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✚ I - L'homme derrière le seigneur ✚ 1/5

 🎵 Opening : The GazettE - The Invisible Wall

Edit du 05/11/2021

Chapitre I : L'homme derrière le seigneur (partie 1)◣

*

Province de Raam – Mégapole d'Aram, Colisée d'Oram

La clameur, assourdissante, s'éleva de la foule en liesse lorsque l'annonce retentit :

— Sa Majesté, Le Grand Red !

Zilyen tendit le cou en direction de la tribune royale. Pour sa plus grande joie, et au risque de contrarier le spectateur derrière, son père le porta sur ses larges épaules. Loti s'y refusait depuis qu'il jugeait son gamin assez grand, mais l'insolite de l'évènement méritait d'y déroger. Six années que le monarque ne daignait pas se présenter dans sa loge du Colisée d'Oram !

— La dernière fois qu'on l'a vu remonte à son avènement au trône, lança Loti par-dessus le flot de commentaires. Tu n'étais pas en âge de t'en souvenir, Zilyen.

— Dit-on que c'tait qu'un môme, quand il a pris la couronne, vot'roi, enchérit la femme à leur droite avec un fort accent.

Munie d'une longue-vue, elle étudiait les tribunes réservées à la noblesse. Zilyen s'en amusa. D'après Père, Svetlana espérait attirer l'attention d'un noble Maarian. Mais la Limane ne gagnerait que des ennuis lorsque le reflet du soleil dans la lentille de son appareil incommoderait un sénateur. Selon elle, à Lima, les dignitaires royaux vivaient reclus dans leurs domaines et ne se mêlaient pas au peuple lors de grands spectacles.

— Père dit qu'à seize ans, on est déjà un homme, rétorqua Zilyen. Notre roi en avait dix-neuf, à son investiture. Et moi, seulement quatre !

Son ton indigné égaya les adultes, dont l'attention ne quittait pas les loges supérieures, visibles depuis leurs gradins. Père obtenait toujours une bonne place, grâce à la situation aisée d'une partie de sa clientèle...

— T'es bien informé, mon grand, fit leur voisin de gauche.

...Et Igor en profitait. Père disait qu'Igor était un ami dont on subissait la compagnie.

— Ton père t'a-t-il aussi dit qu'à seize ans, on reste un homme « pas fini » ? (Il se pencha pour faire une confidence.) Paraît que le roi n'est pas aussi « homme » qu'on le croie.

Sourcils froncés, Zilyen peina à comprendre. Loti étouffa son rire dans un grognement réprobateur. Il n'accordait aucun crédit à ces racontars, bien qu'il les jugeât amusants. Des élucubrations, il en entendait tous les jours à son échoppe, quand il n'acheminait pas sa marchandise sur la Route Royale.

— À votre avis, c'était quoi la raison de sa désertion des loges, ces six dernières années ? demanda Igor.

— La rumeur court que les écuries de gladiateurs auraient mécontenté Le Grand Red, avança Loti.

Il n'y donnait pas foi, pas plus que ses voisins. Dans les rues d'Aram, on disait le roi occupé par des affaires importantes, ne lui laissant nul loisir de se divertir. Il n'empêche que son absence dans sa loge était un sujet d'inquiétude. Les Aramians, habitués aux apparitions publiques de la famille royale à l'époque du roi Henri, les percevaient comme une implication de la monarchie à la vie du peuple. L'absentéisme de sa Majesté actuelle nuisait à sa popularité déjà rachitique.

— C'est surtout qu'il est trop efféminé pour assister à des spectacles brutaux !

— Cesse de farcir la tête de mon gamin de sornettes, Igor, le rabroua Loti.

— Il est raffiné, pas efféminé, opposa Svetlana.

— Tu ne l'as jamais vu ! lança Igor. Par contre, pas besoin de le voir pour se douter que c'est une petite nature que la vue du sang insupporte. Pas comme notre Zilyen. Toi, t'es un vrai dur !

— C'est vrai que le roi est efféminé, Père ?

— Ceux qui ont eu la grâce de rencontrer Le Grand Red sont unanimes sur sa beauté... troublante, dit Loti, à défaut d'un qualificatif adéquat.

— Son allure oscille entre masculinité et féminité, déclama un homme devant eux.

Malgré sa capuche baissée bas sur son visage, le Barde restait identifiable à sa livrée de couleur mauve, typique des membres de sa Guilde.

— Le roi Andy Rell joue de cette ambigüité pour parvenir à ses fins, expliqua-t-il. Il sait séduire, charmer, mais à la manière d'un serpent. Car il vous étouffe de sa poigne constrictrice, une fois piégé entre ses anneaux ! siffla-t-il en resserrant la cheville de Zilyen d'un main calleuse.

Le garçon sursauta, un tantinet fasciné par le contraste de la peau laiteuse du Barde avec sa carnation d'ébène. L'itinérant releva la tête et lui fit un clin d'œil.

— Mais au-delà de sa sublime dangerosité, sa Majesté reste un spectacle pour les mirettes.

Spectacle auquel assisteraient bientôt les quelques vingt mille spectateurs venus à ce énième tournoi de gladiateurs. Ce jour-là, nombre de Maarians et d'étrangers virent Le Grand Red pour la première fois. Le souffle court, le cœur battant, les dignitaires des tribunes sénatoriales furent les premiers servis. Tous quittèrent leur siège.

