RÈGLE N°6
NE PAS OUBLIER DE MANGER ;)
George alla rejoindre sa femme dans la cuisine.
Elle avait ouvert le four pour l'aérer, et un délicieux fumet de viande farcie s'en dégageait encore. Victoire était occupée à nettoyer les assiettes vides dans l'évier. George se racla la gorge et l'approcha doucement pour ne pas la surprendre. La vieille femme tourna un instant les yeux vers lui, lui sourit tendrement, puis se remit à sa vaisselle. Son mari soupira et lui ôta l'une des assiettes des mains.
— Tu trouves pas que tu en as assez fait, chérie ? Tu devrais retourner t'asseoir avec nos invités.
— Je suis la cuisinière, répliqua cette dernière. Et c'est dans une cuisine que se doit d'être toute bonne cuisinière qui se respecte. Ne t'inquiète pas pour moi va, je me sens parfaitement bien.
— Tu t'es pris un sale coup à la tête...
Elle le fit taire en l'embrassant et en profita pour récupérer son assiette.
— Et je te dis que je m'en suis complètement remise ! Manger me revigore.
— Tu t'es quand même trompée deux fois sur la cuisson des pâtes, fit George en haussant un sourcil.
— Oui mais la viande était succulente, s'exclama son épouse. Et c'est tout ce qui compte. On a eu tellement de mal à la dégoter... j'ai cru qu'elle ne finirait jamais dans notre assiette.
— Une chance que ta sœur soit passée par là.
Victoire opina du chef. Elle ferma le robinet dans un grincement et s'essuya les mains sur son tablier maculé de traces de sang.
— Retourne à table, chéri. Il faut que je mette le reste de la viande au frais pour qu'elle ne se gâte pas.
George poussa un long soupir, mais n'ayant pas d'autres arguments à revendre, il se retira et retourna dans le salon. Victoire sourit et se passa les mains sur son front moite. On étouffait dans la cuisine. Elle referma le four et tourna les talons pour s'approcher du plan de travail.
Le bras du gosse avait été nettement plus facile à découper puisque les os et les tendons étaient déjà en très mauvais état, mais il était tellement maigre qu'il avait fallu rajouter l'une de ses jambes dans le lot. Des mouches gloutonnes tentaient déjà de se poser sur les membres découpés. Victoire les chassa d'un coup de torchon et attrapa fermement le bras et la jambe. Heureusement pour elle, ce n'était pas bien lourd.
Elle se dirigea vers la porte de la cave qu'elle ouvrit du pied. Prévoyante, elle avait laissé la lumière allumée des fois qu'elle ait besoin d'y retourner. Descendre les premières marches lui fit un peu tourner la tête, mais elle finit par s'y faire. D'une certaine façon, elle avait quelque peu menti à son mari : son crâne continuait de la lancer là où le morveux l'avait frappée. Mais pas assez pour qu'elle ait besoin de l'aide de quiconque. Encore moins pour cuisiner. C'était elle, la cuisinière. À elle seule revenait ce privilège.
Cependant, arrivée en bas, elle fut bien heureuse de pouvoir se décharger un peu les bras : elle déposa la jambe sur la vieille table en ping-pong qui leur avait servi à ligoter le dernier gamin pour la découpe. Une mare de sang continuait de briller dessus, gouttant sur les dalles en béton du sol. Victoire s'approcha alors du congélateur qu'elle ouvrit en grand.
Ils ne mangeaient jamais les têtes. Pas par principe, loin de là même, mais uniquement parce que le cerveau était trop mou et compliqué à cuire. Ça n'allait pas du tout avec ses tagliatelles. Les mains et les pieds étaient eux aussi de côté, trop de veines et d'os. En son for intérieur, Victoire se félicita : s'ils n'avaient pas été trois, il n'y aurait jamais eu assez de viande pour qu'elle refasse trois fois ses assiettes. Désormais, il ne restait plus qu'une jambe, deux bras, et la moitié d'un torse. La vieille femme les écarta prudemment pour remettre le bras à côté des têtes coupées. Elle fit de même avec la jambe et remonta à l'étage. L'avantage avec le congélateur, c'est qu'on ne sentait pas l'odeur des corps.
Juste le temps de retirer son tablier, et Victoire attrapa les quatre assiettes de ses doigts agiles. Au menu : fondant au chocolat avec son coulis de fruit rouge. Quand elle arriva dans le salon, George était en train de resservir du vin à Henry. La voyant arriver les bras chargés, sa sœur se leva pour aller l'aider. Elle en profita pour lui murmurer à l'oreille :
— Victoire, les pâtes étaient enfin parfaites : al dente comme on dit !
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