✙ II - Braises sous la cendre ✙ 4/5
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Edit du 09/11/2021
◢Chapitre II : Braises sous la cendre (partie 4)◣
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Palace du gouverneur – office de Dean Leblanc
Pour gérer les affaires étatiques, quand il ne présidait pas en salle d'audience, Dean tenait bureau dans une aile du palace ayant vue sur le parc des agrumes. Quand une jeune femme se présenta sur le seuil, il crut ses prières exaucées. Les doléances du sénateur zélé, du sénateur coincé et de l'ambassadeur pusillanime l'avaient incité à adresser une requête silencieuse à Hayden. Le dieu Élémentaire de l'Air lui envoyait cette pétillante créature, qu'il accueillit comme une nature aride avide d'eau.
L'aubaine lui permit de congédier Marius, Nigell et Julian. Les seules informations qu'il retirait de leur laïus étaient leur foi absolue en leur roi et leur étroitesse d'esprit à vous constiper un homme. À présent, il se disait qu'il aurait mieux fait de poursuivre son entrevue avec ce trio spirituellement congestionné. Sacha Nuttingham ne venait pas en amie.
Elle avait exigé un tête-à-tête avec lui, balayant les protestations du sénateur Marius qui estimait n'avoir pas fini de l'entretenir sur les affaires commerciales. Sur son « conseil », Dean dévisageait désormais ses ongles, troublé de les voir bleuir comme si ses extrémités eussent manqué d'apport sanguin.
— Je peux en expliquer la cause, dit Sacha.
Feignant la nonchalance, elle s'intéressa à la reliure dorée des ouvrages rangés sur une étagère de la bibliothèque qui habillait tout le mur ouest. Ses yeux s'attardèrent sur la décoration de la pièce, mariant luxe et sobriété. On rencontrait rarement à Aram ces tapisseries au raffinement sandrian. Les tentures aux portes-fenêtres, les tapis de sol et la couverture qui protégeait de la poussière ce qu'elle identifia comme un gigantesque globe terrestre, étaient autant de preuves du savoir-faire de l'artisanat du royaume des Sables. Le maître des lieux semblait affectionner cette culture.
Du moment qu'elle n'affrontait pas le regard de ce dernier, elle ne trahirait pas à quel point Dean Leblanc l'impressionnait. Sa crédibilité reposait sur sa désinvolture. Or le gouverneur affolait ses sens. Sacha comprenait que Red ait été déstabilisé. Pourtant vêtu modestement, l'homme avait une prestance régalienne. La noblesse de sa stature rendrait presque pâlotte la légitimité de la dynastie Rell. L'autorité lui seyait comme un gant. C'était d'autant plus oppressant qu'il contenait une humeur orageuse. Méchante humeur dont elle était à l'origine.
L'expression sombre, Dean interrogea son corps mais ne décela aucun mal-être. Nul signe de vertiges, pas la plus petite manifestation douloureuse, acuité visuelle toujours intacte et articulations en pleine forme ; globalement, il allait bien. En apparence. Son instinct l'aiguilla sur la piste d'une mise à l'épreuve, car il faudrait être le dernier des inconscients pour attenter à ses jours dans ces circonstances. Que lui voulait-elle ? Ou plutôt, que désirait le roi par son biais ?
— Je vous épargne de la salive, vous m'avez empoisonné, dit-il d'un ton calme.
Sacha se tourna vers lui, surprise. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il se montre impassible en pareille situation. D'un sourire, elle admit sa défaite sur cette manche. À la voir ainsi, nul ne lui attribuerait de mauvaises intentions derrière cet air aimable. La droiture de son maintien, la délicatesse de sa peau laiteuse, la brillance de sa chevelure châtaine fleurie de roses naines, le nacre de ses ongles vernis de parme et la finesse de la broderie de ses atours de velours crème parlaient d'une ascendance noble. Elle renvoyait la parfaite image d'une jeune femme née sous un riche patronyme.
Les Nuttingham étaient un clan vassal des Rell depuis des générations. Cependant, son attitude n'évoquait pas ce dédain presque naturel qu'affectaient les membres de la cour.
— N'êtes-vous pas curieux de savoir comment je m'y suis prise ?
Son intonation était plus mutine que narquoise. Pour elle c'était un jeu, très dangereux au demeurant, duquel elle ne tirait qu'amusement. Dean sourit, mais elle serait sotte d'y voir le reflet de son réel sentiment.
— Je vous ai saluée d'un baisemain. Je suppose que je suis entré en contact avec le poison à ce moment-là.
Il se souvint alors de Red évoquant sa répugnance des contacts humains, des suites d'un empoisonnement par voie cutanée. La vie au palais de Rubis n'avait rien d'une sinécure. C'était encore plus désolant quand les assassins étaient commandités par les frères de la victime. Dean ne s'était jamais inquiété de ce genre de chose dans son palace. Ce temps était-il révolu, maintenant que la délégation royale apportait son lot de vices ?
— Votre perspicacité vous honore, dit Sacha.
— En quel honneur dois-je d'avoir été empoisonné dans mon auguste demeure ?