Le Grand Conseiller Jeffrey se raidit. Rien n'avait présagé la venue du roi. Ce n'était pas faute de savoir sa propension sournoise à surprendre ses proches sujets. Il espérait sans doute les prendre sur le fait d'un délit... Ceux qui n'avaient pas leur conscience tranquille offraient un spectacle édifiant à leurs confrères. Il était périlleux de ne point maîtriser ses émotions en présence de ce régent versatile. Le jeune homme s'avança dans sa loge, traversant la haie d'honneur que lui firent ses suivantes.

— Qui sont ces femmes ? s'enquit Svetlana.

— Les fameuses Prêtresses du Culte de Vestis, lui apprit le Barde d'un ton adorateur.

Le scepticisme de Svetlana céda à l'étonnement lorsque Loti confirma.

— D'où j'viens, y'a que les hommes qui officient l'culte des Quatre. Et une femme au service divin s'montre jamais aussi dénudée !

— Je plains les hommes de Lima, railla Igor. Vos femmes sont trop couvertes, même par temps chaud. Mais je t'accorde que celles-ci n'ont de « divin » que leur titre. Elles passent plus pour des courtisanes que des prêtresses.

— Pourquoi ça ? demanda Zilyen.

Refusant à Igor un exposé fallacieux, Loti instruisit son fils. Il était encore heureux qu'Igor n'ait pas employé son habituel « catins royales » pour désigner les prêtresses. Son ami bourru n'était pas assez stupide pour insulter les Ointes à portée de vue... et sans doute d'oreilles.

— Dans le passé, ces femmes officiaient dès leur plus jeune âge dans l'un des temples de la Tour Blanche, dont la toiture nous éblouit quand on lève les yeux depuis la Place du Marché. Leurs prières sont censés apporter paix, fertilité et fécondité à tout le royaume.

On assimilait Vestis, l'une des divinités du Quatuor Élémentaire, à la Terre. Zilyen avait appris de sa mère qu'elle était la déesse de l'abondance, de la prospérité, du faste, et parait-il de la beauté des femmes. Selon Mère, l'existence des laideronnes parlait des limites de la clémence de Vestis envers la gent féminine. Mère disait aussi que seul un naïf croirait en l'infini de la clémence des dieux.

— Leur pureté d'âme a été reléguée aux archives, au profit de leur physique envoûtant, intervint Igor. Quant à leur chasteté, elle appartient désormais à l'histoire. Mais efféminé comme il est, je doute que Le Grand Red ait quelque chose à voir avec leur défloraison.

Loti ravala un soupir. Il évitait si possible de médire du Grand Red. Côtoyer les langues calomnieuses nuisait à cet effort. En accédant au pouvoir, Le Grand Red avait en effet modifié les critères d'éligibilité des prêtresses. L'Ordre clérical avait manifesté son mécontentement. Jusqu'à ce que ses membres fussent priés de prendre congé, sous peine d'y être contraints les pieds en avant. Loti attestait de la fiabilité de ces informations, l'un des avantages à approvisionner autant la plèbe que la noblesse en denrées cosmétiques.

— Sa Majesté Red a fait des Prêtresses Vestis une petite garnison de beauté, qui l'accompagne à chacune de ses sorties officielles, dit le Barde. C'est pour le moins impressionnant de voir seize belles femmes flanquer une magnifique aberration de la nature. Il paraît que le roi sait se fondre parmi elles, aidé d'un travestissement et d'une teinture pour sa chevelure sanguine.

— Ha ! efféminé, je vous dis, pointa Igor.

— S'il s'amuse à tromper l'assistance et les plus crédules, fit le Barde à l'intention d'Igor, le but premier de ce subterfuge est de décourager d'éventuels assassins. Les Prêtresses Vestis ont été détournées de leur culte pour lui servir de doublures.

— Et d'espionnes, glissa Loti d'un ton d'avertissement à son ami.

Armes redoutables, elles usaient de leurs charmes mystiques et tiraient les vers du nez des comploteurs. Le bruit courait qu'elles avaient soutiré du prince Dorien l'aveu de sa tentative d'assassinat du roi, avec la complicité de son homme-lige, Sloan. Depuis sa fuite, une prime était promise à qui ramènerait son Altesse puînée au palais.

— On se méfie d'elles au palais, révéla Loti. Mais elles sont formées pour endormir défiances et vigilances. Vu sa facilité à revêtir l'identité de l'une d'elles, Le Grand Red n'en est que plus craint.

La tension, à son comble dans les loges de la noblesse, corroborait ce fait.

— Andy ?

Red dévisagea le hardi l'ayant apostrophé de manière si familière. En réponse à l'avertissement silencieux, le Grand Conseiller Jeffrey arbora un sourire charmeur.

— Que nous vaut l'honneur de votre si gracieuse présence, Majesté ?

— Jeff... Je vois que tu chauffais mon siège.

— Voilà plus de cinq ans qu'il se languit d'un royal fessier. Quelqu'un se devait de combler cette solitude, Majesté.

La moue boudeuse de Red trahit plutôt une bonne humeur. Autrement, cette effronterie aurait valu à Jeff une remontrance. Cela étant, seul un membre du Triumvirat pouvait se permettre un langage léger avec sa Majesté. Personne d'autre ne s'y risquait, à moins de vouloir écourter sa carrière, voire pire.

