Chapitre 32.
Postés à la sortie de la gare, les adolescents se dévisageaient en silence, sans savoir vraiment quoi se dire. Un léger embarra planait au-dessus d'eux, accompagné d'une petite mélancolie. Conclure cette soirée mouvementée leur paraissait presque impossible, et se quitter comme si de rien n'était leur semblait trop étrange.
Aucun ne trouvait les mots, et s'échanger des sourires bienveillants, voire gênés mais silencieux ne leur facilitait pas la tâche. Ce fut Tenya qui mit fin à cette étrange scène en déclarant :
« Bah... A plus tard ! »
Amorçant un départ, il salua le groupe de ses gestes robotiques habituels. Certains esquissèrent un sourire amusé, leur délégué gardait toujours son fameux postiche auquel il s'était visiblement attaché. Continuant sur la lancée de son camarade, Eijiro Dit :
« Ouais ! ... Merci, les gars, je vous en dois une !
-Vous trois, là ! renchérit Momo avec autorité, Vous rentrez directement chez vous, compris ?
-Promis ! Et merci pour tout, sincèrement ! »
Les paroles d'Izuku réussirent à décrisper les sourcils froncés de la vice-déléguée. Malgré l'issue relativement positive de leur intervention, l'adolescente ne pouvait s'empêcher de surveiller encore les trois moteurs de ce qu'elle considérait toujours comme une folie. Un sourire se dessina sur ses lèvres, allégeant un peu plus l'atmosphère qui régnait entre les jeunes gens.
« Bon... On se revoit au lycée. »
Sur ces mots, Shoto salua brièvement ses camarades et tourna les talons, le regard plus blasé qu'à son habitude. Sous son impulsion, le reste du groupe se dispersa vers les différents trains et moyens de locomotion.
Izuku sortit définitivement de la gare qui avait été le réel point de départ de cette soirée. Le vent frais du soir vint faire voleter les mèches couleur sapin de ses cheveux et il prit une profonde inspiration.
Enfin, il allait pouvoir rentrer chez lui et s'écrouler dans son lit comme lui hurlait son corps depuis une bonne partie du voyage de retour. Le garçon aurait pu s'endormir dans le train, comme Momo et Eijiro, mais son cerveau en avait décidé autrement, ressassant encore et encore les évènements auxquels ils avaient assisté.
Son cœur se serra en évoquant ce qu'il avait pu voir sur les écrans. Certes lui et ses camarades avaient pu sauver Katchan, comme ils l'avaient espéré, mais quelque chose de pire était arrivé.
All Might avait dévoilé son secret.
Izuku retint quelques larmes, se disant qu'un héros ne devait pas pleurer et toujours garder le sourire, mais il fallait avouer que là, il n'en avait plus vraiment la force, de sourire. Le poids qu'il portait sur ses épaules commençait à devenir de plus en plus lourd et le garçon semblait s'écrouler peu à peu sous lui. Non, il ne fallait pas qu'il craque, pour tous ses efforts, pour toutes les personnes qui avaient confiance en lui. Ce n'était pas le moment pour se laisser accabler par la pression. Ce n'était absolument pas le moment.
Le jeune garçon prit une autre grande inspiration, se concentrant sur l'image de son lit qui l'attendait sagement chez lui, et continua sa route en direction des bus.
« Allez se dit-il pour se remonter le moral, plus qu'une dizaine de minutes et je pourrais enfin dormir ! »
Arrivé au niveau de son arrêt, il consulta rapidement les horaires.
Un long soupir s'échappa de sa bouche.
Il était trop tard pour avoir un bus.
« Tant pis, je vais marcher. »
Par chance, l'agréable chaleur de soir d'été accompagnée d'une légère brise était parfaite pour une balade nocturne. Et peut-être que cela lui permettra de remettre un peu d'ordre dans ses idées.
Contraint par les horaires drastiques, Izuku quitta ce qui devait être son arrêt pour s'engager sur les trottoirs, quand une voix l'arrêta :
« Il n'y a plus de bus ? »
Le garçon se retourna pour faire face à la fille de son professeur, debout quelques mètres plus loin, à son arrêt.
