— Bonjour à tous, avant de poursuivre , je dois vous parler du cours précédent. Tout le monde ici a pu remarquer le comportement étrange d'Hermione. Même notre elfe Legolas n'était pas lui même et semblait avoir perdu de sa dignité. Je crois que nous avons été victime d'un mal connu sous le nom de «out of character».

Des murmures naissent dans la salle qui se transforment en brouhaha.

— Soyez vigilant ! je pense qu'IL est peut être à l'oeuvre.

— Qui ? Voldemort ? Demande Hermione.

— Non.

— Sauron ? Morgoth ? interroge Légolas, le visage grave.

— Non plus !

— Cullen ! S'exclame Katniss

— Ne soyez pas ridicule...

Edward vient d'apparaître dans l'embrasure de la porte.

Le professeur Dramatov, se racle la gorge et désigne une chaise.

— Vous êtes en retard Cullen, encore une journée d'absence et j'aurais commencé à croire que vous vous étiez fait porter pâle. Installez-vous.

Le vampire s'exécute en silence. Le professeur s'avance vers la classe, ses traits se durcissent.

— Lorsque je parle de IL... Dramatov s'interrompt et reprend, vous avez tous entendu les rumeurs à son propos non ?

— Professeur, vous n'êtes quand même pas sérieux ! Vous pensez vraiment qu'IL.. existe ? demande Hermione qui s'est levée de sa chaise

— Il existe ! Croyez moi, hurle une voix rocailleuse.

Tous les regards se tournent vers l'homme massif qui se tient à coté du tableau et épouse l'obscurité, seule une barbe blanche en bataille dépasse d'une large capuche rabattue sur son visage que l'on devine large et rond.

Le professeur se caresse le bouc, l'air pensif et reprend.

— Bien, l'ambiance actuelle est parfaite pour aborder le thème de ce nouveau cours. J'aurai l'assistance d'un professeur auxiliaire, qui tient à rester anonyme pour le moment. Mais faites moi confiance, c'est un spécialiste en la matière. De plus sa présence ici est nécessaire, au cas ou IL se manifesterait à nouveau. Cullen peux-tu me lire le texte au tableau ?

Edward Cullen, lève les yeux, marque une pause, puis déclame sur un ton monocorde :

— Anne, une jeune journaliste célibataire adore les voyages. Après avoir économisé, elle décide de s'offrir une expédition sur une île paradisiaque. Dans cet endroit enchanteur elle va découvrir une végétation luxuriante, des autochtones accueillant, un trésor et même... le grand amour.

Edward ponctue sa phrase d'un sourire énigmatique.

— Bien, Pensez vous que cela ferait une bonne histoire ?

Katniss ricane.

— Vous plaisantez ? C'est nul ! Qui irait lire ça ?

— Moi ! répond Hermione en soupirant, cela me fait rêver.

Dramatov secoue la tête.

— Bien je ne sais pas si c'est nul, mais il manque quelque chose, vous ne trouvez pas ?

Cullen a le doigt levé.

— Edward ?

— Il ne se passe rien dans votre histoire. Pas d'obstacles, pas d'intrigues... d'un point de vue dramaturgie, c'est l'électroencéphalogramme plat. Je préférerais un pieu dans le coeur au supplice de la lecture d'une telle... chose.

— Exactement Cullen ! Dans le mille. Je savais que vous étiez un élève... brillant ! Il n'y a pas de conflit. Et si il n'y a qu'une règle à retenir, c'est la suivante : une histoire sans conflit n'intéresse personne. C'est une base de la dramaturgie.  D'ailleurs pour parler de conflit, nous allons évoquer, les désirs des personnages et aussi, les oppositions ! Vous êtes familier avec la notion de protagoniste et d'antagoniste non ?

Silence.

— Non ? Bien, nous irons plus en profondeur dans un prochain cours. Poursuivons, voulez-vous ? Alors, comment pourrions nous transformer cette banale histoire en un récit captivant ?

— Facile ! Elle pourrait devoir faire face à des orques et affronter un Balrog ! propose Légolas

Katniss le coupe :

— Non, mieux ! L'île paradisiaque serait tenue par une organisation qui organise des jeux télévisés, où des enfants armés doivent s'entre-tuer jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un participant !

— Tiens ca me rappelle, un film... tu connais Battle Royale ? Takeshi Kitano est formidable...

— Du calme, du calme. Ces propositions sont valide, mais réfléchissons un peu. Procédons avec méthode. Analyson la première phrase.

"Anne, une jeune journaliste célibataire adore les voyages".

Il y a matière à creuser déjà. Journaliste ? Célibataire ? Pourquoi est-elle célibataire ? Par choix ? Et sinon Que peut nous évoquer son métier de journaliste ?