— Ma royale engeance s'ennuyait. Aussi a-t-elle décidé de mettre le nez dehors.

— Ainsi vêtu ? s'enquit Jeff, un brin consterné.

Aveugle à son sentiment, Red tourna sur lui-même, ravi. Le vent joua dans les volants de sa tenue, comme son apparition laissait un peuple pantois.

— Tu aimes ? Will l'a spécialement conçu pour moi. Il me fallait un prétexte pour l'inaugurer.

Un large ceinturon de pierres précieuses embrassait sa taille et resserrait son caftan de soie rouge corail brodée d'or. Le vêtement affinait sa silhouette gracile et couvrait son bras gauche d'une longue manche vaporeuse. De son épaule droite à son coude, les circonvolutions d'un bracelet d'or blanc contrastaient avec son teint halé. Une broche en rubis, au sommet de son crâne, empêchait le vent de totalement emmêler sa longue crinière.

Il voudrait passer pour la prima Vestis – la plus belle des prêtresses –, il ne s'y prendrait pas autrement. Jeff retint un soupir d'impatience. Le peuple s'attendait à voir un roi, pas une créature disant une ode à la féminité ! Pourquoi Red bafouait-il l'importance de ces situations ? Rendre solennelle sa première apparition publique, devant autant de monde et depuis tant d'années, aurait été la moindre des choses. Au lieu de quoi, l'on devait sa présence à un prétexte pour déambuler dans ses nouveaux atours... Tant de frivolité était sidérante !

— Majesté, Will conçoit toujours des tenues « spécialement » pour vous, souligna Jeff, las. Le peuple attend que vous lanciez les jeux.

Avec curiosité, Red se rapprocha de la balustrade en marbre, richement décorée de relief en stuc. Ses souvenirs de l'arène remontaient au vivant de sa génitrice. Il traînait dans ses jupons à cause du refus d'intégration de ses frères. Damien, l'aîné, était tout le temps fourré avec Dorien. Les jumeaux Dilan et David l'excluaient de leur bulle. Et Père le reléguait à la suite de Mère, parce qu'il n'était pas un fils que l'on exhibait au public.

Ce même public l'avait terrifié à l'époque. Il ne saurait le mettre sur le compte d'une phobie de la foule ou d'une peur de la hauteur. Aujourd'hui, il était roi en cette ruche, et Mère n'était plus là pour le voir. Pour être fier de lui. « Tu verras, mon ange, disait-elle, ils t'aduleront ! »

Red leva les mains, incitant le peuple à élever la voix. La réponse fut immédiate. Mère avait eu raison et tort. Ce n'est pas moi qu'ils adulent, mais mon titre. Et le souvenir de la reine à travers mon aspect physique. Il baissa les mains. La clameur s'étouffa, le cédant à un silence sourd. Tout sourire, il demanda tel un ventriloque :

— Quel est le discours ?

— Bon sang, Red, tu es pénible, murmura Jeff.

— Dépêche-toi de jouer les souffleurs, ma mâchoire s'expose à une crampe !

— Improvise. Ils n'en ont que faire, du moment que les jeux sont rapidement lancés.

— Parfait, j'ai les longs discours en horreur.

— Je te rassure, le peuple aussi.

— Avant cela, qui fait combattre ses gladiateurs aujourd'hui ? demanda Red à la volée.

On lui apprit que la réputée écurie Kanon les divertirait de ses meilleurs combattants. Elle affrontait l'écurie Gilano. Pas un chien ni un chat ignorait la rivalité de ces maîtres gladiateurs. Fort de ces informations, le roi lança les jeux. Pourtant, il aurait pu prendre son temps. Le spectacle qu'il offrait fascinait suffisamment pour ne pas céder à l'ennui ou l'impatience.

— Je n'ai jamais vu une chevelure aussi longue chez un noble ! souffla Zilyen, subjugué. Pourquoi la teint-il ?

— Ce roux éclatant est sa couleur naturelle, fiston. Il est le portrait craché de la défunte reine.

Loti, à l'instar des Maarians qui se souvenaient de la reine Tina, jurerait en voir la réincarnation, à quelques subtilités près. La grâce avec laquelle le monarque ramenait derrière une oreille un paquet de mèches sanguines balayées par le vent, son autre main délicatement posée sur le marbre froid, constituaient les ingrédients d'un philtre de charme. L'audience semblait conquise, jusqu'à ce que le doute s'exprime.

— Et on veut qu'avec ces manières si délicates, il soit le Tueur Écarlate, murmura Loti par devers lui.

Quelle était la part de véracité de cette rumeur ?

— Vous êtes certains que vot'roi, là, c'est un homme ? s'enquit Svetlana.

Elle affichait le scepticisme de nombre de cœurs admirant le souverain pour la première fois. Malgré une voix masculine, difficile de qualifier cette curieuse beauté de « mâle ».

— À mon avis, les bruits de bazar servent à masquer la réalité au peuple, grommela Igor d'un air entendu.

— Quelle réalité ?

— Celle qui te saute aux yeux, Loti. Le Grand Red est une Grande Red !

Le Barde ricana, comme le monde autour d'eux abondait dans le sens d'Igor.

— Voilà qui expliquerait bien des choses, comme tout ce mystère autour de sa personne, remarqua-t-il. Mais Maar n'autorise pas le règne des femmes. Le trône n'échoit qu'aux hommes.

