Chapitre 42.
« Allô ?... Allô ma puce ? »
Penché sur le dossier de sa chaise à roulettes, au point que celle-ci menaçait de tomber, il dessinait frénétiquement quelques formes géométriques sur un bout de feuille tout en tenant son téléphone de sa main libre.
« Je suis content de t'entendre... Comment tu te sens ? »
De l'autre côté du bureau, le deuxième et dernier occupant de la grande pièce arqua ses sourcils dans une expression de contrariété, pas très emballé par la scène qui se déroulait devant lui.
« Ah... Evidement... C'est normal, on est tous passés par-là, ne t'en fais pas... »
Son cœur ressentit un pincement en entendant ces brides de conversation, s'il n'avait pas eu de paperasse à remplir, il se serait enfui de cette salle où vrombissait la grosse photocopieuse capricieuse.
« J'ai essayé de t'appeler ce matin mais tu devais sûrement te reposer... Oui, c'est ce matin qu'on a appris ce qui c'était passé... »
Le couteau, déjà bien planté dans la plaie, s'enfonça de plus belle.
« Nous ça va, bien sûr... Attends, tu peux répéter ?!... Quoi ?... Comment ça tu es blessée ? »
Il serra les dents, tentant d'ignorer la conversation et de se remettre au travail.
« Bon... Tant mieux alors, je suppose... Fais quand même attention... On est tous très inquiets pour toi ici, tu sais...
Difficile de se concentrer avec les papotages d'une voix et trop aigüe à quelques mètres seulement.
« Oui... Oui, je sais... Je sais... Il est comme ça, tu sais, et cette histoire lui donne un peu plus de boulot donc... Désolée, ma puce... D'accord... Bien sûr, je lui dirais ça... En tous cas, quand tu seras sortie, tu viendras à la maison me raconter toute cette histoire, ça marche ? Je te ferais un chocolat chaud... Ok, bisous ma puce et courage ! »
L'homme raccrocha puis poussa un soupire, ce qui ne lui était pas habituel. Les sourcils froncés, il n'était visiblement qu'à demi-rassuré. Sa main s'arrêta de griffonner, il resta quelques secondes muet.
Ses yeux clairs, cachés derrière une paire de lunettes aux verres orangés, se posèrent sur la personne en face de lui.
« Haruka te dit qu'elle va bien. »
Sa voix était bizarrement froide, ce qui la rendait presque inquiétante, mais ce ton n'était pas inconnu de l'autre homme dont les yeux sombres ne bougèrent pas de son plan de travail.
« Evidemment qu'elle va bien, sinon l'hôpital m'aurait informé.
-Et c'est tout ce que tu as à dire ? »
Enfin, il releva sa tête vers le blondinet qui ne cessait de le fixer. Ce regard, d'un mélange de froideur, de colère et d'épuisement, restait insoupçonné au monde entier qui le pensait en héros éternellement heureux. Mais, celui aux cheveux noirs prenait ce regard pour une habitude, et ce depuis presque cinq ans.
« Oui.
-Shota ! Ta fille est à l'hôpital, elle est blessée, elle vient de vivre un traumatisme, de se battre avec le Tueur de héros, et toi, tu ne t'inquiètes même pas pour elle ! »
Ledit Shota ne répondit pas, s'efforçant de garder un regard neutre sur ses feuilles d'administration.
« Il... Parfois, je n'arrive pas à te suivre... Tu trafique son admission en filière héroïque, ensuite tu l'entraine pour qu'elle y accède, puis tu lui mets une mauvaise note et tu fais la tête parce qu'elle est dans ta classe... »
Sa tête se baissa de plus en plus, il voulait disparaître derrière son amas de cheveux bruns et surtout, surtout, il voulait que cet idiot d'Hizashi se taise.
« ... Mais tu l'entraine toujours, tu t'inquiètes pour elle quand Yuei se fait attaquer et ensuite tu t'en moque complètement de savoir comment elle va quand elle se retrouve face au Tueur de héros !... Vraiment, Shota, tu es incom...
-Je ne sais pas comment faire. »
Hizashi se tut sur le coup. Surpris d'entendre sa voix, une voix forte et cassée.
Le blondinet se rendit compte qu'il venait d'ouvrir une brèche dans l'esprit mystérieux de son ami, lui révélant une once de ses pensées intimes.
