Chapitre I: Nouvelle vie, nouveau départ
Six mois plus tôt...
-Dites-moi Ethan... Où étiez-vous samedi dernier à 19h30 ? demande, une énième fois, mon père, à l'homme assis en face de lui.
- Je vous l'ai déjà dit. J'étais chez moi devant N'Oubliez pas les Paroles, répond-t-il avec aplomb pour la 3ème fois.
Je croise les bras sur ma poitrine en soupirant. 1h30 d'interrogatoire et nous n'avions pas avancé, mis à part peut-être dans notre impatientomètre. J'ai la clair impression de tourner en rond et ça commence à m'énerver. De plus le suspect gardait obstinément son regard baissé si bien que je n'ai pu capter aucune émotion depuis la salle voisine dans laquelle je trépignais.
-Vous ne pouvez pas retenir indéfiniment mon client, déclare calmement l'avocat. De plus si je ne m'abuse, les coordonnées de son téléphone et le témoignage des voisins appuient son alibi. Alors je vous souhaite vraiment de retrouver votre dealer mais je vous demanderai quand même de relâcher mon client qui n'a visiblement rien à voir avec votre enquête.
Mon père soutient le regard de l'avocat sans fléchir.
-J'aimerais beaucoup mais voyez-vous, je suis convaincu du contraire... On en est à combien ? Cinq déménagements ces deux dernières années ? Et tous étrangement précédés d'un échange qui aurait mal tourné. Vous avouerez que la coïncidence est intrigante ?
- Eh bien, capitaine, revenez vers nous quand vous aurez des preuves tangibles et non de simples suppositions ou coïncidences.
Mon père les fixe un moment avant de soupirer et de leur faire signe de quitter la salle d'interrogatoire. Je me redresse, le cœur battant. C'est le moment ou jamais !
Je quitte le bureau et m'appuie nonchalamment contre le mur du couloir, regardant mon écran de téléphone. Lorsque l'avocat et notre présumé dealer sortent, ils sont forcés à cause ou grâce à l'étroitesse du passage de me frôler l'épaule. J'ignore leur regard foudroyant et attend qu'Ethan Warner me frôle pour passer. Son mensonge et son contentement me frappent de plein fouet quand sa peau effleure ma main. Je réprime un tremblement et souris. J'avais ma preuve ! Mon père quitte à son tour la salle d'interrogatoire, le visage plus fatigué que lorsqu'il y est entré. Quand il m'aperçoit, ses yeux s'écarquillent. L'amusement et l'agacement se disputent dans son regard.
-Alors Mademoiselle L'Intrépide ? me demande-t-il.
- Il n'est pas net.
Il hoche la tête, rassuré de ne pas s'être trompé sur toute la ligne. Mais il va lui falloir plus que ça..
-Je vais demander à mes hommes de ne pas le lâcher mais d'être discret. Il finira par faire une erreur, surtout s'il est convaincu qu'on a abandonné sa piste.
J'acquiesce, contente qu'il ne me demande pas si je suis certaine.
-Bon travail Elana, me félicite-t-il en me tapotant l'épaule.
Je souris avant de quitter à mon tour le couloir afin de récupérer mon sac en salle commune. Les agents de garde me regardent passer sans un mot et mon père m'accompagne à ma voiture.
-Tu as réfléchi à ce que tu allais dire à tes collègues pour justifier ton acharnement sur Ethan Warner alors que ses alibis sont en béton armé ? je plaisante à moitié en voyant son air épuisé.
- Oui, soupire-t-il. Déjà que l'excuse du stage en psychologie a eu vraiment du mal à passer...
- Ce n'est pas vraiment un mensonge, je suis vraiment en parcours psy...
- Tu as compris ce que je voulais dire...
Il n'ajoute rien, laissant place au doux silence de la nuit. J'en profite pour l'observer à la lumière du lampadaire. Il me parait alors fatigué, pour ne pas dire vidé... Les ombres jouant sur son visage le vieillissent de quelques années. Je sais que son boulot lui prend énormément de temps et son inquiétude constante pour moi ne l'aide pas à se reposer. Cette douloureuse observation ravive mon courage pour lui annoncer ce qui me parait être la meilleure décision pour nous deux.
-Papa, il faut que je te dise quelque chose... J'ai... J'ai trouvé un super appart en ville et...
-Non.
-... suis allée le visiter hier. Le proprio est d'accord pour que je m'installe en fin de semaine, finis-je, ignorant son intervention.
- J'ai dit non, Elana.
Je savais qu'il réagirait ainsi, mes arguments sont prêts depuis un bail. Mais devant ses yeux pleins d'inquiétude, j'ai une pointe d'hésitation. Ne va-t-il pas s'inquiéter encore plus si je pars ? Non, ça sera plus simple ainsi pour nous deux.
-Papa, je serai à quinze minutes à pieds de la fac et à peine vingt d'ici...