— Raison de plus de déguiser le fait que le roi Henri Rell a eu une fille ! opposa Igor, tenace. C'est un secret pour personne, le « prince » Andy a grandi au gynécée du palais de Rubis !

Chez ceux qui savaient de quoi il retournait régnait une autre forme d'agitation. La noblesse, en proie à un malaise, ne parvenait pas à deviner la raison véritable de la présence du roi. Jamais Red ne s'était mêlé à ses dignitaires auparavant.

Pour de nombreux sénateurs, leur seigneur restait un parfait étranger. Du jour au lendemain, le jeune homme quittait le quartier résidentiel de la reine et s'établissait à la tête du royaume. Depuis six années, il jouait ce rôle d'icône inaccessible. Du sommet des marches de marbre noir menant au trône, le roi Andy observait le Sénat, dont chaque membre représentait un pion sur son échiquier, ou un insecte de son étude scientifique. Il les défiait de ne pas devenir ces nuisibles qu'il mettrait au rebut une fois lassé.

Trop souvent, il arrivait qu'il se présentât à l'audience voilé de rouge de la tête aux pieds. Certains fonctionnaires royaux, récemment entrés en service, ne l'avaient encore jamais vu à découvert. Quand lui prenait cette lubie, il était avisé de ne pas le pousser à se découvrir le visage. Le responsable ne s'en remettait pas.

D'aucuns, à la Cour, se demandaient parfois s'il ne se trouvait pas une Prêtresse Vestis sous le voilage. Parce qu'il pouvait rester immobile durant la session des doléances, sans piper mot, s'exprimant par légers signes de tête à l'un des Triumvirs. À force, le sénat avait le sentiment que les Grands Conseillers Jeffrey, Jay et Korgan régnaient à sa place. Le sentiment gagnait la plèbe.

— Y'en a qui disent, commença Igor sur le ton de la confidence, que le Grand Red n'est qu'un magnifique pantin utilisé en trompe l'œil par Jeff Le Sournois.

Le Triumvir Jeffrey Scott avait acquis cette réputation de sournoiserie, parce qu'il s'arrogeait les sièges royaux en l'absence de leur propriétaire. Au bout de cinq ans, le peuple s'était habitué à le voir occuper la loge de sa Majesté.

— Ça tombe sous l'sens, si L'Grand Red est une femme, entérina Svetlana. Je l'trouve plein de charisme, vot'Grand Conseiller. Et bel homme. Il a une aura royale. Je n'dirais pas non à ce brun mystérieux, comme roi.

— On a compris, tu ne diras pas non à chauffer sa couche. Dommage pour toi, il ne regarde pas les laideronnes.

— Le Sénat aussi n'est pas dérangé par l'autorité du Grand Conseiller en second, avança Loti, tuant le conflit de ses deux voisins. Il n'empêche, sa majesté Andy Rell reste une énigme un peu effrayante.

Ne dérogeant pas à sa nature énigmatique, Red prit donc part aux jeux. Il applaudit les gladiateurs méritants, se leva afin d'honorer quelques guerriers, commenta – telle une vieille commère repue de combats virils – les prouesses des uns et la technicité des autres, et acheva de faire rougir les épouses de ses dignitaires par ses remarques coquines sur le physique de dieux vivants des concurrents.

L'entendre rire de la balourdise de quelques gladiateurs se révéla une expérience déstabilisante, tant le rire cristallin du roi relevait du mythe. Les sénateurs en vinrent à se demander ce qu'il avait bu pour se comporter ainsi. Lorsque le silence s'établit soudain du côté de Red, Jeff s'en inquiéta.

— Majesté ?

— À qui sont ces gladiateurs ?

Dans l'arène, se tenaient cinq malabars, attendant leurs adversaires de pied ferme : quatre guerriers géants de part et d'autre d'un spécimen fluet, au physique nerveux et de taille moyenne. La sveltesse de ce dernier ne l'exemptait cependant pas d'une belle musculature.

— Vous avez affaire à l'unité d'élite de l'écurie Kanon, Majesté, lui apprit Jeff.

— Je les veux, décréta-t-il.

— Mais..., gémit un homme, un niveau plus bas.

La plainte, noyée dans la clameur de la foule, parvint tout de même à Red.

— Qui ai-je entendu ?

Le silence de mort des tribunes nobles trancha brusquement avec l'excitation du peuple. Red perdit patience.

— J'exige...

— Sa Majesté, Le Grand Red, a posé une question, asséna Jeff d'un ton dur mais calme.

Mieux valait éviter que le couvercle de la bouilloire royale ne saute de colère.

— Eh bien..., se risqua un dignitaire, il y a foule ici, votre Majesté.

— Tu espères ne pas être désobligeant en soulignant cette évidence, Sénateur Marius ?

L'homme blêmit. Red soupira. Il n'obtiendrait pas sa réponse de cette façon.

— J'ai entendu une protestation, ou une supplique. J'en déduis que le mécène de l'écurie Kanon est parmi nous. Qu'il se manifeste donc ! encouragea-t-il.

Aujourd'hui, il était de bonne humeur. On pouvait desserrer les fesses et les lèvres.

— C'est moi... Majesté. Solomon Rozès, votre humble serviteur.

Sa femme posa une main sur son avant-bras, anxieuse, et retint son souffle. Red nota son geste.

