Mashirao dû se retenir à un arbre pour ne pas tomber. Sa tête tanguait encore un peu mais il réussit rapidement à reprendre ses esprits.

« Non ! cria au même moment une voix non loin de là. »

Etalée sur le sol et couverte de fines égratignures, Haruka faisait vibrer son cri de rage entre ses cordes vocales abîmées.

D'abord, le garçon ne comprit pas d'où venait toute la détresse de son amie, et momentanément adversaire, puis ses yeux se posèrent sur la menotte brisée en deux. Le second bracelet, quant à lui, pendait encore autour de son poignet endolori.

Ses sentiments se partagèrent alors en deux partis distincts. D'un côté, il était content d'en avoir enfin fini avec ces batailles, épuisé de son premier combat contre Power Loader, de l'autre, Haruka, sa camarade et amie, allait échouer à son examen.

A quelques mètres de là, Tenya dévisageait lui aussi la situation, cachant un air triste à travers la visière de son casque. D'un petit geste adressé à Mashirao, il incita son partenaire à partir et se dirigeait d'un pas lent, plutôt épuisé, vers le salut des héros qu'ils incarnaient en ce moment. Son cœur était serré pour son amie mais, comme ils se l'étaient dit seulement quelques minutes auparavant, ce combat était pris au sérieux, autant que la défaite.

Faisant claquer ses chaussures de ferraille sur le sol de la petite route, il soupira avec résignation avant de se rassurer à l'idée qu'il avait réussi son propre examen. De plus, il avait brillé à l'épreuve écrite, tout s'annonçait donc bien pour lui. Il songea alors au riz au curry qui l'attendait au camp de vacances. Dès que leur professeur leur avait parlé de ce fameux évènement, son ventre ne réclamait plus que le doux goût de cette épice.

Soudain, une déchirante douleur lui assailli le crâne. Son casque de fer et même ses lunettes explosèrent en mille morceaux devant ses yeux, juste avant que ceux-ci ne se ferment pour le laisser tomber de tout son long sur le sol de la route, inconscient.

Apparaissant derrière lui et brandissant une large branche de bois provenant de la forêt, Haruka haletait d'effort, les yeux remplis de rage.

« Parce que tu croyais que j'allais abandonner ? C'est mal me connaître, Tenya-kun. »

D'un mouvement brusque, elle se retourna vers son second adversaire, encore debout, qui dévisageait tour à tour le corps de son partenaire et la jeune fille, complètement décontenancé.

Mashirao fut pris de panique. La jeune et douce fille d'Aizawa venait de détruire, sous ses yeux, un casque d'armure avec un simple bâton entouré de son bouclier, assommant au passage le grand et costaud délégué des secondes A.

Le regard déterminé de l'adolescente ne cessait de fixer avec intensité le jeune blondinet. Sans attendre une seconde de plus, elle activa son bouclier et se propulsa vers le pauvre garçon. Celui-ci eu tout juste le temps de reprendre ses esprits et réussit à se dérober en vitesse, manquant de peu d'obtenir le même sort que Tenya.

Haruka se mit en garde, elle savait que son adversaire était plus que doué pour les combats au corps à corps, à l'inverse d'elle, et il fallait qu'elle fasse attention. Jouant sur une mise en scène digne d'une super-vilaine, elle faisait jouer son morceau d'arbre devant elle, attisant l'appréhension du pauvre Mashirao qui avait levé les deux poings devant lui, prêt à se battre de nouveau.

Un plan s'était dessiné dans l'esprit de la jeune fille, un moyen de s'en sortir, peut-être. Il ne lui restait moins de cinq minutes pour l'exécuter et enfin espérer réussir cette maudite épreuve. Elle ne laissait passer aucune émotion sur son visage crispé de détermination, mais, en réalité, ce n'était que panique dans son cœur.

Déstabilisé par la situation, Mashirao se décida à agir le premier, il tenta d'attaquer l'adolescente mais celle-ci se défendit avec hargne d'un grand coup de bâton.

Le garçon esquiva, agile mais peu serein, et se remit sur pied avec aise, tentant de réfléchir rapidement à une stratégie pour se sortir de cette situation périlleuse.

