Chapitre 19.
Secoué dans tous les sens, Neko ne cessait de pousser des miaulements courroucés jusqu'à lui briser les cordes vocales. Mais Haruka n'en faisait rien. Haletante, elle continuait de courir comme une folle dans les allées de l'internat.
Ses jambes cavalaient à toute allure, son souffle était court et ses yeux fixaient obstinément l'endroit où elle avait vu l'ombre passer. Son cœur battait à la chamade, tambourinait contre sa poitrine, chamboulé par sa course mais aussi par ce qu'elle avait vu, ce qu'elle espérait avoir vu.
Arrivée à l'endroit où elle l'avait vu passer, la jeune fille s'arrêta brusquement. Il s'agissait d'un virage menant à un embranchement qui séparait le chemin en deux, à droite et à gauche.
Un profond sentiment de peur l'envahit alors, la crainte d'avoir perdu la trace de cette ombre l'empêcha presque de respirer. Elle regarda frénétiquement à droite, à gauche, puis de nouveau à droite. Ses yeux se plissèrent et une silhouette se distingua au lointain.
Sans vérifier davantage, elle reprit sa course folle, au détriment du chat, et se rua de toutes ses forces vers la silhouette dont le pas était malheureusement plutôt rapide. Mais l'adolescente ne se découragea pas et accéléra la cadence de ses jambes malgré toute la fatigue de sa longue journée.
Ses poumons se remplissaient et se vidaient dans un rythme effréné et incontrôlé. Bientôt, sa respiration ne se fit plus, manquant même de l'étouffer.
La silhouette était encore bien loin, restant l'ombre qu'elle avait aperçu juste avant. Cependant, Haruka était déterminée à ne pas la laisser s'échapper de nouveau, à cause d'une simple endurance beaucoup trop faible.
Rassemblant les quelques brins de souffle qu'il lui restait, la jeune fille s'écria, le plus fort possible :
« Hitoshi ! »
Aussitôt, la silhouette se retourna, sursautant presque. La simple ombre se transforma peu à peu en un visage familier, et surpris.
Des cheveux violets en bataille autour d'un visage pâle, deux yeux assortis à sa chevelure et bordés de cernes, cela ne faisait plus aucun doute, c'était bien son ancien camarade de classe qu'elle poursuivait ainsi.
D'abord surpris, le jeune garçon finit par faire quelques mètres vers la jeune fille qui ne tarda pas à arrêter sa course en arrivant à son niveau, complètement essoufflée. Perplexe, il observa avec un étonnement dissimulé l'état dans lequel elle s'était mise.
« Il... Il va toujours falloir que... que je te cours après pour te... pour te parler ? réussit à dire l'adolescente entre deux difficiles respirations. »
Les mains dans les poches de son uniforme de sport spécial Yuei, le jeune garçon haussa un sourcil interloqué, toujours aussi surpris de l'avoir vu débarquer ainsi devant lui, au moment où il s'y attendait le moins. Devant son silence, Haruka respira un peu avant d'expliquer :
« La dernière fois qu'on s'est parlé, après le Championnat, j'ai dû... j'ai dû te courir après aussi...
-Oui, oui, je m'en souviens. »
Les yeux neutres d'Hitoshi s'échappèrent au regard noisette de son ancienne camarade pour fixer le vide un instant. Il semblât soudainement ailleurs, pensif, et même quelque peu gêné.
Son souffle entièrement récupéré, la jeune fille put se remettre correctement, elle, ses cheveux et le chat entre ses bras.
Un bonheur immense l'envahissait de voir le jeune garçon bien que lui ne semblait pas partager son engouement. Certes, elle ne s'attendait pas à ce qu'ils sautent dans les bras l'un de l'autre, mais son air songeur ne lui était pas très amical. Après tout, Hitoshi n'avait jamais été quelqu'un de très expressif.
« Comment ça va ? »
Bon, elle aurait pu trouver mieux pour commencer une discussion, mais c'était la seule chose qui lui était venue en tête sur le moment. Bien qu'elle soit très heureuse, se retrouver face à son ancien camarade de classe, face à son acolyte des premières semaines de cours, son partenaire de Championnat, face à Hitoshi, lui faisait tout drôle.
Elle détaillait son ami et remarqua qu'il n'avait pas trop changé, cela allait de soi. Cependant, les souvenirs d'Haruka le faisait un peu plus fatigué et plus maigrichon. Déformation de la mémoire, sans doute.