« Non. »
Les jeunes gens se dévisagèrent un instant, sans rien dire. L'étrange gêne qui les accompagnait à chacun de leur tête-à-tête refaisait surface, les enveloppant d'un embarrassement pudique et distant. Si aucun des deux ne se décidait à parler, ils finiront par se noyer de malaise.
« O-On marche ensemble ? »
Le jeune garçon vit sa camarade acquiescer sa proposition puis le rejoindre, comblant les quelques mètres qui les séparaient. Ils prirent la route, l'un à côté de l'autre, toujours en silence, sans trouver le moindre sujet de conversation.
Lui qui espérait pouvoir réfléchir tranquillement, c'était raté. Izuku ne pouvait s'empêcher maintenant de jeter des petits coups d'œil à la jeune fille qui marchait à ses côtés. Sa présence faisait se réveiller de nombreuses autres pensées dans l'esprit du jeune garçon, comme s'il n'en avait pas assez pour occuper son cerveau hyperactif.
Déjà qu'il avait ses précédentes interrogations sur la vraie nature de son alter, il se demandait à présent pourquoi elle était venue ce soir-là, surtout qu'elle n'avait aucun lien avec Katchan, elle n'avait pas été là lors de son enlèvement. S'il avait bien compris, c'était Momo qui lui avait demandé son aide, mais sa dispute avec Tenya avait révélé quelque chose d'autre, quelque chose concernant le camp de vacances.
Un camp de vacances qui avait tourné au cauchemar, songeait Izuku en rabaissant son regard sur ses deux bras enrubannés, et en ressortant, au passage, une nouvelle floppée de pensées.
La jeune fille n'avait visiblement pas été blessée, mais les précédents tremblements dans sa voix avaient trahi une toute autre blessure, moins physique. Cela lui fit de la peine de savoir que d'autres de ses camarades s'étaient retrouvés dans d'horribles situations cette nuit-là. Il repensa alors à Toru et Kyoka, qui étaient tombées à cause du gaz, à Ochaco et Tsuyu qui avaient croisé la vilaine complètement folle, et à tous les autres...
Izuku tenta de balayer ces pensées qui lui faisaient plus de mal qu'autre chose. Son regard tomba de nouveau sur la fille de son professeur et des images d'elle, accoudée contre leur pan de palissade effritée, épuisée, à bout de force, lui revinrent en mémoire. Ce qu'elle avait fait pour les protéger avait été complètement formidable. Et bien plus encore.
Se sentant redevable, le jeune garçon aurait bien voulu la remercier pour ses actes, mais aucun mot, aucune phrase correcte ne lui venait en tête. Et, il avait beau réfléchir, aucun son ni aucune parole ne vint briser le lourd silence qui planait au-dessus d'eux.
C'était comme si un fossé les séparait. Un immense fossé qu'Izuku n'osait franchir, de peur de lui déballer tout ce qu'il avait dans l'esprit, tout ce qui la concernait, elle, et bien plus encore.
S'il se risquait un mot, le garçon sentait qu'il ne pourrait retenir le flot de paroles qui lui démangeait les lèvres, et cela serait trop dangereux.
Son père était déjà si imprévisible, alors comment prévoir la réaction de la propre fille d'Aizawa ?
Déjà qu'il avait dû la mettre en colère à cause de sa gaffe au sujet de sa mère... Il ne se pardonnait pas d'avoir été aussi maladroit, creusant lui-même un peu plus les bords de ce fossé.
Izuku tenta de penser à autre chose, il avait le choix tant son cerveau était saturé et songer autant à ses questionnements sur la fille de son professeur ne pourrait que lui faire faire une autre maladresse. Rien que lui dire « il fait frais » lui semblait chose risquée.
Une petite brise vint lui caresser la joue. Il respira lentement, calmant son esprit, et posa ses yeux sur le paysage qui bordait le trottoir. Rien de bien passionnant, juste une longue rue bordée de maisons uniformes et endormies. Pour y passer régulièrement en bus, Izuku connaissait par cœur ces façades beiges et ces volets aux couleurs variables. Et, plus on s'enfonçait dans cette longue rue, plus les quartiers passaient, plus les maisons devenaient grandes et richement décorées. Le garçon se disait, qu'un jour, il pourra se payer d'aussi belles demeures et y faire emménager sa mère.
