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✣ III - Départ de feu ✣ 1/7

🎵 Opening :  Balkan - Omiki

Edit du 03/06/2022

Chapitre III : Départ de feu (partie 1)

*


Mégapole de Nacir – Palace du gouverneur, bains des invités

Rudy revenait d'une promenade équestre quand un serviteur lui apprit la nouvelle.

— Un de vos amis est arrivé de Fort-Blaak, jeune maître.

— T-J ?

Cela ne pouvait être que lui ! Sans attendre confirmation, sa morosité envolée, Rudy traversa au pas de course le péristyle intérieur, en direction des appartements d'amis. La valetaille, dérangée dans son travail, s'écarta de son chemin en lui lançant de gentilles imprécations. La domesticité se réjouissait de le voir de bonne humeur après sa grise mine depuis le départ de la prima Nior. Un crève-cœur.

Son ami étant un habitué des lieux, Rudy savait où le dénicher. Torcy-Junior voudrait d'abord se rafraichir avant de se présenter devant le gouverneur. Il le trouverait dans les bains réservés aux invités de marque. Évitant de justesse une chute sur le marbre humide, il chercha T-J des yeux. Quelles nouvelles apportait ce dernier du clan Reich-Andriana ?

T-J lui tournait le dos, accoudé à la dalle supérieure du petit bassin, tête penchée en arrière. Sa chevelure, plus longue qu'à leur précédente rencontre, balayait le sol. Rudy quitta ses bottes et ses guêtres, puis s'avança à pas feutrés, projetant de l'effrayer. Il se pétrifia. On avait omis de lui dire que son ami n'était pas venu seul. L'accompagnait l'un des fils du régisseur de Fort-Zen, et le troisième héritier Wales s'adonnait à une besogne sidérante. De son humble avis. Non que l'acte lui soit inconnu... Mais depuis quand ces deux-là entretenaient-ils ce genre de relation ?!

N'osant plus s'annoncer, Rudy tenta de s'éclipser discrètement. Il échoua car la voix amusée de T-J s'éleva :

— Je t'avais dit qu'il viendrait. Mais parce que tu ne pouvais pas attendre, le voilà dans une position inconfortable.

Mir se redressa tel un ressort. Son retrait brusque arracha un gémissement d'inconfort à son partenaire. Déçu, T-J dévisagea son érection délaissée, puis tourna un visage lubrique vers Rudy.

— Alors, jeune maître, on joue les voyeurs ?

Rudy sentit ses oreilles chauffer. T-J se moqua.

— Toujours aussi mignon. Ça te dit de partager notre bain ?

Son attitude naturelle étonna Rudy. Il ne semblait pas dérangé d'être surpris en situation gênante, contrairement à Mir qui eut la décence de se montrer embarrassé. Les joues roses, celui-ci contemplait ses orteils sous l'eau, qui lui arrivait à hauteur de cuisse.

— Bon, tu te décides ? s'impatienta T-J. Mets-toi à poil ou assois-toi dans un coin et laisse-nous finir.

— Silence ! siffla Mir. Accorde-lui le temps de digérer.

— D'avaler, pour commencer, souffla Rudy, estomaqué.

— Il n'a jamais vu le loup ou quoi ? railla T-J.

— Tu sais bien que non.

Rudy n'apprécia pas l'assurance avec laquelle Mir donna sa réponse.

— Je crois qu'il n'aime pas ce que tu insinues, glissa T-J, provocateur.

Mir haussa les épaules.

— Je n'insinue rien, je dis ce qui est. Sinon il ne ferait pas cette tête à la vue de deux adultes prenant du bon temps, fit-il, narquois.

Son embarras avait été de courte durée. Rudy renifla :

— Depuis quand crois-tu avoir la science infuse ?

Mir lui servit une grimace puérile. T-J décida de se finir seul. Sa main maîtrisait tout aussi bien l'affaire ; il y avait des priorités dans la vie. Le remarquant, son camarade de jeu revint cajoler ses bijoux de famille. T-J le remercia d'un soupir appréciateur et réitéra :

— Tu es certain de ne pas vouloir te joindre à nous ? Ce sera une façon chaleureuse de nous souhaiter la bienvenue.

— Ne lui force pas la main, l'admonesta Mir. S'il ne veut pas, c'est son droit.

Il se mordit la lippe quand T-J glissa un doigt sensuel dans la raie de ses fesses. L'anticipation l'amena à se cambrer et donner un meilleur accès à son partenaire. Ce dernier trempa index et majeur dans un petit pot en verre posé sur la margelle, et les doigts hardis lubrifièrent bientôt son intimité. Fiévreux, Mir essaya de ne pas gémir tandis qu'on le préparait.

Rudy les observait, subjugué par leur indécence, piégé par sa curiosité. Un peu malsaine, il l'admettait. Mais l'érotisme des soupirs de Mir parlait d'invitation. Le jeune homme tirait un plaisir réel de la besogne de son ami, remuant du bassin, avide. T-J accéléra son va-et-vient. Un baiser affamé étouffa les râles émoustillés de son camarade. Lorsqu'il lui dévora la peau du cou, Rudy comprit qu'il marquait d'un suçon l'objet de son délice. Les tétons de Mir subirent la torture de cette bouche décidée à savourer des parcelles de son corps.

T-J se montrait directif et enjôleur, d'une assurance trahissant sa connaissance des désirs et besoins de Mir. Il pinçait, titillait, massait, enchaînait caresses, griffures tendres et poigne virile. Quand Mir saisit leurs masculinités et les astiqua ensemble, la soudaine étroitesse des vêtements de Rudy l'incommoda. Comme s'il lisait dans ses pensées, T-J murmura :

— On est disposés à te soulager, jeune maître. Mais pour ça, faut descendre dans le bassin.

— Tu sais qu'il n'aime pas quand tu l'appelles jeune... Mm !

La phrase de Mir mourut sur une plainte languide. D'un baiser vorace, il dit à T-J toute son appréciation de la caresse intime particulièrement jouissive. Celui-ci le retourna, puis nicha son membre tendu entre ses fesses, s'offrant un petit massage masturbatoire. Mis en appétit par le stupre du spectacle, Rudy défit les lacets de sa culotte d'équitation. Libérer son érection de ses entraves devenait impératif.

