Chapitre 12
Je réfléchis un long moment avant de rompre le silence qui s'est installé entre nous. Il s'agit bien d'une allusion à la tentative de suicide que Benjamin a faite, cela me trouble et me met face à ma propre existence. Cependant, je ne peux pas le laisser dire cela et accorder la moindre considération à cet acte méprisable.
Pour lui prouver ma solidarité, je pose ma main sur son genou et lui lance avec amertume :
— Je ne suis pas d'accord ! La vie peut être vraiment très dure, cruelle et insupportable, mais il y a aussi tellement de bons moments !
Alors que Benjamin m'écoute sereinement, je lui livre en toute confiance le chagrin qui me ronge chaque jour...
— En réalité, je pense que ma mère ne nous a pas vraiment quittés. Elle est là, chez moi ! Il y a des signes qui ne trompent pas ! Je sens parfois sa présence, et certaines nuits, elle m'appelle ! Elle ne m'effraie pas. J'ai simplement le sentiment qu'elle a quelque chose à me dire...
Quelques semaines plus tôt, un matin en partant au lycée, j'ai constaté que les portraits de ma mère, l'un accroché sur le mur du bureau et l'autre dans la cage d'escalier, étaient tombés. Seules les vitres s'étaient cassées. Ce n'est pas tout : sa voiture, qui est dans le garage depuis treize mois, avait le pare-brise arrière défoncé, ce même matin ! J'ai bien entendu pensé que mon père avait pété un câble dans la nuit, mais pas du tout ! Personne dans ma famille n'est capable d'expliquer ce qu'il s'est passé. Mon vieux a tellement flippé qu'il a fait venir le curé pour exorciser la maison. Comme si projeter de l'eau consacrée pouvait changer quelque chose. Le prêtre a aussi béni la baraque, les meubles anciens, fait des signes de croix un peu partout, allumé des bâtons d'encens et rassuré mon père qui était complètement paniqué.
Les manifestations nocturnes ont disparu quelque temps pour revenir de plus belle ces dernières semaines.
— Tu crois aux esprits ? me questionne Benjamin qui se moque de moi.
— Je n'y croyais pas avant ! Mais là Benji, je te jure que c'est effrayant !
Je repense au spectre qui se balade dans ma chambre et qui répand derrière lui ce souffle léger, mais glacial. À la fois où il s'est assis sur mon lit, contre moi et qu'il caressait mes cheveux avec ses doigts fins et gelés.
Benjamin me dévisage d'un air sceptique et m'indique, en balayant d'un geste de la main :
— Je ne crois pas du tout aux esprits ! Il y a forcément une explication rationnelle à tout ça !
— Viens passer une nuit chez moi et tu ne diras plus la même chose !
Je l'invite à la maison, rien de mieux pour le convaincre que je ne suis pas fou. Il verra de lui-même qu'une âme erre chez nous. Cela m'agace qu'il ne me croie pas, je décide de changer de sujet et de le questionner sur ses propres tourments :
— Et toi ? Qu'est-ce qu'il t'arrive pour que tu vires comme ça dans le désespoir le plus total.
— Non Paul ! se défend-il. Je n'ai pas envie de discuter !
— Je ne te laisse pas le choix ! Commence par le début ! Ta carte parle de ton adoption !
Benjamin passe sa main dans ses cheveux pour les ébouriffer. Il se ronge les ongles nerveusement en regardant la nuit qui tombe par la fenêtre de sa chambre.
— J'ai été adopté à l'âge de cinq ans. Ce n'est pas un secret, n'est-ce pas ? Mes parents m'ont sauvé d'un orphelinat à l'autre bout du monde où je dépérissais. Malnutrition, hygiène déplorable, manque affectif ont rythmé mon quotidien. Je n'ai que peu de souvenirs et pourtant certains cauchemars me ramènent dans cette maison de mes premières années...
Le regard morose et le cœur gros, Benjamin me détaille sa petite enfance, enfermé dans un lit à barreaux, avec pour seule distraction un nounours bleu, tâché sur le ventre.
— Je n'avais pas le droit de me plaindre ni de pleurer. Il y avait beaucoup de bruit, des enfants et des adultes qui criaient. On nous battait parfois, sans motif. Du moins, je ne les ai jamais compris.
Il marque un temps d'arrêt et pince ses lèvres avant, de continuer :
— Je pense aussi à mes géniteurs. Je les hais de m'avoir rejeté et malgré tout, j'ai envie de les connaître. De savoir quelles étaient leurs raisons...
Il déglutit puis renifle en s'appuyant sur le dossier de son fauteuil. Terminées les mauvaises vannes et les blagues vaseuses sur nos origines. Benjamin cache une vraie blessure. Je me trouve idiot de ne pas m'être rendu compte plus tôt de la détresse de mon ami, j'aurais dû prendre le temps de parler avec lui, plutôt que de le chambrer inutilement. Comme il semble enfin ouvert à la discussion, je l'interroge encore :
— Ça fait longtemps que tu rumines ça ?
— Un certain moment ! Je ne serai jamais comme les autres. Regarde la tête que j'ai, Paul ! Quand je présente mes parents, tout le monde sait que j'ai été adopté !
— La famille n'est pas uniquement liée par le sang et les gênes ! Ils t'ont désiré si fort qu'ils ont traversé un continent pour venir te chercher !
— Arrête ton baratin ! me coupe-t-il. Je resterai à jamais le chintoc du lycée !
Excédé, il se lève avec brutalité pour appuyer sur l'interrupteur près de sa fenêtre. Aussitôt le store se baisse, la lumière s'allume et le visage de mon ami m'apparaît excessivement pâle. Je me demande si c'est dû à son inquiétude ou au reflet de l'éclairage sur les murs.
— Depuis quand tu te soucies des cons ?
— Depuis que je suis amoureux de Clémence et que tu la baises comme un salaud !
Je m'étouffe presque en entendant mon pote me jeter sa réflexion en pleine gueule. Je suis confus. Debout devant moi, il me regarde avec insistance, mais le lâche que je suis préfère baisser les yeux sur ses chaussures. Je n'ai jamais vraiment été amoureux, mais je peux comprendre la déception et l'amertume de Benjamin. Aucune fille ne brisera mon amitié avec lui.
Autant je suis à l'aise avec la gent féminine, autant, il est maladroit. Je ne lui connais pas beaucoup de conquêtes. Seulement une ou deux, qu'il a réussi à attraper quand l'une était saoule et l'autre suite à un jeu... '
— Comment tu sais pour Clem et moi ?
— Ça se voit gros comme une maison !
Je pensais qu'il n'était pas au courant. Si j'avais compris qu'il avait des sentiments pour elle, je ne m'y serais jamais intéressé.
— Il n'y a rien entre nous ! Rien de sérieux ! tenté-je de le rassurer. D'ailleurs, j'ai décidé de faire une croix sur elle. Si tu veux, je lui parlerai de toi !
— Laisse tomber !
Notre embarras a envahi la pièce. J'essaie d'imaginer Clémence avec Benji, je ne sais pas si cela pourrait fonctionner. Mon pote fait parfois tellement immature et jeune que je doute qu'il plaise vraiment à Clem. D'ailleurs, avec la tournure que prennent les événements, je m'inquiète pour elle. J'espère que Ken ne va plus s'attaquer à elle. Avec tout ce que j'ai lu dans le dossier à son sujet, je le pense réellement dangereux et je ne veux pas que Clem fasse les frais de ma bagarre. Le lycée ne présage rien de bon en ce moment.
— Toi qui sais tout, tu dois être au courant qu'elle a reçu une invitation !
— Moi, toi, Clémence, Ken et Romane ! m'indique Benji, avec assurance. Il y a cinq personnes dont je suis certain !
— Romane ? Comment ça, Romane ?
Je n'ai pas été avisé à son sujet... Comment Benji, qui n'était pas au lycée, peut l'être avant moi ?
— Toi, car tu es perturbé psychologiquement par les événements familiaux. Moi pour mon adoption et mon déracinement.
J'approuve d'un signe de tête, tandis que je poursuis son raisonnement :
— Clémence, je soupçonne des problèmes d'anorexie et elle se fait harceler par le boxeur. Ken est un psychopathe violent marqué par une enfance douloureuse ! Mais Romane ? Explique ! Je ne comprends pas !
Je suis intrigué de découvrir ce que cache la parfaite petite intello de la classe, Romane est la fille la plus coincée que je connaisse. Toujours première, elle collectionne les félicitations du conseil des professeurs depuis la sixième. Elle reste malgré tout discrète dans la cour du lycée. Son groupe d'amis est plutôt du genre hyper sérieux, tout mon contraire. Physiquement, elle n'est pas dégueulasse, mais elle me paraît si innocente que je ne me suis jamais senti attiré par elle. Personnellement, je ne connais aucun ex à cette petite blonde soigneuse de son apparence.
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Quel est selon vous le motif de Romane ?
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