Chapitre 3 - Friendship
~ Bullet for my Valentine - Venom ~
Chris — September 17th, 2011 — Los Angeles
Des coups rapprochés me tirent de ma léthargie. Il me faut bien cinq bonnes minutes pour émerger de mon coma matinal — avec un terrible mal de crâne en prime — et réaliser que c'est bien à ma porte qu'on frappe avec autant de conviction. Jaugeant l'heure à la pendule, je me rend compte que la nuit a glissé rapidement pour faire place au lendemain.
J'ai la tête dans un étau.
Somnolent, j'ai juste envie de calme et d'un café. Ça tambourine encore au point que les gonds de ma porte vont finir par céder. Curieux de découvrir quel est le bourrin qui ose me réveiller d'une telle façon, je me redresse enfin.
— T'es mort ou quoi ?
June ?
D'un bond, je me lève, fourre dans un tiroir les photos éparpillées et entasse dans la poubelle les bouteilles de bière abandonnées sur la table.
— J'arrive ! hurlé-je en me levant du canapé.
Je tire sur la poignée, intrigué, par deux billes bleus qui me percutent de plein fouet. Armée d'un sac et de son charmant sourire, June m'observe d'un air vindicatif avant de finir par me sauter au cou. J'entame automatiquement une accolade : Elle m'a manqué. Deux semaines que je ne l'ai pas vue à cause de nos obligations personnelles. Lorsqu'elle finit son étreinte, elle recule de quelques pas et me toise une nouvelle fois.
— Toi, t'as picolé et dormi dans tes vêtements !
— Euh ... ouais. C'est exact, dis-je un peu gêné en baissant la tête pour m'aviser de l'accoutrement désordonné.
— Et tu ferais bien de prendre une douche ! Ajoute-t-elle sans ménagement.
— Je suis content de te voir, moi aussi, June. Mais qu'est-ce que tu fais là ?
— Tu as oublié qu'on devait se voir ? Je t'ai dit que je venais ce Samedi.
En fouillant dans mon cerveau encore comateux, je me souviens effectivement de ce détail. Perplexe, j'observe mon amie qui soupire de dépit. Elle me pousse sur le côté pour pénétrer fièrement dans mon appartement. June est ma meilleure amie. On s'est connu sur les bancs de l'école et je la considère comme une sœur. Je l'ai soutenue au décès de sa mère et elle en a fait de même lorsque j'ai perdu Beverly.
Immanquablement, j'examine une deuxième fois mon allure débraillée et mes vêtements froissés par une nuit peu confortable sur mon canapé.
Effectivement, elle a raison.
June se lamente sur les derniers vestiges oubliés d'une soirée de déprime. Ses allées et venues vers la poubelle me sortent de ma torpeur et avant de subir ses foudres, je m'avance timidement, mains dans les poches.
— Tu veux un café ?
— Laisse ! lance-t-elle d'un mouvement de main, je vais me débrouiller avec ton italienne. On se connaît bien, elle et moi. Toi, va te changer, pour l'amour du ciel !
— Je croyais que tu aimais les hommes sauvages, dis-je moqueur.
— Hum... mais pas qui sentent l'alcool à 10 000 km à la ronde, lance-t-elle en mimant une grimace de dégoût.
Sa mine déconfite m'arrache un rire. Alors je tente une approche en déposant un bisou sur sa joue, mais elle me chasse avec révulsion. Je m'enferme donc dans la salle de bains et laisse couler l'eau chaude sur ma peau. Les yeux fermés, je me libère de toute cette négativité car je refuse que June me voit abattu. J'enfile des vêtements propres, soigne mon apparence et endosse le rôle du gars qui gère à la perfection. La prochaine étape est la machine à café ; ce concentré en caféine qui a le don de réveiller n'importe quel homme sur terre.
Son odeur bienfaitrice s'est déjà répandue jusque dans le salon. En me servant une tasse, je guette June, assise sur le canapé, une photo entre ses mains. À la manière de s'attarder sur le cliché, je devine sa nostalgie et une pointe se creuse dans ma poitrine. Ce n'est pas simple tous les jours, mais je tiens le coup alors ce n'est pas le moment de flancher. Comme elle repose la photo, elle promène un regard critique sur moi, puis ses lèvres s'étirent en un sourire.
