Chapitre 36.
Les pas de la femme résonnaient entre les murs des couloirs du grand bâtiment. Elle marchait en rythme, tout en gardant un silence des plus austères.
Derrière elle, dans son costume d'héroïne, Haruka suivait la cadence, la boule au ventre. La bienveillance de ses quelques camarades et le soutien de Mahi avaient permis à son angoisse de s'alléger un peu mais cette convocation n'annonçait rien de bon. De plus, le visage fermé de l'employée ne lui donnait aucun indice sur ce qui l'attendait, la laissant se perdre dans un flot d'anxiété et d'appréhension.
Enfin, elles arrivèrent à ce qui semblait être le fin fond d'un labyrinthe de couloirs de ciment et de carrefours à en perdre la tête. La femme s'arrêta à une porte, plus belle et plus propre que toutes les autres, et frappa trois coups. Sans attendre de réponse, elle tourna la poignée et invita l'adolescente à entrer la première.
Prenant son courage à deux mains, Haruka franchit la porte et s'arrêta non loin du seuil, droite, impassible, se forçant à paraître calme du mieux qu'elle le pouvait. Cependant, elle se sentit légèrement surprise.
Elle, qui s'attendait à devoir affronter le regard de tous les examinateurs et l'immense fatigue de Monsieur Mera, ne put retenir une moue étonnée en se retrouvant face à une grande pièce vide. Du moins, presque vide puisqu'un homme en costard assis nonchalamment sur la table de réunion triait quelques papiers en sifflotant.
La femme ferma derrière elle, vint rejoindre l'homme et s'assit un peu plus élégamment sur une chaise qui entourait l'immense table, un long ovale de bois clair.
Le spectacle semblait dérisoire. Haruka, qui s'était attendue à une réelle confrontation avec le haut jury, restait plantée non loin de la porte, ne pouvant cacher son air déstabilisé. Les deux employés semblaient plus détendus et leurs comportements, bien que très carré pour la femme, ne révélaient en aucun cas une quelconque gravité sur la situation. Les trois personnages paraissaient isolés et étrangement seuls dans cette gargantuesque salle trop grande pour eux.
La jeune fille ne savait pas trop quoi en penser. Si aucun des examinateurs n'était là, cela pouvait signifier que la situation n'était pas si grave que cela, mais, d'un autre côté, elle se demandait bien pourquoi elle avait été convoquée de la sorte, au nom desdits examinateurs.
Comme pour répondre à toutes ses interrogations, l'homme, qui devait être dans la trentaine, cessa de siffloter et rassembla toutes ses fiches dans des gestes souples et assurés. Il se réinstalla sur la table qui lui servait d'assise et leva un visage affublé d'un grand sourire jovial sur la jeune fille.
Il ne ressemblait à aucun autre employé qu'Haruka avait pu croiser lors de ses cours de rattrapage. Alors que les autres étaient tirés à quatre épingles, lui ne portait pas de cravate et laissait ses cheveux mi-longs pendre autour de son visage dans une coiffure faussement négligée. Assis sur cette table comme s'il était chez lui, ses yeux brillants fixaient l'adolescente d'un petit air rieur. Il transpirait l'assurance et la confiance en soi.
Après de longues secondes à dévisager la jeune fille mal-à-l'aise comme si cela l'amusait, l'homme secoua ses larges épaules d'un petit rire indéchiffrable. Puis, il se présenta :
« Bonsoir, Haruka Aizawa ! Je m'appelle Jishin Mote et je suis le chargé de communication du Bureau des Examinateurs. Voici Hiruba Sutanto, la secrétaire en chef du Bureau. »
Sa voix était grave et affirmée tout comme ses gestes qui étaient emplis de confiance et d'aise. De son côté, la jeune fille se sentait plus perplexe qu'elle ne l'était déjà. Un chargé de communication ? Une secrétaire en chef ?