A présent, il lui semblait plus robuste et plus musclé, et le voir ainsi en forme ne lui déplaisait pas.
« Ça va, et toi ?
-Oui, ça va. »
Un érange silence s'installa entre eux, pendant lequel Haruka sentit cette situation lui devenir de plus en plus étrange, voir gênante. Tous les souvenirs qu'ils avaient partagés lui revinrent à l'esprit accompagnés d'un brin de nostalgie qui lui serrait le cœur. Cependant, il lui semblait que quelque chose d'étrange échappait à sa mémoire, sans qu'elle puisse mettre un mot dessus.
Coupant cette étrange réflexion et la nostalgie qui l'envahissait, Hitoshi osa lui dire :
« Hum... Je peux te demander pourquoi tu as un chat dans les bras ? »
Revenue sur terre, la jeune fille sembla soudainement se souvenir de la présence de l'animal blotti, contre son gré, tout contre elle. La bestiole avait fini par faire taire ses miaulements, bien contente que toute cette course frénétique soit terminée.
« Oh, ça ! C'est Neko, mon chat... Enfin, celui de mon père. Je le lui ramène justement.
-Neko, répéta le garçon en gardant les yeux sur l'animal.
-Oui, c'est un nom très simple pour un chat, je sais. »
Le silence se réinstalla de nouveau. A quelques mètres l'un de l'autre, les deux jeunes gens se dévisageaient sans vraiment quoi savoir dire. L'air devint lourd et Haruka se sentit devenir triste.
Hitoshi lui manquait. Sa classe de générale lui manquait et même les cours ennuyeux de Madame Nodostu lui manquaient. Tout lui manquait de ces jours où elle n'était qu'une petite élève de Yuei sans grande importance, ni grand héroïsme. Tout était plus simple avant qu'elle ne rentre en seconde A.
Et si elle avait échoué au Championnat ? Ses journées auraient été plus tranquilles, ses cours plus doux. Elle n'aurait pas été face à Stain, ni face au Brainless dans la forêt, elle n'aurait pas été à Kamino, ni à ce fichu examen. Toutes les douleurs qu'elle avait ressenties jusque-là n'auraient jamais existées. Tout aurait été plus calme.
Elle aurait été triste d'avoir échoué au Championnat, mais au moins elle aurait été avec Hitoshi.
Et son père ne l'aurait jamais disputé ainsi pour un acte qu'elle n'aurait pas fait, peut-être que leur relation aurait été bien meilleure ?
Cependant, ce n'était pas le cas et elle avait bien réussi ce Championnat pour mieux échouer à ce maudit examen. Prise de nostalgie et de tristesse, Haruk décida de couper court à cette situation, bien qu'elle ait l'envie de rester un peu plus avec son ancien camarade :
« Bon, je vais voir mon père du coup ! Bonne soir...
-Attends. »
Sans un mot de plus, Hitoshi s'approcha d'Haruka.
Délicatement, il retira Neko de ses bras pour l'installer dans les siens. Tout en caressant la bestiole qui semblait apprécier l'attention, il vint s'asseoir sur le bord de la grande avenue sous le regard surpris de la jeune fille aux cheveux châtains.
« J'ai appris que les secondes A ont passé leur permis provisoire aujourd'hui, comment c'était ? »
D'abord muette, Haruka se décida finalement à le rejoindre sur le bord du trottoir. La façon dont il s'occupait de l'animal la surprenait, elle ne le pensait pas ami des chats. La tendresse dont il faisait preuve était presque touchante.
La jeune fille observa un instant ses mouvements en silence, laissant la tristesse s'éloigner pour faire place au calme que leur offrait cette soirée d'été. Puis, elle se décida à lui raconter, d'une voix douce et songeuse :
« C'était... C'était grandiose... Il y avait beaucoup de monde, vraiment beaucoup, beaucoup de monde... C'est bizarre mais en voyant tous ces apprentis super-héros, comme moi, je me suis dit que mon ambition de devenir héroïne était vraiment... banale... On dit de plus en plus que notre société est saturée de héros et, de voir tout ce monde, ça me fait penser que, bah que c'est vrai en fait... Les lycées de héros fleurissent un peu partout, dans la moindre ville, le moindre village, simplement pour répondre à la demande de plus en plus élevée d'enfants voulant faire la même chose... On était plus de mille, là-bas, à avoir le même rêve... ça nous rend minuscule... et pas très originaux. On a l'impression que, si on décidait de renoncer à notre vocation, le monde se porterait de la même façon... »
Elle laissa échapper un léger rire gêné.
