16- Solomon
(Musique : le générique choisi pour le roman Héritages, Sun de Thomas Bergesen)
Solomon Lyasou regarda sa montre. En temps normal, l'heure n'était guère ce qui faisait souci à l'éthiopien élancé qui dépassait tout le monde d'une tête dans le vaste hall de l'aéroport international de Bole. Le temps n'a jamais eu la même valeur de ce côté du monde qu'en occident et Solomon avait beau avoir fait ses études à Cambridge, il avait rapidement repris ses habitudes de ne guère se soucier de l'heure en temps normal. Mais les temps actuels n'avaient plus rien de normal. Personne ne faisait guère attention à lui et il réalisa qu'il venait de pousser un soupir de soulagement à ce constat, avant de se demander avec angoisse s'il n'était pas trop évident qu'il était particulièrement nerveux. Il n'avait à priori aucun souci se faire : il attendait son vol vers Rome et n'était qu'un passager parmi d'autres dans une foule d'individus de toutes les nationalités, soit en transit, soit, comme lui, au départ.
Mais malgré son relatif anonymat que ses papiers totalement en règle bien que totalement faux, et son costume trois pièce bien mis avec accessoires et petite valise renforçant son allure occidentalisée et propre sur lui, l'informaticien n'était en rien un passager comme les autres. Et il savait que le temps lui était compté avant qu'il ne devienne rapidement une cible officiellement recherchée.
L'aiguille des heures atteignit le chiffre trois, presque au moment où les haut-parleurs annonçaient l'embarquement pour Rome. A dix kilomètres de là, une charge de deux bons kilos d'explosifs détonna, réduisant en cendre un vieux garage prétendument désaffecté qui s'effondra sur la cave aménagée qui avait servi de quartier général et pratiquement de domicile principal à l'expert en systèmes et réseaux. Deux mercenaires fort mal payés pour leurs compétences furent au passage broyés dans leur vieille voiture garée contre le bâtiment, alors qu'ils étaient, comme à l'accoutumée depuis plus d'une semaine, en planque pour essayer de repérer les activités du résident des lieux. Solomon ne se réjouit pas cependant beaucoup. Il était pratiquement sûr, même loin de l'explosion, qu'il avait tué des hommes et cela ne l'enchantait pas du tout, même s'il préférait se concentrer sur autre chose, comme la certitude que, désormais, et même s'il venait de se dévoiler et attirer l'attention des autorités à lui, il n'y avait plus aucunes trace possible de la Catena Argentae dans tout Addis-Abeba et, à sa connaissance, dans toute l'Ethiopie.
Enfin, presque plus aucune. Il ne restait plus que lui. Et il était de toute urgence temps de disparaitre à son tour ; loin de là, et il était mieux que personne au courant, deux femmes n'avaient plus que lui comme lien entre elles et la société secrète. Et entre elles et lui, il y avait un programme informatique connecté, plus performant que tout ce qui avait jamais été imaginé sur Terre, piloté par des individus qui, eux, n'avaient pas le moindre scrupule à sacrifier des vies pour atteindre à leurs buts.
***
— Votre perruque, Calliopé !
— Ha, Draku... je reviens.
Helen eut un sourire et patienta tandis que la roumaine repartait dans sa chambre pour enfiler l'accessoire qui, pour le moment, lui était indispensable. Un grand éternuement porté par l'écho dans le vaste chalet souligna pour l'intendante que, toute bravache et enthousiaste à aller faire quelques emplettes pour améliorer sa garde-robe limitée, Calliopé n'était pas encore remise.
La suédoise avait récupéré, le matin même, les affaires qu'elle avait entreposé à l'abri de cette maison. L'ouverture de la petite mallette, qui ne payait pas de mine, avait tout de même éberluée Calliopé.
— Attends, ce sont bien des pièce d'or, ça, avait-elle demandé, les yeux ronds ?