T-J chuchota à l'oreille de son camarade de jeu, qui opina du chef. Ils sortirent du bain, Mir se juchant d'un bond souple sur la margelle haute du bassin, tandis que T-J grimpait sans grâce la paroi marbrée rendue glissante par l'eau. Tels deux prédateurs, ils vinrent à Rudy qui se laissa capturer en y mettant presque de la bonne volonté.

Le baiser de T-J dans son cou lui arracha un frisson. Une à une, ses couches de vêtements rejoignirent le sol. Rudy fut entraîné vers la partie du bassin la moins profonde, et installé sur les marches. Il ferma les yeux, espérant ne pas mourir de honte quand Mir écarta ses jambes, convoitant le soldat dressé entre elles.

— Ce que tu vois te plaît ? susurra T-J au voyeur.

Mir se lécha les babines. L'autre pouffa.

— Dans ce cas, je ne vais pas te disputer cette lance. Elle te plait plus que la mienne ?

— Laisse-moi y goûter avant de répondre.

Rudy rouvrit les yeux. De quoi discutaient ces idiots ?! Déjà, Mir glissait ses mains expertes sur l'intérieur des cuisses du jeune maître et s'emparait délicatement de sa verge. Il la décalotta, dénudant un gland appétissant. Sa langue taquina le méat. Rudy exhala. Il s'embrasa quand la poigne de Mir se raffermit. Son camarade jaugea la longueur de sa virilité, apprécia le grain de sa peau, puis lapa la hampe d'un long coup de langue. Yeux clos, Rudy savoura le service.

T-J observait la scène avec un grand intérêt. Il se repaissait du visage alangui et gêné du fils du gouverneur. L'excitation sublimait les traits du garçon et lui donnait envie de souiller l'ange innocent s'abandonnant à la volupté. De le ravager tel un sauvage. Initier le jeune maître aux plaisirs de la chair, à l'insu du seigneur du palace, avait un côté transgressif et exaltant. Mir et lui ne donneraient pas cher de leur peau si cela venait à se savoir...

— Ouvre les yeux, Rudy, ordonna-t-il.

Rudy s'exécuta. Il tomba sur un tableau stupéfiant, qui finit de raidir son membre gonflé. De manière presque douloureuse, son envie le prit aux tripes. Les doigts enfoncés dans la peau de Mir, T-J l'empala de sa lance avec lenteur. Impudique et impatient, Mir exigea de l'ardeur. Rudy fut tenté de lui demander la même chose. Jusque-là, Mir jouait avec son membre sensible en y piquant de légers baisers. Il posa une main sur la nuque de Mir. Par ce geste presque directif, il quémandait plus que le bout des lèvres de son ami. Il voulait les délices promis par le regard gourmand de Mir.

— Je reconnais bien là l'autorité naturelle des Leblanc, murmura T-J, amusé par sa réaction.

La moiteur de la bouche de Mir envoya Rudy dans un monde qu'il ne voulut plus quitter. Les doigts et lèvres du jeune homme le manipulaient comme s'il était à sa merci. Rudy capitulait volontiers ; il perdrait la joute avec plaisir.

— Bon sang ! grogna T-J. Ce que je vois a de quoi nourrir mes nuits sur de longues périodes d'abstinence !

Les gémissements étouffés de Mir, pilonné par derrière, envoyaient de drôles de sensations dans la verge pulsante qu'il avalait avec enthousiasme. Rudy dégagea ses cheveux de jais que l'eau plaquait contre son cou et son front, lui barrant la vue. Ne sachant quoi faire de ses mains, il essaya d'apaiser l'inconfort de Mir en lui caressant les tempes, puis la mâchoire.

Mir redressa la tête, libéra son vit dans un bruit de succion indécent, qui haussa la température de la salle d'eau. À présent, T-J ahanait son plaisir, en pleine ivresse. Excité, Mir reprit son butin en bouche, après avoir exprimé son extase mêlée de cette douleur exquise qu'il recherchait dans ses ébats.

De sa langue, sa gorge et ses lèvres, le jeune Wales s'attela à procurer au jeune Leblanc des sensations encore jamais vécues. Rudy eut envie de saisir sa tête, l'attirer davantage. De diriger les opérations, désireux d'atteindre un plaisir extrême. Il n'osa pas. Les secousses des coups de reins fougueux de T-J lui parvenaient. Il se surprit à savourer la jouissance de ses deux amis, unis par leur intimité.

Ils avaient trouvé le bon rythme. Les va-et-vient de la bouche s'alignaient sur la danse des hanches. Respiration rauque, plaintes animales, contact visuel, échanges de frissons, communion de désir. Rudy balaya ses scrupules. Empoignant les longs cheveux de Mir, il l'incita à avaler davantage, le bassin agité comme un équidé agacé par l'éperon. L'avidité de Mir le satisfit.

Le geste dominateur et possessif de Rudy galvanisa l'euphorie de T-J. Aucun doute, ils initiaient un pacha à la volupté ! L'esprit de compétition de T-J s'invita à la partie et les plaintes de Mir changèrent de nature. La lance de son ami sollicitait ce point qui le privait de raison. Quand les râles de Rudy trahirent l'approche de sa libération, Mir leva sur lui des yeux victorieux, puis consacra toute son attention sur sa friandise imposante, l'accompagnant dans sa dernière ascension. L'ayant saisi, T-J empoigna le membre de Mir, le frictionna jusqu'aux portes de la félicité. La jouissance les cueillit l'un après l'autre.

Victime de spasmes irrépressibles, Mir savoura les hommages de ses camarades, les doigts de Rudy crispés dans ses cheveux, ceux de T-J sur sa croupe. Un de ses fantasmes devenait réalité. Déjà, il se demandait s'il aurait à nouveau l'occasion d'être si délicieusement malmené par ses deux amis. Épuisé de plaisir, il eut à peine la force d'essuyer le filet opalescent à la commissure de ses lèvres.

Revenant enfin de son hébétude, Rudy vit Mir se pencher sur lui et partager un long baiser au goût musqué. Le souffle court, la peau rougie, le sourire béat, les trois garçons glissèrent dans l'eau tiédie du bain et n'en sortirent que lorsqu'elle se refroidit. Ils se séchaient dans le vestiaire quand Rudy apprit qu'il en avait encore à découvrir.

— Si tu as aimé, on le refait quand tu veux, promit T-J.