— Vous avez contrarié mon ami, hier soir, avança-t-elle sans fard. C'est une personne sensible, vous savez. Et puisqu'il est question d'honneur, depuis l'enfance, je m'assure que les responsables de sa contrariété s'en repentent.
Dean en fut décontenancé. La malice dans son propos n'en masquait pas la véracité. Elle était l'amie venue défendre son petit protégé. Il eut le cuisant sentiment de participer à une bataille d'adolescents. À la différence que celle-ci augurait un combat mortel. Cette fois, son sourire atteignit ses yeux. Le jeu en valait bien la chandelle.
— Vous vous doutez que la dose est non mortelle, dit Sacha en retournant à la contemplation du mobilier.
Avec un tel flegme, elle aurait tout aussi pu discourir du beau temps. Maintenant qu'il n'avait plus à se soucier des conséquences d'un empoisonnement bénin, Dean l'étudia. Elle ne s'assoirait pas. Ce serait se mettre en position de faiblesse quand lui restait debout. Or il ne proposerait pas les commodités de la conversation à une empoisonneuse. Personne ne s'assurait du confort du serpent qui l'avait mordu.
— J'affectionne les poisons létaux lorsqu'ils foudroient ou agissent sans laisser de traces perceptibles, reprit-elle.
Le doigt délicat, elle caressa les plumes colorées d'un paon sculpté dans un paravent de bois noble. Qu'elle lui tourne le dos en disait long sur son état d'esprit. Elle se savait en sécurité. Du moins misait-elle sur son éthique guerrière. Il ne s'en prendrait jamais à une femme... dans ces conditions.
— Les effets de celui-ci sont trop voyants, déplora-t-elle. Il nuirait à la discrétion de tout assassin qui se respecte. Je l'utilise pour mes démonstrations publiques. Cela fait son petit effet.
Dean ne la contredirait pas. Ses ongles affichaient désormais un violet uniforme. En les éloignant, il croirait qu'on les lui avait peinturlurés. Le rendu aurait été artistique si cela n'impliquait pas un empoisonnement.
— Dès qu'elle entre en contact avec la peau, la Dame Mauve affecte préférentiellement les ongles, expliqua Sacha. Elle leur confère cette belle couleur violette qui lui a valu son nom. Elle teint ensuite les lèvres lorsque le sang l'a assimilée à une certaine concentration. Par le passé, les dames de la cour Noresiane maquillaient ainsi leur bouche, pour rendre leurs dents lumineuses en contraste. Les étourdies qui n'en maitrisaient pas l'art voyaient leur langue devenir indigo. (Elle grimaça.) Risquer ainsi sa vie pour paraître « belle » fleure l'absurdité.
Une langue bleu-violette était le signe qu'on avait un pied dans la tombe. Heureusement, l'ingestion d'un antidote suffisait à tirer les malheureuses d'affaire. Celles qui recourraient à cette astuce beauté avaient tout intérêt à emporter avec elle une fiole du contrepoison.
— Je vous rassure, vos belles lèvres seront épargnées. Dans notre cas, nul besoin d'antidote. Notre corps l'éliminera sans peine, et d'autant plus vite en stimulant notre vessie.
Elle agita ses doigts, et Dean nota avec plus d'attention leur couleur mauve. Durant le baisemain, il avait mis cette teinte sur le compte de la coquetterie féminine. Elle l'avait bien eu. Sacha se dirigea vers la carafe d'eau posée sur un haut guéridon près de l'entrée, que les serviteurs changeaient régulièrement dans la journée pour la maintenir fraîche. Elle se servit un verre, le leva dans sa direction.
— Je vous en proposerais volontiers, mais étant donné les circonstances... je doute que vous l'acceptiez de bon cœur. Permettez que je boive à votre santé ?
Goûtant peu à son ironie, Dean lui ravit le verre des mains et le vida d'une traite.
— Servez-vous-en un autre, grogna-t-il d'un ton bourru en claquant le verre sur la console.
Elle eut un sourire en coin, à la pensée que Red l'aurait qualifié de rustre.
— La Dame Mauve est un poison faible, parce que ses effets sont réversibles jusqu'au dernier instant, dit-elle après s'être désaltérée.
— Si vous en veniez au fait ? s'impatienta Dean. Quelle est la moralité de cette histoire ?
— Ne contrariez plus mon ami ? rétorqua-t-elle, espiègle. Et cela l'importunerait beaucoup que ce que vous savez s'ébruite durant son séjour.
— Je vois.
Elle ne manquait pas d'impertinence. Il s'en amuserait si une part de lui n'avait pas allumé les feux d'alarme. La sournoiserie de ces créatures nommées « femmes » ne surprenait plus Dean, pourtant celle-ci était un sacré numéro pour avoir elle aussi expérimenté le poison. Sacha se rapprocha de lui, et il la laissa faire son manège.
— En toute sincérité, Gouverneur, vous avez plus à perdre à mécontenter la « prima Nior » dans votre propre demeure qu'à distance.
Elle tourna lentement autour du gouverneur, s'arrêta au niveau de son épaule et baissa le ton :
— Je présume que vous mithridatiser n'a point été inclus dans votre éducation depuis votre plus tendre enfance. Je n'ai vu aucun goûteur au banquet, hier soir.