— Après les jeux, me ferez-vous l'honneur d'une visite de votre écurie ?

— Tout l'honneur sera mien, votre Majesté, souffla Solomon.

Il ne sut s'il devait exprimer sa joie ou sa crainte d'avoir attiré l'attention de ladite Majesté. En général, il n'était pas de bon aloi qu'un dangereux prédateur s'intéresse à votre personne. Or Le Grand Red en était un. Surtout lorsqu'il vous regardait de ces yeux convoiteurs.

Ce jour-là, les Rozès inspirèrent la pitié. Les autres dignitaires furent fort aise de n'avoir pas suscité l'intérêt du monarque. Dans la majorité des cours, courtisans et courtisanes aspiraient à gagner les faveurs du roi. Sa Majesté Andy tendait à rendre ce désir funeste.

*

Province de Raam – Mégapole d'Aram, place du marché

Les jeux finis – sur une victoire écrasante de l'écurie Kanon –, le roi, accompagné des seize prêtresses, du Grand Conseiller Jeffrey et de l'escorte des Rozès, se rendit chez ces derniers.

— J'ai créé l'écurie à la demande de Céline, mon épouse. Elle a un faible pour les paris et, ma foi, les combats de gladiateurs restent un moyen honorable de se faire du bénéfice, expliqua Solomon, un tantinet perturbé par l'étrange beauté de son royal interlocuteur.

— Sans compter la notoriété publique, avança Red, intéressé.

— Sans compter la popularité.

L'homme n'en revenait toujours pas de discuter avec sa Majesté en personne. Sa suite et lui avaient reçu l'ordre de ne pas la nommer par un titre susceptible de révéler son identité.

— J'aime votre franchise, Rozès.

— Vous m'en voyez plus qu'honoré.

— C'est surtout qu'il n'a pas d'autre choix que d'opiner à toutes tes assertions, marmonna Jeff à l'intention de Red.

Celui-ci lui servit une expression innocente. Jeff marqua presque un mouvement de recul. Un Red de cette humeur cachait forcément quelque chose.

— Vas-tu me dire ce que tu traficotes ou dois-je continuer à spéculer ? Tu n'as même pas voulu prendre de calèche.

— Il n'y a rien à spéculer, Jeff. Ma jolie peau a besoin d'un bain de soleil. Rassure-toi, je suis en sécurité. Un éventuel assassin sera trop envouté par ma beauté pour tenter quoi que ce soit.

— Si tu le dis, marmonna Jeff.

Sa Majesté avait décidé de faire confiance en sa bonne étoile en se rendant à l'écurie Kanon à pied. Mais Jeff ne pouvait s'adonner en toute sérénité à la promenade. Avec la recrudescence des partisans de la dynastie White, les émeutiers se montraient hardis. Ce désordre profitait aux espions des royaumes voisins, et pour un assassin, une telle escapade était une aubaine.

Les Prêtresses Vestis constituaient une garde rapprochée efficace au sein du domaine royal. Elles seraient submergées en cas d'attaque sur la place du marché. Il ne restait plus qu'à espérer que la féminité apparente du roi fasse illusion jusqu'au bout. La présence de patrouilles de gardes, reconnaissables à leur demi-cape sombre aux galons rouge garance, aurait été rassurante si ces derniers se doutaient que le souverain Maarian évoluait au milieu des étals.

— J'ai toujours été fasciné par ce grand bazar, dit Red, dont le regard peinait à décider sur quoi s'arrêter. Enfant, j'y voyais la preuve de l'étendue du monde. C'est toujours le cas. C'est enchanteur, ces origines hétéroclites rassemblées sur cette esplanade. Rencontrer au même endroit toutes ces carnations différentes, toutes ces couleurs de cheveux... Cela donne envie d'aller à la découverte de leur culture, à défaut de leur contrée.

— Tout le monde n'a pas l'âme aventureuse, remarqua Jeff. Il y en a qui sont heureux de leur sédentarisme.

— C'est d'un triste. Quand les étrangers baragouinent leur maarian pour marchander, je me surprends à vouloir les entendre s'exprimer librement, sans la contrainte de la traduction.

— L'avantage de maitriser une langue dans laquelle tâtonne le commerçant est de mieux négocier les prix, dit Dame Rozès.

— Mieux l'escroquer, vous voulez dire ?

— Non...

La voyant blêmir, Jeff se dit qu'il était trop tôt pour qu'elle saisisse les jeux d'esprit ou l'humour pince-sans-rire de son roi.

— Pour ma part, j'estime que c'est un juste retour des choses, dit-il. Un bon commerçant est par essence un escroqueur.

— Un négociateur, rectifia Red en claquant la langue contre son palais. C'est un manque d'usage envers le métier que d'assimiler le marchandage à de la filouterie. L'exercice est amusant et requiert de la finesse. Mère disait que pour certaines peuplades, le marchandage est une coutume soumise à des règles dont tout l'intérêt est de les contourner.

— Ce qui s'appelle de l'escroquerie, statua Jeff.

— Je suis sûr que tu es le seul de cet avis.

Naturellement, Solomon, son épouse et le reste de la suite abondèrent dans le sens du roi. Jeff savait que la reine Tina avait un caractère filou, qu'elle avait su dissimuler derrière sa grâce ensorcelante. Red vénérait trop sa génitrice pour l'admettre, et en homme avisé, le Second Conseiller ne débattrait pas de ce sujet sensible.