Gêné, Rudy fustigea sa pruderie. S'il avait aimé ? Le mot était faible.

— Vous le faites souvent ?

T-J dévisagea Mir, sceptique.

— Il pose vraiment la question ?

Rudy hésita.

— Mais vous...

— Si tu veux savoir si on est en couple, la réponse est non, devina T-J. Mais on n'a pas attendu d'être adultes pour nous faire mutuellement plaisir. C'est juste que tu étais... trop naïf pour comprendre certaines subtilités, finit-il, moqueur.

Soudain, Rudy tiqua.

— Ah... la fois où je vous ai surpris en train de vous baigner tout nu dans la Native ! Bon sang, ça remonte à cinq ans !

Ils avaient à peine douze ou treize ans ! Ses amis détenaient là une sacrée avance ! De toute évidence, à l'époque, Rudy n'avait pas compris de quoi il retournait. La réaction de Mir et T-J lui avait semblé bizarre, lui évoquant des coupables honteux pris en flagrant délit. Mir n'avait jamais été aussi proche d'une betterave épluchée. Or ils s'étaient gardés de répondre à ses questions malgré son insistance. Vexé, Rudy s'était fâché, et ils s'étaient disputés au point d'en venir aux mains. Tous les trois avaient été copieusement punis par Dan. Des frères White ne se battaient jamais entre eux ! Ils s'en rappelleraient longtemps. T-J s'esclaffa à l'évocation du souvenir.

— C'est agréable de le faire avec ses amis. Tu ne diras pas le contraire, tu as apprécié.

Rudy tombait trop des nues pour rétorquer.

— Enfin, à condition que tes amis ne voient aucun inconvénient à partager leur plaisir, nuança Mir.

Au même moment, un jeune homme déboula dans le vestiaire.

— J'ai appris pour T-J. Personne ne m'a pas dit que Mir aussi était là ! remarqua-t-il, ravi.

— C'est parce que personne ne l'a vu sous sa soutane, expliqua T-J.

— Ce n'est pas une soutane, mais un manteau de Dissimulateur, rectifia Mir. Je l'ai acquis d'un échange douteux avec un marchand Askheran. Comment vas-tu, Bill ?

— Un manteau de Dissimulateur... Une telle chose n'est pas un mythe ?! Je peux le voir ? s'excita Bill, balayant les salutations d'usage.

— Toujours aussi mal élevé, Vitrand, renifla Rudy.

— Bien le bonjour, jeune maître.

Sa caricature de révérence lui valut une taloche du concerné. Quand Bill avait reçu de Torcy-Junior une missive annonçant sa prochaine venue à Nacir, il avait entrepris le voyage depuis Miry, espérant concorder leur arrivée. C'était devenu une coutume, les trois amis s'arrangeaient à faire coïncider leur passage au palace. Dans l'infaisabilité de la chose, ils s'assuraient que leurs séjours se chevauchent.

Ils apportaient en général un rapport détaillé de la situation de leur clan, fief ou cité. En tant que fils aîné, Bill remplissait la tâche de messager. Ses missions d'ambassadeur lui permettaient de parcourir Orsei, le préparant à la relève quand viendrait son heure à la tête de Miry. Cependant, l'héritier Vitrand aspirait à plus de « liberté » ; il voulait partir à l'aventure, découvrir le monde. La santé de fer de son père lui promettait une longue vie et de nombreuses années au poste de régisseur de Miry.

— Comment va ta sœur, Bill ? s'enquit Rudy.

— J'ai encore bataillé pour dissuader Nola de m'accompagner. Elle aurait dû naître garçon et épargner des acidités gastriques à Mère. Vivement qu'elle fasse un bon mariage. Si elle pouvait aussi prendre la relève de Père, ça m'arrangerait !

Mir compatit.

— Dans ces moments-là, je suis fort aise d'être le troisième de ma fratrie. Je n'hériterai jamais de la responsabilité de Fort-Zen.

Cette charge reviendrait à Kyle et Taiji, ses aînés, lorsque leur père voudrait bien s'en dessaisir. Le dernier fils Wales sillonnait les routes avec moins de restriction. Il avait pris l'habitude d'accompagner T-J, qui s'était arrogé le rôle de « messager » de son clan dans l'intention de fuir Fort-Blaak. Le fief de Torcy Reich-Andriana voyait d'un mauvais œil que le fils issu de la cuisse gauche du richissime marchand lui succède. Le garçon avait trouvé une échappatoire en parcourant la province, sa vie de quasi-nomade lui épargnant les plaintes de l'épouse légitime de son géniteur. N'en déplaise à sa belle-mère, cela n'avait jamais été dans ses intentions de faire de l'ombre à sa demi-sœur aînée.

Rudy jalousait ses amis. Eux avaient le droit de quitter leur domicile seuls et pendant des jours. Dean le cantonnait au palace. Enfin, il n'avait pas le droit de se plaindre. Son père battait souvent la campagne jusqu'aux frontières du royaume, voire au-delà, et depuis son Eiratès, Rudy l'accompagnait à chacun de ses voyages. Il comptait à son actif deux séjours courts à Baylor au nord-est d'Orsei, plusieurs visites à Sandres au sud, et un saut en Askheron à l'ouest. Il était reclus à Nacir quand Dean s'y trouvait. Il aspirait simplement à un peu plus d'indépendance. Voyager seul avec ses amis devait être amusant.

— Vous ne devinerez jamais qui j'ai vue en venant, dit Bill. D'ailleurs, c'est pour ça que je vous cherchais.

— Qui donc ? fit Mir, en remerciant le page leur ayant apporté des vêtements propres.

— Une Chasseuse de primes.

— Vraiment ? s'étonna T-J. Tu l'as vue dans quels environs ?

Les membres de cette guilde disparate sillonnaient très peu la province, passé la ville de TarN. Orsei était pauvre en têtes mises à prix. En revanche, ils pullulaient dans le Nord.

— Ici même au palace, rétorqua Bill. Elle demandait à voir ton père auprès de ce cher vieux Nat, dit-il à un Rudy sceptique.

— Cher vieux Nat, pouffa T-J. Il te truciderait pour ça.

— Faut déjà qu'il sache tenir une lame sans se blesser avec, railla Bill.

— Elle ressemble à quoi ? demanda Rudy, intrigué.