Et un accident était si vite arrivé..., sous-entendirent ses yeux vifs. Devant la menace à peine voilée, Dean serra le poing. Elle marqua un mouvement de recul mais soutint son regard. Il lui reconnut du cran. Pour la peine, il n'en prendrait pas ombrage. Il ne s'agissait que de basses machinations d'un roi cherchant à couvrir ses arrières.
— Je n'userais pas de méthodes si viles, mais à chacun ses armes, concéda-t-il.
Sa Majesté n'en avait pas que la dégaine, elle se battait aussi comme une bonne femme ! Il se réinstalla dans le fauteuil derrière son bureau massif et entreprit d'y mettre un peu d'ordre.
— Quelle est votre fonction à la cour Rell ? Dame de compagnie ?
— On me connait comme l'épouse du Premier Grand Conseiller Korgan Mineli, dit-elle en s'attardant à nouveau sur le décor.
Une Nuttingham, membre de la noblesse aramiane, compagne d'un Mineli dont la richissime famille régentait la cité de Ryl... Dean tenta de voir à travers le voile des apparences. Il crut vaguement appréhender la toile tissée par Red autour des partisans du roi Henri et son héritier. Il était envisageable que la loyauté des Nuttingham et des Mineli n'allait plus à la famille Rell mais échoyait uniquement au Grand Red. D'une certaine manière, cet homme avait su acquérir leur allégeance exclusive. Mais comment ? Par le truchement de sa mère ?
L'hypothèse se défendait, vu les contentieux du prince Andy avec sa lignée paternelle. Devait-on soupçonner l'implication de la défunte reine dans le complot visant à asseoir son dernier-né sur le trône ? Celui-ci ne comptait que treize étés au décès maternel. Difficile, dans ces conditions, de consolider une position inexistante par des alliances. Or prendre le pouvoir par un coup d'État requérait indéniablement le soutien d'alliés. Sans partisan, Andy n'aurait pas pu s'arroger la couronne du jour au lendemain.
Dean en vint à la conclusion que sa vie recluse dans le gynécée avait certainement été une mascarade menée de main de maître, afin d'endormir la vigilance d'une cour dans laquelle il n'avait aucun statut. D'une manière ou d'une autre, la reine Tina avait joué de manigances. Le peuple gardait d'elle le souvenir d'une belle et douce personne. Seulement, elle restait une femme, soit une forme charnelle du danger.
Là encore, aurait-elle intrigué afin d'assoir son petit dernier sur le trône, si la finalité avait été la mort de son époux ? Cela dit, on pouvait extrapoler des rumeurs sur l'illégitimité du Grand Red que sa génitrice n'aimait point son mari...
Dean ravala un grognement. Les intrigues de la cour ne l'avaient jamais intéressé. Il n'y voyait pas son gain ni celui de ses gens. Mais voilà qu'elles s'invitaient dans son palace, de manière très libertine si l'on voulait son avis. Il serait avisé de connaître de qui il se faisait l'ennemi en nuisant aux desseins de Red. Il tirerait un enseignement du coup bas qu'il venait de subir.
Jusqu'à quel point Nuttingham et Mineli s'étaient-ils salis les mains du sang du roi veuf ? Et pas qu'eux... Sa Majesté était épaulée par un Triumvirat, instance inexistante du temps d'Henri Rell. De manière concrète, Dean n'avait aucune idée des réelles attributions des Triumvirs, bien qu'ils apparaissent publiquement comme Grands Conseillers. Mineli, Scott et Poppy-Garett, ces noms avaient souterrainement œuvré au succès du coup d'État du prince Andy.
Il considéra la jeune femme qui l'avait intoxiqué en rétribution à son manque de respect envers le roi. Son allure douce dissimulait des intentions obscures. Elle était à l'image de son souverain.
Consciente d'être scrutée, Sacha ignora son inconfort en se concentrant sur le planisphère poinçonné dans un grand cadre en noyer, accroché au mur. Elle reconnut l'édition mise à jour par les géographes d'une expédition mô'lariane vieille de vingt ans. Leur ambition de faire le tour du monde les avait amenés à découvrir le troisième et dernier continent peuplé d'hommes, à soixante-douze jours de bateau de la côte nordique de Mô'Lar. Désormais, il avait été établi que le tour du globe pouvait s'effectuer en quatre lunes et demie.
De son index, Sacha pointa le royaume de Minerya. Enclavé entre le gigantesque Mô'Lar et la non moins respectable Lima, il défendait farouchement sa légitimité et son indépendance depuis un siècle.
— J'ai souvent rêvé d'être Mineryane, dit-elle, songeuse. J'ai de l'admiration pour leur Régente. Là-bas, les femmes accèdent au pouvoir sans avoir à jouer de manigances ou écarter les cuisses. Bien que cela ne l'exclut pas... (Elle haussa les épaules, se détacha de la carte et se tourna vers Dean.) Entre nous, cette coutume maariane qui refuse l'attribution de titres nobles aux femmes est d'une terrible goujaterie. Avez-vous idée de ce qu'être uniquement définie par un statut « d'épouse de » signifie ?
L'œil brillant, le menton haut, elle personnifiait l'indignation.
