Chapitre 12 : Nouveau succès déverrouillé !
Elo était couverte de sable de la tête aux pieds, de l'élastique de ses chaussettes jusqu'à celui de ses cheveux, en passant par son slip. Du faisceau émanant de son front, elle scrutait les murs, à la recherche de caches de cataphiles.
Son pied heurta la tête d'une pelle détachée de son manche. Elle la ramassa, puis l'utilisa pour fouiller les tas de remblai. Ses bras étaient lourds ; si l'état d'ébriété s'était dissipé en un éclair, l'alcool, lui, circulait toujours à son aise dans son sang.
Le deuxième morceau de carte qu'elle trouva était coincé dans un creux, entre deux rochers. Il fallait avoir l'œil vif pour repérer les secrets des catacombes. Elle sortit son couteau suisse et taillada le métal de la conserve à grands coups, sa lèvre sèche mordue entre ses dents. C'était une boîte réutilisée dont le couvercle avait été soudé, probablement par Milo.
À l'intérieur, le papier indiquait « 4/12 ». Il lui manquait donc deux secteurs. Dans celui-ci, un nom lui sauta aux yeux : la Fontaine des Chartreux. Une aubaine ! Non seulement elle se rappelait ce lieu, mais elle se souvenait de ce que lui avait dit Tintin : un habitué des descentes nommé Martin-Matin avait reconnu le symbole près de cette fontaine.
Seconde bonne nouvelle : Milo avait recensé d'autres informations en cas de besoin. Elo n'osait rêver, mais elle suspectait ce nouveau symbole, légendé : « caisse » dans la marge, d'être un point de ravitaillement pour personnes égarées dans les catacombes.
Elle tâcha de s'y rendre au plus vite. Sa lampe commençait à faiblir, ce qui était mauvais signe. La première chose que l'on apprenait en descendant dans les catas – après toutes les rumeurs et le folklore – c'était qu'il ne fallait jamais, absolument jamais, se retrouver dans le noir. Sans lumière, il était impossible de se déplacer : entre dénivelé et plafonds à hauteur variable, sans oublier l'eau et les chatières. Et sans point de repère, c'était se perdre, assurément. Il valait mieux ne plus bouger et espérer que les chiens vous retrouvent vite... si quelqu'un notifiait votre absence en surface.
La doctorante courait autant que possible, la carte froissée entre les mains. Elle faillit manquer un virage, glissa sur des graviers, avant d'atteindre son objectif, le souffle court. Trois marches faites de planches et tassées avec du remblai. Elo s'attaqua à l'une des contremarches à coups de pelle. À chaque frappe, sa lumière faiblissait. Elle n'avait plus de temps à perdre. Elle empoigna le bois à pleine main et l'arracha.
— Ah yes ! s'exclama-t-elle victorieuse.
Elle extirpa de la trappe une boîte en métal tachée par la rouille, dont la peinture rouge tombait dans le remblai en petites écailles. Elle était si vieille qu'Elo douta qu'elle ait été placée là par Milo. En fait, elle voyait bien le jeune cataphile en cartographe-archiviste, récolant les caches comme s'il ratissait une map de jeu à 100 %, puis consignait sur des cartes les trésors laissés par les générations passées pour les visiteurs futurs. Agenouillée devant la caisse, Elo se sentit soutenue par des bataillons entiers de cataphiles dans sa quête pour venger leurs défunts. Elo ne mourrait pas dans ces catacombes, grâce à eux.
Le verrou sauta au second coup de pelle. Elo ne voyait déjà plus que le bout de ses doigts. Elle avait eu raison de se précipiter ici : la caisse contenait quelques bougies en bâton et des allumettes.
Crac ! La flamme s'ébroua sur la mèche cirée au moment où sa lampe frontale rendait l'âme. Elo soupira de soulagement... soufflant la bougie.
À tâtons, elle chercha les allumettes, se cognant dans la caisse.
— Putain, tétanos !
La cire chaude coulait sur ses doigts alors qu'elle inspectait le reste de la caisse : un sifflet et deux boîtes de conserve. Elle n'avait pas de réchaud, mais, l'estomac vide depuis les deux tartines de beurre désormais complètement diluées par l'alcool, elle ne cracha pas sur cette incroyable trouvaille. Elle dégaina son couteau suisse et entailla le métal qui ne comportait même plus de date de péremption.
— Bon appétit, Catamomie. Ton premier repas de survivante.
Une minute plus tard, Elo vomissait son trésor. Une giclée de haricots lingots blancs éclaboussa la pierre. Elle régurgitait si fort que le son prit la fuite dans les couloirs voisins.
Soudain, des pas résonnèrent près d'elle.
Dans un sursaut, Elo rafla la bougie, abandonnant le reste de la boîte de conserve qu'elle ne regretterait pas. Elle poussa la caisse dans la fausse contremarche d'un coup de pied, puis s'élança dans le labyrinthe, la main autour de sa précieuse flamme. Elle espérait semer ceux qu'elle supposait mal intentionnés. Après deux intersections, elle se plaqua contre un mur et souffla la bougie – à dessein cette fois.
Une radio crachait non loin :
— Je croyais que vous aviez fait le ménage ! Personne ne doit s'approcher du deuxième site.
— Je crois que c'était une fausse alerte, dit la voix d'un homme.
— Un rat ? demanda un second à quelques pas.
— Capitaine, il y a des rats, ici ?
