Chapitre 6.
Le jour de la rentrée arriva vite, beaucoup trop vite.
Toujours en pyjama malgré l'heure, Haruka resta plantée devant son nouvel uniforme, plié sur sa commode.
Cet uniforme, elle en avait rêvé toute sa vie. Elle n'avait jamais pu s'empêcher d'admirer la moindre personne portant cette chemise blanche et cette veste grise que tout le monde connaissait. Elle était allée jusqu'à essayer de piquer des uniformes lorsqu'elle était enfant, se retrouvant avec une jupe trop grande autour de la taille et un veston à l'envers sur la poitrine, faisant rire de bon cœur tous les professeurs.
Mais voilà que le jour J était enfin arrivé, que son rêve était censé se réaliser. Mais il n'en était rien.
Maintenant, ces quelques bouts de tissus lui semblaient fades, inintéressants. Ils ne respiraient plus l'honneur et la fierté mais, juste un ennui et une déception profonde.
Contrainte, Haruka serra la mythique cravate autour de son cou, songeant furtivement à se pendre avec.
L'appartement était vide, Neko et son père avaient fuis les lieux depuis quelques heures déjà. Comme chaque année, le principal de lycée appelait l'ensemble des professeurs très tôt le matin pour mettre au clair les derniers points sombres de la rentrée. Et, comme chaque année, tout était parfaitement organisé et il ne les appelait finalement pour rien.
Son géniteur finissait alors sa nuit dans la salle des professeurs, enveloppé dans son sac de couchage jaunâtre. C'était devenu pour lui comme une tradition annuelle.
Depuis la réponse de Yuei, son père et elle n'avaient échangé que quelques mots sans grande importance. Haruka se sentait tellement vide qu'aucune force ne venait à elle pour afficher le moindre sourire sur son visage. Aucune discussion, ni aucune question n'arrivait à son esprit, si bien qu'elle n'essayait même plus de faire réagir son père.
Et lui, il semblait agir comme si de rien était, comme si ce changement de comportement ne lui dérangeait pas et comme si la mauvaise nouvelle ne l'atteignait pas. Pas un commentaire, ni un geste pour lui parler de ce brutal refus, il n'avait pas eu de réaction à l'accablante lettre qu'elle avait reçu depuis le glacial :
« Tu n'aurais pas dû tirer de conclusions trop hâtives. »
Arrivée devant les portes de Yuei, Haruka se fondit dans la foule d'élèves qui, contrairement à elle, s'extasiaient de l'immense taille des constructions de l'endroit. Etrangement, l'établissement lui parut bien plus sombre que d'habitude, plus triste, et moins prestigieux.
Puis, elle traversa la longue allée dans le brouhaha d'adolescents admiratifs et se rendit au même étage que celui de son père, mais à l'opposé. Enfin, elle entra dans la salle de la seconde C.
Sans même saluer ou faire attention aux personnes qui étaient déjà dans la classe, la jeune fille chercha son nom sur les bureaux et posa son sac sur l'un d'entre eux. Le premier rang, sa place habituelle.
De nouveaux élèves firent leur apparition, se mettant à discuter avec ceux déjà assis et rigolant gaiement.
De nature timide et solitaire, la jeune fille aurait tout de même apprécié regarder ses nouveaux camarades et échanger quelques salutations, voir faire rapidement connaissance. Mais, aujourd'hui, Haruka préférait garder les yeux rivés sur son plan de travail, sans jeter le moindre coup d'œil à ce qu'il entourait.
Puis, la première sonnerie retentit et une petite femme fade entra dans la classe.
Bien évidemment, l'adolescente la connaissait. Il s'agissait de Kotone Nodostu, une ancienne héroïne peu connue par la faiblesse de son alter. Mariée et trois enfants, elle n'aimait pas l'agitation, les fêtes et raffolait des livres à l'eau de rose. Rien qu'en la voyant, Haruka savait déjà que cette année n'allait pas être très amusante, ni très palpitante.