Se secouant de quelques rires de temps à autres, ledit Jishin Mote continua :
« Ce qui s'est passé hier soir était vraiment, vraiment fâcheux. Les témoignages qui ont été relevés nous ont appris que l'employé Jugoin n'en était pas à son premier acte de violence envers un élève, - ce qui est très fâcheux bien sûr -. Il est donc retiré de ses fonctions - cela va de soi - et ne sera plus autorisé à travailler auprès d'adolescents. »
Il marqua une pause, s'attendant à une réaction de la jeune fille. Un soupir de soulagement, des remerciements... Cependant, Haruka Aizawa resta silencieuse, comme si elle s'attendait à ce qu'il finisse de parler.
« ... Alors, au nom de toute l'équipe du Bureau des Examinateurs, nous vous présentons nos plus plates excuses en ce qui concerne ce fâ-cheux incident. »
Sur ces mots, la femme hocha de la tête, comme si elle validait la phrase toute faite débitée par le chargé de communication. Ce détail n'échappa pas à la jeune fille qui sentait que, quelque part encore, on se moquait d'elle.
Aussitôt, Monsieur Mote reprit de toute sa superbe :
« Maintenant que cela est réglé, nous te demanderons naturellement - je peux te tutoyer ? – de ne pas ébruiter cette affaire. Question d'image, tu comprends ? Tes camarades ont déjà eu un petit topo hier, on a tenu à te prendre à part pour en discuter puisque tu es la principale concernée. Donc, pas un mot sur ce fâcheux incident, et comme ça tu pourras passer de bons cours, hein ? »
Il marqua une pause. Elle ne lui répondit pas.
« ... Et puis, si t'as un souci, tu peux passer voir l'infirmière, histoire de discuter de ce qui te tracasse et tout, et tout ! »
Enfin, la jeune Aizawa se décida à hocher de la tête et répondre à l'homme un simple « d'accord ». La secrétaire en chef se leva alors de son siège et l'accompagna jusqu'à l'arène, là où le cours allait bientôt commencer.
Les deux femmes restèrent silencieuses tout le long du trajet. De son côté, Haruka fulminait mais gardait un étrange calme à toute épreuve.
On s'était encore moqué d'elle. On s'était encore foutu de sa gueule. Toute cette structure se foutait de sa gueule sans remords ni honte.
D'abord avec les raisons débiles de son échec à l'examen, ensuite avec l'ignorance de la défense de son père et enfin avec ces fausses excuses plus humiliantes que sincères. On lui avait envoyé un foutu chargé de communication arrogant pour la rassurer de l'incident qui l'avait déchirée de l'intérieur. Un mec qui était payé à bien répondre aux détracteurs du Bureau pour parler avec elle, une simple élève à la crise de panique encore vive dans les veines.
Pas un examinateur, pas une figure importante ne s'était déplacée pour s'excuser auprès de l'adolescente. Tout ça pour qu'on l'implore gentiment de ne pas parler de ce qui lui était arrivé, juste pour leur éviter de la mauvaise publicité. Et comme si l'aide d'une infirmière allait pouvoir guérir les cicatrices de cet incident.
Elle s'était vue à la place de sa mère, privée de ses pouvoirs. Privée de ce qui faisait d'elle une héroïne et reléguée au rang de criminelle.
Si on ne se foutait pas encore de sa gueule là ?
Cependant, Haruka ne laissa pas cette haine bouillir dans ses veines. Elle resta calme, dans une colère froide et impassible, le dos tendu et la concentration fixée sur sa marche.
Que pouvait-elle y faire de toute façon ? La jeune fille avait bien compris que cette structure n'était faite que de pourris et d'opportunistes, ils se moquaient visiblement des gens et ne connaissaient pas la notion de bienveillance. Si certains gardaient tout de même un semblant d'humanité pour ces adolescents en progression, la plus grande part n'en avait rien à faire d'eux. Les montagnes de cotisations qu'ils devaient toucher de l'Etat et de divers autres services devaient sûrement être leur seule raison de se lever chaque matin.