Ne se sentant que faire, il se maudit de ne pas savoir se battre à distance. Sans aucune attaque à longue portée, il lui était impossible de toucher son adversaire sans que celle-ci ne se défende avec rage et son bâton. Et risquer de prendre un coup de sa part était trop dangereux, il avait vu ce qu'elle avait fait à Tenya, alors qu'il s'agissait de son ami garçon le plus proche dans la classe. Alors que serait-elle capable de lui infliger, à lui ? Il fallait qu'il trouve une solution, et vite.

Mais, soudain, son esprit se vida. Toutes ses forces le quittèrent. Mashirao sentit un vent glacial s'emparer de ses entrailles, de son corps tout entier puis de sa mutation. Il ne connaissait que trop bien cette sensation, celle de l'alter d'effacement.

Avec inquiétude, il regarda sa queue s'étaler faiblement dans son dos. Plus aucun signal n'arrivait à ce membre, plus aucune réaction. Son seul atout dans ce combat venait de le quitter sans crier garde.

Il était mal, très mal.

« Plus qu'une minute ! »

Sans qu'il n'ait eu le temps de reprendre ses esprit, Mashirao vit Haruka sauter sur lui. Un bracelet froid vint se refermer sur son poignet en un claquement sec.

Profitant de son hébétude, la jeune fille aux yeux rouges fit tomber le garçon à terre et se mit à le tirer du bout de sa menotte.

Puisant dans ses maigres forces, elle traina son camarade en direction du second qui, allongé à terre, restait inconscient.

Ses yeux grands ouverts se mirent à sécher, plus rapidement que prévu, mais elle ignora cette gêne dont elle était maintenant habituée grâce aux entraînements de son père. Son père qui devait probablement la voir à travers ces caméras, suivant la douloureuse avancée de sa fille tirant sa victime. Qu'était-il en train de penser ? Espérait-il seulement la voir réussir cette épreuve malgré la froideur de ses dernières paroles ? Ou préférait-il boire tranquillement une compote à l'autre bout de la pièce ? Mashirao se débattait derrière elle, mais il n'y fit pas attention. Moins d'une minute. Elle devait y arriver. Les muscles de ses bras et de ses épaules criaient à l'aide et tous ses membres, meurtris par sa chute, semblaient lui lancer des appels au secours. L'adolescente s'en moquait, seul son objectif importait, seule la victoire méritait tous ses efforts. Elle y était presque.

Plus que quelques pas et Tenya serait à sa portée, plus que quelques pas et elle lui passera la seconde menotte. Plus que quelques pas et elle réussira cette épreuve. Là était son plan.

« Ha-Haruka. »

Ces maigres mots parvinrent à ses oreilles, comme une prière murmurée avec difficulté.

Sa tête pivota vers sa victime, Mashirao. Trainé sur le sol par le poignet, son kimono était couvert d'éraflures des gravillons, Sali par les frottements du bitume, mais là n'était pas l'origine de son appel.

Courbant son corps dans une douleur déchirante, le garçon souffrait d'un supplice insoutenable, son visage était défiguré de souffrance. Une tâche pourpre de sang s'étalait sur le blanc de son costume, dans le bas de son dos. Là, sa queue animale, mutation de son alter, semblait se recroqueviller dans une torture infernale. Elle rétrécissait à vue d'œil, s'articulait dans de longs mouvements biscornus, comme possédée, disparaissant progressivement dans le corps crispé de douleur de son possesseur. C'était un spectacle monstrueux, épouvantable, abominable.

Et, devant ce spectacle, Haruka vit Fumikage.

Elle vit sa douleur, son supplice. Elle vit ses yeux remplis d'effroi, comme ceux de Mashirao juste devant elle. Elle vit la torture qu'elle leurs infligeait et l'immense détresse dans leurs regards.

Ses paupières s'abaissèrent.

Le jeune garçon sentit son martyre quitter ses membres et son corps se détendre. Un long soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres, arrivant presque à faire voleter les quelques mèches rebelles d'Haruka, debout devant lui.

La jeune fille laissa glisser le fer de ses doigts, lâchant le bout de ses dernières menottes. Le poignet du garçon tomba à terre alors que celui-ci ferma les yeux, évanoui de douleur.