Un « au revoir » aussi expéditif que bref et Haruka rangea son smartphone dans sa poche. Son père, qui s'était éloigné pour signer quelques papiers à l'accueil, revenait maintenant vers la jeune fille et son parrain non-officiel, ce dernier en proie à une certaine anxiété.

L'air morose, le pas traînant dans son ensemble noir négligé, Shota s'arrêta devant sa gamine aussi calme qu'impassible. Le message que lui avait envoyé Hizashi quelques heures plus tôt lui revint en mémoire.

De : Hizashi Yamada/Present Mic.

Je vais chercher Haruka au commissariat.

Sur cette pensée, il détailla le visage stoïque de sa fille puis les traits crispés du palmier jaune qui l'accompagnait, avant de dire :

« J'ai envie d'un burger. »

Il tourna les talons, prêt à sortir de l'immense bâtiment aseptisé. Haruka lui emboita le pas, sans un mot. Derrière eux, Hizashi ne bougea pas d'un cil, figé dans une expression d'incompréhension.

« Tu ne lui demandes pas ce qu'il s'est passé ?! s'exclama-t-il d'une voix aigüe. »

Les agents de l'accueil le foudroyèrent du regard. Le professeur se fit tout petit, lui qui avait aussi longtemps sermonné Haruka pour qu'elle évite de faire tout un scandale dans un tel lieu de repos. Penaud, il rattrapa les Aizawa au pas de course, gardant cette expression perdue sur son visage.

« Toi aussi, tu es invité, lui répondit simplement Shota. »

Estomaqué, Hizashi continuait de dévisager le père et la fille sans comprendre. Le premier, bien plus morose qu'à son habitude, ne semblait pas vouloir chercher à discuter avec Haruka. De son côté, cette dernière ne jubilait pas de l'absence de colère de son père, gardant un regard dur posé sur son paternel, surveillant chacune de ses furtives émotions.

« Mais tu ne lui dis rien ? T'as vraiment rien à lui dire ?!

-Sir Nighteye est mort. »

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« Quoi ? Mirio n'a plus son alter ? »

La bouche à moitié remplie d'une poignée de frites croustillantes, les mains sur un burger dégoulinant de sauce, Haruka dévisageait son père avec une grande inquiétude. Celui-ci finit de mâcher un gros morceau de son propre repas aussi délicieux que mauvais pour la santé avant de répondre :

« Il a été touché par une seringue contenant de la drogue que les Préceptes mettaient au point en sacrifiant le corps de la petite qu'on a sauvé.

-C'est horrible, répondit Hizashi en soupirant. »

La jeune fille resta quelques secondes muettes, le temps d'intégrer toutes ses informations.

« Mais il va retrouver son alter ? »

Shota croqua dans son burger, pensif. Sa bouchée terminée, il répondit :

« Seul l'avenir nous le dira. »

Assise en face de lui, sa fille baissa de nouveau les yeux en silence. Son regard était préoccupé, témoignant des nombreuses pensées effrénées qui s'agitaient dans son esprit. Entre la mort d'un héros ancien partenaire d'All Might, la libération d'une enfant maltraitée, la perte de l'alter de Mirio, et tous ses proches mêlés à cela, il lui fallait du temps pour tout intégrer.

Concentrée sur sa petite frustration d'avoir été assignée à résidence, la jeune fille se rendait enfin compte de tous les dangers qu'avaient affrontés ses camarades ce jour-là, alors qu'elle s'était enfuie pour mieux tomber dans un piège quasi-mortel. Alors qu'elle s'entêtait à blâmer son père et Tsuyu pour une telle punition, elle ne s'était pas doutée qu'ils craignaient qu'elle soit poursuivie par de tels monstres que les Préceptes de la Mort. Maintenant, Haruka comprenait leurs inquiétudes.

Et Mirio sans son alter ? Etait-ce seulement possible ? Cette drogue et ses effets existaient-ils bel et bien ? La jeune fille n'y croyait pas. Son vieil ami devait sûrement n'avoir subi qu'un simple traumatisme dans le sauvetage de cette pauvre enfant, bloquant son alter comme une réponse psychosomatique à sa douleur. Elle avait déjà lu des articles traitant de ce genre de réactions aux traumatismes. Alors, peut-être que c'était seulement cela ? Et qu'une fois apaisé, Mirio redeviendrait Lemillion, comme il l'avait toujours été ?

Haruka ne voyait pas ça autrement.

Pensive, la jeune fille détailla son burger qui lui semblait soudainement vide d'intérêt. Elle leva les yeux sur son père, assis en face d'elle, et lui demanda :

« Quand est-ce que je pourrais les voir ?

-Demain matin.

-Merci.

-Et c'est tout ? »

Les deux Aizawa levèrent le nez sur le blondinet assis à côté d'eux. Hizashi, l'air énervé, fixait Shota en tordant nerveusement la paille de sa boisson sucrée. Devant le silence que lui donnait son vieil ami, il continua :

« Tu as bien lu mon message ou pas ? »

Le brun hocha de la tête.

« Alors, c'est tout ? T'as pas une leçon à lui donner ?

-Elle l'a déjà eu sa leçon. »

Shota posa un doigt sur sa joue gauche, faisant écho à l'endroit précis où une entaille ornait celle d'Haruka. Puis, il reprit une bouchée de son burger, l'air de rien.