Sans blague.
Puis, elle saisit un magazine de hot cars qui traîne sur ma table basse et elle m'adresse un rictus énigmatique.
— Alors tu aimes les belles bagnoles à présent ? me nargue-t-elle.
— Parce qu'avant je n'aimais pas ça ? je lui demande en souriant.
— Si, mais j'ai repéré ce magazine et je me suis dit que tu avais envie d'une voiture plus récente, précise-t-elle, et j'adore ton parfum.
— Ça se tient. J'aime les belles cylindrées, June, sans que ça soit une obsession non plus. Et merci, c'est toujours le même.
— Dis-moi que tu ne joues pas de l'argent, Chris! s'inquiète-t-elle en fronçant légèrement les sourcils.
— Je ne fais pas de "tuning" et déteste tout ce folklore. Et j'ai une préférence pour le vintage. J'aime juste la pousser un peu de temps en temps, montrer ce qu'elle a sous le capot, mais ça s'arrête là.
Je ne me lancerai jamais dans cette folie, mais elle sait que parfois j'abuse de la vitesse. Ça m'aide à retrouver mon calme. Alors je comprends qu'elle puisse s'inquiéter, surtout avec ce qui vient de m'arriver. June soupire longuement avant d'avaler une gorgée de son cappuccino et de reprendre.
— Comment tu vas depuis ton accident ?
— Ça va. Je me remets doucement. Je dois débuter la rééducation et si tout va bien, je pourrai surfer dans 4 mois.
L'art de l'esquive dans toute sa splendeur. Je n'ai pas prétendu être le plus doué pour livrer mon ressenti et contourner la question fait parti de mon attirail de prédilection. June me scrute, essayant de démêler le vrai du faux. Elle me connaît depuis tellement longtemps que c'est pratiquement impossible qu'elle se laisse prendre au subterfuge.
Je termine mon café sous l'attention mesurée de mon amie et prend la fuite vers la cuisine. Bras croisés, elle me suit et se plante devant moi de l'autre côté du comptoir.
— Christopher ! C'est pas ça que je veux savoir !
Justement
Quand elle prononce mon prénom en entier, elle ne plaisante plus. Pourtant, je nie une nouvelle fois. Vu l'heure, je ne suis pas étonné que son estomac se torde dans tous les sens. Les émotions évoluent avec la faim.
— Tu veux qu'on commande de la bouffe Chinoise ?
Bluffée, coupée dans son élan, June m'observe, dubitative.
— Euh... pourquoi pas ! Je meurs de faim.
Voilà.
La diversion a fonctionné. Satisfait, je pianote sur mon téléphone à la recherche du site et nous commandons deux poulet curry avec nouilles épicées et des nems.
— En attendant qu'on nous livre, tu veux une bière à la cerise ?
Ses yeux s'arrondissent d'envie, et avant même qu'elle ne réponde par l'affirmative, j'en récupère une de mon réfrigérateur que je glisse sous son nez.
— Merci, souffle-t-elle, avant d'en goûter une gorgée.
Elle regagne le canapé, réconfortée par les goûts acidulés de sa boisson. J'ai su éloigner le sujet épineux, mais ce n'est qu'une question de temps. Je ne souhaite pas débattre sur ce qui serait le mieux pour moi parce que je ferai tout de même comme je l'entends. Je la rejoins au salon avec une Guinness. Si elle déborde d'allégresse, ma meilleure amie cache des démons bien enfouis sous une couche épaisse de sourires. Elle est bien plus dure de caractère que moi. Et sous ses iris étincelants et son babillage facile, il n'est pas dit qu'elle se laisse raconter aussi volontiers.
— Et toi, June, dans tous ça ? Comment tu vas ?
— Je vais au mieux ! J'ai un job très prenant, des collègues agaçants, mais adorables. Je sors avec mes amis aussi, tout va bien, répond-elle avec enthousiasme.
