Chapitre 2 (7)
Quelques heures plus tard, en milieu d'après-midi, je finis par prendre sur moi et aller interroger nos deux suspects.
Le temps s'écoulait lentement dans ce grand chalet, nous protégeant du vent qui hurlait dehors. Je n'avais aucune envie de sortir pour le dîner tout à l'heure, mais Monokuma ne nous avait pas accordé la demande d'annuler l'évènement.
Sachant l'opinion de Violaine sur moi, et puisque c'était Mizuki qui la gardait - Mizuki qui m'intimidait et avec qui je n'avais pas des rapports très amicaux - je décidai d'aller d'abord voir Mike, que Nikolaï surveillait.
Quand j'ai approché, Mike me remarqua en premier. Il se redressa un peu sur son siège, et me fixa. Son ton était encore plus cireux que la dernière fois que je lui avais parlé. Il avait presque l'air fièvreux. Ses cernes creusait sa peau et donnait un lueur fantomatique à son regard.
Nikolaï me remarqua aussitôt après, son calme d'une seconde auparavant parut se troubler.
Soudain je me suis sentie un peu moins courageuse face aux deux membres les plus imposants de notre groupe tournés vers moi.
- Hm, je voulais... poser des questions...
J'ai bredouillé dans ma barbe :
- Je t'en prie vas-y si tu peux me prouver innocent aux yeux des autres.
A répondu spontanément Mike, mais le ton un peu amer. J'ai déglutit et je me suis lancée avec beaucoup moins d'assurance que je ne l'aurais voulu.
- Où est-ce que tu as croisé Violaine ?
- À côté du chalet de Mélanie. Soit juste à côté de chez Aimana...
J'ai réfléchit, c'était aussi assez proche du chalet de Violaine. À côté de chez Royale aussi, mais elle était dans le chalet de spectacle avec Monokuma alors elle n'avait rien pu voir...
Je n'étais pas ravie de faire ça, mais j'avais des questions à poser :
- Je peux... savoir pourquoi vous vous êtes disputés avec Aimana.
J'ai vu un éclair de douleur traverser son regard et il se braqua soudain, lui qui avait l'air si ouvert aux question un instant plus tôt.
- C'est privé.
J'ai songé à insisté mais à ce moment j'ai croisé le regard de Nikolaï qui eut l'air de me demander de ne pas continuer, alors j'ai renoncé et changé de registre :
- Est-ce que tu as fait quelque chose pour que Violaine t'attaque une fois dans le chalet ?
- Je ne sais pas... Peut-être qu'il y avait un indice, une preuve, qui aurait pu l'accuser et qu'elle a essayé de me tuer avant que je ne puisse la découvrir...
J'ai noté cela dans le coin de mon esprit, commençant déjà à réfléchir à ce que cela aurait pu être... Comme aucune autre question ne me venait à ce moment, je me suis légèrement détendue et j'ai demandé à Nikolaï.
- Tout va bien ?
Il tourna promptement les yeux vers la droite, comme pour fuir mon regard et me dit simplement.
- Oui, merci beaucoup.
Parfois, en ne regardant que son apparence bourrue et sa stature intimidante, j'oubliais à quel point il était tout sauf menaçant une fois qu'on lui parlait. Je lui aie fait un dernier sourire, un signe de tête à Mike et je suis repartie, hésitant sur ma prochaine action.
Je pouvais bien sûr juste aller voir Violaine et elle aussi l'interrogé, mais avec ce que m'avait dit je pouvais également aller inspecter le chalet d'Aimana pour tenter de trouver un indice qui serait passé inaperçu.
La tempête qui faisait rage dehors me donnait envie de plutôt aller voir Violaine, je me suis un peu déplacée de sorte qu'en tournant la tête vers la gauche je pouvais apercevoir Violaine qui fulminait à côté d'une Mizuki impassible. Soudain cette dernière redressa la tête et me vit. Elle me jeta un regard aussi mauvais que d'habitude et finalement le vent ne m'intimida plus tant que ça
Pour autant, j'avais peur de sortir seule et qu'un accident m'arrive. J'aurais voulu être accompagnée... Mais à qui demander ?
J'ai songé à Cassiopée bien sûr, mais je n'étais pas certaine qu'elle soit très enthousiaste à sortir dans le froid. Elle ne m'aurait surement pas dit non, mais je ne voulais pas la forcer. J'aurais pu demander à Axel ou Mélanie mais il semblait avoir une dispute à rafistoler. Nikolaï gardait encore Mike...
Mes yeux se sont alors posés sur Anoushka. Immédiatement j'eus envie de lui demander à elle. Elle était la personne adéquate. Je savais qu'elle n'aurait pas peur du froid et serait curieuse d'enquêter. Mais si Anoushka ne venait pas vers moi, je n'osais pas lui demander. En général, elle était toujours venue dans ma direction lorsqu'elle était ouverte à la conversation....