— Plutôt jeune pour ce métier, je dois dire. Mignonne. Plutôt très mignonne, ajouta-t-il.

— Épargne-nous tes fantasmes niais, soupira Mir.

— Un homme l'accompagnait. L'allure fière mais le vêtement quelconque. Ce qui m'a laissé croire qu'il se fait passer pour qui il n'est pas.

— Allons voir, les pressa Rudy.

Mir s'inquiéta de déranger. Elle devait s'entretenir avec le gouverneur en ce moment.

— Vous en profiterez pour saluer Père. Allez !

Un chasseur de primes était une attraction rare au palace. Rudy était loin de se douter à quel point cette chasseuse-là vendait « de la rareté et de l'attraction ».

*

Palace du gouverneur – antichambre de la salle d'audience

— Comment n'as-tu pas pu reconnaître le prince Damien !? chuchota Mir en talochant Bill.

— Même Nat ne l'a pas reconnu ! protesta celui-ci. Et pourtant c'est l'intendant.

Mir retint un soupir. Jonathan n'avait pas la réputation d'être une lumière. À se demander si le gouverneur n'accordait pas une faveur à son oncle en gardant le fils de ce dernier à un poste aussi important. Mir estimait que connaître le portrait des membres de la souveraineté était la moindre des choses. Il ne pouvait quand même pas être le seul à penser ainsi ! Aucun de ses amis n'avait été ému devant l'homme accompagnant la Chasseuse de primes, jusqu'à ce qu'il déclame son identité : prince Damien Rell, héritier du trône de Maar.

La situation étant sensible, le gouverneur avait congédié Jonathan et fait mander son bras droit. Dan les avait rapidement salués, puis s'était intéressé à la jeune femme qui rapportait la tête du prince encore rattachée à son tronc. Son Altesse respirait la santé, selon ses dires.

— J'ai pensé que ce présent vous plairait, Gouverneur, avança-t-elle, désinvolte.

Elle retira de son cou un médaillon serti du sceau de la famille royale et le posa sur un guéridon non loin du fauteuil de Dean. Ce dernier la toisa, agacé. Cette situation commençait à lui courir sur le haricot. D'abord le prince David débarquait chez lui et quémandait son soutien pour son projet de destitution du Grand Red. Et le roi de spéculer sur une félonie du gouverneur. Ensuite le monarque venait quémander sa bourse et son soutien pour son projet de compagnie fluviale maariane. Et son Altesse David de se volatiliser. Enfin, le prince Damien, disparu depuis plus d'une lune, apparaissait chez lui, livré par une inconnue. Cette fois, quelle conclusion en tirerait le palais de Rubis ? Tout cela mettait la province d'Orsei aux devants d'ennuis que Dean n'aimait pas anticiper. Dire que cela l'irritait était un euphémisme.

— Pourquoi l'amener à mon palace et non au palais de Rubis ? Qui es-tu pour décider de ce genre de chose ?

Marine contint son inquiétude. Par le biais du réseau des Guildes de Mercenaires, il lui était parvenu que l'homme ayant apporté la tête du prince Dorien au palais avait connu un triste sort. Subirait-elle la même chose ? Son destin différait de celui de Ran. Nul n'entraverait sa mission en ce monde !

— Je suis une Chasseuse d'Histoire, révéla-t-elle tout de go.

— Pardon ? fit Rudy, dubitatif.

Dans un bel ensemble, Dan et Dean arquèrent un sourcil. Elle retint un sourire. Cela faisait toujours cet effet. Bientôt, on la traiterait de folle. La routine. Elle tira une chaise, s'y assit et posa de façon cavalière ses bottes poussiéreuses sur un autre siège.

— Vous avez de drôles de façon de recevoir des princes par ici, remarqua-t-elle. Invitez-le au moins à s'assoir. Le voyage l'a épuisé. Ça n'a pas été une tâche facile de l'habituer à la chevauche, son royal fessier ne connaissait que la vie de palanquins.

Le prince ne fut pas le seul à s'offusquer. Très peu se permettaient ce genre d'écart de conduite devant un Dean sombre et hostile. La Chasseuse de primes ne sembla pas le noter. Soit elle était une imbécile, soit elle le feignait, auquel cas elle serait bien inconsciente.

— Vous n'avez pas l'air de savoir où est votre place, jeune femme, gronda Dan.

— Détrompez-vous, je la connais, répondit Marine, sereine. J'arrive aussi à situer certaines personnes présentes dans cette salle. Vous par contre, votre place m'échappe. Auriez-vous l'amabilité de mettre le prince à ses aises ? Du moins, de le départir des frusques dont il n'a cessé de se plaindre tout au long du voyage ?

Le soupir de Dean coupa court à la réplique caustique de Dan.

— Conduis-le dans l'aile des invités de marque. Fais en sorte que personne ne se doute qu'il s'agit du prince.

Piètre sursis car la nouvelle finirait bien par s'ébruiter. Il n'avait aucun moyen de bâillonner le prince, qui, contrairement à ses frères, ne donnait pas l'impression de tenir à la discrétion. Dean perdit patience devant la désapprobation silencieuse de Dan. Non, il ne l'écartait pas de l'entrevue alors que des gamins comme Rudy et ses amis y assistaient ! Et même si c'était le cas, Dan aurait un compte rendu détaillé. Son Maître d'armes pouvait-il lui faciliter la tâche en s'exécutant sans rechigner ? Il ne supporterait plus d'autres marques d'irrespect sous son toit ; cette « chasseresse d'histoire » avait entamé son flegme.

Dan eut l'intelligence de lire son langage corporel. Damien s'avéra moins doué.

— Cessez de parler de ma personne comme si je n'étais pas là ! cracha-t-il, fielleux.

La réponse claqua, autoritaire :

— Mais vous n'êtes pas là ! Vous n'êtes personne ici, et personne ne sait que vous êtes ici. Il sera fait selon ma volonté, sous mon toit. Alors un bain chaud vous attend, mon prince.

Déstabilisé par le sarcasme acide et l'aura dominatrice du seigneur des lieux, Damien suivit Dan et quitta la pièce.

— Quelque chose me dit que je ne serai pas rémunérée pour ma peine, marmonna Marine dans sa barbe. (Elle haussa les épaules.) Le tribut de l'Histoire n'est pas matériel.

