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Chapitre 1 - Wandering Mind

~Sleep Token - The summoning ~

Chris — 𝙻𝚘𝚜 𝙰𝚗𝚐𝚎𝚕𝚎𝚜 - August 28th 2011

Sous le ciel gris d'une journée d'été, j'ai le moral à zéro. Une heure à peu près que je roule au hasard, la tête lourde de reproches. Cette journée tourne en boucle, comme un mauvais scénario. Je revois sans cesse celle que j'aimais s'éteindre sans pouvoir lui venir en aide. Ce qui me ronge c'est de demeurer impuissant pendant qu'elle se battait pour rester en vie. Cela fera trois ans, ce matin. Et je n'ai envie de croiser personne.

L'eau continue de ruisseler sur moi tandis que je fonce sur ma moto, au milieu de nulle part ; une succession de virages et de collines à pertes de vue : Thousand Oaks. Une petite ville au Nord de Los Angeles. Un endroit où croiser du monde est un pur hasard et où la nature est reine.

Est ce que cela va suffire ?

Le mobile continue de vibrer dans la poche de mon blouson. Ça ne sert à rien, je ne leur répondrai pas. Pour quoi faire ? Les entendre me sermonner encore et encore. En fait, tout ce que je veux, c'est être seul. Laver mon esprit de toute cette colère qui me bouffe. Et me perdre en pleine nature semble être une bonne idée.

Le Cadillac Coffee apparaît à point nommé. Avec l'averse, on ne distingue plus grand chose et je risque de me casser la gueule. Il est temps de prendre une pause.

La moto garée près du porche, je rejoins rapidement l'intérieur, frileux et dégoulinant. Là, tout de suite, j'aimerais une douche bien chaude et des vêtements secs, mais pour ça, il faudra attendre.

Je progresse vers le comptoir, le jean collé à la peau et les converses trempées. La salle est vide et le parquet grince sous mes pas. D'un air inquiet, le barman scrute mon allure de rat d'égouts. Son air taciturne me confirme que ce ne sera pas lui qui me tiendra la conversation. Ça tombe bien, je ne veux parler à personne.

— Bonsoir, j'vous sers quoi ? lance-t-il d'un ton neutre.
— Un café, s'il vous plaît.

Et sans mot dire, il se plante devant son percolateur pendant que je découvre le décor négligé qui m'entoure ; un doigt de poussière sur toutes les étagères, Spiderman à chaque coin, une salle sombre, des rideaux jaunis par le temps et des vitres si sales qu'elles n'ont jamais connu un seul détergent de leur vie. En même temps, je n'ai guère le choix. Derrière, des trombes d'eau continuent de laver le sol.

Mais putain, quel endroit !

Débarrassé du blouson et de mon casque, je sors le téléphone et constate que le réseau a rendu l'âme. Le gars glisse lentement mon café sur le zinc et annonce alors la couleur : quatre dollars. En plus d'être désagréable, il est cher.
Je me demande où il se fournit pour être si coûteux.
Heureusement, l'odeur délicieuse qui s'en dégage ne me fait pas regretter et j'avance l'argent sans rechigner. Je hume ce trésor avant même de le goûter.

Une tuerie !
Au moins ça ...

Chaque gorgée est un plaisir. Et le calme est un apaisement pour mon âme, mais de courte durée puisque le réseau semble être revenu. Mon téléphone clignote et ne cesse d'alerter les nombreux messages qu'ont sûrement laissés mes potes.

Dommage, j'ai pas envie de vous parler.

Et comme ils insistent à coup de dix notifications, je lis un des derniers.

Nick > Mec, ça fait plusieurs messages qu'on te laisse et t'es injoignable. Entre hier et aujourd'hui, ça commence à faire beaucoup. Je sais le jour qu'on est, mais te faire du mal ne la ramènera pas. Dès que t'as mon message, rappelle s'te plaît ...