— Cette question m'échappe, j'en ai bien peur, répliqua Dean, à peine ironique. Les Guerrières Whites ont autant de voix que leur pendant masculin, tint-il à préciser.
— Les Guerrières, souligna Sacha. Nul n'ignore leur statut si particulier en Orsei. Mais qu'en est-il des autres ?
Elle savait qu'il savait la réponse. Cependant, elle ne venait pas défendre la cause de la femme Maariane.
— Au fond, ai-je réellement des raisons de m'en plaindre, si j'occupe une place convoitée à la cour ?
Se rapprochant de la table, Sacha s'y pencha et révéla sur le ton de la confidence :
— Officieusement, j'ai un titre. J'ai été sacrée Maîtresse des Poisons du Grand Red. Mais motus ! Ce sera notre petit secret, fit-elle avec un clin d'œil.
Lorsqu'elle quitta l'office du gouverneur, avec la garantie qu'il tiendrait sa langue, Sacha fut prise en filature. La Dissimulatrice sur ses traces semblait intéressée par ses moindres faits et gestes.
À présent seul, Dean vida la carafe d'eau tandis qu'une question le taraudait. Le roi avait-il expressément demandé à Sacha de l'empoisonner, ou avait-elle eu la liberté de choisir la méthode d'intimidation ? Dans les deux cas, la réponse en faisait une entité sur laquelle garder un œil. L'épouse du premier Triumvir avait accès à des secrets qu'il faudrait exploiter un jour ou l'autre. Il ne s'en ferait pas une ennemie, pour l'instant. Elle pourrait bien m'aider à mettre son cher ami dans mon lit...
Il rit de la situation. En s'accrochant à sa couverture, quitte à le menacer d'empoisonnement si sa langue fourchait, sa Majesté occultait un point ironique. Devant témoins, elle serait tenue d'endosser son rôle de courtisane privilégiée. Dean aurait tout le loisir de la courtiser publiquement. Et au jeu de la séduction, Dame Nature l'avait pourvu de sacrés avantages.
D'humeur légère, Dean fit quérir les sénateurs. Avec un peu de chance, il saurait leur accorder une oreille attentive.
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Palace du gouverneur – office de Dean Leblanc
— Le trafic commercial entre Nacir et Aram n'a pas à pâtir d'un désaccord entre sa Majesté et ma personne, assura Dean. Je serai offensé que vous me croyiez capable d'hypothéquer le confort de mes gens pour des raisons personnelles.
Les trois hommes parurent soulagés. Dean se demanda en quels termes Red leur avait rapporté leur aparté. Si ce roitelet en était incapable, lui savait faire la part des choses.
— Mon différend avec Le Grand Red n'impactera nullement sur des innocents, itéra-t-il. Soyez sans crainte, mes transactions avec le Nord restent d'actualité.
— Même alors que vous privilégiez vos échanges avec Sandres ? glissa Marius.
Son œil critique s'attardait sur le mobilier qui criait son appartenance à la culture sandriane. Dean lui réserva un regard méprisant. Il n'appréciait pas beaucoup son air à la fois matois et quinteux.
— Mon peuple prospère avec le commerce depuis que les Guerriers Whites ont cessé de vendre leurs services aux seigneurs de guerres capables de financer leurs campagnes coloniales. Croyez-vous que je dédaignerais une voie commerciale rentable afin d'épargner des acidités gastriques au roi ?
Lorsqu'il s'avéra que la question n'était pas rhétorique, Marius fut fort en peine de répondre. Le soutien qu'il chercha auprès de ses acolytes ne vint jamais.
— Il est une évidence que les intérêts qu'accumule Orsei avec le Royaume des Sables diffèrent de ceux qu'elle entretient avec les provinces et les pays nordiques, dit Nigell, conciliant.
Dean renifla, adressant son dédain à Marius. La tenue du sénateur n'était que satin et velours, une opulence ostentatoire et ridicule dans une contrée où le confort passait par la légèreté de ses atours. Le bougre devait étouffer de chaleur là-dessous. Cela expliquait sans doute sa lenteur d'esprit. Seul l'ambassadeur avait choisi d'adopter la mode orseiane ; le second sénateur ayant opté pour une toilette aramiane cependant moins chaude que celle de son confrère.
— Lorsque Raam m'approvisionnera en coton de fibres raffinées à l'instar de Sandres, nous tiendrons volontiers cette discussion, Sénateur Marius. En attendant, s'il se languit tant de nos transactions, notre cher souverain devrait se hâter d'achever les travaux de rénovation du Merlion, plutôt que de s'inquiéter de la fidélité du bon client que je suis.
Les dignitaires se seraient presque accommodés de sa suffisance horripilante et certainement justifiée, s'il daignait la départir de condescendance railleuse. La réparation du grand pont Merlion, supervisée par le Triumvir Jay, touchait à sa fin, mais le chantier cumulait du retard à cause de l'ambition du roi d'en agrandir les dimensions. Désormais, un carré de cent soldats pouvait y passer comme un seul rang de dix hommes. Ce gain de temps considérable impacterait positivement sur le trafic commercial.
