
Chapitre 6
La cloche retentit à nouveau, signe que les élèves vont bientôt revenir en classe. Je range les quelques documents qui traînent sur mon bureau en ignorant le policier. Les cris résonnent dans le corridor, annonçant l'arrivée des enfants. Quelques minutes plus tard, ils pénètrent dans la classe et s'assoient à leurs places respectives en discutant d'un air surexcité.
Alice lève alors la main et demande à Mason :
— Pouvez-vous nous raconter quelque chose de spectaculaire sur votre travail ?
— Ce que vous devez savoir, les enfants, leur dit Mason d'un air grave, c'est que la réalité n'est pas comme dans les films. Il n'y a pas autant d'action et, souvent, ce n'est pas aussi spectaculaire. Par contre, il nous arrive parfois des anecdotes amusantes. Pendant mes patrouilles sur la route, je vois différentes choses. J'ai souvent aperçu des gens se décrotter le nez en pensant que personne de les regardait.
Tout le monde éclate de rire, à part moi. Je suis toujours sur les nerfs à cause de cet agent impertinent.
— Et certains les mangent, ajoute-t-il en faisant grimacer la classe entière. Mais je vais vous raconter le moment le plus fortuit qu'il me soit arrivé jusqu'à présent. Je ne suis pas policier depuis aussi longtemps que mes collègues, alors probablement qu'il va survenir bien d'autres imprévus pendant ma carrière, mais celui-ci a été mémorable et très intense. J'étais en train de patrouiller lorsque j'ai vu une voiture rouler à toute vitesse. Elle dépassait largement les limites permises, alors je l'ai prise en chasse.
Je remarque que même les autres papas semblent pendus à ses lèvres.
— Toutefois, elle ne s'est pas arrêtée, alors j'ai allumé les sirènes sur le toit de ma voiture, celles que vous pouvez voir lorsque j'arrête des gens sur le bord de la route. C'est alors que le véhicule s'est subitement immobilisé. J'ai failli lui rentrer dedans tellement c'est arrivé rapidement. Je suis sorti de mon véhicule, énervé. Je me suis rendu compte que c'était une femme qui était au volant. Avait-elle pris de l'alcool, ou pire ? Je lui ai alors demandé de sortir du véhicule.
C'est drôle, mais son histoire me rappelle quelque chose...
— Or, elle n'a pas tout de suite accepté. Elle semblait aller mal, mais j'ai souvent vu des gens faire semblant d'être malade pour ne pas avoir de contravention, alors je lui ai répété de sortir de sa voiture. Elle a finalement accepté et c'est là que je me suis rendu compte qu'elle était....enceinte. Et sur le point d'accoucher.
Dites-vous que je rêve ! Il ne va tout de même pas raconter cette histoire à tout le monde ! Devrais-le l'arrêter ? Si quelqu'un se rend compte que c'est de moi dont il parle, on va m'agacer pour le restant de mes jours. Kayra le fait déjà et je regrette de lui avoir confié cette anecdote.
Cependant, je suis curieuse de connaître son point de vue, alors je reste silencieuse et l'écoute aussi attentivement que les autres.
— J'ai gardé mon calme et j'ai demandé des renforts, poursuit le policier. La jeune femme paraissait effrayée et je me suis demandé comment elle avait pu se retrouver seule dans sa voiture et dans cet état. J'ai décidé de lui tenir compagnie jusqu'à ce que l'ambulance arrive. Ses contractions étaient de plus en plus fréquentes et j'ai eu terriblement peur de devoir moi-même l'accoucher sur la banquette arrière de sa voiture, stationnée sur le bord d'un boulevard. Jamais je n'aurais cru qu'il m'arriverait quelque chose d'aussi stupéfiant pendant ma patrouille. J'essayais de ne pas lui laisser voir mon inquiétude, car je ne voulais pas qu'elle panique. Elle semblait si décontenancée. Puis, les ambulanciers sont finalement arrivés et l'ont prise en charge, à mon grand soulagement. Cependant, je n'ai pas pu la laisser seule sans famille ni ami à ses côtés, alors je suis monté dans l'ambulance avec elle. Je me suis dit que je l'accompagnerais au moins jusqu'à l'hôpital, où elle pourrait communiquer avec sa famille. Dix minutes plus tard, nous sommes arrivés et les infirmiers l'ont rapidement conduite jusqu'à une salle d'accouchement. J'ignore pourquoi je les ai suivis. Était-ce parce que je pouvais lire toutes ses craintes sur son visage et que ça me touchait énormément ? Je l'ignore, mais j'ai tenu sa main tout le long de son travail, qui a duré environ trente minutes. Les médecins étaient tous stupéfaits qu'elle accouche aussi rapidement de son premier enfant. Ça a été le moment le plus intense et le plus touchant de toute mon existence. Rencontrer un petit être pour la première fois est un moment unique. Néanmoins, j'ai laissé la jeune femme passer ce premier instant seule avec son bébé et je suis parti.
