Chapitre 61.
Et les jours défilaient sans la moindre bulle d'air à l'horizon. Se réveiller pour aller en cours, rentrer des cours pour aller en rattrapage, sortir du rattrapage pour faire ses devoirs, finir ses devoirs pour aller se coucher, et se réveiller de nouveau. Et les week-ends se faisaient aussi lourds que les semaines. Entre les préparatifs pour le Festival qui faisait trembler le lycée tout entier, il y avait cette punition de poison, de factures et d'heures en solitaire.
Rien ne lui laissait le temps de souffler, de lever les yeux vers les nuages et de respirer l'air de la journée. Il y avait toujours quelque chose à faire, à commencer, à continuer, à terminer, toujours quelque chose entre les mains à compléter, à trier, à ranger. Le maintien de ses neurones en activité l'empêchait de vraiment penser, de réfléchir à autre chose, de s'attarder sur son malheur, d'écouter le monde autour d'elle.
Alors, lorsqu'un évènement inattendu débarquait dans son quotidien rempli et millimétré, Haruka avait tendance à ne plus savoir comment réagir. Autrement dit, elle se transformait parfois un poisson au visage béat et à la compréhension d'une limace.
Comme en ce moment même.
Assise au beau milieu de piles de factures dans une chambre froide et mal éclairée, la jeune fille avait du mal à percuter ce que faisaient un brocoli mal-à-l'aise et une grosse tête blonde souriante à la porte de sa salle de comptabilité. Elle avait surtout du mal à comprendre leur présence dans cette aile du lycée alors que tous les élèves étaient en train de s'acharner à préparer les festivités.
« Qu'est-ce que vous faites là ? ne sut-elle que dire. »
Energique comme à son habitude, Mirio déclara avec entrain :
« On vient te voir parce qu'on fait visiter le lycée à Eri. »
Sur ces mots, Haruka remarqua la présence d'une petite fille cachée derrière les grandes jambes du blondinet. Des longs cheveux blancs et de grands yeux rouges, une petite corne sur la tête et des vêtements tout à fait normaux, sans paillettes et sans chats, il s'agissait bien là de la fameuse Eri. Intimidée, elle fixait d'un œil curieux la jeune fille assise par terre à quelques mètres d'elle.
« Je pensais qu'elle allait juste venir au Festival, répondit Haruka en détournant le regard pour se reconcentrer sur les factures.
-Monsieur Le Proviseur pense que lui faire visiter Yuei avant la fête pourrait l'habituer à l'endroit et moins l'effrayer. »
Elle hocha de la tête en faisant la moue, tandis qu'elle jeta d'un coup sec une pile de facture inutiles dans un sac poubelle.
Mirio se pencha alors vers la petite fille, le sourire aux lèvres. Il tendit la main vers sa cadette, assise dans cette pièce sombre, avant de dire :
« Eri, je te présente Haruka, ma chérie de seconde.
-Mirio ! »
La jeune fille essaya de lancer quelque chose à la figure de Mirio, malheureusement les feuilles de papier n'étaient pas de très bons projectiles. Le grand blond gardait son sourire benêt sur le visage comme s'il ne saisissait pas la raison de l'agacement de la jeune fille. Eri ne comprenait rien à la situation. Et Izuku devint rouge de gêne, mais surtout de stupéfaction.
« C'est quoi une chérie ? demanda innocemment la petite fille.
-C'est une personne avec qui tu aimes faire des câlins et des bis-...
-Haruka est aussi la fille d'Eraserhead ! l'interrompit soudainement le jeune garçon aux cheveux verts bien trop gêné par la situation. »
Sur ces mots, Eri ouvrit ses grands yeux d'émerveillement, ce qui surpris la jeune fille. Et ce qui l'énerva encore plus.