Quand les engorgements à ce passage obligé appartiendraient au passé, les Guildes de Marchands cesseraient de cracher sur la réputation du Grand Red. Pour l'heure, les récriminations allaient bon train, en raison du énième report de la date de réouverture du pont. La frustration était légitime. Cependant, le peuple refusait de voir que le Génie Civil gérait plusieurs chantiers avec un budget limité. Ne seraient prises en compte que la hausse d'une taxe déjà élevée et les plaintes d'une main d'œuvre aux prétentions salariales frustrées.
Malheureusement, la période de vache maigre durerait tant que la province régente ne serait pas en mesure de couvrir ses déficits. Résultat des courses : la popularité royale, déjà bien étique, périclitait davantage ; de quoi présager l'insuccès de son nouveau projet. Or un échec n'était pas envisageable.
— Si nous abordions enfin le sujet réel de votre présence en ces lieux ? proposa Nigell.
— Dites-m'en plus sur cette compagnie fluviale marchande que sa Majesté projette de mettre sur pied. L'initiative est intéressante, mais l'idée en soit n'est pas vendeuse.
— Elle est brillante, soutint Marius, qui semblait s'être donné la mission de contredire Dean. L'idée nous vient d'un intellect louangé.
Avec labeur, l'ambassadeur Julian ravala son soupir. Celui-là et ses manières guindées leur hérisserait le poil chatouilleux du gouverneur. Qu'il n'apprécie pas le personnage était une chose, le provoquer en était une autre.
— Qui en détient la paternité importe peu, même s'il est vrai que l'Intendant Royal est un prodige. Le projet consiste à mettre l'accent sur le trafic fluvial afin de se passer, dans la mesure du possible, du grand détour en mer. La Route Royale est quasiment parallèle au fleuve Alliance. On ralliera ainsi les capitales des principales provinces maarianes par deux voies de même importance.
— Seulement, selon les saisons, l'Alliance n'est pas praticable sur toute sa longueur, souleva Dean. Les cycles de crues et d'étiages rendent ce trafic fluvial discontinu.
— Les matelots et pécheurs locaux en connaissent les pièges et les caprices, dit Nigell. Aussi Rey, je veux dire l'Intendant Royal, propose d'exploiter leur expertise au service de la nouvelle Compagnie Fluviale Royale. Une fois un calendrier établi, elle suppléera, durant la saison des pluies, les guildes marchandes terrestres entre Aram, Akkar et TarN.
— Elle aura l'avantage d'éviter le danger des ruines de Tohn, ajouta Marius. Ce passage est redouté des Marchands et des Passeurs. À moins de se convertir à la piraterie, les Allégeurs qui y sévissent verront leur « commerce » s'amoindrir.
La grand-route transitait par la majorité des cités importantes, mais un piège se dressait sur son tracé. Après le fief des Leblanc et les petites cités de Miry et Izy, les convoyeurs longeaient la côte ouest du lac Hapnes puis rejoignaient le bastion fortifié de TarN, pôle stratégique où les itinérants s'acquéraient les services des Guildes de Passeurs pour le reste du voyage.
Aux abords du lac Hapnes, la majorité des cargaisons doublait ou triplait leur volume. De quoi attiser la convoitise de brigands plus organisés, détrousseurs de profession à qui l'on attribuait ironiquement la Guilde des Allégeurs. Ces forbans, qui saignaient vieux et jeunes en vue de s'arroger leurs gains, avaient fait de Tohn, cité fantôme, leur terrain de chasse favori, expliquant des années de protection grassement monnayée par les Passeurs.
— La Compagnie Fluviale Royale répondra aussi à une autre problématique, poursuivit Marius. Tous les commerçants n'ont pas de quoi s'offrir les services des Passeurs et des Médicures...
— Le service de mes hommes est de qualité, il vaut donc son pesant d'or, appuya Dean.
Les coûts étaient légitimes et justifiés. S'il entendait bien, cette compagnie navale condamnait ses Passeurs à l'inactivité. Aujourd'hui ses guerriers œuvraient conjointement avec les Guildes de Médicures. La présence des hommes de santé s'imposait par la proximité de la forêt de Zelen, que traversait la grand-route par la pointe sud-ouest. La verte étendue sauvage regorgeait de prédateurs visibles et de dangers invisibles. Sans le savoir d'un Médicure, la protection des Passeurs ne suffisait pas toujours à sauver des vies.
— La Compagnie Fluviale Royale aura besoin de protection. En aucun cas elle ne relèvera vos hommes de leur fonction, intervint Julian, prévenant. Seulement, il sera justice que de réviser les coûts de leurs services au prorata des dangers rencontrés.
— Soit, fit Dean, réticent.
Il admettait que sans la ville de Tohn, le prix qu'exigeait la Guilde des Passeurs serait fort discutable. En abandonnant la Zelen à l'est et le relief accidenté rouge granitique des Vyrez à l'ouest, la Route Royale courait sur les plaines qui moutonnaient à perte de vue entre la métropole commerciale d'Akkar et le domaine de Fort-Zen. L'aventure aurait été quasiment idyllique sans le péril de la cité fantôme. Tohn attendait de pied ferme toute expédition avant l'étape du pont Merlion. Et survivre aux dangers de la forêt et des montagnes n'aguerrissait pas contre les Allégeurs qui y élisaient sporadiquement domicile.