Il était vrai que la reine se plaisait à discutailler des prix des articles qu'elle s'offrait. Lorsqu'elle gagnait une joute honorable avec un marchand opiniâtre, ce dernier en repartait heureux. Elle se montrait triplement généreuse au moment de régler, récompensant ainsi le commerçant de s'être avéré bon adversaire. Comment avait fonctionné cette femme restait encore un mystère pour Jeff. De la même manière, elle avait mené ses alliances politiques dans l'ombre, au nez et à la barbe du roi son époux.

Bien des commerçants avaient été abasourdis de réaliser qu'ils échangeaient à leur insu avec la souveraine. Dans son espièglerie, elle se déguisait en servante et présentait son dernier-né comme sa fille. Rien d'étonnant à ce que ce fils ait développé ce penchant du travestissement.

Le jeune Andy n'y voyait aucun inconvénient du moment qu'il accompagnait sa mère. Tandis que sa génitrice conversait chaleureusement avec les itinérants, lui s'imaginait vivre des épopées à travers les échoppes. Sous les auvents, derrière des paravents, s'ouvrait un monde aux milles merveilles, de soie, de lin, de laine, de coton, de couleurs bigarrées, unies ou moirées. Il ne savait pas toujours si le voile suspendu à la tonnelle qui protégeait du soleil un achalandage révèlerait un univers de fourrures chaudes, de tissus nobles, de textiles fluides, lourds, rêches ou doux.

Aujourd'hui encore, le chant des rideaux de perles de bois, à l'entrée des comptoirs du quartier de l'artisanat, lui était agréable. Là s'étirait une procession d'ateliers tels des baraques d'une petite cité du savoir-faire. On allait de la boutique de l'orfèvre à celle du serrurier, du parfumeur au fabricant de savon, de la tresseuse de paniers au tanneur en passant par le cordonnier.

L'odeur du cuir neuf, ciré, les effluves de peaux parfois agressifs, rassuraient Red. Il reconnut celle caractéristique du cuir de skeyf, que l'on disait le plus résistant et, de ce fait, le plus noble. Red crut retrouver son âme d'enfant quand lui parvint le fumet appétant des pâtisseries, de l'autre côté du canal séparant le secteur de l'artisanat de celui réservé aux denrées comestibles.

Il savait qu'au détour des présentoirs de sucrerie, des étals de fruits muris par le soleil mêlaient leur parfum aux exhalaisons du flot grouillant, transpirant, se protégeant ou non d'une ombrelle, de servants et de valetaille choisissant avec soin les ingrédients du repas ou festin organisé par les seigneurs, des épouses, pères de famille, sœurs et frères, venus se procurer de quoi nourrir les leurs. Que ce soit en le payant ou en le dérobant.

Le lieu était saturé de couleurs et d'arômes. À l'époque, il se trouvait toujours une vendeuse pour lui offrir un fruit, ravie de faire plaisir à une jolie petite noble. Red souriait et se gardait bien de souligner la méprise. Il avait été heureux. Ces souvenirs avaient une saveur douce-amère aujourd'hui. Mais l'esprit de la place du marché n'avait pas changé.

Les petits négoces arboraient de nouvelles couleurs ; il y avait plus d'éventaires que par le passé ; l'ombre des figuiers, plantés par paires le long des allées qui rayonnaient de la place centrale, était plus grande ; mais le mouvement, le rythme, la musique du marché restaient les mêmes.

Le staccato des sabots d'un coursier de la poste, qui traversait à vive allure l'avenue parallèle au canal ; le trafic des charrettes dont les roues cahotaient sur les dalles, chargées de vivres et de la poussière de la campagne ; les porteurs à l'arrêt, hurlant après le chariot qui gênait le passage ; les cris noyés dans les hennissements, braiements et beuglements d'animaux ; le vol des pigeons au-dessus des terrasses de salons de thé, en dessous desquels les marchands de fleurs tenaient boutique.

Vieux et jeunes racolaient à qui mieux mieux, chacun vantant une qualité que ne possédait pas son voisin. Des enfants se faufilaient entre les clients, qui rapportant une commission, qui allégeant de leurs bourses quelques propriétaires distraits, qui jouant à la balle, qui sautillant entre les veinules des margelles des caniveaux gorgées de coulées de liquide sucré attirant les abeilles, ou de sang attirant les mouches.

Red s'égaya comme jadis devant l'étalage d'un marchand de sables. Il y en avait de toutes les couleurs. Les plus remarquables étaient le noir authentique des déserts de Sandres, le blanc éclatant originaire d'Askheron, le rouge et le jaune flamboyant des carrières des Vyrez, et assurément le bleu azur résultant d'un excès d'azurite extrait des mines de Minerya.

Au loin, les citernes d'eau scintillaient au soleil. Mais leur éclat était pâlot à côté des toits sphériques des quatre temples de la Tour Blanche du palais, visibles où que l'on soit sur le marché. Par ciel dégagé, la réverbération sur les coupoles de verre dans leur armature de métal aveuglait, lorsqu'on commettait l'imprudence de les contempler plusieurs secondes. On saisissait mieux leur beauté par temps couvert.

