l'attaque d'Esa se porte sur le prince David, reprit Sonia, pensive. Mais si on se trompait ? Et si c'était une machination de Baylor... au même titre que le sabotage du pont Merlion ? s'excita-t-elle. Quand on y réfléchit, cela n'aurait aucun sens pour la royauté de s'attirer les foudres du peuple, alors qu'elle se paye déjà une réputation peu folichonne. À leur place, je caresserais les gens dans le sens du poil. Alors que Baylor gagnerait en affaiblissant Maar par ces attaques sournoises.
— Contente-toi de jouer la rapporteuse. Laisse la spéculation et les intrigues aux seigneurs, conseilla James.
— Peut-être. N'oublions pas la finalité. Le titre de seigneur d'Orsei te reviendra. Pour y arriver, la meilleure façon d'exploiter ces informations est d'aliéner Dean auprès du Grand Red en l'amalgamant à ces intrigues. C'est une aubaine inespérée que son Altesse Damien ait échoué au palace. Je dirais même un signe du destin. Ce n'est qu'une question de temps, avant que les hommes chargés de retrouver le prince aîné n'arrivent au palace.
Les princes représentaient de parfaits boucs émissaires. Si le roi mettait le gouverneur dans le même sac que sa fratrie traitresse, alors James remporterait la manche. Les crimes et complots dont Damien, David et même le défunt Dorien seraient coupables rejailliraient sur le blason immaculé de Dean. Néanmoins, Sonia ne disputerait pas cette manche seule.
— J'aimerais croire que tu t'es endurci, James. Ne déçois pas les attentes de sa majesté.
— Les tiennes, tu veux dire ?
Elle expira, agacée.
— Comme si tu ne récolteras pas les lauriers de mes efforts !
Elle quitta les voilages du lit à baldaquin, couvrit sa nudité d'une robe de chambre légère et s'installa devant le secrétaire dans un coin de la pièce. Le geste délicat et machinal, Sonia plongea le bout de sa plume dans l'encrier, coucha le premier mot sur le papier, puis se tourna vers James.
— C'est parce que j'ai fait comprendre à Sacha que j'ai découvert l'identité du roi, durant leur séjour ici, que nous avons gagné son respect. Tu lui as bien servi quand sa Majesté a eu besoin de souligner le laxisme de Dean sur l'éducation de Rudy. Honteux, qu'un héritier de la dynastie White ignore les eus de la cour ! Mais en dépit de nos services, Sacha reste méfiante. Par extension, le roi aussi. Pour gagner la confiance de cette femme, nous devons montrer notre détermination à aider le Grand Red à déjouer les complots. Dire son allégeance, sa loyauté et sa sympathie ne suffit pas pour rentrer dans les bonnes grâces de sa Majesté.
Bien sûr, quand elle avait découvert la présence secrète du roi au palace, Sonia s'était gardée de le divulguer sur les toits. En preuve de sa bonne foi, elle suggérait à Sacha de proposer à la supposée prima Nior et consœurs d'endormir des vigilances par un grand spectacle. L'idée de cette mise en scène venait de Sonia, qui s'était montrée persuasive :
— Quand elles ont grimpé sur le toit pour assister au duel de sarricks, l'agilité de la prima et ses suivantes n'est pas passée inaperçue aux yeux aguerris de mon époux. Il lui aura suffi d'un peu de réflexion pour deviner leur véritable identité. Votre anonymat a besoin de diversion dans un palace peuplé d'yeux aguerris... Et quoi de mieux qu'un divertissement ?
Sacha lui en avait été reconnaissante. L'aider à maintenir le subterfuge du roi avait un peu affaibli les remparts de sa méfiance. Afin d'en abattre quelques pans, Sonia avait partagé les connaissances accumulées par Dean sur les poisons ramenés de ses nombreux voyages. L'intérêt particulier qu'y portait Sacha avait joué en faveur de Sonia. En outre, leur condition de femme de l'ombre les rapprochait.
Très vite, Sacha devinait qu'elle était la stratège du couple de James. L'oncle du gouverneur n'était pas le cerveau mais la marionnette affublée du patronyme utile : Leblanc. Cela écœurait Sonia de savoir qu'en cas de succès, son mari engrangerait titres et gains parce qu'elle s'était rabaissée en courbettes, à satisfaire un prince impotent et à sourire aux gens qui la considéraient comme un joli chauffe-lit, une femme de bas rang et la seconde noce d'un ivrogne. Puisque James y gagnerait au change, elle n'aurait aucun scrupule à l'utiliser.
Sa fermeté avait éloigné son époux des spiritueux. D'où le poste à la Chambre Fluviale de Nacir, car Dean n'hésitait pas à rentabiliser la sobriété retrouvée de son oncle. Grâce à elle ! Il ne le reconnaitrait jamais de vive voix, mais James se savait débiteur envers elle pour cette ascension sociale. Aussi ne la confronterait-il jamais de façon butée. Au fond de lui, il sentait que cette femme pourrait l'élever comme elle saurait le détruire. Cela tenait à une bonne ou mauvaise disposition à son endroit. Une simple question de motivation.