Les murs immaculés des ruines, les hautes tours de guet dans lesquelles le souffle du vent prenait voix d'homme, nourrissaient les cauchemars des marchands et les légendes des Bardes. La cité morte, étrangement bien conservée, donnait froid dans le dos. Dans ses habitacles à l'abandon, les courants d'air avaient l'écho de chants rituels païens. Tohn était inhabitée depuis des siècles mais refusait de subir l'érosion, comme si le temps n'avait aucune prise sur elle.
On la disait hantée par les âmes damnées que Saunes, dieu Élémentaire du Feu et des Enfers, ne semblait point pressé de réclamer. Mais en comparaison, les voleurs étaient pire hantise. Les rumeurs sur Tohn faisaient de beaux jours aux Allégeurs. Elle avait bon dos, quand il s'agissait d'incriminer des pilleurs. Toujours était-il qu'elle contribuait à l'activité malhonnête de ces bandits, qui connaissaient les secrets de ses décombres et y officiaient de jour comme de nuit.
— Reconnaissez tout de même que le commerce des Allégeurs profite à celui des Passeurs, souligna Marius.
Dean lui servit un regard noir, puis se fit pensif avant de conjecturer :
— Le Grand Red doit avoir un autre intérêt à vous garder à ce poste. Laissez-moi deviner. Une fortune respectable ? Une vieille et vénérable noblesse ? Un poids politique familial ? À moins que ce ne soit une dette morale... Parce que ce n'est pas pour vos lumières que vous êtes sénateur, n'est-ce pas ?
Marius, offusqué du camouflet, tenta d'y répondre quand Julian lui ravit la parole.
— En ce qui concerne Orsei, le trajet fluvial sera identique à celui de la Route Royale, de TarN à Miry. Toutefois, pour rallier Nacir il faudra s'aventurer sur la Native.
Il débitait une évidence, mais c'était toujours mieux que de laisser la parole à son confrère qui les conduirait droit dans un mur. Las de voir leur situation stagner, Nigell vint à cette même conclusion et proposa :
— Si nous cessions d'enjoliver notre discours ? Vous craignez de noter un déficit pour vos Passeurs, mais il en ira de même pour la province de Raam, Gouverneur. Le péage de la ville de Blame ne sera pas prélevé aux marchands qui feront confiance à la Compagnie Fluviale Royale.
Dean sourit, peu dupe.
— Cela ne signifie pas qu'il n'y aura point de péage.
Il quitta son bureau et retira un tube en cuir des étagères de sa bibliothèque. Son contenu révéla une carte qu'il déroula sur la table et aplatit d'un encrier et deux bougeoirs. Ses invités se rassemblèrent devant une représentation de Maar, détaillée de façon admirable.
— Les eaux de l'Alliance irriguent Fort-Grey, relié à la ville militaire de Blame par la Route Royale. Détrompez-moi si je dis que sa Majesté placera ici son point de péage fluvial.
Avec un stylet, il pointa Fort-Grey. La moue de Marius lui donna sa réponse ; il tapait juste. Il fit courir la daguette jusqu'au point représentant la ville côtière de Seav, situé à l'extrême nord-ouest du plan.
— Ceux qui ne se rendront pas à Seav, devront tout de même passer par Blame pour rejoindre Aram. Ce qui revient au même que d'avoir emprunté la Route Royale.
En fin de compte, Raam y gagnait quand Orsei perdait. Passée l'épreuve de la cité fantôme, la grand-route enjambait le Merlion par son pont célèbre. Les flots torrentueux et assourdissants de cet affluent, parfait rappel de l'insignifiance de l'homme face à la nature, filaient se jeter dans le fleuve Alliance, et la Route Royale pénétrait la province de Raam, tandis que les auberges modestes, les petites fermes et les fortins croisés tout au long du périple laissaient place à une cité entière dédiée à l'art militaire : Blame.
Seuls les convois obtenant grâce aux yeux des soldats de cette ville martiale accédaient à la capitale régente. Orsei gagnait autant avec ses Passeurs, que Raam avec le péage imposé par la Légion Rouge. Seulement, les Guerriers Whites méritaient ce salaire en donnant de leur personne, quand les soldats rouges se contentaient de tenir une position de chiens de garde. Dean ne trouvait pas cela équitable.
— Qu'ils empruntent la Route Royale ou la supposée « Compagnie Fluviale Royale », les convoyeurs transiteront toujours par un point militaire à Raam, souligna-t-il. Il y a un contingent de l'Armée de Maar à Fort-Grey, et le plus gros de la Légion Rouge est parqué à Blame. C'est pour s'épargner ces frais de péages au même titre que la longue traversée équestre de Maar, que certains marchands Orseians choisissent l'alternative maritime.
La Native, depuis Nacir, rejoignait le fleuve Alliance aux abords de la cité de Miry. Une fois à Izy, on lui préférait l'If qui coupait à travers la sauvagerie montagneuse des Vyrez et débouchait par l'estuaire d'Ezier sur la mer Valciréenne, qui ouvrait toutes les voies commerciales vers le reste du continent.