« Je tourne là. »
Izuku fit quelques pas de plus avant de se retourner vers la fille de son professeur qui indiquait une direction du doigt. Etonné, il demanda spontanément :
« Ah bon ? Je pensais que tu habitais plus près de la plage, ... puisqu'on s'y était croisés.
-J'y habite, lui répondit-elle avec un peu de gêne, Mais Hiz... un ami de mon père m'héberge le temps qu'il règle ses affaires... à Yuei.
-D'accord. »
Ils se dévisagèrent, encore, silencieusement, avant qu'Izuku se décide à dire :
« Bon... bah salut !
-Salut. »
Il tourna les talons et reprit sa route, de nouveau seul, il allait pouvoir profiter de la soirée pour réfléchir seul comme il l'avait souhaité, ou pourquoi pas faire une petite course. Son appartement était encore loin et cela lui permettrait de l'épuiser pour de bon, comme ça il pourrait s'endormir immédiatement, sans laisser de nouveau ses pensées l'emporter dans un tourbillon de réflexion.
« Attends ! »
Surpris par cette soudaine exclamation, le garçon se retourna de nouveau, stoppant sa marche.
A quelques mètres de lui, la jeune fille semblait incertaine. Ses yeux noisette fixaient dans le vide, comme s'ils cherchaient quelque chose, quelque chose au loin, avant de venir se planter dans ceux couleur sapin de son camarade. Elle prit une grande inspiration, avala sa salive, sentit son cœur battre plus fort, puis dit :
« En fait, toi et moi, on est pareil... »
Izuku fronça les sourcils, interloqué. Déstabilisé, il balbutia :
« Q-Quoi ?
-On... O-On est dépassés parce que nos aînés nous ont donné... »
Devant le silence d'incompréhension de son camarade figé sur place, la jeune fille respira profondément, les poings serrés. Son regard quitta le vert pour se perdre çà et là autour d'elle, elle réfléchit quelques secondes avant de continuer :
« Je... Je ne sais pas comment te le dire, ni te l'expliquer... Peut-être que je pense n'importe quoi mais... Je ne sais pas non plus si mon père ressent la même chose mais... quand je supprime un alter, je peux ressentir la nature de celui-ci, si c'est un alter d'activation ou si c'est une mutation. La différence est infime, mais je la ressens quand même... Et quand j'ai effacé ton alter... »
Elle reprit sa respiration, comme si son cœur était trop serré pour la laisser parler. Ses mots se mélangeaient dans son esprit, elle n'était plus sûre de ce qu'elle devait dire, mais c'était trop tard, elle avait commencé à parler, elle ne pouvait s'arrêter là.
« Quand j'ai effacé ton alter, ... une fois, au camp d'entraînement, ... ce n'était pas du tout une sensation que je connaissais... »
Izuku ne répondit rien, figé sur place comme pétrifié. Ses muscles se contractèrent tandis que ses jambes se mirent à trembler. Les paroles de la jeune fille firent battre son cœur à mille à l'heure, si fort qu'une goutte de sueur froide lui coula dans le dos. Il ne comprenait pas ce qu'elle disait, il ne voulait comprendre si bien qu'il craignait la suite, assez fort pour sentir que son sang ne battait plus dans ses veines.
« Et puis... après avoir vu All Might perdre ainsi sa force, son alter... ça m'a fait penser à la même sensation que j'avais eu en effaçant le tien... Une sensation... »
Elle garda un moment le silence.
« ...d'éphémère... de fragilité... »
L'atmosphère enveloppant les deux jeunes gens s'alourdit d'un coup. Droits, l'un devant l'autre, ils se faisaient face, comme dans un duel. Izuku évitait le regard de son interlocutrice, de sa camarade. Il ne voulait pas la regarder, il n'osait pas. Ses sentiments se mélangeaient, ne sachant lequel adopter. Et son silence en disait long.
