08 - Escorte royale vers Céladon

Terres humaines

J'adoptai un air innocent et docile alors que je m'approchais du groupe d'Immortels. Ce moment de mon plan était crucial. Mes chances d'infiltrer le Château toute seule et de parvenir à atteindre le Roi étaient minces. Mais si j'en pénétrais l'espace escortée de soldats et accompagnée d'autres Élus... mes chances de réussite augmentaient grandement.

Un à la suite de l'autre, les Immortels devant moi s'aperçurent de ma présence et arrêtèrent de converser entre eux. Un des mâles — celui qui avait été interpelé Hadev par un des autres soldats — s'avança vers moi pour mieux me demander :

— Es-tu une Élue ?

Il y avait un voile les recouvrant. Un sort complexe — pas pour masquer leur aura comme le mien, mais pour qu'aucun oeil Mortel ne puisse les voir à moins que ceux-ci aient des pouvoirs eux-mêmes, qu'ils soient des Élus.

Je me raclai la gorge, redressant légèrement mes épaules pour me donner de la contenance. Le froid ambiant secouait encore chacun de mes membres, mais je me serrai les dents et fis de mon mieux pour l'oublier.

— Oui, répondis-je doucement, toutes traces d'Häxa et de mon arrogance habituelle disparues.

J'observai le groupe. Celui-ci était composé de six Immortels et de trois Élus qui se tenaient à l'écart. Je constatais avec soulagement que mes vêtements étaient semblables à ceux des autres humains et qu'ainsi je fondais parfaitement dans la masse.

— J'ai entendu dire que vous passiez dans le coin pour regrouper les Élus, ajoutai-je avec un petit sourire. Je me suis dite que je vous épargnerai le trajet jusqu'à mon village — il s'agit d'un trou perdu.

L'Immortel qui m'avait tout d'abord adressé la parole ramena une longue mèche de cheveux de couleur bronze derrière son oreille et m'épia de ses yeux orange foncé.

— Quel est ton nom ?

Tout dans son attitude m'indiquait qu'il était en charge du groupe. Si je voulais obtenir une place aux côtés des autres Élus, je devrais le convaincre lui de ma bonne foi.

— Laceï, m'empressai-je de répliquer. Laceï Kalabhiti.

Je lui avais déballé la première chose qui m'avait traversé l'esprit : mon deuxième prénom ainsi que le nom de famille de ma mère.

— Laceï, répéta-t-il, ses sourcils se haussant légèrement devant la rapidité de ma réponse.

— Un surnom pour Laceleï, oui, souris-je docilement alors qu'une rafale de vent balaya mes cheveux hors de mon visage et fit claquer mes dents.

Il s'agissait d'un prénom assez commun dans les parages. Je connaissais trois Laceleï dans mon petit village seulement.

L'Immortel s'empara d'un morceau de parchemin. Je ne pouvais qu'assumer que celui-ci portait les noms de tous les Élus recherchés — lors de leur dix-huit printemps, chaque Élu devait s'enregistrer auprès de Céladon. Adelaïde n'avait que 17 ans lorsqu'elle avait connu sa fin, et je n'avais jamais eu de Mentor pour m'inscrire. Et donc pour la Terre des Dragons, je n'étais rien de plus qu'un fantôme.

— Tu n'es pas sur la liste, commenta-t-il, mais...

Il n'eut besoin que de me jeter qu'un seul coup d'oeil pour déterminer que je possédais de la magie.

Malgré le voile que j'avais apposé sur mon pouvoir, une partie de ma magie pouvait toujours être perçue. Il n'y avait aucun moyen de cacher complètement la puissance que je détenais — c'était une part de moi et j'étais une part d'elle. L'un ne pouvait pas se passer complètement de l'autre.

Les yeux du capitaine se rétrécirent.

— Kalabhiti... n'est-ce pas le nom de famille d'un autre Élu ? Ne serais-tu pas une descendante de Theor Kalabhiti, par hasard ?