— Lorsqu'ils n'accostent pas à Ezier ou à Esa, poursuivit Dean, les bateaux qui veulent faire commerce avec Aram ont deux choix. Premièrement, mouiller au phare de Fort-Red. Et on sait tous qu'il s'agit d'un bastion de la Légion Rouge.
— C'est l'œil qui veille sur les entrées et sorties des navires dans les eaux territoriales maarianes, nuança Nigell. Il serait inepte de ne pas le protéger.
— Je n'en disconviens pas. Il n'empêche que de là, les convois empruntent la Route Royale pour rejoindre Fort-Grey, puis Blame, avant d'atteindre Aram. Pour s'épargner trois points de péages, l'alternative est de s'engager sur l'Alliance depuis Seav, jusqu'à jeter l'ancre à Fort-Grey. Quel que soit le cas de figure, on revient toujours à un point de péage militaire Red. Et vous vous étonnez que la route fluviale ne soit pas la plus prisée. Je persiste à dire que l'idée est intéressante mais non-vendeuse.
Les sénateurs avaient intérêt à mieux négocier l'affaire s'ils espéraient qu'il devienne client. Les trois hommes se dévisagèrent. Ils n'avaient pas encore abandonné et refusaient la possibilité d'être dans une impasse. Le roi comptait sur eux. L'avenir de Maar – de Raam – pesait sur leurs épaules.
— Le projet est de changer le château ancien de Fort-Grey en port officiel, exposa Julian. Ceux qui s'y acquitteront du droit de passage auront une exonération sur celui de Blame. Normalement, il ne devrait pas y avoir de « problème » pour lui donner cette nouvelle attribution portuaire.
Seulement, « problème » il y avait, comprit Dean. Cela impliquait de libérer des fonds pour la rénovation complète de ce vieux fort, à peine maintenu sur pied par la garnison de l'Armée de Maar qui y séjournait. En somme, le projet était louable mais requérait une banque pleine, qui faisait défaut à ses instigateurs. Ils avaient besoin d'investisseurs. Le gouverneur déduisit que le roi venait solliciter sa bourse. L'ambassadeur dut lire ses pensées sur son visage, puisqu'il objecta :
— L'intérêt de sa Majesté ne se porte pas sur votre richesse. Du moins, pas l'intérêt premier, admit-il comme Dean haussait un sourcil éloquent. Avant d'envisager de lancer cette opération et tout ce que cela implique en dépenses, il faut convainque le peuple. Le projet se heurte à sa méfiance.
On n'imposait plus les décrets et les lois ? nota Dean. Le Grand Red essaye-t-il de refaire une santé à sa réputation ?
— La méfiance du peuple ne devrait pas vous surprendre, opposa-t-il. Pour lui, ce n'est qu'une énième entourloupe de la royauté désirant encore et toujours se garnir les poches à son détriment.
— Vous parlez de chimères, Gouverneur, grogna Marius. Depuis l'arrivée du nouveau Grand Banquier, cette pratique n'a plus droit de cité à la cour.
— Que les petites gens donnent foi à des chimères importe peu, persifla Dean. Pour les Maarians, telle est la réalité.
Le roi Henri Rell avait changé sa cour en un repère de dignitaires s'emplissant bourses et panses sur le dos de la plèbe. L'opulence de la monarchie avait exaspéré le peuple de Maar. La province de Raam avait faim de changement, mais la situation n'était guère près de changer tant que la dynastie Rell détiendrait les rênes du pouvoir.
— J'espère ne pas vous informer de la mauvaise réputation de la cour Rell. Et ce n'est pas avec une « Compagnie Fluviale Royale » qu'elle redorera son blason.
Les trois hommes n'avaient eu de cesse de marteler ce « Compagnie Fluviale Royale » tel un mantra. Dean ne se départit pas de son sarcasme lorsqu'il révéla le nœud du problème :
— À votre avis, Messires, face à un tel nom, que verront les gens ?
Les dignitaires arrivèrent à la même conclusion : une énième propriété de sa Majesté.
— L'égocentrisme de la noblesse est un fait établi depuis des lustres, mais lorsqu'il nuit à ses propres intérêts, cela relève de la bêtise, asséna Dean, impitoyable. Vous êtes contraints de rebaptiser la compagnie pour espérer en « vendre » l'idée, enchaina-t-il sans leur laisser le temps de s'outrager. Une cargaison d'humilité pourrait éventuellement vous assurer une participation « réticente » des Maarians. Mais j'ai le sentiment de trop en demander...
Marius ne tint plus. Cet homme était comme tous les autres : gorgé de préjugés !
— Figurez-vous que l'Intendant Royal y a songé, dit-il avec hauteur. Il se serait lui-même chargé de convaincre le peuple, hélas, sa position lui interdit de quitter Aram à l'heure actuelle. Des affaires administratives et financières, qui dépassent certainement votre entendement, le retiennent. Chacune de ses décisions n'engage pas que sa responsabilité mais tout l'avenir de Maar. Là encore, comment pouvez-vous en savoir quelque chose, vous qui vivez en autarcie, loin des affaires...
Il ne finit pas sa diatribe enflammée, le regard glacial de Dean lui cloua le bec.