Curieux, mais surtout inquiet, il tenta d'une voix douce, conscient de la situation :
« Tu ne sais pas com...
-Tu pense sérieusement que je suis content de rester cloîtré ici ? »
Le blondinet ouvrit les yeux, de nouveau surpris par ce haussement de voix.
Shota reprit un ton plus calme :
« Quatre de mes élèves sont à l'hôpital, tous les quatre sont blessés... Je suis leur professeur principal, même si je n'ai aucun lien avec l'affaire, je dois quand même remplir des papiers juridiques et... et ça me prends du temps, et... »
« Et ils s'en foutent qu'un de ces élèves soit ma propre gosse, se retint de dire le grand brun. »
Son collègue l'écouta, attentif, le laissant même marquer une pause. Rares étaient les fois où il lui parlait comme cela, à cœur ouvert, ou presque.
Une question lui restait tout de même obscure et, malgré la fragilité de cet instant, il souhaitait profiter de ce moment d'intimité pour en savoir plus :
« Je vois ce que tu veux dire... Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas, tu as dit que tu ne sav...
-Tu n'as pas une pause-dèj' à prendre ? »
D'un ton sec, Shota coupa brusquement ce moment de confidence. Il ne voulait pas en dire plus, il ne pouvait pas. Rien que ces quelques mots prononcés le poussèrent à se maudire et à maudire l'impudence de celui qui se faisait appeler comme son ami.
Le cœur serré, Hizashi quitta la pièce. Il savait que ces quelques paroles arrachées n'étaient qu'un accident et que son ami ne lui en dirait pas plus avant longtemps. Malgré tout, il restait touché d'avoir pu entendre ces quelques paroles.
Il s'arrêta sur le pas de la porte pendant quelques secondes et murmura :
« Je veux que tu appelles Haruka avant que je sois rentré... Juste pour la rassurer... S'il-te-plait... Ce n'est pas un ordre mais une demande, pour elle et pour moi... »
Le bruit de ses chaussures sur le sol résonna encore un peu dans le couloir du grand lycée avant de totalement disparaître aux oreilles du grand brun.
Fatigué, Shota soupira et passa ses mains sur son visage, faisant attention à ne pas trop appuyer sur sa cicatrice.
Il ne savait pas comment faire.
Il ne savait pas comment agir.
Il ne savait pas comment la protéger.
Elle devait savoir se défendre mais elle ne devait pas finir comme elle.
Elle devait réaliser son rêve mais elle ne devait pas finir comme elle.
Qu'importait le choix, qu'importait le chemin, les décisions, tout le menait à cette hypothétique issue, ce risque, qui était qu'elle finisse comme elle.
Et ça, Shota ne se le permettrait pas.
Alors que faire ?
L'élever en héroïne, comme elle le souhaitait depuis enfant, ou la garder dans l'ombre des civils, loin de tous ces problèmes.
Autrefois, la solution avait été parfaitement claire, mais la montée des super-vilains dans la ville et la déchéance du Numéro Un des super-héros ne faisait que troubler ses choix. Le danger se retrouvait à présent partout, rien ne semblait pouvoir le contrer.
Et Shota ne savait où aller.
Lui, Eraserhead, le héros connu pour sa rigueur et son stoïcisme, était complètement perdu.
Au point même où il ne savait pas s'il devait appeler sa fille ou non.
Malgré son apparence distante auprès des autres membres du corps enseignait qui s'était affolé de toute part, le grand homme était complètement angoissé à l'intérieur.
Des scénarios de bataille défilaient dans sa tête à une vitesse folle, lui montrant des scènes aussi catastrophiques les unes que les autres. Des images de sa fille blessée lui donnait autant de sueurs froides que ses propres blessures.
Shota avait peur, juste peur d'entendre le récit de cette horrible mésaventure, juste peur de visualiser le Tueur de héros en face d'Haruka, peur d'entendre la voix affaiblie de la jeune fille allongée dans son lit d'hôpital.
Cependant, il devait honorer la demande d'Hizashi, celui-ci ne lui en avait pas donné le choix. Du moins, c'était l'excuse qu'il se donna pour enfin saisir son téléphone et composer le numéro.
La sonnerie d'attente lui sembla longue et entêtante.
« Haruka ? »
« Allô ? Papa ? »
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