Petite au visage rond angélique, mignonne avec ses mimiques timides, Haruka ne pouvait s'empêcher de détester l'enfant qui se tenait à quelques mètres d'elle. Son histoire était bien sûr extrêmement triste, mais l'intérêt qu'on lui portait lui semblait trop exagéré. En tant que descendante d'une famille de yakuzas, où étaient toutes les personnes qui la traitaient comme ses semblables ? Avait-elle aussi le droit d'être associée à ces criminels à cause de ses liens du sang ?
« C'est rigolo... dit Mirio d'un ton pensif. »
Non, au contraire, son visage de chamallow faisait que tous l'aimaient et tous faisaient en sorte de lui faire oublier ces moments tristes qu'elle avait vécu. Tous voulaient lui donner le sourire, lui faire comprendre que tout allait bien se passer, qu'elle ne risquait rien et qu'elle était aimée.
« A l'époque... »
On ne la regardait pas d'un mauvais œil, on ne craignait pas son avenir. On n'était pas en train de chuchoter qu'elle avait passé trop de temps avec ces personnes et les mauvais gènes étaient déjà inscrits. On ne lui répétait pas sans arrêt tous les faits qui s'étaient produits.
« C'était moi qui avais les cheveux longs... »
Et elle avait, autour de sa petite personne, une foule de gens qui se pliaient en quatre pour elle. Et elle avait, à ses côtés, cette présence forte qui ne n'avait pas fléchi, qui ne s'était pas plongée dans un océan de malheur et de remords, de tristesse et de regrets, mais qui l'accompagnait dans toutes ses journées à mieux appréhender l'avenir avec le sourire.
« Et toi, des cheveux courts... »
Et dans quelques années, on ne regarderait pas ses bêtises d'un mauvais œil, craignant que ce sang bafoué refasse surface. Ses erreurs ne seront pas comparées à celles des yakuzas, parce qu'on aura oublié qu'elle venait de là, de l'antre des Préceptes de la Mort.
Une larme germa au fond de son cœur et elle s'efforça de ne pas la faire monter à ses yeux. Comme pour se reconcentrer, elle posa son regard sur cette facture qu'elle tenait depuis trop longtemps déjà. C'était l'une de celles qui n'avait pour destinataire qu'un numéro de compte, et qui se présentait de temps en temps avec le même montant sur la seule et unique ligne qui la parait. Haruka la jeta alors dans un des grands sacs poubelle qui l'accompagnait. Pas de destinataire, cela signifiait sûrement que ce n'était pas une chose très importante.
A quelques mètres d'elle, Izuku sentait que la jeune fille était ailleurs, peu réceptive à la tirade nostalgique qui lui faisait Mirio. Ce dernier portait sur le visage un regard attendri, tandis qu'Eri restait collée à lui, les yeux sur la jeune fille aux cheveux châtains.
« On a fini pour la matinée, est-ce que tu veux manger avec nous ? finit par demander le grand blond avec entrain. »
Sortie de ses pensées, elle répondit immédiatement :
« Non, j'ai encore des choses à faire. »
Les garçons prirent alors congé de leur camarade et demandèrent à Eri de la saluer. Haruka se sentit soulagée d'être de nouveau seule, lorsqu'elle entendit la voix de la petite fille résonner dans les couloirs :
« Elle ressemble à son papa, Haruka-san.
-Ah, oui, tu trouves ? demande Izuku avec étonnement.
-Oui, elle a l'air aussi forte que lui.
-Oh oui, continua Mirio, Elle est super forte même ! »
Un sourire se dessina sur son visage, se frayant un chemin entre ses sombres pensées et sa rancœur. Soudain, son ventre se mit à gargouiller. Elle avait vraiment besoin d'aller manger finalement.
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Shota regarda la salle vide d'un air neutre. Elle était partie. Où ? Il n'en savait rien et les hectares qui composaient Yuei lui retiraient l'envie de partir à sa recherche. Bien que son objectif de base fût de la voir, et de lui parler, un peu.