— Tu n'es pas retourné la voir ? interroge Samuel.
— Non.
— J'espère qu'elle t'a donné un bisou pour te remercier, dit Gabriel.
Mason me jette un regard amusé.
— Non, pas encore, répond-il.
Avant que les enfants se mettent à lui poser toutes sortes de questions embarrassantes, je remercie l'agent et invite un autre papa à prendre la parole. Toutefois, je suis incapable de me concentrer sur l'ébéniste qui explique son travail. Je songe à ce que vient de raconter Mason, à sa perception de cet événement. Il n'a pas raconté tous les détails, comme mes cris de douleur, mes pleurs ou mes jurons. Ni la façon dont il a essayé de me rassurer et de me réconforter. Je l'avais d'ailleurs oublié jusqu'à aujourd'hui. Mason a décrit cet instant comme mémorable. Par contre, jamais je n'aurais pensé que ça l'avait autant affecté. Il a bien caché toutes ses émotions et je me demande s'il n'a pas deux facettes de sa personnalité : la vraie et celle qu'il veut bien nous laisser voir. À la fin du cours, je remercie chaleureusement tous les papas pour leur présence.
— Vendredi a lieu notre sortie au zoo, leur rappelé-je. J'aimerais savoir s'il y aurait des parents volontaires pour nous accompagner.
Trois mains se lèvent. J'aime bien faire des activités avec mes élèves, mais sortir seule avec dix-huit enfants surexcités est inconcevable pour moi. Chaque fois, j'invite quelques parents à se joindre à nous. Ils peuvent m'aider à les surveiller et je peux ainsi profiter du moment.
Je salue enfants et parents lorsque la cloche sonne et m'assois à mon bureau, épuisée par cette journée et les différentes émotions qu'a engendré le discours de Mason. Ce type a une idée derrière la tête. Attend-il des remerciements pour m'avoir accompagnée lors de mon accouchement ? Sans doute... À bien y penser, son but est peut-être de me poursuivre et de me pousser à bout jusqu'à ce que je le fasse.
— Mademoiselle Laurel, fait alors une voix grave à mon oreille.
Je sursaute, prise au dépourvu. Je me croyais seule et j'ai laissé mes pensées m'emporter loin de ma salle de classe.
Mason, qui s'était penché vers moi, se redresse.
— Je suis disponible pour vous accompagner au zoo, m'annonce-t-il.
— C'est gentil, mais il y a suffisamment de parents, lui dis-je.
Je n'ai absolument pas le goût que cette brute impolie se joigne à nous.
Au moment où je lui réponds, le père de Flore entre dans la classe.
— Je suis désolé, me dit-il, essoufflé, mais je ne pourrai pas vous accompagner au zoo. Je viens de recevoir un appel de mon patron et je dois travailler ce jour-là.
Mason me fixe d'un air victorieux et j'ai soudain envie de me cogner la tête sur le bureau.
— Pas de problème, réponds-je en essayant de sourire. Merci quand même.
Le papa sort en vitesse de la classe, probablement pressé.
— Le hasard fait bien les choses, n'est-ce pas ? se moque Mason.
Je lui lance un regard noir qui le fait pouffer.
— Ne crains rien. Je ne t'enfermerai pas dans une cage, me dit-il en me faisant un clin d'œil.
Abruti ! Je déteste ce mec, je déteste sa belle gueule et je déteste son petit air suffisant. J'ai envie de lui écraser un livre en pleine figure, mais ça me vaudrait un autre tour en cellule. Au lieu de cela, je lui fais mon sourire le plus hypocrite et réponds :
— C'est plutôt à vous de surveiller vos arrières. Je pourrais être tentée de vous poussez dans la cage d'un gorille. Après tout, qui se ressemble s'assemble.
Il éclate de rire.
— J'adore ton sens de l'humour. Tandis que j'y pense, je vais passer chez toi après le dîner te porter ton constat d'effraction. À ce soir, petite voleuse, dit-il en l'éloignant.
— Je n'ai rien volé, rétorqué-je d'un air hargneux.
— Tu te trompes, répond-il en fermant la porte de la classe, me laissant seule et complètement paumée.
Qu'est-ce que j'ai bien pu lui voler ?
Vous avez enfin le point de vue de Mason. Il n'est peut-être pas aussi insensible qu'il le parait.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro