CHAPITRE 60 : Matrimoine
Ce n'est ni son accoutrement ni son absence de sac qui retarda Elo devant l'université, mais le plan Vigipirate. La large entrée, destinée à accueillir tous les étudiants à bras ouverts, était maintenant réduite à une guitoune meublée d'une table de classe, afin de recevoir les sacs pour inspection. Toutefois, les étudiants, aussi las que l'agent de sécurité doté d'un blazer tiré aux quatre épingles, ne faisaient que passer en coup de vent : ils tenaient devant eux la béance de leur sac tout en retenant le contenu de dégueuler sur le sol, la carte étudiante pincée dans leur bouche ou entre deux phalanges.
Quand vint le tour d'Elo, elle dut s'arrêter au comptoir.
- J'ai rendez-vous avec une enseignante. Angelina Moirel. En informatique.
Le gars de la sécurité, la barbe taillée de si près que son menton était couvert d'une peau de poulet, déposa un carnet sur la table.
- Là.
Des spirales torturées par de trop nombreuses manipulations pendait un stylo entouré de ruban adhésif sur un lacet de chaussure. Pendant qu'elle se penchait sur les cases à remplir, le gardien fit signe aux suivants d'avancer.
NOM - PRÉNOM - HEURE - OBJET DE LA VISITE.
Le stylo demeurait suspendu au-dessus de la première case. Elo jeta un œil au vigile qui ne semblait s'occuper que des entrants ; il y avait peu de chance qu'il lui demande une pièce d'identité étant donné le flux tendu requérant son attention.
Elle reposa le stylo.
- Voilà.
Après un rapide coup d'œil à la feuille, l'agent la laissa passer d'un hochement de tête.
Elo déglutit. Il ne lui restait plus qu'à rejoindre le bureau.
Les lacets de ses bottes trainaient sur le sol. Le ciel choisit ce moment-là pour crever. Les quelques secondes qu'il lui fallut pour traverser la grande cour suffirent à la détremper. Les habits des morts, comme des éponges, absorbèrent tout le ciel.
Elle franchit les seuils d'un pas détaché. Ces escaliers qu'elle avait tant de fois montés pour se jeter dans le fauteuil de celle qui l'avait élevée, afin de lui raconter ses malheurs. Elle franchit la volée du deuxième étage, là où elle aimait s'asseyait pour attendre la fin des cours.
À cette heure-ci, le couloir des bureaux était désert. Certains chercheurs donnaient leur premier cours de la journée, les autres n'étaient pas encore arrivés. Le silence était couvert par le martèlement de l'averse et le grincement de ses semelles.
Elle s'arrêta devant la porte qui affichait, sur une plaquette grise à la surface rayée par des traces d'usinage :
« Angelina MOIREL
Dir. Master infor. »
Sa main bandée frappa deux fois le bois beige.
- Une minute ! répondit la voix à l'intérieur.
Elo se retint au chambranle de la porte. Sa poitrine se soulevait avec difficulté sous ses vêtements qui lui collaient à la peau comme pour l'étouffer.
- Oui ? appela finalement sa grand-mère.
La main humide pressée sur la poignée, elle entra. L'honorée enseignante-chercheuse et brillante ingénieure de soixante-deux ans était absorbée par son écran d'ordinateur ; sa main tenait encore le combiné au niveau de ses cheveux auburn tissés de fils blancs. Elle tourna ses larges yeux gris soulignés par une monture à écailles vers Elo et son teint naturellement poudré vira immédiatement au vert.
- E... Eloïse ?
Un frisson traversa Elo de la tête aux pieds. Transie par le froid et la peur, elle ne sut comment réagir autrement qu'en se jetant dans les bras d'Angelina.
- Mamie... !
Sa grand-mère s'était levée d'un bond et l'accueillit dans une étreinte serrée autour des sanglots d'Elo.
- Oh ma puce... j'ai tellement eu peur !
Elle repoussa une mèche dégoulinante du visage d'Elo et passa une main dans ses cheveux emmêlés. Le contact des doigts maternels massant son crâne fit vaciller Elo qui ferma les yeux. Ses pleurs redoublèrent.