Helen avait acquiescé, écartant la petite bourse de velours afin de vérifier le plus important du contenu :
— Des Vrenelis. L'or se vend dans tous les pays, à toutes les époques avec la même facilité. Il doit y avoir vingt-deux pièces si ma mémoire est bonne ; si vous voulez les compter ? Ha... voilà.
Repoussant différents documents, parmi lesquels des passeports et documents d'identité suisse, apparemment valides pour ce que la roumaine pouvait en juger, Helen extirpa une petite boite, qu'elle ouvrit avec précautions.
— Ok... d'accord, tu n'as rien laissé au hasard toi...
— L'or est facile à faire passer, mais ça...
Helen empoigna le solide pistolet semi-automatique Glock 17, vérifiant sa culasse et son chargeur, vides tous deux, puis sa sécurité, avant de le tendre à Calliopé :
— Les munitions sont dans la boite, elles seront cependant en nombre limité, j'en ai peur. Mais vous pourriez en avoir besoin.
— Et toi ? D'autant que de ce que j'ai vu, tu es autrement plus experte que moi !
— Eh bien, j'ai toujours ma canne !
Calliopé fronça les sourcils, pas exactement du même avis que son amie, mais elle ne rajouta rien sur le sujet, elle garderait cela pour le remettre sur le tapis plus tard. Elle posa le glock non loin et commença à compter les pièces d'or, des monnaies de vingt franc helvétiques, tandis qu'Helen faisait le tri dans les documents d'identité, en extrayant deux cartes de crédit et une puce téléphonique. Mais elle ne put résister à la curiosité :
— Bon, tu es ex-espionne, soit et j'imagine bien que ceci est une partie de ton attirail professionnel... mais explique-moi pourquoi tu l'as caché ici ? Tu n'avais donc pas décidé d'arrêter ce métier ?
Helen fit un sourire en posant la carte de crédit suisse près d'elle, avec des papiers d'identité et un passeport de la confédération, eux aussi :
— Quand est arrivé le drame du onze Septembre 2001, nous avons tous pris conscience dans le métier, comme vous le soulignez, que le monde allait changer dramatiquement et ne serait plus jamais comme avant. J'avais quitté le métier depuis longtemps, mais pas les contacts qu'il m'a offerts et tous m'ont fortement incité à m'assurer de précautions vitales comme celle-ci.
— Je me doutais d'un scénario de ce type. Parce que j'imagine bien que le fait que tu sois immortel a tendance à se voir, tôt ou tard. Cette mallette, c'est une assurance-vie ?
— Disons une mesure d'urgence plutôt. Je n'y ai rien de suffisant pour assurer notre sécurité à long terme, seulement de quoi améliorer notre situation actuelle. C'était d'ailleurs sa destination à mon usage.
Calliopé fronça les sourcils dans une moue faussement méfiante pour fixer la suédoise :
— Je ne l'aurais jamais imaginé y'a une semaine, mais après tout ce que j'ai vu, tu ne vas pas me faire croire que tu n'as pas prévu une assurance-vie solide si jamais ta vie partait en délire ?
Helen répondit sans sourire et la mine pensive qu'elle afficha intrigua la roumaine :
— Vous avez toujours raison à ce sujet. Mais cette assurance-vie est une décision qui sera fort lourdes de conséquences si jamais j'étais amené à l'employer et, jusqu'ici, mes scrupules autant que l'absence de nécessité m'ont éloigné du dilemme que sera le choix d'en user ou pas. Pour le moment, cependant et je tiens à vous rassurer, nous n'en sommes pas là et notre situation va nettement s'améliorer !
— A coup de faux papiers ?
— A coup de pièces d'or et de faux papiers !
L'usage de la carte de crédit et quelques coups de téléphone avaient réglé le souci du moyen de transport et le taxi attendait en contrebas de l'allée du chalet. Helen avait pris soin de prendre rendez-vous avec un négociant en métaux précieux et il ne restait plus qu'à faire le change de l'or et aller acheter de nouveaux appareils téléphoniques pour compléter le nécessaire à Calliopé et elle. Mais elle avait tenu à proposer à sa jeune amie d'en profiter pour quelques achats cosmétiques et elle pensait aussi à son plaisir personnel ; aucune des deux ne savait à quoi s'attendre une fois parvenues à Brasov et il lui paraissait vital de ménager leur moral et leur entrain à toute deux, surtout après les émotions de ces derniers jours.