Je clignais des yeux alors qu'une surprise sincère s'instaura dans les traits de mon visage. Theor Kalabhiti avait vécu il y avait près de 400 ans, selon les contes que ma mère nous contait à Addïe et moi lorsque nous étions enfants. C'était de lui dont nous avions hérité notre magie.

— Oui, répondis-je d'un ton incertain, une once de question présente dans ma voix.

— J'ai combattu à ses côtés dans la guerre contre le continent sud, s'empressa Hadev de répliquer. Je n'étais pas encore un Général dans ce temps là, juste un simple soldat comme lui. C'était un combattant habile et doué.

Mes sourcils se haussèrent alors que je réalisais l'âge qu'Hadev devait avoir. L'Immortel semblait être dans sa mi-quarantaine avec ses longs cheveux et son menton pointu. Pas étonnant que tant d'Immortels devenaient des créatures viles et cruelles s'ils pouvaient vivre aussi longtemps. Être amical et paisible doit devenir assez ennuyeux après plusieurs siècles.

— Nous étions de bons amis, expliqua davantage Hadev, avant qu'il ne rencontre Astra et décide de s'installer avec elle dans les Terres Humaines. Je suis ravi de voir que ses descendants prospèrent encore.

Il scruta mon visage, y recherchant sans doute les traits de son ami décédé il y a longtemps.

— La liste qu'on nous a donnée doit être erronée... Tu es clairement l'une de nous.

Je proférai presque que ce n'était pas le cas, que je ne serais jamais aussi pire que le Roi de Céladon et que son peuple, mais je gardai ma bouche fermée. Je ne pouvais pas me permettre de laisser place à ma colère, du moins pas avant d'être au Château, sur le point de tuer le Roi.

Joue le jeu, me rappelai-je.

Je m'armai donc de mon beau sourire — comme s'il s'agissait du plus grand compliment qu'on pourrait me faire, comme s'il s'agissait d'un honneur.

— Tu es la bienvenue si tu veux te joindre à nous, m'affirma-t-il dans une tentative d'être gentil. Je suis Hadev. Viens, je vais te présenter aux autres.

Il m'offrit une petite tape sur l'épaule avant de se diriger vers le reste du groupe. Je lui emboîtai le pas sous les regards curieux des Immortels.

Il me présenta aux autres. J'oubliai immédiatement la majorité des noms — pourquoi me donner la peine de les remémorer ? —, mais quelques-uns restèrent encrés dans mon esprit. Il y avait Lochlan et Aeron, des jumeaux aux cheveux blonds qui m'offrirent des sourires chaleureux. La seule femme du groupe, Izara, détenait de magnifiques cheveux bouclés et une peau sombre, mais son regard perçant et ses muscles bien développés faisaient d'elle la plus grande menace du groupe. À l'extrémité du groupe se tenait Oren, aux cheveux noirs mi-longs et à la peau olivâtre, dont la présence calme était presque rassurante, mais dont les yeux bruns semblaient percer à jour les secrets de chacun.

La plupart des autres gardes semblaient être natifs de Céladon, avec leur peau bronzée, leurs traits durs et leurs yeux ambrés. Certains d'entre eux avaient leurs ailes de dragons sorties. Je n'en avais jamais vu au paravant à Fallow — je soupçonnais secrètement Lucien de ne pas pouvoir en supporter la vue depuis que les siennes avaient été coupées. La texture des ailes ressemblait à du cuir et leurs couleurs variaient entre le noir et le gris.

— Mais elle n'est pas sur la liste, objecta l'Immortelle nommée Izara, les sourcils froncés.

Ses yeux bruns — tachetés de filaments verts, remarquai-je alors qu'elle s'approcha — étudièrent mon visage, mon apparence.

Des soupçons remplirent ses traits.

— Il n'y a pas d'erreur dans les noms qu'on nous a donnés, affirma-t-elle avec certitude.

— Laceleï vient avec nous, déclara Hadev.

Et cela termina la discussion.

Mais même alors que nous commencèrent à marcher, je pouvais sentir le regard d'Izara planté sur moi, et je savais au plus profond de mon être que je devrais me montrer extrêmement prudente.