- Chut... tout va bien.
Elo reniflait au rythme de ses convulsions sans réussir à articuler le moindre mot. Incapable d'avouer ce qui l'amenait ici, elle gémit d'impuissance sur l'épaule de sa grand-mère.
- Tout va bien, mentait celle-ci.
Elo se détacha. Elle voulut voir son visage, mais tout était noyé. La main d'Angelina passa sur ses joues.
- Oh, regarde-moi ces larmes de crocodile ! Tu es avec moi, tu es à la maison.
- Je... J'étais coincée dans les catacombes...
- Oh, Eloïse, est-ce qu'il te manque une dent ?
Les sanglots la secouèrent de nouveau. Les yeux clos, Elo ramena ses bras contre elle.
- Mes amis sont morts, mamie !
Angelina l'attrapa pour la ramener dans son étreinte. Déplaçant son poids d'un pied sur l'autre, elle la berça tout en lui caressant la nuque.
Elo eut rapidement la nausée. D'un pas en arrière, elle chassa ses dernières larmes d'un revers de la main. Son ton fut tranchant.
- J'ai trouvé le trésor des Chartreux.
Les yeux de sa grand-mère se figèrent brièvement, puis les pattes d'oie se remirent à onduler : elle avança une main qu'Elo esquiva. Son visage était défait :
- Ce n'étaient que de vieilles bouteilles ! Des premiers essais de liqueur et un vieux laboratoire...
- Elo, dit sa grand-mère d'une voix douce, je ne comprends rien à ce que tu dis.
- Il n'y avait pas de trésor ! cracha-t-elle à sa figure. Seulement des trucs oubliés dans un déménagement !
- D'accord. Ne crie pas.
Sa grand-mère demeurait immobile. Elo ne voyait que sa main mise en avant, qui attendait le bon moment pour la calmer. Mais elle ne cessait de bouger, secouée par des hoquets contre lesquels elle luttait. Après un pas en arrière, elle passa une manche sous son nez. Une sorte de rire, provoqué par les contractions de sa poitrine, lui échappa :
- Et ensuite j'ai trouvé l'Académie d'Heka !
Cette fois-ci, Elo leva les yeux vers sa grand-mère, dont le visage ne se plissait plus dans une expression bienveillante. Un frisson dévala sa nuque. Elle articula tout de même :
- Là non plus, il n'y avait pas de trésor. Ni d'Élixir. Par contre, il y avait la momie que je cherchais au Louvre, celle qui avait été sortie des collections. La momie muscade.
Le visage de sa grand-mère s'illumina.
- La momie de ta thèse ? s'étonna-t-elle - ou faisait-elle semblant. C'est magnifique !
Le pouls d'Elo commençait à redescendre, la réflexion prenait le pas sur l'émotion.
- Oui... la momie de ma thèse. Celle dont je t'ai parlé. Celle que tu m'as encouragé, pendant des mois, à localiser...
Les yeux d'Elo paniquaient dans leurs orbites, à la recherche du moindre élément autour d'elle ou sur sa grand-mère qui lui prouverait qu'elle se trompait. Mais plus elle y réfléchissait et pire les choses devenaient. Elle n'avait plus besoin de la rivière souterraine ou de frôler la noyade pour s'éclaircir les idées.
Elle ne vit pas les doigts d'Angelina relever le menton à sa hauteur.
- Toi, tu as trouvé une « académie » dans les catacombes ? C'est intéressant, as-tu une preuve ? Quelque chose à montrer à tes collègues chercheurs ?
Elo porta instinctivement la main à sa poche... qui n'aurait pas dû être vide. Le seul témoignage qui prouvait qu'elle n'avait pas tout inventé pour sauver sa thèse... Elle se souvint de la bousculade du métro... la bague des étudiants de l'Académie d'Heka reposait entre les mains d'un pickpocket à touriste !
- Elo, prends mon siège, tu as très mauvaise mine.