Les mains dans les poches, il continua alors sa route dans le grand couloir, vers une destination qu'il lui était encore inconnue. Le bureau des professeurs, la cantine, son sac de couchage. Tant de possibilités s'offraient à lui.
Et le cimetière ?
Le grand homme songea que ses multiples préoccupations ne lui avaient pas permis d'aller au cimetière depuis longtemps déjà. De plus, son humeur était des plus maussades et toujours aussi tourmentée, parler lui ferait le plus grand bien.
Alors qu'il prenait sa décision, Shota vit Nezu arriver d'un bon pas dans sa direction. Les deux adultes se croisèrent sans se dire un mot. Le grand homme aux cheveux noirs s'arrêta tout de même et se retourna.
« Elle n'est pas là.
-Où est-ce qu'elle est ?
-Je ne sais pas. »
L'être à l'allure animale s'arrêta et se retourna vers son interlocuteur.
« Comment ça tu ne sais pas ?
-Je ne le sais pas. »
Les sourcils du proviseur se froncèrent. Shota continua :
« Elle est peut-être dans les préparatifs du Festival, pour savoir ce qu'elle va devoir photographier. Ou alors, elle prend une pause avec Lunch Rush. Ou elle est juste partie aux toilettes. Je ne sais pas. »
L'animal sembla pensif pendant plusieurs secondes avant de hocher de la tête.
« D'accord, je repasserais la voir. »
Il tourna les talons et revint sur ses pas, dépassant même le grand homme qui n'avait pas bougé d'un cil. Les mains dans les poches, avec son habituelle attitude détachée.
« Pourquoi tu fais ça ? »
Nezu s'arrêta de nouveau avant d'esquisser un sourire et se retourner vers le héros vêtu de noir.
« Pourquoi je fais quoi ?
-Lui donner cette tâche ridicule, ça n'a pas de sens.
-Shota, soupira-t-il en continuant de sourire, C'est sa punition pour avoir fugué de Yuei.
-Elle l'a déjà eu sa punition, elle a failli y passer.
-Ce n'est pas parce qu'elle a frôlé la mort que Yuei ne doit pas réprimander ce genre de comportements.
-Elle a fugué par ce qu'on l'avait enfermé ici, et tu penses que l'enfermer de nouveau va l'empêcher de refaire ce qu'elle a fait ? »
Nezu fit mine de resserrer sa cravate.
« Je n'y peux rien si-...
-Haruka te pose problème ? »
L'animal était surpris, Shota avait dit ces mots avec détachement, sans la moindre once de haine. C'était comme s'il faisait un simple constat, une petite observation de rien du tout, comme s'il lui demandait quel temps il faisait aujourd'hui.
Cependant, l'atmosphère dans le couloir semblait s'être alourdie et Nezu sentit un poids se poser sur épaules tandis que Shota restait détendu, le nez dans son écharpe de combat, le regarde fixé sur lui.
« Haruka ne me pose pas de problème. Elle ne m'a jamais posé de problème. »
Sous l'expression neutre du héros et professeur, il continua :
« Ecoute, je ne suis que le proviseur de ce lycée et j'essaye de prendre les décisions les plus justes possibles pour le bien de Yuei. Haruka a peut-être grandi ici mais elle est maintenant une élève et elle doit être traitée comme une élève. Tu comprends ? »
Shota haussa de la tête et continua sa route, dépassant le petit animal pour disparaître au coin d'un couloir. Resté seul, Nezu repensa à cette conversation et aux questions qui lui avaient été posées.
« Haruka te pose problème ? »
Etaient-ce ce regard noisette ? Ces cheveux châtains ? Ce pouvoir si similaire qui le dérangeait ? Etaient-ce sa façon de lui répondre ? De le regarder avec défiance ? De remettre en question ses décisions qui l'inquiétait ? Etaient-ce la peur de voir son lycée en danger ? L'angoisse de voir le monde changer qui le rendait ainsi méfiant ?
Ou ses craintes étaient-elles fondées ?
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