Une heure et demi et quelques démarches bancaires plus tard, dans une petite angoisse vite dissipée quand tous les documents contrefait d'Helen furent parfaitement acceptés, le duo disposait de sa nouvelle voiture de location et se lançait dans une sorte de pillage en règle des rayons du centre commercial de haut standing du centre-ville. A la grande joie de l'intendante, Calliopé avait cessé de compter le moindre sou et mis de côté ses scrupules quand à rembourser Helen de toutes les dépenses qu'elles effectuaient toutes deux. Il n'avait pas été si simple de la convaincre, mais la suédoise avait joué de sourires et d'un art consommé pour la séduction et l'attendrissement, auquel sa jeune amie n'avait pas résisté... non sans protester qu'elle se faisait avoir, cependant.
Fièrement, Helen rajouta même à sa victoire personnelle le plaisir d'avoir fait céder Calliopé à l'achat de lingerie autrement plus féminins que ses culottes sport. Bon, elle s'attendait à entendre la jeune femme râler sur les premiers efforts du port d'un string, mais l'habitude et le plaisir de les porter viendrait très vite. Elle était moins persuadée du même succès avec l'achat des escarpins, fort onéreux, que son amie avait bien voulu essayer. Si les chaussures étaient clairement superbes, la hauteur des talons aiguilles, plus de onze centimètres, allait rendre l'apprentissage de la marche compliquée. Elle l'avait d'ailleurs fait remarquer :
— Ils sont magnifiques mais malgré mon plaisir à vous voir vous y essayer, je ne vous conseillerai pas ceux-là, mon amie.
— Oui, mais si je n'y mets pas, j'en porterais jamais ! Et puis... c'est de ta faute, c'est toi qui me donne envie d'avoir ta démarche ; donc assume, tu devras m'apprendre à tenir là-dessus !
Joignant le geste à la parole, Calliopé fit quelques pas maladroits. Clairement, avec la tenue qu'elle avait choisie, un tailleur-jupe coupé au veston cintré et au chemisier bouffant, le résultat était remarquable et la mettait en valeur comme jamais Helen avait pu admirer la jeune femme. Mais la vendeuse pouffait en se retenant de son mieux de hurler de rire aux grimaces de la roumaine et à ses efforts pour tenir en équilibre. C'est d'ailleurs elle qui sauva Helen du désastre en suggérant une paire de bottes vernis, élégantes et féminines... mais avec des talons larges et de seulement raisonnables quelques centimètres. Une fois convenablement chaussée, Calliopé défila devant les miroirs, en riant, joueuse et sensuelle. Helen eut pour un court moment la sensation que son cœur explosait.
Helen ne fut pas en reste quand à la reconstitution de ce qu'elle considérait comme une garde-robe décente, sous les commentaires et sourires de Calliopé qui s'amusa à choisir ce qui, selon elle, s'approchait le plus des goûts d'élégance raffinée de son amie : à la grande surprise de cette dernière, elle ne se trompa en général que de peu, si on excepte sa tentative de faire porter du fuchsia à la suédoise. La séance d'achats de mode s'acheva sur l'acquisition de manteaux cintrés, Calliopé optant pour un modèle évasé, au dos lacé à la manière d'un corset pour la plus grande admiration d'Helen.
— Bon, je suis plus sexy que jamais, je me surprends à apprécier mes collants, j'adore cette jupe et crois-moi que c'est bien la première fois que je dis que j'aime porter une jupe, ce manteau ressemble à un rêve... mais à Brasov, on va se geler ; va falloir songer à prendre du bon gros chaud, Helen.
