Chapitre 3
"Le printemps s'annonce toujours rempli de promesse... sans jamais nous mentir, sans jamais défaillir" - Michel Bouthot
Je gare mon vélo dans le jardin des Hardee, toque rapidement à la porte avant d'entrer chez mes voisins. Les parents ne sont pas présents, il y a uniquement les deux jumeaux au rez-de-chaussée regardant la télévision. Je leur fais coucou mais ils sont trop obnubilés par un épisode des Simpsons pour me répondre.
— Je croyais que vos parents vous interdisaient de regarder ça? Je lance.
— T'as pas intérêt à leur rapporter Miles sinon... me menace Clyde.
— Sinon? Je le relance.
— Sinon je te rappelle tous les jours la défaite des Warriors, il reprend.
Je l'insulte mentalement tandis que son frère rigole. Je laisse les enfants vaquer à leurs occupations interdites et me rends dans la chambre de Jen. Elle n'est pas là mais j'ai entendu de l'eau couler dans la salle de bain. Je me balade devant son étagère et observe le sourire aux lèvres des photos de nous. Ses cheveux ont toujours ce blond mais les miens ont évolué de blonds à bruns en passant par le châtain clair puis foncé. Ils sont bruns à présent. C'est comme une rétrospective de ma vie dans ce pays et Jen est inclue dans tous les souvenirs que je me suis fabriqué en mettant les pieds ici. On peut y voir Jen et Miles fêtant Halloween, Jen et Miles célébrant leur premier 4 Juillet, Jen et Miles mangeant leur premier vrai menu au Mc Donald, Jen et Miles avant leur première boom, Jen et Miles au bal de fin de collège ou tout simplement Jen et Miles grimaçant face à l'appareil photo.
Des pas se font entendre dans mon dos et je me retourne. Jen s'essuie les cheveux alors qu'elle ne porte qu'un short en coton gris et une brassière noire recouvrant sa poitrine mais pas ses balafres. Je laisse mes yeux divaguer sur ses traces légèrement boursouflées et ma gorge se noue.
Le cœur de Jen ou mon pire ennemi. Ma meilleure amie a toujours abrité mon pire ennemie en elle, mais il a pourtant contribué à notre rapprochement puisque le cœur guide l'amitié. Il lui permet de vivre, mais cette vie est fragile, il est fragile et la menace à chaque instant. La mort danse constamment devant ses yeux et la peine s'amuse de moi.
Ce n'est qu'en arrivant au collège et en suivant mes cours de sciences que j'ai compris quel était le problème de Jen, la cardiomyopathie dilatée.
Tout cœur normal est composé de deux ventricules, le ventricule droit et le ventricule gauche. Celui de droite reçoit du sang pauvre en oxygène et le renvoie vers les poumons afin que le fluide puisse se charger en oxygène. Ce sang oxygéné est alors envoyé dans le ventricule gauche avant d'être distribué aux différents muscles et organes du corps humain. Il retourne ensuite dans le ventricule droit du cœur et ainsi de suite, c'est une chaîne bien rodée.
Mais pas pour Jen. Le ventricule droit de son cœur fonctionne parfaitement, ainsi le sang oxygéné se rend sans encombres dans le ventricule gauche. Le défaut c'est que ce dernier a du mal à se contracter afin de redistribuer le sang, elle est ainsi fréquemment en insuffisance cardiaque. Il faut rajouter à tout cela que son ventricule gauche, grossissant, congestionne son poumon gauche et que des organes comme les reins nécessitant d'être irrigués en abondance peuvent entraîner de nouvelles pathologies sur le long terme.
Elle prend bien évidemment des médicaments afin d'atténuer les symptômes, mais, en médecine du cœur, le risque zéro n'existe pas. Cependant Jen est une vraie batante et cette femme d'1m60 se trouve être aussi résistance qu'un gladiateur. Le fait est que les médecins n'imaginaient même pas qu'elle vivrait plus de 2 ans et pourtant je me tiens devant elle, plus de 17 années après son premier souffle.
— Nous ne nous sommes pas beaucoup parlés aujourd'hui, hein? Je commence en fouillant dans sa commode.
— Ouais, j'ai quelque chose à te dire, mais c'est compliqué... elle réceptionne le t-shirt que je lui ai envoyé, l'enfile et s'allonge sur son lit.
— Moi aussi je dois te dire quelque chose. Tu veux te lancer en première? Je m'assois à côté d'elle.
— Non, toi d'abord.
— Rima m'a proposé de l'accompagner au bal de promo...
— Derek aussi, il a insisté mais j'ai refusé.
— A cause de la promesse que nous nous étions faîte? Je vérifie.
— Laquelle? Nous en avons fait tellement...
— On s'était promis de passer notre dernier bal de promo ensemble. Puisque tu as refusé, nous irons ensemble, toi et moi. Je souris.