Et elle poursuit jusqu'à l'arrivée du livreur sur des sujets purement médicaux qui ne me passionnent pas forcément.
Durant le repas, le silence se creuse. Elle m'observe, guettant le moment où elle pourra déballer ses questions.
— Maintenant, je veux des explications !
— OK. À partir de quand ?
La blonde au regard de glace bloque sur moi. Sa patience a des limites et elle ne joue plus. Force est de constater que je suis au pied du mur. Et inutile de oui mentir, elle est pire que la CIA et le FBI réunis.
Je nous ressers en alcool avant d'attaquer le sujet préoccupant.
— Ok. Je cogite pas mal en ce moment. Je viens de quitter le restau et de me lancer dans mon propre business. Et même si j'ai le sourire, j'ai un peu la trouille que ça ne marche pas.
June m'observe, sans détour. Elle plisse les yeux, analyse mes dires, dissèque chaque information afin de se rendre compte de leur véracité. Alors je me dois de la rassurer un minimum sans lui raconter les derniers faits en date.
— June, je vais bien.
— Je n'en suis pas si sûre, à voir l'allure déplorable que tu te tenais ce matin ! Et je te passe le reste : l'état du salon, la photo oubliée sous la table et les autres fourrées en vitesse dans l'album. C'est pas de toi ça !
Un point partout.
Autant d'indice en peu de temps, je suis persuadé qu'elle a manqué sa vocation. Parce qu'une carrière au FBI lui irait parfaitement.
— Tu sais que t'aurais pu être flic ?
Elle m'adresse un regard noir qui me pousse jusque dans mes derniers retranchements. Insatiable, elle relance le sujet.
— Les soirées de déprime à faire défiler des souvenirs ne sont pas les bons remèdes. Si tu continues dans ce sens, tu vas replonger et je n'y tiens pas !
Son regard est aussi perçant qu'un coup de poignard, et ses mots sonnent comme une lourde prophétie. Elle me ramène à cette période où je n'ai été que l'ombre de moi-même, et qui a été aussi ma descente aux enfers. Sans mes amis, j'aurais touché le fond. Donc, derrière ce flot de remontrances, je devine son inquiétude latente. Et elle est légitime.
— Ne t'inquiète pas.
— Tu es sûr ?
— Certains ! Il m'arrive de regarder des photos, mais je garde le moral.
Sa bouche se tord sous d'innombrables doutes. Je sais qu'elle ne me croit pas, et qu'elle y reviendra. Alors je ne lui laisse pas le temps de fouiller mes états d'âme, comme elle sait si bien le faire, et enchaîne sur son projet d'entrée en Ecole de danse professionnelle : sa pure passion. L'idée est qu'elle abandonne le goût de me bombarder de questions jusqu'à épuisement.
— Et sinon, ce projet de danse, ça avance bien ?
Ses billes claires s'illuminent d'un autre éclat.
June est une parfaite Infirmière des Urgences au
Southern California Hospital, mais son idéal serait de troquer son uniforme contre des chaussons de danse.
— Parfaitement ! J'ai réussi mon concours d'entrée et je prépare mon premier examen de fin d'année sur le
nocturne numéro 2 de Chopin. J'espère que tu viendras ! Je voudrais vraiment réussir dans cette voie !
— Je te le promets ! Tu sais bien que tu es prioritaire.
Un sourire traîne sur ses joues rebondies alors qu'elle m'expose ses envies puis ses doutes. La danse est son échappatoire. Pour moi, c'est le surf et la vitesse. Alors que ses yeux tombent sur les courbures d'une Ford Mustang, je tire mon téléphone et lui montre les arrangements que j'ai réalisés sur ma Ford cougar. L'azur de ses yeux dévie aussitôt vers l'écran. Elle délaisse la revue, saisit mon mobile, et fait défiler les photos une à une. June me jette un regard narquois.
— Elle est pas mal comme ça ! Je pourrais la conduire ?