J'envoie balader mon téléphone un peu plus loin, sans prendre le temps de lire la suite. Je compte ni l'appeler maintenant ni plus tard. Il ne comprend pas ce que je ressens parce que ces remords, lui, il ne les aura jamais. C'est ma faute si Beverly n'est plus de ce monde, aujourd'hui et personne ne pourra la remplacer ni même apaiser ce manque.

D'une humeur massacrante, je termine mon café d'une traite baissant le regard pour rompre tous contacts. Mais ma lassitude a explosé un peu trop fort et une vieille bouteille ambrée apparaît sur le comptoir.

Le barman se tient juste derrière.

Surpris de ce regain d'humanité, je lève un oeil vers lui. J'ai bien envie de refuser et de me terrer dans mon coin, mais la couleur divinement brune sous mes yeux m'incite à la clémence. Tout compte fait, une dose ne sera pas de refus, alors j'accepte.

— Des ennuis ? demande-t-il de sa voix grave.
— Ouais, mais ça va aller merci.
— Vous êtes sûr ?

Un hochement de tête lui répond. Je fuis tout échange. Je refuse de débattre sur quoi que ce soit. Il remplit deux verres d'un liquide dont l'arôme divin tirerait un mort de sa tombe. Rien que ça.

Mes billes claires levées sur lui, je le remercie et apprécie une gorgée ; Du vieux bourbon, conservé pour les occasions. Parfait pour nettoyer son esprit des vicissitudes. Le bien-être sera bref, mais il aura le mérite de m'apporter la paix. Et je pourrais réfléchir à tête reposée.

— C'est à cause d'une femme ? interroge-t-il, les mains accrochées sur le rebord.

Un froncement de sourcil s'élève à cette unique demande. Je ne désire toujours pas étaler ma vie et ne sollicite pas non plus ses conseils.

— J'ai perdu une personne chère à mes yeux. C'est difficile de remonter la pente après ça, se confie-t-il avant de boire son verre d'une traite.

Sa solitude fait écho en moi et je décide de faire sauter les verrous de mon esprit dissipé.

Au moins, ce soir.

— On n'est jamais le même, après ça, réponds-je.
— Je confirme, mais rien n'est perdu. Prendre le large permet d'y voir clair aussi.
— Peut-être bien.

Le bruit des stores qui claquent sur la vitre me pousse à me retourner. Le ciel assombri et inquiétant est chargé de cumulus et une pluie torrentielle ne cesse de s'abattre sur le bitume. Les arbres se penchent, fouettés par la violence du vent. La nature est semblable à mon esprit : en révolte.

J'aimerais qu'on cesse de me dicter ma conduite. Je n'ai jamais rien imposé à qui que ce soit alors je réclame juste la même chose.

Pourquoi est ce qu'on cherche à me pourrir la vie ?

De pauvres lumières éclairent timidement l'ensemble du motel. La violence de la tempête les fait grésiller puis clignoter, menaçant de s'éteindre à chaque moment. Le tout confère une ambiance assez sordide ; un peu comme dans un film d'épouvante où on voit surgir de nulle part un loup garou. Ce qui n'est pas pour me déplaire, dans le fond.

— Vous comptez repartir tout de suite ? interroge-t-il d'un mouvement de menton.
— J'ai en tête de rentrer chez moi d'ici quelques heures, ouais.
— Je ne veux pas vous faire de la peine, mais ce n'est pas une bonne idée, vu l'apocalypse qui se prépare, lance-t-il avec humour, j'vous laisse une chambre gratuitement. J'vois bien que c'est indépendant de votre volonté.
— Je vous remercie mais j'ai juste besoin de rouler pour me changer les idées et je vais rentrer chez moi, dis-je en abaissant le regard, pour qu'il n'insiste pas.
— Sérieux ? Vous voulez retourner dans cette tempête?
— Ça va se calmer à un moment ou à un autre !
— Et ça peut prendre toute la nuit aussi ! Rincé comme vous l'êtes, vous feriez mieux de dormir là !

Et pour preuve, mes converses sont noyées et je suis exténué. Rester dans cet endroit miteux ne m'enchante pas des masses, mais je n'ai pas d'autres alternatives. Et lorsque cette tourmente se sera calmée, je repartirai.

