La balle en plastique vint cogner contre la paroi pour rebondir sur le sol et revenir dans sa main. Elle la relança, pensive, observant les traits qui ornaient le mur en face d'elle. Des traits faits au feutre et représentant de vagues formes de patates pourvues de bras et de cheveux. Il y en avait au moins une dizaine, étalées sur ce mur, de tailles et de couleurs différentes, chacune possédant un nom écrit maladroitement à côté d'elle.

La jeune fille s'occupait à lancer la balle de sa main droite tandis que ses doigts gauches tenaient son téléphone portable collé à son oreille pendant qu'un petit grésillement se faisait entendre.

« ... Je ne sais pas, justement... répondit l'adolescente à l'appareil, Je suis à Yuei et Nezu est en train de discuter avec les professeurs... Il y a All Might aussi...Ouais, c'est assez impressionnant... et flippant aussi. On dirait presque un squelette... Ouais, j'ai un peu peur moi aussi, surtout pour Yuei... Non, non, je ne vais pas arrêter la filière héroïque pour ça... Je sais, mais ne t'inquiète pas, je peux me protéger tu sais... Je ne pense pas que... Ah. Papa ?... »

La balle heurta la patate surplombée d'un gros « Papa » maladroitement écrit en bleu. Haruka rattrapa la balle de plastique dans sa main et soupira discrètement.

« ... Il va bien... »

Une réponse des plus neutres possibles. D'une part, pour ne pas alarmer son interlocutrice, mais aussi parce que l'adolescente n'avait pas très envie d'aborder le sujet. Cela ne ferait que tout empirer.

« ... Je ne sais pas. J'ai passé la matinée avec Hizashi alors je ne peux pas te dire mais je lui demanderais ce soir... »

En réalité, elle n'allait pas pouvoir tenir sa parole car, ce soir, elle n'allait pas le voir.

Le lendemain de son retour, Haruka était partie chez Hizashi pour la journée, mais aussi pour la nuit. L'atmosphère qui régnait dans le petit appartement était bien trop pesante et, même à travers la paroi de sa porte fermée, la jeune fille arrivait à sentir que sa présence n'était pas la bienvenue. Elle avait alors décidé de partir, ne pouvant plus supporter cette pression qui écrasait son cœur et ne souhaitant pas être un fardeau pour son père.

Il n'avait même pas lever les yeux de sa télévision, lorsqu'elle lui avait annoncé son départ, brisant un peu plus ce jeune cœur qui ne cessait de souffrir.

La seule raison pour laquelle Haruka se sentait mal de déserter l'appartement était ce tas de compotes de pomme qui traînait encore sur le sol, craignant que le grand homme aille plus loin. Mais la jeune fille jugeait qu'il valait mieux qu'elle disparaisse de sa vue malgré cela, après tout, son existence même était à l'origine du mal qui rongeait son père.

Malgré la découverte de son mensonge, Hizashi l'avait accueilli à bras ouverts, la laissant pleurer sur son épaule pendant toute la soirée. Même s'il admettait que Shota avait de très bonnes raisons de ressentir cette colère, le grand blond ne comprenait pas pourquoi son collègue et ami s'était mis dans un était pareil. Ni pourquoi il était allé jusqu'à la comparer à sa mère.

Et cela lui brisait le cœur.

La jeune fille serra la petite balle en plastique dans sa main. La longue discussion qu'elle avait tenu la veille avec Hizashi concernant son père lui revenait en mémoire. Il était un mystère, pour tous les deux.

« ... D'accord, bien sûr..., continua-t-elle au téléphone, Oui, tu m'avais raconté mais je ne savais pas que... »

Soudain, le cliquetis d'une poignée se fit entendre. Haruka releva les yeux vers la porte adjacente à son mur et dit précipitamment, avant de raccrocher :

« Nezu a fini. Je te laisse. Bisous Mamie. »

Quand la porte s'ouvrit, l'adolescente se relevait du sol pour faire face aux hommes qui sortaient du bureau du principal de Yuei.

All Might ouvrait la marche. Son était pitoyable contrastait avec les souvenirs que la jeune fille avait de son apparence de tas de muscles charismatique. Maintenant, il était maigre et son bras était enroulé dans une écharpe tandis que son front se retrouvait barré de bandages pesant sur ses yeux et lui donnant un air penaud.

Haruka se sentit mal en pensant à Izuku. Les deux camarades ne s'étaient pas reparlés depuis la soirée de Kamino, cependant l'adolescente ne pouvait s'empêcher de songer à comme allait le garçon à chaque fois que les images d'All Might squelettique passaient à la télévision.

L'ancien Numéro Un des super-héros croisa le regard noisette de la jeune fille. Il détourna les yeux, amer de devoir affronter un énième regard de pitié. Pourtant, il savait qu'il allait devoir s'y habituer.