Mais ce jour-là, la chaleur justifiait que les vendeurs de boissons soient pris d'assaut. Il y avait moins de monde sous le grand tamarinier planté au milieu de la place, où se tassaient habituellement un troupeau de badauds venus assister au spectacle de quelque saltimbanque.

À ce même endroit, Red avait rencontré Owlz. Il n'avait pas eu conscience alors de sa grâce. Croiser la route de ce Barde dont la renommée s'étendait sur tout le continent s'apparentait à tomber sur un trèfle à quatre feuilles. Étrange personnage et très demandé, Owlz n'aurait dû officier que dans les cours les plus fastueuses, mais l'homme avait la réputation de dénigrer la noblesse qui ne l'en désirait que plus.

Devenu roi, Red ne pouvait plus s'adonner à ce genre de loisir. Accéder au trône s'accompagnait non seulement de responsabilités, mais surtout de risques, dont celui de se faire assassiner. Les milices contestatrices se réjouiraient qu'il succombe à un « accident » sur la place publique. Ne comptant pas leur donner ce plaisir, Red évoluait le plus souvent entre les murs de son palais. Aujourd'hui était exceptionnel. Il avait rendez-vous avec sa destinée à l'extérieur de sa cage dorée.

— Il est beau, ce tissu, remarqua-t-il.

La brillance et la noblesse de la soie mauve avaient séduit son œil. Il refusa à Jeff le droit de la lui apporter, s'approchant de l'échoppe.

— Magnifique soie venue de Sandres, vanta la marchande. Très beau pour vous. Votre peau sublime, ma noble dame.

— Merci. Vous n'êtes pas d'ici, dit-il à titre rhétorique. D'où venez-vous ?

— De Sulze, ma... euh...

La jeune femme battit des paupières, interloquée par la voix masculine de celui qu'elle avait pris pour une belle dame. Red lui sourit, indulgent.

— Appelez-moi comme bon vous semble. Cela m'amuse, au fond, fit-il avec un clin d'œil pour le plaisir de la voir s'empourprer. Sulze, répéta-t-il songeur. La capitale de Sandres n'est pas la porte à côté. Vous avez fait le voyage seule jusqu'ici ?

Il avait noté qu'elle n'avait aucune aide. À moins que celle-ci effectue une course. En général, les commerçantes avaient une ou deux suivantes ou des apprentis, voire des enfants les aidant dans leur métier. Sinon, elles accompagnaient leur époux. Le commerce était plutôt affaire de famille dans le royaume.

— Non, pas venir seule. Passeurs aider moi et ma sœur depuis Orsei.

— Vous avez traversé tout Maar ? s'étonna Red, envieux.

— Oui, très bons Passeurs à Orsei. Guerriers Whites protéger cargaison des brigands.

— Je dois les remercier dans ce cas. Sans eux, je n'aurais probablement pas eu le loisir de m'offrir cette magnifique étoffe. Pourrais-je avoir tout le rouleau ?

— Tout le rouleau ? répéta-t-elle, ses grands yeux incrédules.

Cela faisait dans les cent mètres de soie ! Elle haussa finalement les épaules. Vu l'allure de l'homme et son impressionnante escorte, nul doute qu'il s'agissait d'une personnalité excentrique, riche et puissante. L'occasion de faire une belle affaire.

— Six-mille-cinq-cents maarks, Messire.

Red allait demander à Jeff de s'en charger, quand la moue renfrognée de Dame Rozès l'arrêta. Il toisa la marchande.

— Ce prix est-il raisonnable ?

— Si fait, Messire, rétorqua-t-elle sans hésiter.

Si elle voulait le rouler, Red n'en saurait rien. Elle ne répondrait certainement pas « non » à sa question. De toute façon, peu importait le prix ; même déraisonnable, il aurait son gigantesque rouleau de soie. Will en sortirait un chef-d'œuvre. Il ne chicanerait pas pour quelques milliers de maarks, il était roi, pardi !

Seulement, il exécrait par-dessus tout être pris pour une dupe. Bien des hommes avaient essayé, certains n'étaient plus là pour attester de la jobarderie ou non de sa Majesté. Cette femme savait-elle à quoi elle s'exposait ? En même temps, comment s'en douterait-elle ? Ce serait injuste de lui en vouloir. Il choisit de laisser couler, mais l'épouse de Solomon intervint :

— C'est un prix inacceptable, même pour un rouleau de cette taille. Comment osez-vous croire que vous pouvez voler sa...

Un regard de Red et Jeff la fit taire d'un geste abrupt de la main. Les instructions avaient été claires quant au silence sur son identité. De plus, savoir rester à sa place était un signe d'intelligence. Red avait en horreur ces gens qui se ne se sentaient plus en partageant la compagnie du roi.

Qu'on l'ait vu au Colisée d'Oram aujourd'hui ne signifiait pas qu'on était capable de le reconnaître au premier coup d'œil. Le bazar ne jouxtait pas l'amphithéâtre, sans compter qu'il discutait avec une étrangère. Comme la commerçante, la plupart ne verrait qu'une grande femme de la noblesse entourée de sa suite. La Sandriane campa sur ses positions avec l'assurance que conférait la franchise, persuadée d'être dans son bon droit en défendant ce prix.

