Le Palais infernal
Si la reine avait subi la honte de plein fouet, Hélène avait était écartelée par celle-ci. La propre fille du roi, encore à marier, pas encore en âge de seulement penser à tromper son mari, avait commis l'irréparable non seulement avec un traître, mais en plus avec l'amant de sa mère. L'enfant bénie de la Grande Créatrice était devenue la paria du Royaume. Elle devait aller se nourrir elle-même à la cuisine, car le roi avait interdit aux servants de la nourrir ou de lui parler. Elle dut porter seule le fardeau de son enfant à naître car les médecins étaient affairés aux soins de la reine, et il leur était interdit de veiller sur la princesse. Finalement, les couloirs vides du palais des Astrides, autrefois réconfortants ou ennuyeux, étaient désormais terrifiants aux yeux de la pauvre princesse. Et, de ma position d'observateur, je ne pouvais que contempler, conscient que la moindre de mes actions pour tenter de la protéger m'enverrai rejoindre ma défunte mère, et qu'alors Hélène serait véritablement, et probablement définitivement, seule dans cet environnement hostile. L'idée qui me vint alors à l'esprit fut de cacher la princesse hors d'atteinte du roi, aux moments où celui-ci était le plus à même de venir passer sa mauvaise humeur sur elle. Il visait souvent son ventre en la frappant, espérant ainsi que l'enfant qu'il honnissait temps en périrait. Je me mis alors en quête d'un lieu secret, caché, un lieu en sécurité, un lieu où il ne pourrait pas la trouver.
Ce fut Hélène qui le trouva pour moi.
Il s'agissait d'un étrange passage, caché derrière une faille dans le mur d'une cave à vin, profondément enterrée dans la colline, sous le palais. La princesse me révéla que c'était Casus qui avait trouvé ce lieu, afin que leurs ébats ne puissent être découverts par la reine qui, contrairement au roi, ne partait pas en guerre, et risquait donc toujours de les découvrir. Cette nouvelle ne m'enchanta guère, je dois l'avouer, l'idée de cacher ma maîtresse dans le lieu où avait peut-être été conçu l'enfant à l'origine de tous ses ennuis n'étant pas des plus attirantes. Mais, à défaut de mieux, j'allais explorer le lieu en question. La cave était humide et vieille, et des mousses poussaient entre les pierres taillées grossièrement et dans les anfractuosités de la roches nue. Au fond de la pièce, entre deux étagères d'amphores de vin pontois, se révélait une fissure étroite dans le mur, si fine que je n'étais pas sur de pouvoir m'y faufiler moi-même, à cause de mes épaules larges et de ma grande taille. J'imaginais cependant très facilement Hélène et Casus s'y faufiler gaiment, tout en se chuchotant des mots doux. Il me fallait cependant pouvoir accompagner ma maîtresse, car je refusais de l'y laisser seule. J'entrepris donc d'agrandir la crevasse afin de pouvoir la traverser. La roche était dure, mais j'y parvins en quelques heures. Une fois mon œuvre terminée, je remontai sans même passer de l'autre côté, réalisant que j'avais laissé ma maîtresse seule pendant bien trop longtemps. Et, à ne pas s'y tromper, quand je revins, elle trainait au sol, le nez en sang, tout en se tenant le ventre. Des larmes inondaient son visage encore enfantin, et je la saisis dans mes bras sans attendre un instant de plus, tout en récupérant au passage quelques coussins de son lit, et me dirigeait sans attendre vers les profondeurs du palais. Là, avec autant de douceur que peut en être capable un homme élevé dans le but de combattre, je lui fis traverser la crevasse avant de m'y engouffrer moi-même. La fissure menait sur un boyau qui, lui, était assez large pour que je m'y meuve – bien que j'y soi particulièrement à l'étroit. Les parois de la roche était gluante et humide, et plusieurs pouces d'eau stagnaient au sol. Il faisait si sombre qu'on n'y voyait goutte, et j'espérai que les amoureux avaient installé de quoi s'éclairer à l'autre bout du boyau, ou bien notre expédition serait grandement mise en difficulté. Mais quand je mis le pied au bout du tunnel, le spectacle qui m'attendait me coupa le souffle.
