Watson - 3/3
Il pensait qu'il aurait plus de temps. Il le pensait vraiment. Mais la fleur semblait se nourrir de la présence de Holmes, de son amour lancinant et de sa propre souffrance. Il s'était enfui au milieu du repas pour s'enfermer dans sa chambre. Il n'aurait pas dû. Il aurait dû sortir, prendre un fiacre, lui demander de l'emmener le plus loin possible, et se laisser mourir loin de tout.
- Watson ! Criait l'homme qui tambourinait sur la porte. Watson, pour l'amour de Dieu, ouvrez-moi !
Mais Watson était trop occupé à tousser pour lui répondre, trop occupé à chercher de l'air pour se relever de là où il s'était effondré, en travers du plancher. Il avait l'impression qu'il allait exploser, emplit de fleurs qui n'arrivaient plus à sortir, qu'il crachait désespérément tout autour de lui, ensanglantées, mais qui naissait encore, encore, au fond de sa gorge, à un rythme effréné.
- Watson !
Les battements de son cœur écrasèrent la voix de Holmes. Ah, Dieu, était-ce la dernière fois qu'il l'entendait ? La pensée lui fut enlevée par une rose plus grosse que les autres qui lui emplit la soudain la bouche. Tremblant, il la cracha et s'affala sur le dos.
Respire, respire !
Mais c'est une fleur qui sortit, qui surgit de sa gorge comme un splendide démon. Elle roula sur sa joue et se posa contre son oreille. Sa poitrine se crispa, prise d'un ultime spasme. Quelque chose brûlait sous sa peau, assez fort pour le consumer de l'intérieur, pour le déchirer d'une douleur blanche où seul ressortait le rouge des pétales.
- Respirez, Watson ! Respirez !
Il se tordit, arc bouté, une main crispée sur son cœur, cherchant en vain à extirper tout ce qui s'était agglutiné dans sa poitrine et bloquait sa respiration, ne lui permettant que quelques halètements avortés. Quelque chose grandit de nouveau, quelque chose qui lui rappa la gorge et lui caressa la langue. Il recueillit au creux de sa paume une autre fleur ensanglantée.
Le monde se délita sous l'effet des larmes qui s'échappèrent enfin, brulantes, réduisant la lumière à quelques fragments mouvants.
Il s'arqua une dernière fois, la bouche ouverte au maximum, et retomba lourdement sur le sol. Les fleurs poussèrent à toute vitesse entre l'espace de ses lèvres, dépliant leurs pétales soyeux. Elles grandirent, encore, encore, encore, se frottant les unes contre les autres avec de longs murmures froissés, formant un nom, un seul, toujours le même.
Holmes.
- WATSON ! WATSON !
Autre chose se trouvait dans sa gorge, des doigts qui arrachait les pétales, les déchirant sans pitié. Non, non, il ne fallait pas... S'il perdait la fleur, il perdait Holmes ! Il essaya d'agripper les mains pour les faire cesser, mais il n'avait plus de force. Le monde était flou, réduit à l'état de taches rouges qui pulsaient sur ses rétines, au même rythme que son cœur fou. Les ténèbres s'insinuaient déjà, froides, terriblement froides, à la lisière de sa conscience.
- Watson, oh, Watson, je vous en supplie, Watson, restez avec moi, Watson, Watson, Watson, je vous en prie, mon cher Watson, restez, restez, restez, je vous en prie, mon ami, mon Watson, mon amour, restez, restez, restez, Watson, Watson...
Il se plia en deux. Encore ? Il croyait que c'était terminé, qu'il avait enfin droit à la paix, à la mort, à l'oubli ! La douleur était encore plus forte, cette fois, à la limite du soutenable.
- Watson, Watson, je vous en prie, Watson, vous ne pouvez pas me quitter, je vous en prie, j'ai besoin de vous, je vous aime, Watson, restez, restez, je vous en prie...
Quelque chose de plus gros essayait de s'extirper de sa gorge, lui éraflant la peau sans pitié. Ses yeux le brulaient, sa poitrine le brulait, sa gorge le brulait, le monde entier brulait. Il sentit vaguement des doigts lui écarter les lèvres pour agripper l'objet qui lui faisait si mal.
Soudain, la fleur disparut, et l'air lui revint. Il aspira comme un fou, se gorgeant d'oxygène, emplissant ces poumons à un rythme frénétique, ses lèvres s'ouvrant et se refermant pour prononcer des mots qui n'existait pas, calmant par à-coup l'incroyable douleur.
Le monde lui revint lentement. Il était appuyé contre la poitrine de quelqu'un. Quelqu'un qui lui caressait les cheveux en le serrant contre lui. Quelqu'un qui sanglotait si fort qu'il en faisait trembler leur deux corps.