— Jamais ! affirmé-je en récupérant mon téléphone.
— J'aurais le droit de faire un tour, alors ? réclame-t-elle, en jouant une petite moue boudeuse.
— Absolument mais uniquement le soir.
— Pourquoi donc ?
— Elle déteste les rayons du soleil et adore la nuit, réponds-je en lui adressant un clin d'œil.
Sa bouche s'ourle d'un sourire. Mon amie sait combien je suis soigneux de mes affaires. Cela reste impensable de l'abîmer lors des courses illégales ou encore dans les bouchons en milieu d'après-midi.
En fin de journée, je l'emmène voir la belle dans son garage. La plupart des modifications concernent le moteur, alors je la dispense des détails techniques dont elle n'a que faire. Pour le reste, je me suis borné à respecter l'authenticité de ma caisse : les chromes et le cuir d'origine. June n'est pas une passionnée de voitures, mais elle sait apprécier ce qui est beau. J'oriente alors peu à peu la discussion vers la cylindrée de mon automobile, histoire d'entrer dans le vif du sujet : la vitesse.
— Maintenant qu'on a fait les présentations, je vais te montrer ce qu'elle a dans le ventre.
— Pas de vitesse ! annonce-t-elle.
— Jamais ! Et tu le sais bien, me moqué-je.
— Te fous pas de moi ! plaisante-t-elle, en me donnant un coup sur l'avant-bras.
Je laisse échapper un rire. Cela m'amuse parce qu'elle sait que j'aime entendre rugir le moteur. Une symphonie dont je ne me lasse pas.
Après avoir sorti mon bolide du garage, nous roulons sur Highland Park et descendons sur Silver Lake. Le ronronnement de mon automobile couvre nos échanges mais on s'y habitue. June fait allusion à des monceaux de souvenirs, quelques anecdotes. Ce sont de vieux dossiers oubliés, planqués quelques part au fond de ma mémoire. Elle est la meilleure pour énoncer les moments inoubliables du passé et m'arracher un sourire.
— Tous ces endroits sont remplis de souvenirs, souffle-t-elle, et ça fait tellement longtemps qu'on est pas allé y faire un tour.
— C'est vrai, remarqué-je d'un ton amer.
Je tire le frein à main, arrêté quelque part sur le Mont Lee. La voûte étoilée nous offre un spectacle magnifique.
June apprécie ces moments de complicités. Sûrement parce qu'elle sait où elle va me mener. Bercé par ses frivolités, et embarqué sur le chemin de la plaisanterie, je fais lentement tomber le verrou de mes résistances.
— Chris, je sais que ça va pas. Mais te retrancher dans la solitude en espérant que ça passe n'est pas la meilleure chose à faire ! Parle-moi.
— Je m'isole pas ! Je sors avec mes potes ...
— Tu te bourres la gueule avec tes potes , me coupe-t-elle,... nuance. Et parfois tu le fais seul. Tu penses qu'on verra pas ta tristesse mais elle se voit ! Tout le monde la voit.
— Je vais pas te dire le contraire. C'est encore difficile de vivre sans elle, mais j'ai appris à faire avec ça !
Là, j'aimerais juste qu'elle arrête. Une douleur sourde reprend sa place qui est la sienne dans ma poitrine, et élargit encore un peu plus ce trou béant au fond de mon coeur. Et la tristesse m'étreint entre ses bras.
— Chris, je comprends ce que tu ressens. Tu sais qu'une partie d'elle vivra toujours en toi et personne ne l'oubliera.
Le silence prend toute la place. Seul le bruit d'une sirène de voiture s'évanouit dans la nuit. Ma gorge se serre et vient étrangler chaque mot qui voudrait en sortir.
Je n'en peux plus.
— ... arrête... s'il te plaît...
Ma voix s'éteint dans un murmure. Alors son empathie prend le relai et elle rabat son bras autour de mes épaules.
— Elle me manque terriblement ... June...
— Prends le temps qu'il te faudra mais ne t'obstine pas à avancer dans l'ombre, chuchote-t-elle, près de mon oreille.
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