La jeune fille suivit les mouvements de son père du regard, impassible et calme.

De son côté, Hizashi bouillonnait. D'un geste sec, il se leva et enjamba son camarade avec qui il partageait la banquette, l'empêchant de manger, avant de sortir en pestant.

« Je vais passer un coup de fil ! Mangez sans moi ! »

Le blondinet ferma les grosses portes du fast-food derrière lui et soupira un bon coup. A la moindre étincelle, ils avaient pour habitude de se chamailler comme des chiens et de se dire de telles horreurs qu'il devait sans cesse les ramasser à la petite cuillère. Mais là, rien. Shota était resté le Shota stoïque et flemmard qu'il connaissait et Haruka s'était faite discrète, comme à son habitude, avec ce regard de marbre qui faisait froid dans le dos. A quoi jouaient-ils ?

Hizashi se saisit de son smartphone pour accomplir son excuse de coup de fil à passer. Il pestait, il enrageait, il n'y comprenait rien. Il connaissait les Aizawa depuis de nombreuses années déjà mais, à chaque fois, il ne semblait plus les comprendre. A chaque fois qu'il avait l'impression d'appréhender leurs réactions, une toute autre se manifestait et le grand homme blond se retrouvait démuni. Eux qui avaient pour usage, pour rituel même, de devenir volcaniques au contact de l'autre, étaient restés aussi calmes qu'à leur habitude.

Hizashi ne comprenait rien.

Voilà qu'Haruka désobéissait, que Shota ne la disputait pas.

Et Hizashi ne comprenait rien.

En silence, les Aizawa continuaient de manger l'un face à l'autre. Des burgers dégoulinants de formage dans les mains, des frites brillantes dans leur assiette, une odeur de friture les enveloppant, voilà un contexte dans lequel il était rare qu'ils se retrouvassent. Cela faisait peut-être même des années qu'ils n'avaient pas mis les pieds dans ce genre de lieux, ensemble.

Et cela fit sourire Haruka.

Lorsqu'elle était enfant, ces genres de franchises étaient pour elle un synonyme de rassemblement et de bons moments. C'était là que ses parents avaient pour coutume d'aller avec des héros de leur entourage, lorsque la semaine avait été longue et tumultueuse.

C'était leur façon à eux de se remonter le moral, et de remonter le moral de leur petite fille qui savait déjà que ses parents mettaient leur vie en danger chaque jour. Tous ces moments de légèreté pouvaient se résumer à : menu pour enfant, jouet en plastique inutile, papotages incompréhensibles d'adultes et bonne nuit de digestion avant un long week-end de salades pour compenser.

La bonne époque.

Mais son sourire ne fit pas long feu.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

Tout en mâchant ses frites, Shota regardait sa fille. Celle-ci ne lâcha pas son burger, observant la viande anormalement fine luire à la lumière des lampes orangés.

« Pour faire court... Disons que la menace était bien plus proche que ce qu'elle laissait croire... »

Elle marqua une pause, pensive. Shota resta silencieux.

« Faut juste que j'apprennes à faire confiance aux bonnes personnes ! »

Comme pour détendre la discussion, Haruka esquissa un sourire vaguement amusé avant de prendre une bouchée de son burger.

« Et tu es sortie de Yuei. Alors que tu étais assignée à résidence. »

Elle hocha la tête, le regard ailleurs, avant de finir de mâcher et de reposer le regard sur son père. Celui-ci était en train de siroter sa boisson, l'air de rien, comme s'il venait simplement de lui dire que le ciel était bleu.

La jeune fille resta quelques secondes sans manger, suspicieuse. Ce n'était pas dans les habitudes de son paternel de ne pas la disputer dans ce genre de situations, sa fuite de chez son parrain l'avait rendu bien plus furax, et beaucoup moins agréable. Prudente, Haruka se risqua à poser sa question. Autant crever l'abcès directement.

« Et tu ne me dis rien ?

-Je mange.

-Papa. »

Shota se redressa sur son siège pour se confronter à sa gamine assise devant lui et qui cherchait à le faire réagir. Il planta son regard sombre dans celui noisette et répondit :

« C'est Nezu qui aura beaucoup de choses à te dire. Je mange. »

Sur ces mots, il se replongea dans son assiette avec l'élégance d'un cochon dans sa porcherie. Haruka resta quelques secondes en suspens avant de se pencher de nouveau sur son burger qui, à force, allait finir par devenir froid.

Le père et la fille restèrent ainsi pendant quelques minutes dans le silence, seulement entrecoupé par leurs bruits de mastications et le bruissement de leurs emballages de nourriture. Le rituel du repas s'accomplissait dans le calme, bien loin des scénarios de colère que c'était imaginé Hizashi qui, de l'autre côté des baies vitrées, les observait en scrollant les pages d'informations.

Au bout de quelques temps, Haruka sortit de ses pensées. Elle leva les yeux sur son père et prit son courage à deux mains.

« Tu sais... dit-elle d'une petite voix. »

Elle marqua une pause alors que son paternel relevait de nouveau son attention sur elle.

« Je n'avais pas envie de passer cette journée toute seule. »

La jeune fille esquissa un sourire gêné.

Shota désigna du chef le reste de burger qu'il tenait entre ses mains, avant de poser son regard sur sa fille et de répondre :

« Moi non plus. »