Sonia avait beau se plaindre de sa condition mineure, James avait conscience de n'être qu'un pion sur son échiquier. L'outil apposant le cachet White sur la correspondance entre sa femme et le palais de Rubis ; le tampon authentifiant les échanges entre le roi et une sujette ; le sceau qui légitimerait un jour la commutation de Dean Leblanc par James Leblanc, nouveau gouverneur d'Orsei.
James lut la lettre. Sonia étudia son visage.
— Qu'est-ce qui ne te convient pas ?
— Toutes ces fioritures sont inutiles. Le message principal se noie dans un laïus ampoulé. Tu n'es pas fille de noble, n'essaye pas de l'être, tu ne trompes personne.
Lèvres pincées, Sonia lui arracha la missive des mains.
— Si cette lettre tombe entre de mauvaises mains, elle doit sonner comme la correspondance frivole entre deux femmes de haut rang. Alors permets mes fioritures ampoulées. Faut bien noyer le message. La subtilité de Sacha le décodera.
Elle relut, reformula jusqu'à en être satisfaite, puis attendit l'approbation de James. Il ravala sa remarque. À quoi bon, puisqu'elle ne lui laisserait pas le dernier mot ?
— Cette lettre est parfaite, James ! Seuls ceux qui n'ignorent rien du contexte en saisiront le sens. Apposes-y le sceau, qu'on n'en parle plus ! Enfin, jusqu'à nouvel avis.
James soupira.
— Cela est bien beau, mais Dan reste encore un problème. Il ne part pas avec la délégation de Dean.
— Il ne sera pas une menace sérieuse, une fois la roue en mouvement, marmonna Sonia. Il ne s'opposera pas à l'ordre de destituer son frère de ses fonctions quand sa Majesté aura prouvé à tous la félonie de Dean, le détournement de La Maariane à des fins militaires et sa complicité dans les agissements complotistes des princes. En plus de la légitimité et la noblesse de ton nom, tu auras l'adhésion d'Aram car tu auras démontré ta loyauté au roi à travers le courrier. Contrairement à ton neveu.
Plongée dans son raisonnement, elle battait la mesure sur le pupitre, comme si verbaliser ces choses les dénuait de connotation conspirationniste.
— Nous nous soumettons à la volonté du Grand Red dans l'intérêt de tous, James. Avec toi, le roi aura la garantie que ses doléances seront respectées. Il a intérêt à te soutenir parce que tu lui apporteras la province la plus florissante de Maar sur un plateau ! Connaissant sa réputation, il ne rechignera pas à nous « débarrasser » d'une gêne. Alors Dan serait mal avisé de se positionner en « gêne ».
Qu'elle le dise sur le ton de la conversation rendit son discours encore plus lugubre. Mal à l'aise, James se félicita de ne pas se tenir en travers de la route de cette sorcière. Son épouse l'impressionnait parfois par ses ressources. Néanmoins, son raisonnement à la fois extrémiste et flegmatique ne le surprenait guère. Elle avait toujours su exploiter des aubaines à son avantage ; même son hyménée n'était qu'une opportunité saisie au bon moment. Les erreurs de Dean constitueraient les fondations de sa réussite.
Après avoir menacé de scinder Maar en deux, le gouverneur renforçait l'inconfort de sa position en s'acoquinant les princes aînés. Ces derniers n'avaient jamais été favorables à l'intronisation du roi. Qui savaient s'ils n'avaient pas lancé la rumeur accusant leur cadet de bâtardise ? Son Altesse Damien : traître et fugitif, les détails de son attentat à la souveraineté régalienne restant flous. Son Altesse David : volatilisé dans la nature et commanditaire du sac de la cité maritime d'Esa. Dean affichait ses positions et choisissait son camp en hébergeant ces félons. Le Grand Red n'aurait aucun scrupule à lui retirer ses titres et les attribuer au candidat sur qui se porteraient ses faveurs. Un autre Leblanc, bien entendu, afin de ne pas s'aliéner les habitants d'Orsei.
Et puis... James Leblanc, Gouverneur d'Orsei, sur ordre de sa Majesté, ressemblait à une plaisante perspective d'avenir. Surtout si cela se produisait sans verser le sang. L'absence prochaine de Dean épargnerait à James la première salve de la violence du neveu. Le bras armé d'une intense contrariété, Dean vous décapitait d'un coup unique. Heureusement, sa main n'était pas prompte à saisir son sabre, mais elle restait d'une efficacité mortelle une fois ses doigts refermés sur la garde. Ils devaient impérativement agir durant son éloignement.
Néanmoins, James s'interdisait de nourrir de grosses attentes. Il observerait en silence, comme à son habitude, derrière son masque d'ivrogne en rémission. La gouvernance d'Orsei aurait dû lui revenir à la mort de son frère aîné. Or sur une base ridicule de faits d'armes, on l'avait écarté sans un regard et impatronisé son arrogant neveu à l'ego vertigineux.
Mener les hommes ne nécessitait pas le statut de « guerrier ». Mais parce qu'elle descendait des Légendaires Guerriers des Steppes Orseianes, sa stupide tribu attribuait le pouvoir aux muscles. James Leblanc honnissait cette loi passéiste. La roue du destin tournait toujours. Viendrait le moment où elle le ferait en sa faveur.
*
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