— Non... tu devrais y aller avec Rima. Elle se braque. Les paillettes, les jupes en toile, c'est vraiment son truc. Je sais que ça la rendrait triste que tu ne passes pas cette soirée avec elle. Et puis... il vaut mieux ne pas tirer dans plans sur la comète, je ne suis même pas certaine d'être là pour le bal de promo...
— Attends... qu'est-ce que tu veux dire par là? Je panique passablement. Tu vas déménager...
— Non...
Elle pince ses lèvres et ne trouve plus ses mots. Elle se met au bord de son lit et je ne peux plus observer son visage. Jen se passe frénétiquement les mains dans les cheveux et remue ses jambes. Elle m'inquiète, je ne comprends rien.
— Jen? Je l'appelle doucement.
— Je suis désolée Miles.
Elle se retourne et se blottit rapidement contre moi. Elle plonge sa tête dans mon cou et je passe ma main dans son dos, la caressant lentement. Je sens son cœur battre vite dans sa poitrine alors je fais tout pour la calmer. Je la berce en chantonnant.
— C'est bon, tu n'as pas de quoi t'excuser...
— Si, je ne t'ai pas dit un truc important...
— Tu peux me le dire maintenant, ma voix est calme, je t'écoute.
— Je vais me faire opérer, elle avoue en se décollant de moi afin de m'observer.
— Quand? Je fais étourdi.
— Dans exactement une semaine... on va me placer un pacemaker.
— Comme Tony Stark?
— Si tu veux, mais le mien va surtout aider à synchroniser mes deux ventricules. Ils vont poser des sondes dans chaque cavité de mon cœur, ils appellent ça la "stimulation biventriculaire".
Je m'avachis dans son lit et lui fait signe de s'allonger contre moi. Elle s'exécute et pose sa tête sur mon torse. Ma respiration est lourde et la surélève à chacune de mes inspirations. Elle reste silencieuse et je ne fais rien pour rompre le silence, parce que j'ai peur. Je caresse ses cheveux et elle entremêle ses jambes aux miennes.
Quelques minutes passent et la porte de la chambre s'ouvre. C'est Kristen, la mère de Jen. Je pivote la tête dans sa direction et lui souris. Elle me fait une tête remplie d'empathie et doit se douter de ce que Jen vient de m'avouer.
— Jen, chérie, je voulais juste te dire que je suis rentrée, papa ne tardera pas non plus.
— Tu n'as pas dû affronter de vieux cons aujourd'hui? Demande-t-elle en plaisantant.
— Jeune fille! S'indigne sa mère. Surveille ton vocabulaire, Miles tu ne la reprends pas?
— Parce que "vieux con" c'est une insulte? Je fais étonné.
— Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. Sa mère lève les yeux au ciel. Pour te répondre Jen, oui, j'ai dû faire face à un vieux con, monsieur le maire en personne.
Jen se moque d'elle et j'écoute l'histoire amusé. Kristen travaille au bureau du maire. Tous les habitants se plaignent de son inefficacité et si c'était son seul défaut ça passerait. Mais malheureusement non. C'est un vieux con sans raffinement, mâchant la bouche ouverte et parlant la bouche pleine. Il laisse les dossiers s'accumuler sur son bureau, préférant assister aux matchs de basket de l'université. Il n'écrit jamais ses discours, comme ce fut notamment le cas aujourd'hui où il a exigé à Kristen de rédiger une tirade de sept minutes à propos de la fermeture d'une école élémentaire dans la ville. Jen s'indigne que sa mère ait obéit mais celle-ci lui répond qu'elle n'a pas le choix et qu'elle ne souhaite pas perdre son boulot.
— Tu sais que tu peux me poser ta question Milou. Elle m'annonce une fois sa mère sortie.
— Ne m'appelle pas Milou! Je peste.
— Très bien Milou!
— Jenny deux couettes, Jenny deux couettes, Jenny deux couettes, je la nargue en chantonnant.
— Utiliser ces souvenirs douloureux contre moi, Miles? C'est vraiment bas. Tu sais très bien que j'adorais mes deux couettes et que j'étais triste que les autres enfants se moquent de moi... Elle boude.
— Franchement, je ne les comprends pas, je secoue la tête. Tu étais vraiment trop mignonne avec tes deux couettes. Je me retiens d'exploser de rire.
— T'es vraiment un vieux con. Elle se redresse.
— Pardon Princesse. Je serre sa main dans la mienne.
— Est-ce que tu plaisantes comme ça parce que tu as peur de me demander combien j'ai de chances de perdre la vie sur la table d'opération?
— Non! Je manque de m'étrangler. Et puis c'est toi qui a commencé à plaisanter.
— Seulement parce que tu ne parlais pas Miles! Elle soupire en se tirant les cheveux.
— Ok, relaxe, je me redresse et plante mon regard dans ses yeux verts. Tu sais très bien que je n'ai jamais su te poser ces questions Jen. Je n'arrive juste pas...