— OK. Et merci !
— C'est normal ! répond-il en me resservant en alcool.

Deux verres que j'encaisse et rien ne m'éloigne de mes redondances. Même si je sais que ça ne la ramènera pas, j'ai besoin de garder en mémoire son souvenir encore vivace.

Mon verre n'a pas le temps de se vider que le barman se charge de le remplir une troisième fois. Je l'avale d'une traite. Mon esprit se trouble peu à peu. L'alcool a le mérite de noyer mon courroux et d'anesthésier toute idée révolutionnaire qui pourrait me passer par la tête. Finalement, il ne paie pas des mines, mais il est plutôt sympathique, ce gars. On m'a toujours appris à ne pas juger sur les apparences et j'avoue qu'elles ne jouent pas en sa faveur : une allure de vieux cow boy, avec sa barbe de plusieurs jours, ses cheveux sales, un veston de velours et une vieille chemise. Rien à voir avec les barmaids classe de West Hollywood. Ceux-là ont une réputation à tenir, mais ce mec doit s'en cogner sévère. Peu importe.

Nous enchaînons les verres et les vapeurs éthyliques nous unissent dans la tristesse et accompagnent cette soirée jusque tard dans la nuit. Les divagations se poursuivent, mais mon foie a trop épongé ce soir pour permettre à mon cerveau d'avoir le moindre souvenir.

Plus tard il me conduit jusqu'à une annexe. Je me débarrasse de mes chaussures à l'entrée, abandonne mon blouson et mon casque sur un fauteuil et me jette sur le lit. Je n'ai pas le temps d'examiner où je me pose. Il faut que je dorme. L'air se faufile par les fenêtres mal isolées et siffle sa terrible sérénade. Malgré mes vêtements encore humides, je finis par m'assoupir, épuisé.

******

Réveillé par la pluie torrentielle, une lumière faiblarde perce à travers les stores et me tire de mon sommeil. Un coup d'œil à droite puis à gauche avant que je me souvienne où j'ai dormi ; un couvre lit douteux — sûrement là depuis des années — la poussière omniprésente et cette odeur de renfermé peu ragoûtante.

Si j'en ressors sans une piqûre de puces ce sera un miracle.

Un frisson me parcourt l'échine rien qu'à cette idée et je me lève d'un bond. J'accuse le coup, une main sur le front : un terrible mal de crâne me terrasse, associé à un trou béant à la place de l'estomac. Un café et de quoi grignoter ne serait pas de refus.

La salle de bains semble être une oubliée de la propreté. Une puissante odeur de caniveau sort de la douche et je me retiens de respirer juste le temps de me donner un coup d'eau sur le visage. Ces effluves agressifs me tordent les boyaux et mes doigts croisent des serviettes rêches, qui traînent là depuis des mois à en juger par leur couleur délavée. L'envie de me barrer devient plus pressante. J'enfile mes chaussures en vitesse et fonce, les affaires sur mon dos, payer ce que je dois à cet homme.

L'odeur du café fraîchement moulu m'incite à autre chose. Et avec une dose de lait dans mon breuvage c'est parfait. J'échange quelques mots avec le barman, m'acquitte de ma dette et me voilà reparti.

La pluie sévit toujours, continuant de rincer les alentours. Roulant avec ma bécane, en direction de Los Angeles, j'accélère un peu. Je suis pressé d'arriver et de me mettre au sec. Douze heures que je moisis dans des vêtements poisseux et ça commence à faire beaucoup. La chaussée est glissante, mais je ne calcule pas les risques et presse la poignée de l'accélérateur. La moto se couche et glisse sur plusieurs mètres. Tout se passe très vite, mais pour moi ça se déroule au ralenti.

Lorsqu'elle s'immobilise enfin sur l'asphalte, une douleur intense irradie mon épaule et tout le côté gauche. Je tente de me hisser, mais une profonde agonie me cloue au sol. Ainsi collé au bitume, je me sens partir. Un crissement de pneus. Des voix inconnus. Et plus rien.

****

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