Sa grand-mère la poussa jusqu'au fauteuil de son bureau, qui l'accueillit dans un grondement de roulettes.
- Fais voir ta main, dit-elle en attrapant le poignet bandé. Tu as mal ?
Alors qu'Elo sentait les doigts d'Angelina gagner du terrain sur sa paume, elle referma le poing et son visage.
- Oui, j'ai mal. Je viens de passer trois jours à ramper dans le calcaire et la poussière d'os à cause de toi.
Agenouillée à hauteur de ses mains, Angelina pouffa :
- À cause de moi... ? Qu'est-ce que tu dis ?
Mais son sourire faussement confus s'interrompit quand elle capta le regard électrique d'Elo. S'asseoir lui avait permis de regagner de la force et de la combativité.
- Tu m'as tendu un piège au Café de Caylus.
- Au Café... Le rendez-vous avec l'avocate ?
Elo retint sa respiration ; le moment était venu. Angelina ne pouvait plus se défiler. Elle l'avait entendu dans l'eau... c'était elle qui l'avait envoyé vers Morgan et qui s'était assuré que le journal de Lana arrive entre ses mains. Si Elo avait vu juste, cela expliquerait beaucoup d'autres choses. De plus, elle avait parié là-dessus avec la Capitaine pour négocier sa sortie des Enfers.
Mais sa grand-mère détourna le regard, relevant ses lunettes sur son front.
- Écoute, je suis désolée. Le cabinet m'a dit qu'ils avaient des dossiers sensibles à te transmettre, dit-elle en écartant les mains. Je me suis dit qu'il était peut-être arrivé quelque chose à Lana. Et comme tu n'as jamais voulu te détacher complètement d'elle malgré mes conseils... je me suis dit que tu voudrais peut-être être au courant si un malheur lui était arrivé. Après tout, la famille c'est important. Mais te piéger le mot est un peu fort, tu ne trouves pas ? Peut-être que tu devrais aller à l'hôpital, tu as l'air d'avoir traversé beaucoup de choses, tu ne penses plus bien.
- Je veux savoir si c'est toi qui a envoyé la fille de Rémie Klein me donner le journal de Lana pour que j'y découvre quelque chose.
Désormais, Elo élevait la voix :
- Je veux savoir, si tu as vraiment cru qu'après l'avoir envoyée travailler avec Lana, la fille de Rémie Klein se contenterait d'obéir sans rien remettre en question ?
Angelina se leva d'un bond. Du siège, Elo observa le visage de sa grand-mère se durcir. Elle la surplombait de son mètre soixante-dix sans rien dire et prit de lentes et profondes inspirations tout en dévisageant sa petite-fille.
Les secondes s'étirèrent, rendant leur échange de plus en plus insoutenable. Elo voulait attendre la réponse que sa grand-mère avait à apporter, mais celle-ci ne semblait pas se décider. Au moment où elle esquissa un mouvement pour se relever du fauteuil, Angelina l'arrêta d'un index dressé. Puis, elle se pencha par-dessus le bureau en contreplaqué et décrocha le téléphone. Après avoir rapidement composé un numéro, elle étira le cordon à spirales devant les yeux d'Elo.
Angelina se déplaça de l'autre côté du bureau, sans sortir sa petite-fille de son champ de vision. Le meuble en bois clair n'était couvert que de quelques documents rangés dans un trieur à quatre étages. À droite d'un moniteur épais, une gourde transparente était remplie d'une eau dans laquelle flottaient une rondelle de citron et une tranche de concombre. À gauche, un bibelot en pâte à sel reposait sur son support en plastique ; elle lui avait offert pour la fête des grands-mères lors de sa première année de maternelle. C'était une impression de sa main de bambin.
- Bonjour Jean- Claude, fit la voix grave d'Angelina. J'appelle pour décommander notre brunch. Ma petite-fille vient de rentrer... Hum... Je vois... Bien sûr. Laissez-moi voir avec elle.
Le combiné claqua dans son emplacement. Ses ongles tapotèrent le plastique.