— À nous deux, fit Dean, lugubre. Donne-moi une raison de ne pas te mettre aux fers pour enlèvement d'une sommité royale.

— Ce serait royalement ingrat ? protesta-t-elle. Je vous apporte de quoi enquiquiner les partisans Reds et vos détracteurs, et voilà comment on me remercie !

— Tu cherches à déclencher une guerre ? souffla Mir, incrédule.

Marine se raidit. Hm, je n'ai pas pris ça en compte. Allons bon, celui-là est probablement un Scribe de l'Histoire. Le jeune homme avait émis à voix haute l'un des nombreux possibles de l'Histoire qu'elle chassait. La guerre restait une possibilité. Elle n'en était pas surprise. Simplement, elle n'avait pas encore défini son rôle dans cette éventualité.

— Si c'est ce que tu penses, possible, fit-elle, incertaine. La question est de savoir si tu te trouveras du côté de ceux qui narreront cette guerre ou la feront, dit-elle, pensive.

— ASSEZ ! tonna Dean.

Elle sursauta violemment. Bill eut la même réaction apeurée, sous le regard moqueur de T-J. Rudy sourcilla. Il n'arrivait pas à la cerner. Or son instinct lui disait qu'ils commettraient une erreur en l'empêchant de déblatérer ses inepties. Son discours biscornu restait le seul moyen de la sonder.

— Père, si je puis me permettre, écoutons d'abord ce qu'elle a à dire.

Marine hoqueta. Père ?! Bon sang, c'est abuser de la crédulité des gens, là ! En plus de se payer une ressemblance indécente avec son fils, cet individu à la gueule divine ne vieillissait pas ! Son rejeton appartenait à la même génération qu'elle. Elle avait entendu des vertes et des pas mûres sur le gouverneur d'Orsei, mais la réalité s'avérait plus époustouflante.

— Et pourquoi donc ? demanda le fameux père.

— Je suis aussi curieux de savoir comment elle a caché le prince depuis sa disparition, intervint Mir. Fort-Zen a reçu des hommes du Grand Red, missionnés pour retrouver son frère aîné. Ils sillonnaient la région avec pour seule information que son Altesse avait été aperçue pour la dernière fois à Akkar. Père a promis son aide dans la mesure de ses moyens.

Dean comprit qu'il apportait le rapport périodique de Joachim Wales. Il reporta son attention sur Marine.

— Si c'était il y a vingt jours, nous nous trouvions déjà à Vair à ce moment-là, répondit-elle. On s'est ensuite terrés à Turnis.

Bill haussa les sourcils. Turnis n'était pas la ville d'à côté ni la plus facile d'accès.

— Eh oui, on aura vu du pays. Ça n'a pas fait de mal à son embonpoint. Et ç'aura été instructeur pour notre prince qui n'avait jamais dépassé la ville d'Akkar. Cet homme ignorait l'étendue du royaume qui lui serait revenu si la succession avait été respectée. Vous vous rendez compte ? s'indigna-t-elle. Ces gens censés régner sur nous ne savent absolument rien de « notre habitat naturel » !

Son dédain trouva écho en Dean. Il soutenait l'idée que, tout comme une monture, on ne devait pas ignorer ce que l'on dirigeait. Raison de la présence de son fils à ses côtés durant ses différentes croisades. Dompter soi-même sa monture la rendait plus fidèle.

— Les hommes de sa Majesté n'ont probablement pas eu le cœur à traverser la forêt de Zelen pour nous débusquer à Turnis. Ça pourrait répondre à ta question, adressa-t-elle à Mir.

— C'est déjà quelques lignes de rédigées dans le courrier pour Aram, ironisa Mir.

— Je suis intrigué par le fait qu'il n'y ait pas eu de demande de rançon, avança T-J. Tu restes coupable d'une prise d'otage.

Dean les laissa discuter. En retrait, il étudiait la jeune femme qui lui apparaissait de plus en plus comme une curiosité. Voir son fils gérer cette affaire – sous son expertise, bien entendu –, pourrait amener une conclusion intéressante. À leur insu, il mettait Rudy et ses amis à l'épreuve ; il évaluait la relève. Cette génération succéderait aux dirigeants Orseians : le futur gouverneur et ses conseillers.

— La logique voudrait que tu le ramènes au palais de Rubis. Au lieu de quoi, tu viens réclamer une prime à Nacir alors que sa tête n'est pas mise à prix, analysa Bill.

— Mon mignon, mon engeance n'agit pas sous la houlette de la logique, énonça Marine, énigmatique

À en juger par les oreilles écarlates de Bill, le sourire de la Chasseuse de primes ne lui inspirait pas de l'indifférence. Mir roula des yeux. T-J se garda de rire afin de ne pas vendre Bill à l'irritation du gouverneur.

— Comme l'a souligné Bill, nul ici n'a souvenance que la tête du prince aîné ait été mise à prix, insista Rudy.

— Celle mise à prix a valu la prison à un confrère. Peut-être même l'échafaud, frissonna Marine. Je ne commettrai pas la même erreur en me jetant dans la gueule du loup. Le roi vous paye de son ingratitude quand on fait son sale boulot à sa place.

— Ton confrère, éructa Dean, n'a eu que ce qu'il méritait pour le meurtre d'un prince demandé vivant !

— Que sais-tu du roi, petite sotte, pour te permettre de tels propos déplacés ? asséna Rudy.

— Par Saunes ! souffla Marine, frappée de plein fouet par cette double ire.

Ai-je entendu « petite sotte » ?! Commettait-elle une erreur dans ses prévisions ? Ces White soutenaient-ils Le Grand Red alors que la santé de Maar périclitait ? Partout où elle se rendait, le royaume se gangrenait. Il fallait agir, faire quelque chose. Déclencher un événement qui mettrait un terme à la rédaction des chapitres malades de l'Histoire. La précarité se repaissait des pages du livre de Maar.

Des systèmes avaient été rasés par d'autres quand ils rencontraient leurs limites. Le royaume rentrait dans cette ère de changement à la vitesse d'un projectile de scorpion. Elle le sentait dans l'air, dans son incapacité à calmer son agitation quand elle sondait la nature ou méditait. Cela avait commencé dès la mort du précédent monarque. À ce moment-là, Marine était trop jeune et trop inexpérimentée pour le saisir.