De sa voix fatiguée dès le jour de la rentrée, la femme commença son discours annuel :
« Bonjour à tous, je suis Kotone Nodostu, votre professeure principale et professeure de mathématiques pour l'année... Vous êtes en seconde générale, donc l'année prochaine vous allez devoir choisir entre deux branches : la littéraire ou la scientifique... Je vous conseille juste de bien y réfléchir si vous ne voulez pas finir au chômage une fois vos études terminées... »
L'adolescente n'avait aucune idée de ce qu'elle voulait faire plus tard. Rien, pas le moindre indice, pas la moindre idée. Toujours sûre de devenir héroïne, elle n'avait jamais songé à un plan B en cas de monstrueux échec. Et la voilà maintenant dans une peur du vide et de l'avenir qui angoissait déjà ses nuits.
« ... Bon, je compte finir le programme cette année...Bref, je vous fais passer des documents administratifs, que vous devrez faire signer par vos parents ou vos tuteurs avant la fin de la semaine, et puis nous irons rejoindre vos autres camarades pour la cérémonie d'entrée et l'annuel cours de présentation... »
Déjà ennuyée, Haruka poussa un discret soupir. Elle qui était autrefois travailleuse, la voilà qui baissait les bras et qui ne donnait plus de sens aux bonnes notes. Son inébranlable soif de savoir avait disparu en emportant sa volonté de réussir.
Après tout, la seule raison pour laquelle était c'était autant enfermée dans ses études au collège, c'était pour la filière héroïque de Yuei. Et, malgré tous ses efforts, elle avait lamentablement échoué.
Soudain, alors que les feuilles administratives circulaient dans les rangs, le regard de la professeure se leva vers le fond de la classe. Toujours dans ses sombres pensées, la jeune fille ne leva pas la tête jusqu'à l'entente de cette question :
« Excusez-moi, Nodostu-sensei, est-ce vrai que les élèves de filière générale peuvent accéder aux classes héroïques s'ils font leurs preuves au Championnat sportif de Yuei ? »
Haruka se redressa brusquement. Son cœur se mit à battre la chamade réveillant un infime espoir dans son esprit. Mais, oui ! Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ?
La professeure répondit, d'un ton las :
« Oui, c'est vrai... Mais vous devez avoir un bon dossier en classe générale et surtout beaucoup, beaucoup, beaucoup de chance... »
Electrifiée par l'adrénaline et une soudaine joie, la jeune fille fit volte-face vers l'élève qu'elle considérait comme son sauveur. Il s'agissait d'un garçon aux yeux ternes et violets, ainsi qu'aux cheveux assortis partant dans tous les sens, qui la dévisagea lorsqu'il la vit se retourner. Elle aurait voulu se jeter dans ses bras pour le remercier.
Grâce à lui, l'adolescente avait repris du poil de la bête. La détermination lui revenant dans les veines, elle comptait bien s'imposer à ce fameux Championnat sportif qui aura lieu dans seulement quelques semaines.
Tout n'était pas perdu !
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La journée enfin finie, Shota rentra chez lui en trainant des pieds. Comme chaque rentrée, ces dernières heures avaient été longues et douloureuses, surtout pour ses élèves.
Il savait pertinemment qu'il n'était pas un professeur facile, et cela ne le dérangeait guère. Au contraire, même s'il n'aimait pas ça, jouer de sa réputation avait du bon. Dès le début, il avait mis un coup de pressions à ses nouveaux élèves en leur faisant passer des épreuves de compétences d'alter, et en leur disant que le dernier classé serait renvoyé de l'établissement.
Une menace qui avait été bénéfique puisque chaque élève s'était surpassé, même le petit Midoriya sur lequel il y allait avoir du travail. Ce garçon avait du potentiel encore inexploité et même insoupçonné par lui-même. Si le grand brun avait dur avec lui, cela avait été pour la bonne chose.
Mais Midoriya n'allait pas être le seul à devoir travailler dur, les autres n'en étaient pas exceptés. Certes, certains avaient déjà de bonnes qualités et une bonne maîtrise de leur alters, cependant, ils n'étaient encore que des embryons incompétents incapable de sortir de leur œuf. Et le travail de Shota était de changer tout ça.