L'homme qui suivait All Might était Shota. Celui-ci fronça les sourcils, ne s'attendant pas à revoir sa fille ici.

Les deux Aizawa se dévisagèrent. Haruka esquissa un sourire, voulant faire réagir son père, en vain.

Il passa à côté d'elle sans lui adresser un mot.

Une fois les deux hommes partis dans les méandres des couloirs de Yuei, la jeune fille respira lentement, tentant de calmer la douleur qui venait écraser son cœur.

« Laisse sa colère passer... C'est la seule chose à faire, lui avait dit Hizashi entre deux chocolats chauds de réconfort. »

Elle prit une grande inspiration, balayant de son esprit l'image du regard glacial de son père, et vint passer sa tête par l'entrebâillement de la porte.

La pièce qui s'étalait devant ses yeux était d'une taille démesurée. Ses murs étaient remplis d'étagère de trophées, de photos ou de livres, excepté celui du fond dont l'immense vitre donnait sur un long terrain d'arbres verdoyants et d'arènes dernier cri. Un large bureau de bois trônait au centre de la pièce.

Assis à ce bureau, Nezu, en pleine conversation avec Sekijiro, aperçut l'adolescente à sa porte.

« Ah ! Bonjour, Haruka ! lui dit-il en souriant entre ses moustaches animales, Entre, je t'en prie ! »

Le professeur principal de la seconde B salua sobrement la jeune fille qui remarqua immédiatement le petit regard réprobateur qui lui lançait. Elle n'en fit rien, ne voulant rajouter d'autres mots à la conversation téléphonique qu'ils avaient déjà entretenu la veille, et lui dit bonjour d'un ton neutre.

« Vlad, laisse-nous quelques minutes, je te rejoindrais dans la voiture. »

Le grand homme prit congé de son supérieur pour quitter la pièce et claquer la porte derrière lui, laissant l'adolescente seule avec le petit principal.

« Je suis bien content de te savoir toujours aussi ponctuelle, commença Nezu en descendant de sa grande chaise de bureau, Tu veux du thé ?

-Oui, s'il-te-plait... Dans la voiture ? Qu'est-ce que Sekijiro-kun et toi allez-vous faire ?

-Chaque chose en son temps, Haruka-chan... Parlons d'abord de Kamino. »

La bestiole invita la jeune fille à s'asseoir sur l'un des canapés du coin salon de la grande pièce. Il prit ensuite place face à elle, leur versant au passage du thé chaud dans de grandes tasses déjà prévues à cet effet. La conversation pouvait commencer.

« Tu nous as tous déçus, Haruka-chan... »

La jeune fille baissa les yeux, fautive.

Les images de la télévision, le témoignage de Katsuki Bakugo et les rapports des policiers avaient signalé la présence des six adolescents au personnel de Yuei qui avait immédiatement réagi pour couvrir ces faits. Ainsi, personne ne savait que des élèves héroïques avaient, une fois de plus, mis leur vie en danger pour des raisons strictement personnelles. Personne, sauf les professeurs, qui ne s'étaient pas retenus d'envoyer chacun un message de sermon à la jeune fille aux cheveux châtains.

« Heureusement qu'aucun de vous n'a été blessé ou, pire, mêlé à la bataille... C'est pour cette unique raison que les autorités ont décidés d'étouffer les faits... Mais je me demande encore pourquoi, toi, tu es allée à Kamino ? Je sais que tu n'es pas idiote et que tu savais que Yueia serait mis au courant de votre petite intervention, tôt ou tard. »

Haruka détourna un moment le regard, fatiguée de répéter inlassablement les mêmes paroles sans que personne ne la comprenne véritablement.

« Je n'ai fait que répondre à un appel à l'aide, résuma-t-elle, On m'a demandé de venir aider à les protéger, j'ai songé que c'était la meilleure chose à faire... »

Un léger s'installa entre eux deux pendant lequel Nezu essayait de trouver quelque chose à dire sur cette réponse. Ce fut l'adolescente qui reprit la parole :

« Que va faire Yuei ? Pour nous six ?

-Si cela ne tenait qu'à ton père, vous seriez sûrement exclus de la filière héroïque, soupira la bestiole en prenant une gorgée de thé, mais tu devines bien que je ne te parlerais pas sur ce ton si cela était le cas... All Might a pris sa retraite, tous les journaux ne parlent que de ça, le monde des héros va bientôt en ressentir le contre-coup, et il risque d'être puissant... Malgré tous vos défauts et actes irréfléchis, tout le monde dans ce lycée, moi-même y compris, ne peut ignorer le fait que vous êtes, en un sens, très doués... Vingt-et-un élèves en seconde A et aucun exclu de la main de ton père à cette époque de l'année, cela relève presque de l'exploit... Ce serait idiot de renvoyer d'aussi bons éléments, surtout quand on vient de perdre notre Symbole de la Paix. »

Soucieuse des paroles de son interlocuteur, la jeune fille finit sa gorgée de thé avant de reprendre :

« Donc pas de punition pour nous ?