La terre appelait le sang, réclamait le sacrifice. Mais quelqu'un devait s'assurer que le mal fait serait nécessaire et non gratuit. Sa mission : rectifier l'histoire erronée du royaume de Maar. Au fond, elle ignorait ce qui en ressortirait. Elle n'écrivait pas l'Histoire, elle la chassait. Son engeance n'avait pas droit à la reconnaissance. Marine renifla pour elle-même. Cela lui apprendrait de l'avoir perdu de vue !

Ce n'était pas faute d'avoir vécu des jours au côté d'un homme qui ne lui avait jamais témoigné et ne lui témoignerait peut-être jamais de la reconnaissance. Alors qu'elle avait veillé à le nourrir, l'abreuver, le vêtir, le garder au chaud, et le protéger de la violence des maladies sévissant aux abords de la forêt de Zelen et celle des brigands et mendiants désespérés. Elle avait remédié à son inculture, endurci son fessier à défaut de son mental, et le prince Damien n'éprouvait que de l'aversion à son endroit !

Quid de ses interlocuteurs ? Eh bien, elle n'attendait pas de la gratitude. La personne qui de l'augure funeste se faisait l'émissaire n'inspirait pas ce sentiment. Ils l'ignoraient encore, mais elle venait les dépouiller de leur bonheur. Leur voler l'insouciance des jours heureux. Les éjecter de leur quotidien propret et bien rangé, quand ailleurs des innocents se mouraient. Néanmoins, cela ne lui interdisait pas le droit de se plaindre. Ils n'étaient pas tenus de lui être reconnaissants, mais elle n'avait pas à essuyer leurs colères ou remontrances gratuites. Déjà qu'ils ne la payeraient pas...

— J'ai échappé à mille dangers pour vous apporter la tête du prince Damien, geignit-elle. Vivant, plaît-il. Son corps froid ne vous aurait été d'aucune utilité. On a manqué me tuer à plusieurs reprises. Un peu d'indulgence serait bienvenue ! bougonna-t-elle. J'estime avoir le droit de me montrer aigre l'espace d'un instant. Quitte à médire du roi, c'est l'activité nationale favorite ! Et vous savez que j'ai raison, jeta-t-elle au père et au fils, effrontée.

Ils ne surent quoi rétorquer à cette diatribe. Cette femme était insensée !

— Une Chasseuse de primes qui a peur de mourir, charria T-J. Aie au moins la décence de ne pas insulter ton corps de métier. Tu traques la mort en chassant des primes, chérie. Tu ôtes des vies pour des sous. Ne t'étonne pas que l'on veuille te réserver le même sort.

Marine grommela. Elle tenait à sa vie ! Dean allait gueuler contre ses enfantillages, quand son intonation étrange, évoquant une psalmodie, le prit de court.

— Vous savez, il y a quatre types d'individus en ce monde.

— Peut-on savoir lesquelles ? fit T-J, ironique.

Sans surprise, il ne la prenait pas au sérieux. Marine croisa le regard de Dean. Ses yeux turquoise racontaient une histoire intéressante. Celle d'une réminiscence du passé. Elle lui sourit, mystérieuse.

— Il y a les Façonneurs, qui font l'Histoire. Les Scribes et les Conteurs qui l'écrivent ou la relatent. Les Hères qui la subissent, à l'instar du prince Damien. Et ceux qui la chassent, qui refusent de la subir, comme votre chère servante, dit-elle en apposant sa main contre sa poitrine.

Son discours arracha un sourire condescendant au gouverneur. Elle ne se démonta pas.

— Les membres de la dernière catégorie évoluent parmi les autres. On fait en sorte que les Façonneurs d'Histoire la fassent et que les Scribes l'écrivent ou la retranscrivent. Je croyais m'atteler à la tâche de trouver des Façonneurs, mais il semble que je sois aussi en présence de Scribes, dit-elle, songeuse. Dans tous les cas, il est certain que plusieurs Façonneurs se tiennent dans cette pièce.

— Elle est frappée, exhala T-J, ahuri.

Marine lui sourit.

— Merci. Je le prends sincèrement comme un compliment.

— Elle est imbue de sa personne, oui, dénigra Mir. Faire en sorte que ceux qui font l'histoire la fassent, et gna gna gna. Et puis quoi encore !

Réaction à l'opposé de Bill, qui buvait les paroles de la jeune femme comme si elles détenaient une vérité cachée. Elle remua la tête.

— Dans ce monde cynique, il faut saisir sa destinée à bras le corps si on ne veut point la subir.

T-J se demanda à voix haute si elle n'avait pas un faible pour de l'herbe hallucinogène. Marine le mit au défi de trouver à quoi elle planait.

— Les gens dans mon cas ont l'avantage et le plaisir de prendre part au déroulement de l'histoire sous toutes ses coutures.

— Quelle philosophie de vie palpitante ! lança Dean, sarcastique.

— Et pour ce faire, mourir n'est pas dans mes projets, continua Marine. Alors oui, je me plains qu'on ait failli m'occire sans mon consentement, dit-elle à T-J.

— On meurt bien souvent sans son consentement, fit Bill.

— Détrompe-toi. Nombreux consentent à mourir. Ceux qui font la guerre, par exemple, doivent s'y résoudre. Se mettre en état de guerre en ayant le culot d'espérer vivre vieux est insultant pour les innocentes victimes qui n'auront rien demandé. Un homme décidé à guerroyer doit s'accommoder de la possibilité de ne pas survivre à la fin.

T-J mima un signe de folie avec son doigt. Elle débloquait totalement ! De retour, Dan l'interrogea du regard. Il lui servit l'expression « c'est une longue histoire ». À son grand dam, Rudy accordait son attention à la folle.

— On lutte, on guerroie pour vivre, avança-t-il, grave. Pour sauver sa vie et celle des siens. Pour les protéger. Pas pour mourir.

Les fameux siens le considérèrent, inquiets. Rudy ne donnait tout de même pas du crédit aux propos décousus de cette Chasseuse de primes !? Mais on se garda de lui en faire la remarque. Ses proches lui connaissaient un tempérament étrange. Quelque chose d'unique, voire d'habité. Parfois, Rudy leur semblait dans la lune, l'air d'évoluer dans son monde, puis son retour à la réalité laissait un sentiment de déphasage. Comme si, pendant son absence mentale, son âme s'était vieillie de quelques décennies. Dans ces moments-là, on peinait souvent à comprendre ce qu'il lui passait par la tête.