Watson tenta d'utiliser sa voix, mais n'en sortit qu'un râle affreusement douloureux. Il réessaya, pourtant. Car c'était Holmes qui le tenait contre lui. C'était Holmes qui pleurait.
Et c'était Holmes qui lui avait dit qu'il l'aimait.
- Watson, balbutia le détective au milieu de ses larmes. Watson...
- Holmes, répondit Watson d'une voix si rauque qu'elle était à peine compréhensible.
Holmes s'écarta légèrement pour pouvoir voir son visage. Watson eut un choc en voyant les joues du détective couvertes de larmes, qui continuaient à couler en torrent continu. Une leva une main - Dieu qu'elle était lourde ! - et effleura son visage du bout des doigts.
- Holmes... répéta-t-il.
- Watson, répondit le détective avec un rire de soulagement qui s'étrangla dans un sanglot. Watson...
Ils ne pouvaient en dire plus, pour le moment, mais rien de plus n'avait besoin d'être dit. Le détective en larme déposa un baiser sur le front de son ami et se contenta de le tenir ainsi, contre lui, au milieu des pétales, jusqu'à ce que ses sanglots se tarissent et que Watson surmonte le choc et la douleur d'avoir frôlé la mort.
Puis Holmes se leva, le soulevant dans ses bras, et le transporta jusqu'au lit, où il l'allongea. Watson eut le temps d'apercevoir, sur le sol, une fleur deux fois plus grosses que les autres, la seule à posséder une tige, dont les racines étaient recroquevillées sur elle-même, comme un animal mort.
- Dites-moi que vous êtes hors de danger, le supplia Holmes en posant une main sur sa joue. Je vous en prie, Watson.
- Holmes...
Le docteur hésita avant de parler, mais, de toute façon, avait-il le choix ? S'il ne posait pas la question, la fleur reviendrait.
- Holmes, est-ce que vous... j'ai cru vous entendre dire que vous m'aimiez.
- Apparemment, répondit le détective avec un sourire ou se mêla un sanglot. Je ne m'en étais pas rendu compte avant maintenant. J'espère que vous... J'espère que vous ne m'en voulez pas pour ça, je... Je sais que ce n'était pas le moment de vous dire ces choses, mais j'ai... Oh mon Dieu, Watson, j'ai eu tellement peur ! J'ai cru que j'allais vous regarder mourir !
- Je vous aime aussi, Holmes. Je vous aime tellement... C'est parce que je vous aimais que cette fleur s'est mise à grandir dans mes poumons. Parce que je vous aimais et pensai que vous ne m'aimeriez jamais.
- Pardon ?
- Oui, j'ai réagi comme ça aussi, en l'apprenant, répondit Watson avec un sourire qui se changea en grimace.
- Vous avez encore mal à la gorge ? s'inquiéta aussitôt Holmes. Est-ce qu'une autre fleur...
- Non, non, je crois que vous avez arraché la dernière.
- Je vais vous cherchez de l'eau. Ne bougez pas.
- Je n'en avais pas l'intention, ironisa le docteur.
Mais Holmes lui jeta un regard mortellement sérieux et se précipita hors de la chambre pour revenir deux minutes plus tard, avec une carafe d'eau et un verre.
- Madame Hudson prépare du thé et du miel, lui apprit-il en l'aidant à boire.
- J'espère que vous ne lui avez pas crié dessus...
- Je suis légèrement à bout de nerfs, Watson, j'ai peur de ne plus savoir comment être polis.
Watson ne répondit rien. L'eau répandait dans sa gorge une magnifique fraicheur.
- Hanahaki, dit-il finalement, lorsque le verre fut reposé. Une maladie qui fait pousser des fleurs dans le poumon des amoureux malheureux.
- Vraiment, Watson, à l'ère de la science...
Watson jeta un regard en direction des pétales qui tapissaient le sol. La main de Holmes se glissa dans la sienne pour la serrer.
- Vous m'aimez tant que ça ? Murmura-t-il, si bas que les mots faillirent ne pas franchir ses lèvres.
- Et beaucoup plus encore, souffla Watson.
Holmes se pencha et, doucement, pour lui laisser tout le temps de se détourner, approcha ses lèvres des siennes. Leurs bouches se rencontrèrent et se scellèrent avec lenteur, goutant au goût des larmes, de sang, et de la tendresse.
Ils se séparèrent quelques secondes plus tard, les joues rouges, un sourire béat au coin du regard.
- Je suis tellement désolé, soupira Holmes. Si j'avais compris plus tôt... Quel piètre détective je fais.
- Un autre baiser et vous êtes entièrement pardonné, réclama le docteur en souriant.
Holmes s'exécuta, bien sûr, puisqu'il le fallait.
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