« Je ne crois pas qu'All Might soit ton père mais... Il t'a donné cet alter, c'est ça ? »
Son secret, percé à jour, aussi facilement par la fille de son professeur, Izuku ne savait comment se comporter. Il ne pouvait nier, il ne s'en sentait pas capable, frappé par ces mots qu'il ne pensait jamais entendre. La révélation était trop grande, trop important pour qu'elle ne réagisse pas, et en deux jours, toute la presse sera au courant de cet alter si impressionnant, si admirable qu'était le One for All.
Son alter, celui qui lui avait été offert par l'homme qu'il admirait le plus au monde alors qu'il avait passé son enfance à souffrir, souffrir de cette absence de pouvoir. Comment son mentor réagirait si son secret était révélé aussi facilement ? Comment réagirait-il en apprenant qu'il a trahi sa confiance ?
Et comment réagirait le monde devant ce simple pouvoir d'emprunt ? Tout le monde rirait au nez du feu Numéro Un en sachant qu'il était né sans alter, et les vilains se précipiteront sur ce petit adolescent pour éteindre le seul pouvoir qui pouvait encore les terrasser. Il n'était pas encore prêt à se battre autant, lui qui ne le maîtrisait même pas encore.
Un étau enserrait le cœur du jeune garçon. Il fallait qu'il résonne sa camarade avant que le pire ne se produise, et qu'All Might ne lui tourne le dos. Prenant son courage à deux mains, Izuku releva les yeux vers la fille de son professeur, déterminé à la dissuader de toute révélation, par la force s'il le fallait.
Son cœur s'arrêta de battre quand son regard rencontra celui de la jeune fille.
Elle pleurait.
De grosses larmes coulaient de ses yeux noisette tandis qu'ils fixaient encore le garçon, une expression malheureuse de tristesse sur le visage.
« Je suis désolée..., hoqueta-t-elle faiblement, Je suis désolée... pour All Might... »
Levant un doigt tremblant devant elle, elle imita la position que le héros avait pris à peine une heure plus tôt.
« C'est à ton tour... Il n'était pas destiné aux vilains, c'est ça ?... Mais à toi... »
Un nouvel hoquet de pleurs coupa ses paroles. Izuku ne bougea pas d'un cil, les yeux grands ouverts, le cœur serré.
« Je suis désolée... Je sais à quel point c'est dur de se démener pour... pour arriver à la cheville de ses modèles et... et de les rendre fiers... juste un peu... mais toi...
-Haruka-san ! »
Sans crier garde, Izuku se précipita sur Haruka et la saisit dans ses bras avec force. Le torrent de larmes, qui menaçait de couler depuis le début du discours de la jeune fille, se déversa sur ses joues au moment où il posa sa tête sur l'épaule de sa camarade. Un fleuve immense glissa sur sa peau jusqu'à mouiller le tissu des vêtements d'Haruka. Dévasté, il laissa toute sa peine se répandre sur cette épaule qui lui arrivait comme une bouée de sauvetage sur l'océan de ses pensées. Ses mains agrippèrent la veste de la jeune fille comme pour se rattacher à ce réconfort que lui donnait Haruka, en lui permettant de pleurer sur son épaule.
La jeune fille, d'abord surprise, laissa à son tour toute sa mélancolie s'échapper dans une vague de larmes. C'était la première fois depuis son arrivée dans la ville qu'elle pouvait laisser expulser toute la douleur que son cœur contenait. Les paroles de son père, l'absence de ses grands-parents, les entraînements de plus en plus éprouvants, Stain, la solitude dans la forêt, le sauvetage, ses sentiments, ses alters, la peur, sa mère... Toute cette pression venait s'échouer en puissants torrents sur le gilet d'Izuku qui hoquetait aussi fort qu'elle.
En plus de ressentir sa propre douleur, elle avait peur pour lui. La jeune fille avait bien compris que, ce soir-là, le pouvoir d'All Might était mort, et maintenant elle avait peur pour son camarade. Haruka savait qu'Izuku allait devoir endosser le costume du prochain Symbole de la Paix.
Il n'avait pas le choix.
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