- Sache que Rémie Klein n'a pas d'enfant, seulement des soldats.
Elo déglutit. Elle se redressa sur son siège, comprenant que sa grand-mère venait d'avouer connaître la Capitaine pour la première fois. Sur quoi d'autre avait-elle deviné juste ?
- La momie muscade...
Elo suivait sa grand-mère du regard alors qu'elle se dirigeait à nouveau vers elle.
-... elle sera détruite si...
Sa phrase s'interrompit dans un sursaut alors que les mains parcheminées s'agrippèrent aux accoudoirs. Un air de menace souffla entre elles deux :
- Où est la Main d'Isis ?
Ces mots se plantèrent dans son cœur aussi froidement que le vert gris de ses yeux. Les larmes d'Elo montèrent. Soudain, elle réalisa qu'elle avait vu juste. Son horrible intuition arrachée à force de noyades s'était avérée exacte : sa grand-mère lui avait bel et bien tendu un piège avec le journal de Lana, avec Morgan - pion de la Prêtrise envoyé à la pêche aux infos ; plus tôt, c'est elle qui l'avait poussée à enquêter sur les momies du Louvre sorties des collections, car elle savait que Joséphine de Beaujean les avait dérobées par la suite. Encore plus tôt, elle l'avait également poussée à honnir sa cousine et avait contraint Lana à la sortir de sa vie pour la protéger... en vain.
Elo renifla :
- Tu as fait de la vie de Lana un enfer...
La prise d'Angelina se raffermit ; les serres d'un rapace prêt à égorger sa proie. Elo se plaqua contre le dossier alors que les coudes fléchirent, rapprochant du sien le visage anguleux de sa grand-mère.
- J'ai besoin de la Main d'Isis pour sauver le monde. Où est-elle ?
Cette vision de sa grand-mère la terrifiait. Elle ne pouvait pas croire qu'elle était tombée dans cette « organisation », qu'elle l'y avait mêlée peut-être depuis son plus jeune âge sans qu'elle en ait conscience : la manière dont elle avait cultivé son amour de l'histoire, son attrait pour les rituels funéraires, la botanique, les civilisations anciennes... D'autant qu'elle lui avait menti si longtemps. Que lui avait-elle volé d'autre ? Ses passions ? Son admiration pour Lana ? Était-ce vraiment elle qui avait continuellement envoyé la Prêtrise à la poursuite de sa cousine, au point de devoir disparaître et d'utiliser Morgan pour lui léguer son journal ?
Elo hurla à ce visage qui lui faisait honte et qui l'avait trahi.
- Elle était ma marraine !
La gifle l'atteignit sans qu'elle la voie venir. Elo n'avait plus ressenti ce picotement depuis l'adolescence. Oui, les choses auraient été bien différentes si Lana l'avait élevée à sa place.
- Je ne vais pas me répéter une troisième fois, Eloïse.
Les cheveux noirs d'Elo ondulaient devant ses yeux. L'adolescente en elle se souvenait que si elle croisait son regard, elle en ramasserait sans doute une deuxième. Alors, elle se leva brusquement, obligeant Angelina à reculer.
- Je l'ai mise à l'abri.
- Tu es si égoïste, conclut la voix grave. Comme ta cousine. Rien qu'une pilleuse !
Elo écarta les bras d'indignation.
- En quoi c'est différent de ce qu'à voulu faire la Prêtrise en envoyant les Chérubins !
- Tu es trop jeune pour comprendre. C'est pour le bien commun.
- Menteuse ! Qu'est-ce que tu veux en f... ?
La tête d'Elo rentra dans ses épaules en voyant arriver une autre gifle. Mais Angelina retint sa main à mi-chemin et lui tendit.
- Donne-la-moi et je t'initierai.
- Le Grand Finissement, c'est ça ? dit Elo en pivotant légèrement pour éloigner sa tête.
- N'aie pas peur. Tu seras sauvée si tu fais ce que je te dis.
Elle observa la femme qui lui avait dédié sa vie. Et qui la menaçait à présent. Elle ne put que demander dans un murmure :
- Et si je ne t'écoute pas... ?