- Mais de chez nous aussi tu n'es pas loin de la fac et comment arriveras-tu à tout gérer ? Tu n'es pas prête El...
J'attrape sa main. J'ai conscience que son inquiétude est plus que légitime. Les changements sont rapides et brusques mais je suis convaincue que c'est pour le mieux. A le répéter, je me demande d'ailleurs qui j'essaie de convaincre. Mon père ou moi ?
-Je vivrai comme une étudiante normale. Papa, j'ai bientôt 19 ans. Il faut que je vive, que je m'épanouisse... Je ne peux pas rester cloîtrer dans la maison jusqu'à ce que mort s'en suive.
- Mais tu n'es pas une étudiante normale, Elana...
Je me crispe aussitôt. J'ai beau avoir l'habitude, je déteste qu'il me le rappelle avec aussi peu de tact. Oui, j'ai ce qu'on appelle une empathie surdéveloppée mais ce n'est pas non plus un fléau. D'autant plus que je la maîtrise à présent et de mieux en mieux. Je sais qu'il ne cessera de s'inquiéter d'une rechute ou que le contrôle que j'ai acquis ne soit que temporaire. Et surtout je sais qu'il n'oubliera jamais mes crises, ces moments où les émotions des autres me submergent. Mais ce temps est révolu. Je connais à présent chaque sensation causées par chaque émotion et sais faire la part des choses entre mes émotions et celles des autres. Mieux, je peux désormais m'en servir pour aider. Mon empathie n'est plus une faiblesse.
-Je maîtrise maintenant et de toute manière, je ne veux pas la laisser dicter ma vie ! déclaré-je fermement.
- Je sais mais qui te réveilleras si tu pars dans une crise ? Déjà la fac, tu devras en plus quotidiennement te couper pour éviter de sombrer ? Est-ce la vie que tu veux, Elana ?
- Je dois essayer Papa. J'ai besoin de ça...
Mon père soupire. J'hésite à lui faire remarquer ses yeux cernés et son teint fatigué mais ça ne ferait que le braquer. Alors j'attends sa réponse.
-De plus, ajouté-je d'un ton léger, c'est une colocation.
Il redresse vivement la tête.
-Un coloc ? Pas avec un garçon, j'espère ?
J'éclate de rire, fière de moi. Enfin une discussion normale !
-Non ! Une fille de 19 ans en étude de physique. Et puis je te le répète, je suis majeur et vaccinée ! rétorqué-je amusée.
- Tu es sûre de toi ? me demande-t-il après un instant de silence.
J'acquiesce, certaine. Sa résignation me fait frémir mais je veux qu'il le prononce de lui-même. Il ferme les yeux en se pinçant l'arrête du nez.
-C'est d'accord, cède-t-il.
Folle de joie, je me jette dans ses bras.
-Mais je veux payer une partie du loyer, me prévient-il.
Alors que j'ouvre la bouche pour protester, il me coupe :
-Ce n'est pas négociable. Et je veux que tu me promette que si tu n'y arrives pas, tu rentreras...
Je hoche la tête que me jurant que ça n'arriverait pas. J'en suis capable ! Que ma nouvelle vie commence !
****
La fin de la semaine arrive très vite. A vrai dire entre les cours et les cartons, je ne vois pas les heures filer. Le temps de plier quelques affaires, de trier et ranger les cours et surtout de rassurer mon père, les soirées sont bien avancées. J'ai de plus en plus hâte de partir. La tristesse et l'inquiétude que mon père laisse derrière lui me plombent. C'est comme un poignard qui remue dans une plaie. J'en ai presque des remords.
Samedi pointe heureusement le bout de son nez et une fois le dernier carton chargé, je me retrouve à face à lui et à son chagrin. J'esquisse un pas dans sa direction mais il m'arrête en secouant la tête.
-Je... Je préfère que tu ne sentes pas ça...
Son ton triste me donne les larmes aux yeux. Je m'approche quand même et le serre dans mes bras. Sa peine m'enveloppe tout entière et je ne peux retenir mes sanglots. Nous restons un moment ainsi, immobiles...
-Tu devrais y aller, murmure-t-il, la voix rauque, ou tu ne partiras jamais.
Je hoche la tête sans un mot et recule pour sécher mes larmes. Je voudrais lui dire tant de choses mais tout ce que je parviens à murmurer est un pauvre :
-Merci...
J'espère qu'il comprend ce que je n'arrive à formuler mais que j'aimerais tant lui dire. Merci d'avoir toujours été là... Merci de ne pas avoir abandonné... Merci pour tout...
-Je t'aime Elana... Tu es ce que j'ai de plus précieux au monde...
- Moi aussi, je t'aime... Je suis désolée de..
De nouveau, il m'interrompt. Je le sens prêt à craquer mais il tient bon.
-Vis Elana, chuchote-t-il avant de reculer.
Après un dernier regard reconnaissant, je monte dans ma voiture et démarre vers mon nouveau chez moi. Vers ma nouvelle vie...
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