Il n'y faisait pas sombre. Au contraire, il y faisait plutôt clair, alors qu'une lueur bleutée cascadait du plafond rocheux sur les parois aiguisées de la caverne. Cette dernière semblait d'ailleurs seulement partiellement naturelle, car, en différents lieux, on pouvait apercevoir la trace de pierres taillées, moussues et abimées par le passage du temps. L'espace, bien qu'humide, était spacieux et aéré, un léger courant d'air circulant depuis la crevasse que nous venions de traverser. J'étais stupéfait par l'existence d'un tel lieu, caché sous le palais des Astrides. J'ignorai, et j'ignore encore, ce que sont ces ruines, qui les a construites, qui les a abandonnées. Mais surtout, à ce moment précis, j'ignorai encore leur ampleur. Le mystère de la lumière présente sous terre venait ajouter à mon étonnement profond, mais je décidai de repousser mes interrogations à plus tard. Je déposai ma maîtresse sur la couverture que j'avais emmenée avec moi, et ajustai sa position grâce aux coussins. Il y avait déjà quelques fournitures, probablement amenées par les tourtereaux, notamment une coupe de vin vide et quelques coussins tâchés par l'humidité. Je rassurai ma maîtresse, et retournais au palais lui chercher de quoi se sustenter, ignorant quoi faire pour tenter de soigner ses plaies ou, au moins, d'apaiser sa douleur. A mon retour, elle s'était levée, et était en train d'observer un pan de paroi qui était clairement artificiel, au vu de l'empilement savant de pierre qui le clôturait partiellement. En effet, quelques blocs avaient été déplacés, laissant entrevoir une ouverture. Hélène m'expliqua que, la dernière fois qu'elle s'était rendue en ce lieu, les blocs étaient à leur emplacement normaux, scellant ainsi le mur, ce qui signifiait que quelqu'un était venu depuis. Cette révélation m'empli d'effroi, tandis que ma maîtresse laissa paraître son amertume. Seul Casus connaissait ce lieu, ce qui ne pouvait signifier qu'une chose : il était probablement celui qui avait révélé ce passage, cette cache. La Grande Créatrice seule savait ce qu'il y avait caché aux yeux de tous, et était venu reprendre avant de fuir comme un lâche dans la nuit. Je n'avais pas vraiment la tête à penser à cette vermine, mais Hélène, elle, inspectait le muret avec une attention soutenue, presque maladive, comme si elle se rattachait à l'existence de cet indice pour se prouver que l'homme qu'elle avait aimé avait vraiment existé. Et, peut être dans l'idée que cela lui détournerait l'esprit de sa blessure, ou de la situation désastreuse dans laquelle nous nous trouvions, je décidai de venir à ses côtés observer la cache dans le mur.
A ma grande surprise, le trou n'était pas sombre et obscur. Au contraire, une lumière bleuté, semblable à celle qui nous inondait, semblait en provenir. Prudemment, je passai ma main dans la petite anfractuosité, sous le regard inquiet de ma maîtresse. Lorsqu'un courant d'air caressa le bout de mes doigts, je réalisai quelque chose : il y avait une autre grotte de l'autre côté de ce mur. Sans attendre un instant, je commençais à retirer les briques de pierre les unes après les autres. Certaines étaient parfaitement scellées dans le reste de la roche, mais un grand nombre d'entre elles partirent sans difficulté, comme si elles avaient été emboitées là, comme si ce mur avait été démonté puis remonté de nombreuses fois. Une fois toutes les briques mouvantes ôtées, s'ouvrit devant moi un passage vers un immense espace souterrain, dont la lumière bleutée était éblouissante. Et, seulement à cet instant, je réalisai l'âge de la structure dans laquelle nous nous trouvions. Le trou dans la petite grotte menait à un couloir souterrain, un mélange de roche taillé et des briques lithiques, qui courait sur une longue distance, s'ouvrant sur différentes portes et autres couloirs. Le sol était un amalgame de pierre, graviers, de terre dans laquelle avait poussé d'étranges plantes qui m'étaient inconnues, et de grilles métalliques sous lesquels d'étrange tubes cuivrés, rouillés par les siècles, courraient, vers l'inconnu. Cet endroit était ancien, bien plus ancien que Menelios, même qu'Agamène. A vrai dire, il était probablement antérieur à l'existence d'Argon elle-même, selon les propos d'Hélène qui, soudainement prise d'une grande excitation s'engagea dans le couloir, avant que je ne puisse l'en empêcher. Ma maîtresse avait bien plus de notions d'histoire que ma maigre éducation ne me permettait d'avoir, et pourtant, elle répétait inlassablement qu'elle était incapable d'expliquer l'existence de cet endroit. Mon esprit, probablement plus terre à terre, constata simplement que si Casus était réellement passé par là, alors nous venions sans doute de trouver le moyen par lequel il avait fui la ville sans être retrouvé. Ou bien, peut être s'était-il caché dans ces ruines, et survivait en dévorant des rats en espérant qu'on l'oublie ? L'idée était plaisante, mais farfelue. Je parvins à tempérer les volontés exploratrices de ma maîtresse en lui rappelant son état, et la nécessité pour son bien de se reposer au plus vite.