-Une surveillance plus aigüe, évidemment, mais nous n'avons pas trouvé autre chose qui pourrait vous donner une leçon sur vos actes. Mais je pense que la déception d'Eraser suffira à vous faire ressentir quelques remords... Il a décidé de vous dire quelques mots lorsqu'il vous reverra en classe. »

Haruka observa quelques secondes l'intérieur de sa tasse. La déception de son père était une bien cruelle punition, elle la subissait déjà, avec en plus toute sa colère et ses paroles sur sa mère.

« Tu as trahi ma confiance. »

Elle ravala ses larmes, se focalisant sur sa discussion avec Nezu. Ce n'était pas le moment de pleurer sur son sort, ni le moment de ressasser cette douloureuse phrase.

« En parlant de surveillance... Qu'est-ce que va faire Yuei, par rapport à l'attaque au camp d'entraînement ?

-Vlad et moi allons faire le tour des familles des élèves de seconde B, ton père et All Might se chargent de la seconde A. Tout d'abord pour s'excuser d'avoir mis en danger leur enfant mais surtout pour leur demander de nous faire une nouvelle fois confiance. Nous allons créer un internat, pour tous les élèves.

-Un internat ? »

Haruka esquissa un sourire sarcastique.

« Avec les deux intrusions dans l'établissement et les attaques sur les élèves ainsi que l'ampleur de la répercussion médiatique et l'enlèvement de Katsuki... Vous pensez réellement que les parents accepteraient de vous confier leurs enfants dans un internat ?

-Ne t'emporte pas, Haruka-chan, nous avons de très bonnes raisons de prendre cette décision. »

La jeune fille attendit la suite, trop sceptique pour adhérer immédiatement à cette idée.

« L'Alliance des Vilains a les élèves de Yuei dans le collimateur, cela ne fait plus aucun doute. Garder les élèves en internat au sein de Yuei et donc entourés de héros ne peut qu'assurer leur sécurité ainsi que celle de leurs familles. En plus de cela, le protocole de sécurité du bâtiment sera de nouveau renforcé.

-Le protocole de sécurité renforcé... Les médias ne croient plus à cet argument.

-Nous ne voulons pas avoir la confiance des médias, mais celle des parents.

-Je comprends, mais les convaincre sera difficile.

-Je sais... Et c'est pour ça que je ne dois pas faire attendre Vlad plus longtemps ! »

La jeune fille sourit avant de débarrasser sa tasse de thé et de saluer le principal. Elle tourna les talons en direction de la porte et s'arrêta en touchant la poignée.

Songeuse, elle resta un instant en suspens.

« Un problème, Haruka-chan ? demanda Nezu qui finissait de débarrasser sa table basse. »

L'adolescente se retourna pour dévisager l'étrange animal en costard debout de toute sa petite taille à l'autre bout de la pièce.

« Un internat ? Je comprends que ce soit pour la sécurité mais... Que cherches-tu avec cet internat ? »

Nezu resta un moment silencieux avant de répondre :

« Protéger mes élèves, juste protéger mes élèves... »

La jeune fille réfléchit quelques secondes avant de hocher la tête et de disparaître derrière la porte.

Le principal poussa un léger soupir.

Haruka avait grandi dans ce lycée et, au fil du temps, elle avait compris comment fonctionnait l'immense usine qu'était Yuei. Sans plus d'informations, elle avait senti que l'objectif de Nezu, dans cette entreprise d'internat, n'était pas seulement d'assurer la sécurité de tous ses élèves, de n'importe quel niveau ou de n'importe quelle filière. Elle avait senti qu'il cachait quelque chose, quelque chose de moins bienveillant.

Mais, malgré toute l'affection qu'il lui portait, le petit animal ne pouvait confier ses réelles intentions à la jeune fille.

En plus de vouloir protéger les élèves de toute éventuelle nouvelle attaque, Nezu voulait découvrir qui était à l'origine de celle de la forêt. Qui avait informé les vilains de leur présence chez les Pussycats. Qui avait permis aux vilains de pénétrer dans le centre d'entraînement pile au moment où les secondes A avaient cours, pile au moment où All Might devait être présent. Seul quelqu'un venant de l'intérieur du lycée au rait pu faire cela. Et même si cela le blessait de devoir soupçonner le moindre élève, le moindre professeur, le moindre membre du personnel, Nezu s'était rendu à l'évidence : il y avait une taupe à Yuei.