— Mais j'en sais rien ! gronda la radio.
Elo se recroquevilla contre la pierre, tandis que deux hommes en uniforme commando passaient d'une galerie à une autre. Dès qu'ils furent éloignés, Elo laissa échapper l'air bloqué dans ses poumons. Risquant un œil, elle put distinguer les deux silhouettes. Ils avaient la même démarche que les soldats Vigipirate qui patrouillaient devant le Louvre : les bras croisés sur leur arme accrochée à leur veste tactique. Elo déglutit.
Lorsqu'elle put à nouveau s'éclairer à la bougie, elle reprit ses cartes. Le doigt sur la feuille posée au sol retrouva le chemin qu'elle venait de parcourir. Elo s'étonnait de la facilité avec laquelle elle avait su prendre la fuite, couvrir ses traces et mémoriser son parcours – se perdre de nombreuse fois dans les transports parisiens avait-il eu du bon ?
Elle tendit une dernière fois l'oreille, avant de prendre la direction de la fontaine.
Elo avait peur de tomber sur une nouvelle ronde de contractor ; car il ne fallait pas se leurrer, ces soldats n'étaient pas des militaires du gouvernement, mais des contrats privés et cette « Capitaine » était à leur tête.
Elle arriva sur les lieux à pas de loups. Le couloir qui menait à la fontaine était désert ; elle ne put s'empêcher de sourire à son succès. Au milieu de la galerie, une porte grillagée marquait l'entrée vers une cavité. Elle était entrouverte. Elo put s'y glisser sans avoir à faire grincer les gonds.
La salle était haute – une grotte grise en partie maçonnée et, du haut de l'escalier, Elo aurait eu une vue plongeante sur la fontaine, si son éclairage l'avait permis. La bougie à la main, qui dévoilait tout juste le bout de ses pieds, elle s'avança. Ses doigts agrippèrent la rampe en pierre.
De part et d'autre des marches, deux piliers massifs gardaient la voûte de tout effondrement. Elo eut la sensation de pénétrer dans une église, ou plutôt dans une crypte sous une église. D'ailleurs, c'était l'effet recherché par tous les cataphiles qui venaient y effectuer leur « baptême ». Sous l'ancien domaine des chartreux, ils venaient tremper leurs lèvres dans le bassin en pierre sculptée, qui recueillait l'eau ruisselant à travers la roche des carrières.
La bougie posée sur le bord révéla la pureté de l'eau. Elo y plongea ses mains. L'eau translucide était douce ; elle se teinta de poussière à son contact. Penchée au-dessus du bassin, Elo se mouilla le visage, avant de l'immerger complètement. Sous l'eau, elle but enfin. L'haleine de bière et le goût de la pierre cédèrent leur place à une fraîcheur désaltérante. Elle enfonça sa tête jusqu'au cou et les bras jusqu'aux coudes. Ses plaies semblèrent se nettoyer d'elles-mêmes ; la peau en feu, enfin apaisée.
Elle ouvrit les yeux ; il faisait presque noir. Les tympans noyés, elle ne l'entendit pas arriver. Mais le halo de la bougie avait vacillé.
Puis la flamme disparut.
Elo sortit la tête hors de l'eau, pour être accueillie par un canon pointé sur sa tempe.
Elle s'immobilisa, aveugle, l'eau se déversant dans son cou. Le canon se décolla. Même dans l'obscurité, Elo savait qu'elle était toujours dans sa ligne de mire.
— Quand je m'éloignerai, tu comptes jusqu'à dix. Et tu sors d'ici.
La voix, étouffée par un tissu, articulait chaque syllabe avec lenteur. La poitrine d'Elo se comprima. Elle aurait voulu consentir à la seule chose qui lui garantissait la vie sauve, mais sa gorge refusa d'obtempérer.
— Compris ? reprit son agresseur.
— Je ne peux pas.
Elo s'attendit à recevoir un coup, mais les semelles grattèrent nerveusement le remblai dans son dos.
— Pourquoi ? demanda l'autre qui se forçait à être grave.
— Pourquoi avez-vous tué mes amis ? enchaîna Elo.
Son cœur pulsait dans les veines de son cou. Elle était en colère. L'autre ne fléchissait pas non plus. Le canon froid se colla à nouveau contre son crâne. Sous le coup, la tête d'Elo bascula vers l'avant.
— C'est moi qui demande. Qu'est-ce que tu fais encore là ?
Elo grimaça. Elle n'aimait pas la familiarité avec laquelle l'autre s'adressait à elle, mais l'agressivité de son ton et de ses gestes la refroidit. Elle avait peur de lui dire la vérité autant qu'elle craignait de lui mentir.
Son sang tambourinait à présent dans ses oreilles. L'eau glacée de la fontaine dégoulinait sous le col de son t-shirt et la faisait trembler.
— Je... je suivais juste une intuition, répondit-elle.
L'air changea. Elle aurait juré sentir la personne se détendre dans son dos : sa respiration s'était ralentie. L'esprit derrière la gâchette délibérait.
Soudain, les semelles firent à nouveau crisser le gravier. Même si elle ne voyait rien, Elo ferma les yeux avec force.
— Je suis désolée... dit la voix de sa lenteur grave.
La phrase à peine prononcée, le corps d'Elo tomba au sol. Le coup de crosse avait crispé les muscles de sa nuque jusqu'à l'inconscience.
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