- Donne-la-moi, Eloïse, répéta sa grand-mère appuyée par sa main tendue.
- Je mourrais... ? Comme les autres qui ne méritent pas d'être sauvés ? ajouta Elo en reprenant les mots entendus de la bouche de la Capitaine.
- Donne-la-moi !
- Non !
La seconde claque partit. Cette fois-ci, Elo releva immédiatement les mains, puis la tête. Les yeux d'Angelina étaient exorbités. Le coup avait été si fort que ses lunettes étaient tombées de son front.
- Tu crois que tu peux nous empêcher d'atteindre notre but, toute seule ?
- Je ne suis pas toute seule... marmonna Elo en se touchant la joue, les yeux rougis.
- Ah, bon ? Je croyais que tous tes amis étaient morts ? Oh... Attends. Tu ne parles quand même pas de cette petite fée de malheur ? Tu crois sincèrement qu'elle tient à toi ? Un soldat entraîné à mentir depuis toute petite ?
L'éclat de rire provoqua un mouvement de recul chez Elo. Sa grand-mère l'attrapa par le bras et l'attira d'un coup sec.
- Tu crois vraiment être si forte que tu aurais pu survivre trois jours dans les Catacombes, si je n'avais pas demandé à Morgan de te protéger ?
Elo tira brusquement sur son poignet.
- C'était Lana qui le lui avait demandé ! rétorqua-t-elle.
- Elle obéissait à mes ordres, Elo ! À mes ordres ! Les Chérubins sont à moi !
- Et Rémie, elle obéissait aussi à tes ordres quand elle t'a trahi ?
Le bec cloué de sa grand-mère lui offrit une porte de sortie. Elle tourna les talons aussi vite que possible, les larmes prêtes à exploser de rage. Au moment où elle posa la main sur la clanche, elle fut renvoyée en arrière. La chemise se déchira un peu plus et elle se rattrapa au bureau, sur ses côtes contusionnées.
- Tu ne vas nulle part ! ordonna sa grand-mère.
Son visage était fracturé par la colère, méconnaissable aux yeux d'Elo qui en fut traversée d'un frisson. Ses bras et sa nuque avaient gelés. Ses entrailles s'étaient crispées d'angoisse et elle se recroquevilla sur le bureau, sans comprendre comment elle était arrivée là.
La main autoritaire se dressa de nouveau et, lorsqu'elle s'empara de son col, un cri aigu lui échappa.
- Donne-moi la Main d'Isis, ou la Prêtrise tue Lana.
Elo ne put accuser le coup. Tout son corps se mit à trembler. Son souffle se réduit sous l'abomination :
- Où est-elle ?
- Ta cousine s'est toujours mêlée de ce qui ne la regardait pas.
Angelina la secoua d'avant en arrière et elle ne put que fermer les yeux pour lutter.
- Tu m'as juré de ne jamais devenir comme elle ! continuait Angelina.
Puis elle jeta Elo à travers la pièce. Elle tomba sur les coudes dans une exclamation de surprise, qui se mua en terreur, puis en douleur. Sa peau brûla ; ses mâchoires claquèrent contre son épaule.
- À partir de maintenant, nous allons devoir te traiter comme elle.
Angelina marcha vers elle.
- On va te laisser le choix : nous rejoindre et tout nous dire, ou tout nous dire après avoir marinée au fond d'une cave, où une mort lente s'en suivra.
Elo rampa sur le linoléum pour se redresser.
- C'est ça que tu veux, hein ? assena Angelina en plantant son talon sur son bras.
- Tu me fais mal, mamie... ! gémit Elo.
- Tu viens me voir avec tes grands airs de justicière. Tu crois que je ne te vois pas te transformer en elle ! C'est déjà assez difficile de t'éduquer sur le bon chemin et quand elle a voulu te faire parvenir ce journal... ça a été la goutte qui a fait déborder le vase ! Maintenant tu te retournes contre moi ?! Après, tu vas vouloir aller vivre avec elle, c'est ça ?