Et que pouvait y faire une petite élève comme Haruka ? Rien, bien sûr. Elle n'avait pas d'autre choix que de poursuivre ses cours de rattrapage car, malgré tout, c'était le seul moyen d'obtenir son permis provisoire. Même si toute cette structure n'était que pourriture, elle allait tâcher de s'entraîner dur et de passer de bons moments avec ses camarades plutôt de se préoccuper de ce qu'elle ne pouvait changer.
Sur ces pensées, elle arriva enfin à l'arène et prit congé de cette employée qui n'était pas mieux que les autres. Elle se dirigea alors vers Mahi dont le visage était partagé entre l'inquiétude et la joie de la revoir.
En chemin, la jeune fille croisa quelques regards de ses camarades filles et garçons. Ils la saluèrent tous, bienveillants et amicaux, ainsi que rassurés par la décision de l'enquête qui avait protégé, en apparence du moins, leur cadette.
« Comment tu te sens ? s'enquit son amie quand elle arriva à son niveau, Qu'est-ce qu'ils t'ont dit ? »
Haruka attrapa le poignet de son amie et commença à l'inciter à prendre une nouvelle direction. Un sourire léger était affiché sur son visage, voulant ignorer le désagréable moment qu'elle venait de passer pour se concentrer sur quelque chose plus d'innocent.
« Rien de spécial, ils se sont excusés pour hier.
-Où tu m'emmènes comme ça ? demanda la rose, interloquée.
-Voir mes amis ! Ça va être sympa de traîner un peu avec eux ! »
Mahi releva son unique œil vers la direction prise par son amie pour se rendre compte qu'elle se dirigeait tout droit vers un groupe de trois jeunes garçons. Bien sûr, elle reconnut immédiatement les deux camarades de classe d'Haruka : un aux cheveux bicolores, le fils du Numéro Un, attendant patiemment et silencieusement que le cours commence, et un autre aux cheveux blonds en pétard, plutôt excentré, qui ne cessait de tourner en rond tel un lion dans sa cage, il n'aimait visiblement pas trop attendre. Le troisième était le seul élève venant de Shiketsu et il semblait être en grande discussion avec le premier jeune garçon, bien qu'il eût plus l'air de parler dans le vide qu'autre chose.
La jeune fille aux cheveux roses ralentit alors considérablement le pas, tirant presque sur le bras de son amie comme pour l'empêcher de faire quelques mètres de plus.
Sentant son bras peiné à tirer son amie, Haruka se retourna vers Mahi pour découvrir un visage fermé et presque angoissé. La rose fixait le sol avec anxiété, son sourire avait disparu et la douceur de ses gestes s'étaient transformée en une raideur craintive.
Etonnée, la jeune fille ralentit le pas et demanda à sa camarade :
« Ça va, Mahi-chan ? »
L'intéressée secoua vivement la tête, plus pour se ressaisir de ses lourdes pensées que pour répondre à cette question. Elle prit une grande inspiration, tentant d'alléger son cœur qui s'était serré avec force, puis lui dit d'une petite voix :
« Je suis désolée mais... mais j'angoisse beaucoup quand je dois voir des gens, ça me stresse d-de leur parler et de ne pas savoir quoi dire, d-d'avoir l'air d'une cruche et qu'ils se moquent de moi... C'est pour... C'est pour ça que je n'ai pas d'ami dans ma classe, j'ai peur qu'ils se moquent de moi et qu'ils me jugent parce que j'ai redoublé et que... »
Quelques larmes roulèrent sur sa joue droite qu'elle essuya prestement. Honteuse, elle se confondit soudainement en excuses :
« Pardon de t'empêcher de voir tes amis mais... ça m'angoisse de devoir leur parler, j'ai peur de dire une bêtise ou de faire quelque chose de mal ! »
Attristée, Haruka se précipita sur son amie et la prit un moment dans ses bras pour la consoler. Le nez dans ses épais cheveux de barbe à papa, aussi léger et confortable que le plus doux des nuages, elle la rassura d'une voix douce :
« Ne t'en fais pas, je suis avec toi. Ce sont mes camarades, ils ne sont pas méchants et tu ne diras pas de bêtise. Tu verras, Inasa est très drôle, et je te protègerais de toute façon.