— J'y comptais. Dans une ville avec un assortiment de boutiques de mode digne de ce nom, j'aurais insisté pour aller trouver un serre-taille assorti à votre ensemble, et éventuellement des bas et un porte-jarretelle et j'avoue que je comptais tenter de trouver cela dans les environs, bien que pour le dernier article que je cite, j'hésite à conclure que vous apprécieriez. Mais dans l'immédiat, je vous propose que nous fassions passer l'élégance après l'aspect pratique. Je vous encourage même à vous jeter sur vos oripeaux informes préférés, tant que c'est chaud !
— Ca, je m'y connais ; en route !
Une heure plus tard, le duo avait largement de quoi parer à tous les climats et les bras chargés de paquets. Helen n'avait pas abandonné son idée et réussit à trouver un serre-taille, totalement décoratif et qui de son propre aveu ne tiendrait guère longtemps. Mais elle avait insisté elle-même pour le faire porter et le lacer à la taille de Calliopé, qui râla par principe, tout sourire :
— Tu as manqué de poupées avec quoi jouer quand tu étais petite ?
— Je n'en ai guère le souvenir, Mais j'ai toujours eu une grande préférence pour les poupées vivantes... surtout quand elles apprécient de maugréer tout en goûtant avec plaisir de se laisser manipuler. Et il me semble que vous souriez de toutes vos dents, n'est-ce pas ?
— Faudra que je râle de manière plus convaincante la prochaine fois !
— Faites-le sans hésiter si je serre trop. Cela va, ainsi ?
Calliopé inspira profondément avant de répondre :
— Ce n'est définitivement pas fait pour courir un marathon, mais ça ne serre pas vraiment.
— Parfait. Et maintenant, vous affichez le comble de la plus exquise élégance. Je voudrais vous demander un privilège, Calliopé, si vous permettez ?
— Quoi donc ?
— Vous prendre en photo. Je voudrais conserver le souvenir de ce moment et de votre beauté ce soir. Accepterez-vous ?
Calliopé rougit, surprise, en se retournant vers Helen :
— Je... heu... ben... oui ?! Oui, bien sûr. Faudra un appareil photo...
Helen pencha la tête sur la roumaine, le regard pétillant, tout sourire. Elle avait gardé les bras autour de sa taille, les mains frôlant l'étoffe de l'accessoire :
— Je comptais en faire l'acquisition si vous acceptiez. Et je vous remercie de me faire cet immense plaisir, mon amie. Mais, sauf si vous souhaitez encore faire quelques achats, je voudrais vous suggérer une pause déjeuner avant de retourner au chalet. Vous êtes toujours malade et si nous voulons reprendre la route demain matin, vous avez besoin de repos.
— D'accord... mais pas de fondue, ça n'a pas été facile à digérer !
— je vous comprends, c'est d'ailleurs un plat qu'il est recommander de réserver à la soirée. Nous trouverons aisément une bonne table et des plats légers.
Calliopé lâcha un grand sourire, laissant Helen aller régler les achats. Au moment de se retrouver dans la rue, elle se frappe le front :
— Draku !
— Quoi donc ?
— On a oublié un truc. Bon, allons chopper des sacs à dos, des lampes de poche et des sacs de couchage. Vu comme on baroude, je serai plus rassurée si nous avons un peu de matériel de randonnée...
***
— Bon alors, qu'est-ce qu'on sait ?
Duggal avait déjà vidé au moins une boite entière de paracétamol et son vis-à-vis n'était pas en meilleur forme. L'ingénieur qui étudiait les dossiers n'était techniquement pas sensé en connaitre le contenu, mais il y avait déjà quelques années que le Veilleur le considérait comme son homme de confiance. De toute manière, rien n'aurait pu fonctionner sans les talents de Dakir et sans être dans le secret, l'indien n'aurait jamais pu régler la masse de problèmes dont il avait su triompher au bénéfice de son patron et de tout le reste du collectif.
— Alors, le dossier Ishtar7 est plutôt vieux. Ca se réfère à un bijou ancien qui faisait partie des biens des Rostchild disparus pendant la seconde guerre mondiale sur lequel Siever s'est concentré. Apparemment, vos collègues pensaient qu'il était entre les mains de la famille Meliochev, mais sans aucune certitude. Siever a visiblement décidé qu'il pourrait le retrouver par ses propres moyens, mais il semble bien que quelqu'un a exigé qu'il s'en occupe.