Elo tenta de se redresser, la chemise prise sous l'escarpin. Elle était en pleurs.
- Non, mamie...
Elle sanglotait d'incompréhension, face à sa grand-mère autoritaire qui se transformait en une silhouette de pure violence. Instoppable.
- Tu crois que tu peux te retournes contre moi ? Je t'ai élevé pendant dix ans !
Le talon lâcha Elo pour se retourner vers le bureau. Les cheveux d'Angelina sautèrent de ses épaules lorsqu'elle tira sur le tiroir. Elle en sortit un téléphone noir, haut comme un doigt, une brique sans connexion internet... et sans doute à carte prépayée.
- Je t'ai séparée d'elle pour que tu deviennes une vraie historienne, pour la Prêtrise. Elle ne te récupèrera pas. Jamais. Il est temps qu'elle meure.
La première tonalité retentit.
Elo bondit vers le bureau. L'autre main d'Angelina plongea dans le tiroir.
Elle ne ralentit pas. Son genou balaya l'épreuve en pâte à sel. Avant qu'elle n'ait pu atteindre le téléphone, son épaule rencontra un revolver. Surprise par son saut, Angelina ne put s'en servir et recula, en vain, car Elo lui tombait déjà dessus.
Le trieur vola, puis éclata dans un tonnerre de feuilles au-dessus du téléphone. Elo perdit rapidement l'avantage, chutant avec le moniteur, le clavier et les câbles à sa suite. L'interrupteur tactile de la lampe de bureau fut actionné. Sa grand-mère tentait de se débarrasser de son poids, alors Elo remonta ses doigts vers le revolver. Elle ne voyait plus que l'arme... et se souvint de ceux Morgan tournoyer autour de la crosse.
Clic.
Le chargeur tomba sur la poitrine d'Angelina. Elo s'empressa de la lâcher et glissa hors d'atteinte avec les balles. Son objectif était la fenêtre. Elle n'eut que le temps de la déverrouiller.
Une main crochue se referma sur son épaule. Elle fut tirée en arrière en même temps que les battants s'ouvrirent, puis tomba sur ses fesses comme un cheval à bascule. Le choc la glaça. Sa grand-mère fondait sur elle pour récupérer les balles de son arme à feu qu'elle voulait utiliser contre elle...
Elo eut tout juste le temps de la repousser pour balancer le chargeur au-dehors. Puis Angelina tomba sur elle, un genou sur l'estomac ; l'autre lui immobilisa un bras. Deux mains chaudes se refermèrent sur sa gorge.
Elo hoqueta de surprise. Elle l'enserra pour tenter de délier les doigts, implorant du regard celui, irrité, de sa grand-mère. Non, une autre personne se tenait forcément au-dessus d'elle.
Ses jambes s'agitèrent, supplication muette. Mais Elo ne se sentit pas étouffer : elle ne le comprit pas tout à fait. Était-ce encore une menace ? Une leçon ? Une démonstration de force ? Que pouvait-elle faire pour calmer sa grand-mère ?
Puis, l'air lui manqua réellement. Elle tenta de la supplier, mais aucun son ne sortit. Elle posa ses mains autour du visage cauchemardesque. Une peau tendre sur une âme décharnée. Et deux billes noires déterminées... à la tuer.
- C'est à elle que tu vas donner la Main, n'est-ce pas ? Tu ne la retrouveras jamais !
Angelina resserra ses mains en hurlant de rage et - Elo le crut - de douleur.
- Des gens vont mourir à cause de toi !
Beaucoup plus mourraient si Elo cédait la Main ; ce fut ce que lui souffla son cerveau en manque d'oxygène. Et elle en fut certaine. C'est pourquoi elle cessa de lutter. Elle laissa ses bras retomber au sol. Ses jambes s'oublièrent sous le poids de sa grand-mère, qu'elle fixa pour l'obliger à voir l'horreur de ce qu'elle faisait... Sa grand-mère qui l'avait pourtant recueillie quand le monde semblait l'abandonner.
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