Une aura prédatrice, animale, sourdait du gouverneur. C'était d'autant plus impressionnant que celui-ci dépassait Marius d'une tête. Le sénateur se ratatina sur place. Ses confrères le maudirent. Quel manque d'esprit que de contrarier cet individu que même sa Majesté peinait à mettre au pas ! Nigell se racla la gorge.
— Le cahier des charges inclut le réaménagement des nombreux petits ports désorganisés qui pullulent le long du fleuve, dit-il d'un ton neutre.
Mieux valait nier l'existence de son confrère. Le gouverneur n'était plus fermé au dialogue, chose inespérée au regard de leur précédent accueil. Ils ne ruineraient pas tout à cause de la véhémence d'un fanatique qui s'oubliait lorsqu'il était question de défendre la monarchie actuelle. Redorer le blason de cette dernière ne se ferait que d'une seule manière : en œuvrant pour le peuple. Mais le paradoxe voulait que pour cela, il faille maitriser l'art de ménager l'ire des seigneurs qui géraient les terres et édictaient les lois. Nigell ne se leurrait pas, qu'on le veuille ou non, Dean Leblanc était un acteur de plus en plus puissant de la scène politique de Maar.
— Le voyage du... Notre voyage, se reprit-il, aura permis d'établir qu'en plus des petits ports, il sera nécessaire d'ériger des ports royaux rattachés aux villes d'Akkar et TarN. Je veux dire, de grands ports, rectifia-t-il. (Puisque « royal » était à proscrire de leur vocabulaire, autant s'y atteler maintenant.) Mais disons les choses sans fard, cela requiert une main d'œuvre qui, hélas, n'est pas très encline à mettre la main à la pâte.
La pauvreté de la trésorerie royale ne permettait pas de promettre une rémunération digne de ce nom. Et même si les citoyens œuvraient pour le bien du royaume, les payer avec l'immense gratitude du roi serait pris comme une insulte par un peuple en crise. Une reconnaissance, même éternelle, ne nourrissait pas son homme. Obtenir la participation de la populace exigeait de longues délibérations. Sans aide supplémentaire, le projet risquait d'avorter. Or la santé de Maar en dépendait. Mais comment l'exposer à cet homme sans révéler les failles de l'armure du Grand Red ?
Dean posa une fesse sur son bureau et adopta une posture nonchalante. Il avait décrété que le sénateur zélateur n'était pas digne de son ire. L'autre semblait plus pragmatique.
— Durant notre périple, des pourparlers ont été entamés avec les chefs de guildes et les dignitaires des villes et villages riverains, poursuivit Nigell.
— La tâche a échu au Premier Grand Conseiller Korgan, précisa Julian.
Plus conciliant que Jeff – jugé trop fourbe pour ce genre de mission qui requerrait de gagner la confiance d'autrui –, le Triumvir Korgan avait la tête de l'emploi.
Dean se redressa. S'il suivait bien, le Grand Red avait quitté le palais depuis bien plus de temps que la durée classique du trajet Aram-Nacir. Sans doute plusieurs lunes, afin de pouvoir mener à terme ces négociations. L'absence du Conseiller Korgan à Nacir impliquait qu'il poursuivait toujours les pourparlers ou qu'il était retourné à la capitale. Sacha Nuttingham avait donc effectué une partie de son voyage en compagnie de son époux.
Songer à la jeune femme le ramena à son récent empoisonnement. Il vérifia l'état de ses doigts et constata que les extrémités retrouvaient peu à peu une teinte normale. Il n'avait que trop subi la compagnie des Reds.
— Vous ferez part à la prima des bonnes nouvelles qu'elle rapportera à sa Majesté, déclara-t-il, narquois. J'apporterai ma contribution à ce projet. Les ports seront érigés et Fort-Grey remplira sa nouvelle fonction sans « problème ». À la charge d'Orsei reviennent le financement et la construction des frégates de cette flotte. Mais de grâce, rendez à Maar ce qui lui revient. « La Maariane » ira à merveille à cette Compagnie Fluviale Marchande.
L'aide qu'on attendait de lui n'était pas seulement financière. Le Grand Red comptait aussi utiliser sa popularité, et il était vrai qu'elle saurait accélérer les choses. Dean estimait donc que cela lui donnait le droit de baptiser le bébé. Si les sénateurs savaient où se situaient leur intérêt, ils ne lui disputeraient pas ce privilège acquis de façon cavalière. Les trois hommes eurent l'intelligence de saisir que la séance était levée.
Si avec ça, la prima ne lui exprimait pas sa gratitude, alors elle méritait l'ingratitude du peuple. Il avait une idée précise de comment « elle » pourrait lui témoigner sa reconnaissance...
Dean Lightfoot Leblanc ne s'était jamais réclamé de jouer dans les règles de l'art.
▧POINT HISTOIRE/ANECDOTE▧
Royaume : Minerya
Capitale : Jem
Habitants : Mineryan, Mineryane
Petit royaume nordique, enclavé entre l'est de Lima et le sud-ouest de Mô'Lar. Son économie est principalement basée sur la production et le commerce de gemmes, de minerais précieux, et des outils, ustensiles, bijoux, vêtements décorés de ces pierreries.
Minerya me vient de « minerai », que j'ai transformé en « mineria » avant de remplacer le second « i » par « y ».
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