« Excuse-moi de te raconter tout ça ! Je ne devrais pas te parler de ça comme ça...
-Non, lui répondit-il tout en caressant un Neko ronronnant, Tu ne fais que répondre à ma question, et tu n'as pas à modifier ce que tu penses pour moi. Ton point de vue est intéressant et, depuis l'arrestation du Tueur de héros, c'est une idée qui se répand de plus en plus. »
La jeune fille resta quelques secondes silencieuse, entendre parler de Stain était encore une chose qui lui pinçait le cœur, et évoquer son arrestation lui rappelait certains souvenir. Ne connaissant pas la raison de ce silence, le jeune garçon reprit :
« Je ne dis pas que tu as une idéologie de vilain, plusieurs civils, héros et experts font cette constatation.
-Je sais, c'est juste que... je réfléchissais, lui répondit-elle en souriant légèrement.
-Du coup, c'étaient quoi les épreuves pour le permis ? »
Haruka se mit à raconter tous les détails de l'examen à Hitoshi, en long, en large et en travers. Elle lui présenta Monsieur Mera pour ensuite lui expliquer les règles du premier jeu avant de lui raconter sa rencontre avec le drôle de garçon en combinaison. Elle lui décrivit l'incroyable alter d'Inasa puis lui parla de l'embuscade dont elle avait été victime pour continuer sur la seconde épreuve. La HUC, la zone de secours organisée par les secondes années, l'attaque terroriste de Gang Orca et de tous ses assistants, ... La jeune fille raconta tous les détails au jeune garçon qui l'écoutait attentivement sans perdre une miette de toutes ses explications.
« Et, alors ? lui demanda-t-il à la fin de son récit.
-Alors quoi ? dit-elle sans comprendre.
-Tu l'as eu ton permis ?
-Non. »
Hitoshi perdit le petit sourire que son ancienne camarade avait réussi à lui donner. Son regard se perdit un peu ailleurs, pensif, le chat toujours sur les genoux. Finalement, cette triste information ne l'étonna pas plus que ça, elle lui expliqua même quelques choses étranges qu'il avait pu observer ce soir-là, avant de croiser la jeune fille.
« C'est dommage. Sur quoi tu as raté ?
-Sur... Sur des raisons nulles, débiles et ridicules. »
L'adolescente sentit la colère lui remonter dans le cœur et faire bouillir ses veines, faisant disparaître son entrain d'avoir décrit toute sa journée à son ancien camarade. Elle prit de grandes inspirations et continua de respirer longuement sous l'œil intrigué du jeune garçon. Elle devait garder son calme, surtout pour la visite suivante.
« Et toi ? reprit-elle avec un sourire, C'est quoi les nouvelles ?
-Rien de spécial, je suis les cours comme d'habitude, je fais mes devoirs et... »
Hitoshi prit une étrange expression, comme s'il réfléchissait. Pensif, il détailla le visage d'Haruka, juste en face de lui, sa bouche, ses joues, son nez, puis s'arrêta sur ses yeux. Quelque chose semblait le tracasser, comme s'il hésitait à dire quelques mots de plus.
« ... Et c'est tout. »
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Après avoir remis Neko dans ses bras et pris congé de son ancien camarade, Haruka se dirigea vers le centre du quartier de l'internat, vers le bâtiment réservé aux professeurs.
Plus grand, plus décoré, se plaçant au centre comme un immense rond-point, on ne pouvait pas le rater.
La nuit était bien tombée déjà quand la jeune fille vint s'arrêter au pas de la porte. Durant son court trajet, son cœur s'était mis à battre plus fort dans sa poitrine. Le stress avait élu domicile dans son cerveau si bien que des centaines de pensées négatives et de scénarios catastrophes lui enserraient le crâne.
La réaction et les futures paroles de son père la terrorisaient déjà, sa crainte était si grande qu'il lui semblait qu'elle lui battait jusque dans les tempes. Cependant, le désir de savoir ce qu'il pensait d'elle était devenu plus fort et plus intense que son appréhension. C'était comme une nécessité pour elle, un besoin vital qu'elle se devait d'assouvir pour se sentir, peut-être, plus sereine face à sa défaite.
Plus sereine, cela n'allait pas vraiment être le cas. Si les paroles de son père étaient dures même quand elle réussissait, que cela pouvait être lorsqu'elle échouait ?
Presque tremblante, Haruka frappa à la grande porte du bâtiment. Avoir l'avis de son père comptait plus que tout.
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