— Qui donc ?
— Mazda ne le précise pas. Par contre, ce bijou est ancien ; il est daté du XIIIème siècle et serait d'origine byzantine. Il a une sacrée histoire, il n'a jamais cessé de changer de main en main ; tout le monde voulait ce truc et il a disparu plusieurs fois. Elle a étudié des traces sur le diamant taillé mais les photos ne sont pas assez détaillées, elle n'a rien obtenu de concluant.
— On avance pas, je ne vois pas le rapport entre ce bijou et cette ressortissante suédoise et britannique. On n'a presque rien sur son dossier, sauf des photos récentes... et un faux certificat de naissance. Voilà tout ce qu'elle a trouvé en clair. Le reste est de toute évidence classifié ; Mazda cherchait un moyen d'accéder à des dossiers gouvernementaux mais on a aucunes données. A mon avis, elle l'a fait après avoir commencé à revoir ses priorités.
— Elle aurait réussi ?
— Ce n'est pas sûr. Mazda est programmée pour éviter certains risques et pirater des bases de données classifiées d'un gouvernement comme l'Angleterre est un risque évident.
— Il nous reste juste une adresse, sa société de service de maison...
— Et les infos sur cette Calliopé Meliochev. De tout ce que nous avons des logs des recherches de Mazda, c'est sur elle qu'il y a le plus d'informations personnelles.
— Ouais, mais bon... c'est une archéologue qui trafique un peu et fait dans les documents anciens ; ça ne va pas aller bien loin.
Duggal acquiesça, avant de reprendre deux comprimés et les faire descendre avec un café froid. Il y avait longtemps qu'il avait arrêté de compter combien de grammes de paracétamol il avait pu avaler. Il faillit répondre immédiatement à son collègue et se faisant, lâcher que cette femme était aussi de toute évidence un des membres de la Catena Argentae. Mais Dakir en savait déjà beaucoup, assez pour donner envie au Collectif de l'accidenter un de ces jours par simple précaution ; il aurait fort mal pris l'événement, aussi il reformula son propos :
— Mais c'est aussi le dernier membre en vie d'une famille qui a toujours été très surveillée pour ses activités douteuses et ses relations aux problèmes hors-contexte. Et puis, c'est la plus facile des pistes à remonter. Puisqu'il faut commencer par quelque chose, on va commencer par là. Allez, on retourne en salle d'analyse, on réveille tout le monde et on décortique toute la vie de cette Calliopé ! Je veux tout savoir, même la couleur de sa petite culotte !
***
L'aéroport Leonardo da Vinci, connu aussi sous le nom commun de Fiumicino, avait beau être particulièrement moderne et autrement plus vaste que Bole, une fois qu'on était dans ses halls, il s'en dégageait pratiquement la même impression et la même sensation de déjà-vu que partout ailleurs dans les mêmes lieux. Solomon y était aussi anonyme que les quelques milliers de personne à y circuler et il n'y avait pas le moindre quidam pour prêter attention à un grand échalas à la peau noir, bien mis dans un costume trois pièces un brin trop large pour lui et une petite valise de voyage tout aussi propre que le reste de sa personne.
Mais la question qui le taraudait était : était-il vraiment parvenu incognito à sa destination ? Il avait en tête nombre de moyens de le savoir, mais aucun ne lui fournirait la moindre réponse décisive. Et pour pouvoir faire un début de vérification, il allait renoncer à pendre la navette pour Rome et commencer par prendre un café...