L'ultime ramoneuse était assise sur un fauteuil, ses jambes passées par dessus l'accoudoir, penchés sur un autre casse-tête en bois. Un pli froissait son grand front blanc, dissimulés sous les boucles pâles de sa chevelure rebelle. Soudain, comme si elle avait senti mon regard, elle redressa la tête et me fixa.
Nos regard restèrent croisés un instant, sans que j'ose rompre le contact visuel ou m'avancer.
C'était toujours tellement difficile de savoir ce que pensait Anoushka, ou comment elle se comporterait. J'ai repensé à ce qu'avait dit Cassiopée sur moi, ou ma prétendue façon de regarder les gens... Je ne savais rien du tout, et je ne comprenais pas du tout les autres... Elle avait tort.
Soudain Anoushka se leva, et vint dans ma direction, faisant accélérer mon cœur de façon incontrôlable. Je n'étais pas prête pour une confrontation ! Et si elle m'en voulait encore pour tout à l'heure ? Qu'est-ce qu'elle voulait ? J'aurais du détourner les yeux...
- Tu as l'air complètement paumée Lys-
- Désolée-
L'exclamation était sortie toute seule par réflexe. Anoushka haussa un sourcil interrogateur.
- Que se passe-t-il ?
J'inspirais profondément pour tenter de me calmer et lui donner une réponse convenable, mais soudain Anoushka reprit :
- En fait, non, pas besoin de t'expliquer. Est-ce que tu as besoin d'aide ? Tu tournes en rond depuis tout à l'heure.
J'ai soufflé en me détendant un peu, lui jetant un regard reconnaissant, et j'ai hoché la tête :
- Tu pourrais m'accompagner dans le chalet d'Aimana... s'il te plait ?
Elle ne posa aucune question, n'hésita pas une seconde, et alla directement chercher son manteau qu'elle avait laissé prendre sur le dossier de son fauteuil.
Puis elle commença à sortir en me faisant signe de la suivre d'un petit coup de menton. Je l'ai suivit immédiatement, ne voulant pas perdre de temps ou la faire changer d'avis, un peu perturbée par son silence.
Le chalet d'Aimana ressemblait trait pour trait à comme nous l'avions laissé. Les meubles renversés étaient à l'endroit précis où ils avaient été abandonnés, et les rayures toujours présentes sur le parquet. La seule différence était la cheminée, qui était désormais éteinte et froide.
Je me suis lentement avancée, n'osant pas trépasser le lieu, dont l'immobilité et le froid étaient terriblement sinistre et solennel.
Quelqu'un était mort ici.
J'ai commencé à doucement regarder autour de moi, en me penchant pour observer chaque recoin. Anoushka me fit sursauter en lâchant soudain :
- Tu sais ce que tu cherches ?
Je me suis tournée vers elle.
- Pas vraiment... Un indice, quelque chose...
Elle ne fit pas plus de commentaire, et elle commença elle aussi à inspecter consciencieusement l'endroit. Je ne trouvais rien, et un sorte de déception me traversa. Si seulement on pouvait être dans un de ces livres d'enquêtes, où le coupable revenait sur la scène du crime, laissait des indices que les détectives savaient toujours repérer et interpréter correctement.
Moi je n'avais aucune idée de ce que je faisais. J'avais la sensation d'être aveugle et tâtonner autour de moi.
Je me suis relevée, découragée, et je me suis rapprochée de la cheminée éteinte. Une gueule noire et inquiétante. J'ai sentis soudain le souffle d'Anoushka sur mon épaule, et sa voix commenta alors doucement :
- Le feu a brûlé jusqu'à ce que tout soit consumé, ça demanderait un bon nettoyage.
Ces satanés cheminées, qui nous avaient envoyé sur une fausse piste il y a quelques semaines, et faillit nous coûter la vie lors du procès. Je me suis accroupie, pensive, en regardant la cendre épaisse, mélange de gris de blanc et de petits bouts calcinés de charbon noir.
Puis, cédant à une impulsion soudaine, j'ai passé ma main dans la cendre, la laissant s'écouler entre mes doigts.
- C'est sale.
Lâcha simplement Anoushka. Mais j'ai recommencé une fois. J'allais me redresser, quand j'ai remarqué un objet un peu plus gros qui ne glissant pas entre mes doigts et me resta dans la main. Un bout de quelque chose racornie, noircit.
Anoushka qui s'était penché sur mon épaule demanda :
- Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Un bout de charbon ?
j'ai secoué la tête négativement alors qu'un courant glacé se répandait sournoisement dans mes veines. Mon souffle se fit plus court, quand, en manipulant un peu l'objet, je l'ai reconnu avec certitude. Un gros bout de sparadrap un peu fondu. Le genre de scotch épais et plastifié qui ne cède pas facilement.