Quelle tâche pénible.
Quand il entra dans l'appartement, il se rendit immédiatement compte que son chat était absent puis remarqua de la lumière émanant d'une des chambres. Avec sa marche nonchalante habituelle, il s'en approcha et poussa la porte. Là, l'homme découvrit sa fille, assise à son bureau et plongée dans ses manuels.
« Tu n'es pas restée avec tes camarades de classe ? »
Elle secoua la tête en signe de négation, puis dit à son tour :
« Je ne t'ai pas vu à la cérémonie d'entrée, ni ta classe d'ailleurs.
-J'ai préféré leur faire passer un petit test, plutôt que de leur faire perdre leur temps avec les longs discours de Nezu.
-Et, alors ?
-Et, alors quoi ?
-Ils sont comment ?
-Ils se débrouillent.
-D'accord. »
N'ayant même pas pris la peine de relever le regard, la jeune fille replongea le nez dans son cahier, où s'étalaient les chiffres d'un exercice de mathématiques.
Shota sentit que quelque chose avait changé en elle. Depuis quelques jours le monde semblait lui peser sur les épaules mais, là, le voile de tristesse qui flottait jusqu'alors dans ses yeux avait disparu. Il ne pouvait pas dire qu'elle était redevenue comme avant, son grand sourire irritant étant toujours absent, cependant, elle lui sembla moins accablée et moins déprimée.
Sa fille n'était pas le pantin sur ressort qu'elle était habituellement, ni la loque de ces derniers jours, mais quelque chose de plus posé et de plus... naturel.
Songeant que tout cela était très étrange, le grand homme se saisit sans gêne du manuel de mathématiques et parcourut les quelques lignes de ses yeux ternes.
« Tu es sûre que vous avez déjà vu ça ? Le jour de la rentrée ?
-Nodostu-sensei nous a dit qu'on verra ce chapitre la semaine prochaine, je prends de l'avance. »
Aussi loin qu'il pouvait se souvenir, Shota n'avait presque jamais vu cette expression sur le visage d'Haruka. Calme et consciencieuse. Même sa voix lui semblait différente, plus douce.
N'ayant pas pu suivre ses années collège, il se sentit légèrement déstabilisé devant ce nouvel aspect de sa fille. Lui, qui avait l'habitude de la voir joviale et agaçante, découvrait une sorte d'authenticité chez elle, qu'il avait toujours soupçonné au fond de lui. A mieux y réfléchir, il avait déjà vu ce calme quelques jours plus tôt, quand elle était passée le voir dans sa classe et qu'elle s'était assise à cette table du fond.
Enfin, elle semblait avoir fait tomber le masque de sa fausse joie perpétuelle. Cependant, cela n'était visiblement pas une décision de sa fille d'être devenue ou redevenue ainsi, et Shota devina rapidement que quelque chose clochait :
« Pourquoi tu fais le programme en avance ?
-Pour avoir les meilleures notes.
-Ça ne t'apportera rien d'avoir les meilleures notes en filière générale, il n'y a aucune compétition.
-Si. »
Sur ces mots, elle montra du doigt un tract qui trainait près de ses manuels. Les yeux sombres et neutres du professeur tombèrent sur le gros titre du papier, présentant l'arène du Championnat sportif de Yuei.
Il n'en eut pas fallu plus à Shota pour comprendre le projet de sa fille.
« Il ne suffit pas d'avoir des bonnes notes pour réussir l'exploit d'être pris en filière héroïque après le Championnat.
-Ne t'en fais pas pour moi.
-Ce que je suis en train de dire, c'est qu'il va falloir que tu te débrouilles avec tes alters pour gagner, ne serait-ce la première épreuve. Et toute seule. »
Retenant un soupir, Haruka laissa suspendre son stylo quelques secondes en l'air. Était-il en train de douter d'elle ? Son père lui brisait le cœur toujours un peu plus chaque jour.
« Ça ne coûte rien d'essayer. »
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