Tout ce qui lui était nécessaire dans un premier temps était son ordinateur portable, une connexion wifi publique et une ou deux heures de tranquillité. Le café n'y suffirait pas en fin de compte. Il s'installa à la terrasse d'une petite brasserie, commanda un bruschetta et un grand café pour éviter le ristretto italien bien trop fort à son goût et commença sa tâche, en veillant à ne pas paraitre plus suspicieux que nécessaire. Il n'était pas bien persuadé d'y parvenir ; en général, c'était dans le refuge rassurant de l'un de ses antres débordant de serveurs, de routeurs et de baies de stockages de disques durs, avec des boissons fraiches et de la bonne musique, qu'il vaquait à son art. Mais son dernier domicile devait actuellement ressemble à un cratère et s'il espérait pouvoir trouver refuge dans l'un des abris romains particulièrement bien dissimulés de la Catena, pour l'heure, il n'avait guère d'autre choix que d'accepter d'être exposé.
Il fit donc comme si tout allait bien, tandis qu'il commençait par vérifier la sécurité du réseau local et s'assurer qu'il lui offrirait une passerelle vers des moyens de connexions encryptés et plus discrets. Le café y passa, suivi de l'antipasti qu'il trouva assez savoureux pour commander une seconde fois la même chose. Après une bonne demi-heure de bagarre avec les serveurs locaux de l'aéroport et un système de sécurité dont il se demanda s'il devait en attribuer la paternité à un gnome ivre sous acide, il était cependant en mesure de s'assurer d'une confortable discrétion. La sécurité informatique n'était guère plus glorieuse dans le pays qu'il avait quitté, ce qui lui permit d'apprendre la mort des deux agents engagés sans doutes de manière indirecte par les Veilleurs dans l'explosion de son garage. Bien entendu, il était suspecté et recherché, mais sous une de ses autres identité d'emprunt qui, à l'heure actuelle, devait être encore quelque part en vol au-dessus de la Namibie après avoir acheté de faux papiers à un trafiquant véreux.
Il se décida à vérifier la boite morte où transitaient les messages de la Catena. Elle était silencieuse depuis plus de trois mois et il ne se faisait guère d'illusion sur l'état de toutes les autres cellules partout dans le monde. Ces dernières trois années, une véritable chasse dans l'ombre avait été menée de front par à peu près tout ce que la planète comptait d'organisations militaires et d'enquête privées travaillant pour le compte de grandes multinationales et même le FBI aux États-Unis et le PAP en Chine s'y étaient mis. La plupart des membres de la vieille société secrète s'était alors hâté de disparaitre, suivant des protocoles établis depuis des décennies ; ça n'était pas la première fois que la Catena Argentae devait fuir un ennemi venu l'abattre. Mais nous n'étions plus dans les années soixante. Solomon avait une idée particulièrement lucide de l'étendue des dommages qu'avait subi l'organisation, qui y avait laissé pratiquement l'intégralité de son réseau d'échange et d'information. Si la plupart des Cateniens avaient survécu à la chasse, il était pratiquement persuadé que la Catena, elle, ne s'en relèverait plus, désormais. Ne restaient que ses caches et ses abris et les centaines d'artefacts mis hors de portée de l'avidité humaine... et pour combien de temps ?
Passant en revue les boites postales connectées à des services de messagerie de toute la planète, il ne peut que constater leur silence, comme il s'y attendait sans grand espoir. Mais il faillit cracher son troisième café en apercevant l'icône de la boite de réception de la Roumanie clignoter. Il y avait bel et bien quelqu'un d'encore vivant et actif quelque part... et si c'était la Roumanie, cela ne pouvait être qu'une seule personne. Il se rua sur l'onglet et le message avec l'avidité d'un assoiffé plongeant dans une mare.
Moins d'une heure plus tard, Solomon quittait l'aéroport, à destination de Rome, trente kilomètres plus loin, après quelques déambulations prudentes pour vérifier une fois de plus qu'il était bien tout à fait sel et incognito. Il avait entretemps fait tout ce qui était en son pouvoir pour rétablir un semblant de contact avec l'expéditrice du télégramme qui, depuis Paris, veillait savamment à être impossible à être localisée. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle reçoive le message à temps. Quant à lui, il avait des affaires à récupérer, des contacts locaux à tenter de renouer, et un voyage à Brasov à organiser au plus tôt.
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