— J'ai 90% de chances de survivre, ce n'est pas comme si on me greffait un autre cœur. Avec les nouvelles techniques les choses sont bien plus faciles.
— Donc les choses devraient bien se passer? J'inspire.
— Les choses se passeront bien! Elle s'exclame en souriant vraiment. Le truc qui est giga-cool c'est que ce sera ma dernière grosse opération du cœur.
— Vraiment?
— Oui Milou, il faudra juste parfois changer la pile mais c'est tout. Le truc chiant c'est qu'après la première opération, j'en aurai pour des semaines de récupération. C'est pour ça que je passerai la deuxième session des examens de fin d'année. Je ne pourrai pas non plus aller au bal et c'est pour ça que tu dois y aller avec Rima.
— Non, il en est hors de questions. Nous nous sommes fait une promesse...
— Nous étions encore enfants! Elle rétorque.
— Je m'en fou, ok? Rima m'a dit la même chose mais je m'en fou toujours. Tu es ma meilleure amie et tu le seras pour toujours. Alors, si je t'ai promis que nous passerons notre dernier bal de promo ensemble, nous le passerons ensemble. Je hoche la tête. Je viendrai chez toi ce soir là, j'installerai des projecteurs dans ta chambre et louerai peut-être une boule à facettes, je mettrai de la musique, nous serons dans ton lit et nos doigts danserons ensemble. Nous aurons même du public, il y aura Géraldine Van ainsi que Diane Van. Alors? Je lève les sourcils.
— Ce sera parfait. Ce sera notre plus beau bal. Merci Miles.
— De rien, Princesse. Je souris narquoisement.
— Roh! Voila que tu recommences! Elle se plaint de nouveau.
— J'y pense... t'es vraiment une sale menteuse Jen. Je dis le tout sur un ton léger.
— Quoi? Pourquoi? Elle hésite.
— Tu as reçu la réponse de la bourse d'Etat, j'en suis certain. Tu mens vraiment trop mal. J'ai voulu te le faire remarquer ce matin, mais madame était déjà trop préoccupée.
— Ok, je l'ai eu. Elle lève les yeux au ciel. C'est pour ça que je me fais opérer. Jamais mes parents n'auraient pu payer mes frais universitaires et l'opération. Une partie est remboursée par l'assurance mais ça reste vraiment très cher... elle se pince la joue. Tu crois que c'est égoïste ce que je fais?
— Ce que tu fais? Je répète perplexe.
— Oui. Ma mère est une simple secrétaire, mon père est un simple plombier. Avec ma maladie je leur coûte une fortune et puis l'opération, va trouer leur portefeuille durant des années. Peut-être même que mes petits-frères ne pourront pas avoir toutes les consoles qu'ils souhaitent où aller à l'université par ma faute. Ce n'est pas égoïste de gâcher la vie de toute ma famille? Elle s'inquiète vraiment. Parfois j'ai l'impression que me laisser crever serait plus simple, mais je ne veux pas... c'est égoïste ?
— Non, je secoue la tête, bien-sûr que non. Tes parents t'adorent, tu es leur petite fille chérie. Ils feraient tout pour toi, tu le sais très bien, ils peuvent s'endetter, hypothéquer la maison si ça leur permet de vivre avec toi. Tes petits-frères décrocheront la bourse de l'Etat comme toi, j'en suis certain. Et puis il y a des fondations et des associations pour aider les familles comme la tienne... je souris. Ce n'est pas égoïste, c'est légitime.
— Je peux te poser une autre question? Elle est embêtée, je hoche la tête et elle reprend. Tu sais si mes parents me cachent quelque chose?
— Non... j'en sais rien, pourquoi? Je fronce les sourcils.
— Ils se disputaient ou plutôt il discutaient vivement d'un truc à Sacramento. C'est bizarre parce qu'on connaît personne là-bas, enfin, il y a ton frère mais ça m'étonnerait qu'ils sachent où il est.
— Je ne pense pas non plus. J'expire. Ce n'est pas comme si il avait gardé beaucoup de contacts avec Corvallis, même moi il doit me parler une fois par mois tout au plus.
— Tu me promets que si tu découvres quelque chose tu m'en parleras?
— Promis Jen.
Elle sourit, parce qu'elle sait très bien que je tiens toujours mes promesses.
*******
Hey!
J'espère que vous allez bien,
Et que ce chapitre vous a plu!
Vous en apprenez plus sur la maladie de Jen (qui est une maladie réelle), si vous n'avez pas tout compris je peux vous expliquer quelques détails ou si c'est votre kiff de faire des recherches sur des maladies , Google est votre ami (je parle en connaissance de causes!)
J'ai vu que beaucoup reprendront l'école cette semaine, alors bonne chance à vous! Que le sort puisse vous être favorable !
Noémie =)
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