-Tu me le promets ?
-Bien sûr ? »
Elle se défit de leur étreinte. Mahi semblait toujours aussi triste mais avait cessé de sangloter.
« Tu sais, lui dit-elle de sa voix cristalline, Je n'ai jamais eu d'amie comme toi avant.
-Mais, pourtant, c'est toi qui es venue vers moi au premier jour de rattrapage ?
-Oui, mais toi, tu es gentille, et ça se voit, j'ai tout de suite pensé que tu ne moquerais jamais de moi. »
Haruka afficha un faible sourire. Elle se sentait légèrement flattée que sa camarade ait pu ainsi voir en elle cette qualité, cependant, quelle gentille personne ferait du mal à une amie telle que Momo ? La jeune fille laissa cette réflexion de côté, ce n'était pas le moment de parler de ça, surtout pas avec sa camarade aux cheveux roses.
Mahi répondit à son sourire sans en savoir la véritable signification. Elle souriait de son visage doux qui avait repris de sa légèreté et de sa candeur. Ses longs cheveux roses flottant autour d'elle, sa mèche énigmatique recouvrant son œil gauche tandis que le droit brillait encore de ses quelques larmes écoulées, elle était vraiment belle.
Les deux jeunes filles se dévisagèrent quelques secondes, l'une rassurée, l'autre contente d'avoir pu la rassurer. Enfin, après un instant à s'observer l'une l'autre, Mahit finit par dire dans un petit rire :
« T'as de beaux yeux, tu sais ? »
Comme si cela était une blague, Haruka se mit à rire à son tour et reprit la main de son amie pour continuer son chemin vers les garçons. Mahi se fit quelque peu hésitante puis finit par céder, se remémorant la promesse qu'elle lui avait fait un moment plus tôt.
La jeune Aizawa aimait la compagnie de sa camarade de Sujuru, elle aimait la retrouver tous les soirs et discuter par messages avec elle quand son cœur n'était pas trop tourmenté. La présence de cette demoiselle l'avait aidé à surmonter ces jours difficiles de mauvais souvenirs et de mauvaises pensées. Et, même si cela l'avait éloigné de Momo, elle était plus qu'heureuse d'avoir fait la connaissance d'une personne comme elle, si douce et si belle, si compréhensive et si attentive.
Cependant, Haruka ressentait le besoin d'être aux côtés de Shoto.
Elle ne pouvait plus lutter contre ses sentiments, surtout depuis leur conversation de la veille. C'était comme si toute l'affection qu'elle ressentait pour lui et qu'elle avait emmagasiné pendant ces journées à lui en vouloir et à ne plus lui parler s'était libérée, telle une grande boule d'énergie. Maintenant, la jeune fille ne sentait plus qu'une vive émotion à son égard et elle voulait comme rattraper le temps perdu depuis cet examen.
Elle avait envie d'être avec lui, de discuter un peu avec lui, elle avait juste besoin d'être à ses côtés pour se sentir un peu heureuse. Il la rassurait, de son impassibilité et son calme à toute épreuve, il la rassurait alors que tout son monde ne cessait de trembler autour d'elle.
Cela lui avait fait tellement du bien de lui parler de sa mère, et de l'entendre lui parler.
Enfin une bonne chose qui s'était passée et enfin quelque chose qui puisse alléger un peu son cœur si triste.
Du haut de ses gradins, un grand homme aux cheveux bruns fixait la jeune fille. Son cœur à lui était bien loin de s'alléger.
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