— Moi pouvoir baisser à six-mille-quatre-cents, grand minimum. Sinon perte. Taxes trop chères ici. Mais vraiment très bon tissu pour vous, Messire. Trouver pas mieux pour votre jolie peau. Pas obligé prendre tout rouleau. Offrir vous cadeau de çui-ci, dit-elle en choisissant un petit rouleau de tissu écarlate. Aller bien avec vos cheveux de feu. Si on être Orsei ici, moi dire quatre-mille-cinq-cents, Messire.

— Ah oui ? Et pourquoi cela ?

Elle le dévisagea, perplexe. De toute évidence, elle ne comprenait pas l'étonnement de son client.

— Tout le monde savoir que là-bas, taxes pas chers du tout ! Si moi épouser Orseian, taxes s'alléger encore.

Cette fois, la perplexité fut le lot de Red qui dévisagea Jeff. Les taxes maarianes fluctuaient non seulement en fonction des provinces, mais aussi du statut marital et de l'origine étrangère ? Quelle était cette absurdité ?

— Votre... seigneurie, commença Jeff avec réserve, il semble que la conjoncture politique fasse...

— L'incertitude de cette réponse m'insupporte, Jeffrey, le coupa-t-il, agacé. J'en veux une précise, comme celle de la dame, ajouta-t-il avec tempérance lorsque son conseiller se tendit. Pourquoi ce fossé entre les taxes d'Orsei et de Raam ?

Jeff fut bien embarrassé pour répondre. Il ne pouvait décemment pas discourir sur le système des taxes et impôts là, sur commande, sur la place du marché, en présence d'un maître d'écurie, son épouse et leur suite. Le regard qu'il lança à Red fit passer le message. Ce n'était que partie remise. La marchande lui vint un peu en aide.

— Messire, venir ici être de plus en plus dangereux. Mais nous venir quand même, parce que très bons clients apprécier produits que nous vendre.

— Dites plutôt qu'ils ont de grosses bourses, souligna Red, amusé.

— Moi pas vouloir manquer de respect.

Sa soudaine timidité ne masqua pas son sarcasme. Le roi ordonna :

— Parle, je t'écoute.

Son ton autoritaire parvint à rester engageant. Elle avait tout l'air d'une pie qui se ferait un plaisir de l'instruire sur les réalités de son royaume. Non que vivre reclus au palais de Rubis lui donne une conception utopique du monde, mais il gérait les choses tellement à distance qu'elles lui semblaient quelquefois abstraites. Tant qu'elle ignorait s'adresser si familièrement au roi, la vendeuse aurait la langue moins engourdie de déférence et de crainte.

— Guilde des Passeurs demander prix fort si cargaison être précieuse, ou très populaire chez les riches. Comme çui-ci, fit-elle en englobant sa boutique d'un geste. Parce que Allégeurs pas hésiter à tuer pour voler. Ensuite, quitter Orsei demander longue préparation à l'avance, parce que forêt et rivières à traverser, et beaucoup maladies. Donc Guilde des Médicures envoyer aussi ses gens. Et Médicure pas gratuit. Après, ville de Blame demander droit de passage pour atteindre grande ville d'ici, et péage pas donné. Sinon militaires refuser de laisser passer. Et enfin, ajouter taxe de la capitale, et ça donner six-mille-cinq-cents maarks pour grand rouleau de soie. Mais vraiment très belle soie. Soie de princes et princesses, Messire.

— Je vous crois. Je vous le prends à sept-mille, ainsi que celui que vous m'offrez. Mettez cela sur le compte de votre franchise et vos beaux yeux.

Elle s'empourpra, radieuse.

— Messire être trop bon !

Red chargea Jeff de gérer l'affaire et revint à ses futurs hôtes, tout sourire.

— Si nous y allions ?

Les épaules du couple Rozès s'affaissèrent de soulagement. La bourde de madame était oubliée. Mais ils déchantèrent vite de s'être sorti de la tête que sa Majesté ne se déplaçait pas pour souper avec eux. Il venait les déposséder de leur bien le plus précieux.


POINT HISTOIRE

Vous trouverez ici des anecdotes ou une explication des méandres de mon inspiration. Si vous n'en êtes pas adeptes ou si vous craignez le spoil, passez directement à la suite. ^_^

►Onomastique

Royaume : Maar - Capitale : Aram - Province nord : Raam
Ces trois noms sont des anagrammes. Je voulais aussi que ça rentre dans la même "famille toponymique" qu'Oram. Aram/Oram... Certains n'en seront pas friands, mais c'est devenu une sorte de marque de fabrique de l'univers "Hot Chili et apparentés".

►Nationalité/gentilé

Pour les nationalités, je rajoute les particules "ian", si le nom de la contrée finit par une consonne, "an", s'il se termine par "y" ou une voyelle autre que "a", auquel cas seul "n" est ajouté. Le féminin est simplement obtenu avec un "e", sans doubler le "n".
Ex : Maar > Maarian, Maariane / Aram > Aramian / Nores > Noresian, Noresiane / Pizê > Pizêan / Orsei > Orseian, Orseiane / Lima > Liman, Limane.

Exceptions : (bah oui, que serait une règle sans ses exceptions ?)
1) Les noms se terminant par "on" voient leur "on" final remplacé par "an"
Ex : Askheron > Askheran, Askherane

2) Sandres > Sandrian et non Sandresian. Parce que Sandres me vient de "Cendres", et je me suis dit que tant qu'à faire, j'allais aussi caser "Cendrillon" ! ^^





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