J'ai soudain lâché le bout de sparadrap et je me suis redressé soudain. Je ne voulais pas rester enfermée ici une seconde de plus. La nausée me montait soudain à la gorge. Les images qui affluaient dans ma tête malgré mes efforts désespérés pour les maintenir à distance m'empêchaient de réfléchir rationnellement.
Sans même savoir ce que je faisais exactement j'ai marché d'un pas rapide vers la porte que j'ai ouvert en grand et je me suis jetée dehors pour m'éloigner de cet endroit et de mes souvenirs envahissant, enfouis dans ma mémoire comme ce bout de scotch dans la cendre.
Soudain j'ai trébuché sur une aspérité du sol. J'ai perdu l'équilibre et je me suis écrasée au sol. Mes genoux heurtèrent douloureusement le sol dur sans même me tirer un gémissement. J'avais plaqué ma main sur ma bouche pour retenir la nausée montant toujours plus, mes tremblement étaient incontrôlables.
Non, non, non, non, allez vous en ! L'odeur de feuilles pourries écrasées, le craquement de la neige, les flash lumineux, et la peur, la peur, la peur la peur.
Terrible, écrasante, impitoyable. Elle prenait possession de mes membres et chuchotait dans mon oreille : tu n'es rien, tu n'es rien, misérable, pitoyable, petit lapin, fuis, fuis, fuis toujours plus, fuis fuis fuis, cours cours cours, le danger va t'avaler tout cru et il ne laissera même pas les os.
À cet instant je n'avais plus une seule pensée cohérente. Plus je tentais de contrôler mes pensées, plus elle augmentaient, comme pour se moquer de moi, de ma faiblesse.
La peur me chuchotait encore : regarde ce que j'ai fait de toi, je te contrôle, tu m'appartiens, tu es à moi et je te priverais tout. Petit. À. Petit.
Une bile brûlante remonta soudain dans ma gorge et j'ai vomis entre mes mains gelées pressées sur le sol, ne faisant même pas attention à les tâcher.
J'ai inspiré 3 inspirations brèves, saccadées, plus des hochets que des respirations.
Soudain 2 mains menues mais puissantes, se posèrent sur mes épaules, comme pour m'agripper et me ramener de force sur terre.
- Lyslas !
Mon nom ramena une partie de mes pensées à la réalité, mais une autre partie était encore là-bas, dans les griffes de ma Geôlière, ma Mémoire, ma Peur.
Soudain les 2 mains me redressèrent de force et me tournèrent sur le côté. J'avais les yeux ouverts mais je peinai à distinguer ce qu'il y avait devant moi.
- Lyslas ! Lyslas ! Regarde moi !
Deux puits de ténèbre me fixaient, deux tâches de l'encre la plus sombre, des perles faites de nuit qui se détachaient presque avec violence sur la blancheur éclatante de la neige, de ses cheveux, de sa peau, deux iris auxquels je me suis raccrochée comme à un phare inversé.
- Respire, regarde-moi.
C'était un ordre. J'ai obéis. Et lentement, j'ai retrouvé pied avec le froid, la douleur dans mes genoux et le vent qui hurlait tout autour d'Anoushka et de moi.
- Ça va aller, ça va aller.
Elle me serra soudain contre elle. Fort. Avec une assurance qui termina de me tirer de mon état. Je me suis laissée aller contre elle, épuisée soudain, emplissant ma tête du bruit et des sensations qui me revenaient.
Après quelques minutes ainsi, quand le froid fut trop intense, nous nous sommes relevées. Anoushka n'essaya pas de me ramener vers le chalet d'Aimana, ni ne me posa de questions, mais elle ne ramena pas non plus vers le chalet principal, elle me ramena chez elle. Elle aurait pu, me demander ce qui se passait. Poser des questions, exiger des réponses. Ou simplement son regard aurait pu trahir sa curiosité. Mais rien de tout ça, ni pitié, ni question. Seulement cette force et ce calme. "Ça va aller" avait-elle dit.
Quand elle le disait, l'espace d'un instant je pouvais y croire.
J'avais honte de lui avoir montré ça. J'avais honte d'avoir replongé alors que j'avais si consciencieusement enfouis la moindre pensée susceptible de me mettre dans cet état de nouveau, que j'avais réussis à le contrôler depuis si longtemps et d'avoir échoué de nouveau.
Mais y penser n'était qu'un risque supplémentaire de déclencher une nouvelle crise. Alors je l'ai suivie en me concentrant sur sa tête blonde ébouriffée et les futurs bleus sur mes genoux.
Je laissa de côté l'image du sparadrap, et la poussa loin au fond de ma tête.
J'avais d'autre chose plus importante à faire pour le moment.
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