Le Maître d'armes interrogea Dean en silence. Qu'est-ce qui mettait son neveu dans cet état ? Le père haussa les épaules. Mais quelque chose dans sa posture indiquait qu'il se doutait un peu de la raison derrière la réaction de son fils. Dan considéra la Chasseuse de primes, qui leur servit un autre de ses sourires sibyllins.

— On ne combat pas toujours pour « sauver » sa vie, jeune maître. Certains le font pour se « sentir » en vie. Pour le frisson, susurra-t-elle à l'attention de Dean.

Mal à l'aise, le gouverneur refusa de soutenir son regard. Il lança une œillade à Rudy. Celui-ci remua la tête de dénégation. Non, il ne sentait rien. La méfiance de Dean prit du galon. Si son fils ne parvenait pas à la cerner, alors cette femme était « quelque chose » de dangereux. Or elle ne lui inspirait plus de l'hostilité, simplement une émotion neutre, plate. Comme si elle savait qui il était sans porter de jugement. Une impression de déjà-vu le turlupinait. La mercenaire ouvrit à nouveau la bouche et vomit ses incohérences.

— Mais qui suis-je pour leur jeter la pierre ? Au fond, nous recherchons tous un frisson. Peu importe sa nature. Sinon je ne vous aurais pas apporté le prince Damien vivant, j'aurais envoyé sa tête au Grand Red. Sans y joindre ma personne. Je ne commettrai pas l'erreur de l'autre avec le prince Dorien, grimaça-t-elle.

— Tu connais l'identité de l'assassin du prince Dorien, extrapola Dan.

Cette information intéresserait son Altesse David. Dean comprit le message. Suspendus aux lèvres de Marine, Rudy et ses amis se fustigèrent de ne pas l'avoir deviné.

— Exact. Mais contrairement à ce que vous pensez, la mort du prince Dorien n'est pas de son fait. Plutôt du mien, dit-elle, embarrassée.

Un silence de plomb suivit cette révélation. Dean le brisa :

— Tu déblatères depuis tout à l'heure, et j'en suis venu à la conclusion que tu n'as pas l'étoffe d'un assassin, fillette.

— Ça ne m'exempte pas d'avoir du sang sur les mains, opposa-t-elle dans un calme troublant. Mais je vous le concède, je n'ai pas pris la vie du prince de mes propres mains.

Elle s'inclina devant leur stoïcisme face à sa confession. Ou alors, ils ne la croyaient pas. Quittant son siège, elle sortit de sa besace un document paraphé du sceau royal. Toute à ses explications, elle le posa sur le bureau du gouverneur qui l'examina.

— En traquant le prince Damien, ma route a croisé celle de Sloan. Qui, au passage, est un exemple particulier de Façonneur d'Histoire, dit-elle avec une moue.

Dan marqua son incompréhension d'un rictus d'impatience. Torcy-Junior eut pitié de lui et le dissuada de se creuser la tête pour chercher à comprendre.

— Avec ce document, continua-t-elle, je l'ai convaincu que ses péchés seraient absouts s'il ramenait son prince, mort ou vif au palais. Sinon, il porterait aussi le blâme pour ceux de Dorien. Il aura préféré « mort » à « vif ».

— Ce document est un faux, attesta Dean, l'expression sombre.

Dan s'en saisit pour confirmer. Les autres toisèrent Marine, méfiants.

— Je n'ai jamais prétendu le contraire, dit-elle en se rassoyant. Mais Sloan est tombé dans le panneau. De quoi se questionner sur sa loyauté.

— Tu as conduit la main de Sloan à tuer le prince Dorien, fit Rudy, écœuré.

— Le choix a été sien, avança Marine sans ciller. Verser le sang n'a pas semblé lui poser un cas de conscience. Et le voilà qui mentionne soudain Baylor. Avant d'avoir pour lui soutirer quoi que ce soit, son acte a scellé son sort puisqu'il s'est fait décapiter, de colère, par celui qui voulait le prince vivant, soupira-t-elle, agacée. D'un autre côté, ç'aura eu le mérite de mettre en lumière la fidélité chétive de l'homme-lige du prince puîné. Maintenant qu'on parle, ça ne vous surprend pas qu'un homme si « proche » de la royauté n'ait pas su identifier un sceau royal falsifié ? Rétrospectivement, je n'ai fait qu'œuvrer à ce qu'il façonne l'Histoire à sa manière. Il en serait allé autrement si Sloan avait choisi la vie. Mais en le tuant, mon confrère a été « remercié » d'avoir rapporté les têtes des deux hommes au palais de Rubis. Lui aussi a forgé son destin.

Difficile de dire s'ils ne méritaient pas leur sort. Dans tous les cas, ils avaient précipité leur propre fin.

— Ton confrère aura donc payé pour tes manigances, conclut Dan.

Elle haussa vaguement les épaules.

— C'est un Hère qui subit l'Histoire, se justifia-t-elle. Vous tenez le second exemplaire de ce faux document. Le premier se trouvait en possession de ce confrère. Je le lui ai remis afin qu'il puisse restituer le contexte, à défaut de plaider sa cause. Malheureusement, ça ne l'aura pas aidé à clamer son innocence dans la mort du prince. Qu'y puis-je ?

Son détachement révolta son audience.

— Que cherches-tu à la fin ? gronda le gouverneur.

Marine l'observa de façon oblique, impatientée. Cet homme l'entendait mais ne l'écoutait pas.

— Je viens de vous le dire ! J'apporte du matériau aux bâtisseurs de l'Histoire. Certains, comme Sloan, la bâtissent mal. D'autres la font, non pas « bien » mais de façon intéressante. J'ai été incapable de soutirer quoi que ce soit au prince Damien. Soit c'est un concentré d'ignorance, soit sa solidité mentale est à saluer. Peut-être en saurez-vous davantage sur cette histoire avec Baylor que Sloan a mentionnée avant d'être étêté. Parmi vous figurent sans doute ceux qui seront amenés à écrire l'Histoire de Maar. Façonneurs et Scribes cheminent souvent ensemble.