Tandis que la princesse se cachait dans l'antre de la terre, la situation au palais devenait de plus en plus incontrôlable. Chaque jour, Pelopios venait accompagné de membres influents de la dynastie quémander audience au roi, afin de s'assurer que celui-ci reconnaisse l'illégitimité de l'enfant à venir. Mais Menelios, lui, malgré la rancœur qui le rongeait, semblait moins enclin que son jeune frère à rejeter l'enfant que sa femme allait mettre au monde. Peut être y voyait-il là une opportunité d'enfin obtenir un héritier ? Après tout, il pouvait encore faire croire que l'enfant était le sien, sa date de retour de la guerre correspondant au début supposé de la grossesse. Tout ce qui lui manquait, c'était de savoir si ce serait un garçon ou une fille. Mais l'immobilisme du monarque n'était pas sans conséquence, et, bientôt, ce furent deux autres des cinq rois, Jaso et Albion, qui vinrent faire part de leur mécontentement vis-à-vis de la situation à Menelios. La tension était palpable, électrique. Le roi surveillait chaque habitant du palais, conscient que des traîtres pouvaient, à tout instant, tenter de l'abattre sur ordre de l'un de ses nombreux cousins, ou même de son propre frère. Les serviteurs et les esclaves marchaient la tête baissée, évitant d'attirer l'attention du monarque, ce dernier n'ayant plus la possibilité de passer ses sourdes colères sur le corps de sa fille. Les bruits qui couraient de la ville basse prétendaient que les partisans des différents prétendants prenaient les armes, et que les dynasties royales semblaient prêtes à s'entre-déchirer au sujet du sort des Astrides. Je dois une nouvelle fois citer Casus en disant que cela ne pouvait pas durer éternellement, et lorsque le chien de Menelios s'effondra après que ce dernier lui ait donné une de ses ailes de volaille, raide mort, le roi entra dans une fureur noire. Il appela sa garde, et ordonna que soient jetés dans le feu sacré du palais tous les serviteurs travaillant aux cuisines, sans exception, ainsi que l'arrestation de son frère et des principaux membres de la famille des Astrides. Le regard du roi devenait chaque jour plus dur, plus froid, ce n'était pas la folie, mais une étrange forme d'implacable détermination qui dirigeait ses actions. Et, tous les jours qui suivirent, alors que les suspects étaient soumis à la question dans les cachots, et que les autres familles grondaient leur mécontentement, Menelios restait à fixer le feu sacré, brûlant dans son âtre ancestral, incrusté à même la roche de la colline, comme s'il pouvait y trouver toutes les réponses dont il avait besoin.