Elle les laissa digérer. Les trois Whites blonds n'étaient plus aussi prompts à la traiter de fanfaronne. Son « soupirant » n'était plus que défiance, quand l'autre jeune homme élancé maintenait son verdict de folie. Celui de Fort-Zen la regardait comme on jaugeait une créature dangereuse... Une sorcière, par exemple. Elle lui sourit. Mir se raidit. Il ignorait partager le malaise de Dean. Cette femme était... « différente ».

Avant qu'il ne leur prenne l'envie de sortir torches et piques, elle tenta d'alléger l'ambiance pesante.

— Mais bon, pour être honnête, à la fin de la journée, c'est juste ma prime qui m'importe. À combien de maarks estimeriez-vous la tête du prince Damien, si elle devait figurer sur un avis de recherche, Gouverneur ?

*

Palace du gouverneur – appartements de Dean Leblanc

— Tu n'as vraiment rien ressenti ?

— Non, grommela Rudy, frustré. Son aura n'a pas d'odeur. Pas de couleur particulière. Je suis désolé.

— Non, ne t'excuse pas. Tu en vois aussi la couleur ? s'étonna son père.

— De temps en temps. Pourquoi ?

— Ta mère ne sentait que leur odeur, fiston, révéla Dean. Depuis quand est-ce possible ?

— Je n'en sais rien. Je ne t'en ai pas parlé parce que c'est sporadique. Je perçois aisément la senteur d'une aura que je rencontre pour la première fois. Mais la couleur reste un critère aléatoire. Je n'étais pas en âge de comprendre quand cela a commencé, je ne pourrai pas te le situer avec exactitude.

Voyant à quel point cela le perturbait, Dean serra son garçon dans ses bras.

— Je suis navré de ne pas pouvoir te venir en aide.

Rudy remua la tête, trop heureux de ressentir la chaleur des bras paternels. Même s'il ne l'avouerait pas.

— Ne te flagelle pas. Tu en fais plus qu'assez.

La seule personne à même d'expliquer ce phénomène n'était plus de ce monde. Les nombreux voyages du gouverneur cachaient un dessein secret : trouver des réponses à la particularité de son fils. Ou, à défaut, des cas similaires. Hélas, il rentrait toujours bredouille. Sa défunte épouse ne lui avait jamais révélé l'origine du don qu'elle avait transmis à leur rejeton.

Elle n'était pas native de Maar. Il savait qu'elle avait été adoptée par ses parents, tués plus tard lors d'une attaque d'un convoi d'itinérants par des brigands, bien avant sa rencontre avec Dean. Tout cela compliquait les recherches. Elle emportait le secret de sa différence dans l'au-delà. Parce qu'elle en avait fait un tabou, elle s'était complètement fermée à l'idée d'en découvrir plus sur sa nature. Seul comptait sa citoyenneté maariane acquise par adoption et la petite famille qu'elle avait fondée.

Dean n'avait pas eu le cœur à réveiller ses momies. Alors les facultés étranges de Rudy avaient été, à leur tour, tenues secrètes au sein du clan. Même Dan n'en connaissait pas le caractère exact. À vrai dire, le concerné lui-même pataugeait. Rudy s'adaptait comme il pouvait. Et cela dévastait Dean d'ignorer comment l'aider à mieux vivre avec. Parce que ce don surnaturel demandait un tribut. Dean en ignorait la nature mais en avait la certitude à cause, hélas, de la santé capricieuse de son enfant. Celle de son épouse aussi avait connu des épisodes de fragilité inexpliquée.

— C'est plus une intuition qu'une hypothèse, mais... (Dean hésita.) Et si tu n'arrivais pas à sentir son aura parce qu'elle a la même odeur que la tienne ?

Rudy quitta vivement leur étreinte.

— Tu crois ?

Dean parut embêté. Il ne voulait pas nourrir de faux espoirs chez son fils.

— Je ne sais pas... C'est simplement qu'elle m'a... Enfin, durant un instant, elle m'a fait penser à ta mère. Mais contrairement à cette dernière, cette jeune fille use délibérément de son mystère et s'adonne à un jeu dangereux.

— Tu penses donc qu'elle a un don. Peut-être un don différent du mien mais qui appartient à la même « famille ». Comme un loup et un renard ?

— Peut-être... ou peut-être pas, soupira Dean, agacé de se sentir inutile. Ta mère ne maîtrisait absolument pas son don, Rudy.

Le garçon sourcilla. Le sourire de Dean se peignit de tristesse.

— Je l'ai compris tard. Sa manière de taire le sujet masquait en réalité son manque d'assurance et son ignorance de ce qu'elle était. Or cela n'a pas l'air d'être le cas de cette Chasseuse de primes qui se prétend Chasseuse d'Histoire.

— Ce serait une sorte de chamane ? proposa Rudy, sceptique. Ou peut-être avons-nous affaire à une devineresse. Une... (cette fois, il hésita) une sorcière ? murmura-t-il. C'est peut-être pour cela que Mère en faisait un tabou.

— Une intrigueuse, voilà ce qu'elle est, trancha froidement Dean.

Il refusait de donner dans ce genre de spéculation. Ce serait insinuer que sa femme avait pu appartenir à cette engeance maléfique. Il n'avalerait jamais cette pilule, même venant de son fils. Pourtant, au fond de lui, quelque chose lui disait que Rudy n'était probablement pas loin de la vérité. Vu la nature inhumaine de ses dons... Dean préféra changer de sujet, compatissant soudain pour feue sa femme qui avait maîtrisé l'art d'esquiver ce genre de conversation.

— Je n'aime pas qu'on me farcisse la tête d'idées farfelues, grommela-t-il. Si elle croit manipuler ou influer sur mes choix, elle ne frappe pas à la bonne porte.

Cependant, il avait beau rouspéter, cette jeune femme lui avait apporté du sacré « matériau d'Histoire ». Avec son projet de se rendre à Aram, Dean commençait à voir d'un autre œil l'arrivée du prince Damien. Il marquerait des points auprès du roi s'il lui rendait son frère aîné en guise de sa bonne foi. Mais une chose qu'avait dite la Chasseuse de primes au sujet de l'homme-lige du prince puîné, Sloan, l'interpellait.

Ainsi, Baylor était impliqué... Jusqu'où s'étendait l'influence souterraine de l'Impérateur Mathew Arrow ?

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