Ma maîtresse, pendant que ces évènements prenaient place, ne quitta pas le souterrain. J'avais pensé que ce serait un lieu de retraite temporaire permettant seulement d'éviter les colères du roi, mais elle avait décidé d'y rester, et le reste du monde semblait si préoccupé par les évènements que bien peu firent grand cas de sa disparition. Cependant, Hélène ne restait pas mutique pendant mes absences au palais, et profitait de celles-ci pour s'introduire dans le couloir des ruines, et les parcourir longuement. Chaque fois que je descendais, je devais également y pénétrer pour partir à sa recherche, et, chaque fois, elle partait un peu plus loin, et un peu plus émerveillée par ce qu'elle y trouvait. Mais cet endroit ne m'inspirait pas confiance. Je trouvais que l'air y avait une texture étrange, comme plus dense, comme si quelque chose luttait contre mes mouvements, tentait de me retenir, de m'arrêter. J'étais également inquiet au sujet des créatures qui pouvaient roder en ces lieux, sentientes ou non, ou des dangers inhérents aux ruines d'une civilisation antique. Les structures étaient souvent fragilisées par le passage du temps, et je craignais qu'un couloir s'effondre sous ses pas, ou qu'un morceau de roche se décroche du plafond d'une des salles pour venir s'écraser sur elle. Mais ma maîtresse, elle, ne cessait de faire l'éloge de ce qu'elle découvrait ici-bas, de la beauté et de la régularité de l'architecture à l'ingéniosité du système de canalisation, en passant par la magnificence des œuvres d'art ou la complexité de certains mécanismes qui semblaient avoir été inventés par les bâtisseurs sans visage de ce monde souterrain. Les couloirs reliaient entre elles d'immenses salles, dont certaines semblaient naturelles, d'autre artificielles, ces dernières étant souvent garnies d'immenses stalactites, pointant dangereusement vers nous depuis le plafond. Mais ce qui m'inquiétais, c'était les traces de destruction qui parsemaient les ruines. Elles étaient discrètes au départ, fondues au milieu du reste des débris issus de l'érosion. Cependant, plus je parcourais la ville mystérieuse, plus elles paraissaient évidentes. Des murs avaient été éventrés, comme si un marteau géant les avait frappés. Le sol était retourné dans certaines demeures, et, en certains endroit, il me parut même décelé la trace de marque d'épée ou de griffe, imprimée à jamais dans la roche. Quelle qu'ait été la chute de cette cité, elle ne s'était pas faite dans la paix. Et la taille des dégâts me faisait craindre que les créatures qui en étaient à l'origine soient encore dans les environs.
Hélène avait évoqué les Dragons, supposant que cette cité datait peut-être des ères prédraconiques, mais le règne des tyrans ailés avait détruit la plus grande partie des traces et des souvenirs de ces époques reculées. Cependant, j'imaginais mal des dragons se rendre sous terre pour creuser des galeries et éventrer des sols. Les légendes sur les monstres souterrains étaient légions, après tout. Vers fouisseurs, hydres, tant de noms associés à des histoires à dormir debout, qu'on racontait aux enfants simplement pour les effrayer, mais qui prenaient une toute autre dimension à la vue des ruines de cette cité. Dans tous les cas, l'exploration de ma maîtresse n'avait pas amené beaucoup de conclusion au sujet de l'évasion de Casus, qui pouvait nous servir si la situation devenait trop dangereuse. Mais la princesse avait trouvé d'autres sujets de fascination, qui la détournait des douleurs provoquées par son ventre de plus en plus arrondi. Une étrange pyramide de plusieurs toises de haut, perçant le toit de la salle dans laquelle elle se trouvait et s'élançant haut dans la caverne qui l'accueillait. La structure était composée d'une sorte d'étrange cristal couleur or, dont la luminosité semblait varier à intervalles réguliers, comme si elle était vivante et qu'une étrange pulsation faisait changer l'intensité de sa lumière. Sur le sol de la salle, des lignes de glyphes, gravés dans un matériau similaire et incrustés à la roche, formaient des lignes dans différentes direction, dans lesquels pointaient également des couloirs. La structure était... marquante. Elle semblait tout droit venue d'un autre monde, et être la seule source d'énergie visiblement active. Cela ressemblait à de la magie. Lorsque je fis remarquer cela avec horreur, la princesse sembla d'autant plus excitée, et tendit la main pour toucher la surface cristalline de la pyramide. D'un geste preste, je tentais de l'en empêcher, et me retrouvai à toucher moi-même la surface de l'objet. Une étrange sensation d'engourdissement me saisit soudain, comme si mon esprit avait cessé de m'obéir, et qu'il se laissait aller à une lente torpeur éveillée. Hélène saisit ma main couleur ébène et la retira du la pyramide, avec un regard désolé, et je regagnai peu à peu mes esprits. Cette chose était dangereuse, et j'ignorai quelle était son utilité. Mais, plus étrange, ma maîtresse avait également touché la surface avant que je ne parvienne à l'en empêcher, et n'avait rien ressenti de particulier, contrairement à moi. Et cela, aucun de nous deux n'était capable de l'expliquer, pas plus que ce que l'objet nous avait réellement fait. Je décidai cependant que c'était assez d'aventure pour la journée, et ordonnai à ma maîtresse de retourner se reposer. Le temps était contre nous, après tout. Nous n'avions pas le temps de jouer les archéologues amateurs, car, lorsque Hélène accoucherait, il ne lui serait plus possible de rester dans ce lieu hostile avec un nourrisson. Mais qu'en ferait son père ? Ne le jetterait-il pas dans le bucher du feu sacré ? La rancœur et la peur se mélangeaient dans ma poitrine.
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