Hermione se lève de sa chaise et prend la parole :

— Et si elle ne faisait pas le voyage seule, mais accompagnés d'amis, un homme et une femme. Les deux amies convoiteraient le même garçon, ce qui mettrait à mal leur amitié et créerait un conflit dans le trio !

— Oui. Classique... mais efficace. L'histoire pourrait tourner autour d'une romance triangulaire.

L'homme drapé dans l'obscurité émet un ricanement, suivi d'un marmonnement inaudible.

— Elle est journaliste ! Dit Katniss ! Et si elle avait mis le doigt sur quelque chose ? Anne pourrait être une reporter d'investigation un peu trop curieuse qui s'est mise à dos un syndicat du crime, son voyage pourrait tourner au vinaigre car un contrat aurait été placé sur sa tête !

Dramatov hoche la tête.

— Oui, cela fonctionne aussi. Et pourquoi pas les deux ? Mieux. Et si dans ce trio, un de ses amis, admettons la fille avait pour mission de se débarrasser de notre brave Anne ? Pour diverses raisons... argent, dette, jalousie. Qu'en pensez-vous ?

Silence à nouveau.

— Bien, qui ne dit rien, consent. Le début de l'histoire serait donc le suivant :

Anne est une journaliste d'investigation aussi curieuse que talentueuse. Amoureuse de voyage, elle décide de partir en excursion sur une île paradisiaque avec ses meilleurs amis : Léa et Michael. Elle aime michael en secret et compte lui avouer pendant leur périple. Ce qu'elle ignore en revanche, c'est que son amie d'enfance, Léa est criblée de dettes à pour projet de se débarrasser d'elle.

— C'est déjà mieux ! Dit hermione.

— Je suis d'accord, mais ce n'est pas fini. Penchons nous sur la dernière phrase.

"Dans cet endroit enchanteur elle va découvrir une végétation luxuriante, des autochtones accueillant, un trésor et même... le grand amour."

— L'île, elle pourrait ne pas être si paradisiaque, il pourrait y avoir un Volcan sur le point d'entrer en éruption! C'est vendeur un Volcan, affirme Légolas.

— Oh ? Et laisse moi deviner ? Anne devrait aller y faire fondre un anneau ! Dit Katniss sur un ton moqueur.

— Si on ajoutait une guerre de tribus entre les autochtones, genre une tribu pacifique et une autre cannibale ? Le trio pourrait débarquer en pleine guerre tribale ! propose hermione.

— Et n'oublions pas le trésor... Il pourrait être maudit ? Ou convoité par des chercheurs peu scrupuleux, des bandits ! ajoute-t-elle

— Ca ne fait pas un peu trop ? demande Légolas

L'homme mystérieux se détache un peu de son manteau d'ombre.

— Il n'y en a jamais assez ! Vos personnages doivent souffrir, ils doivent mourir au besoin !

Dramatov tape dans ses mains.

— Bien, admettons que nous gardions toutes vos idées. Quelqu'un pourrait me proposer une séquence qui rendrait le tout cohérent? Sachant que les conflits doivent monter en intensité. Par exemple, si on prévoit une éruption volcanique destructrice ou un tremblement de terre, il faut s'assurer de le mettre à la fin.

— Je peux essayer, propose Edward.

"Cela pourrait commencer en douceur. Le premier jours ils débarquent sans encombre sur l'île, tout semble bien se passer, à l'exception de Léa, qui tique lorsqu'il  faut payer la première addition au restaurant et évoque des problèmes de trésorerie. 

Ensuite, lors de la première excursion sur une île voisine, Anne découvre avec effroi que Léa et Michael fricotent ensemble depuis un mois, alors même qu'elle se préparait à lui faire sa déclaration. Puis tout s'envenime la même journée. Une tempête se lève, et leur embarcation fait naufrage.

 Le bateau est détruit, Anne et Léa son légèrement blessés et Michael manque à l'appel. Alors qu'il le recherchent et que la nuit tombe, ils rencontre une tribu. Amicaux, les autochtones leur proposent de les héberger, puis leur donnent gîte et couvert. Hélas au cœur de la nuit, le village est attaqué par une tribu rivale, cannibale de surcroît. C'est un massacre, les filles parviennent à s'échapper, mais Léa est gravement blessée à la jambe et ralentit le groupe. 

C'est à ce moment que le premier tremblement secoue l'Ile. L'objectif, pour Anne et Léa est de survivre dans la jungle. Après un périple dans la végétation devenue hostile ils parviennent à rallier la plage. Par chance, ils aperçoivent un gros chalutier au large. Pensant être sauvées, elles font de grands signes pour manifester leur présence... et se font capturer par des mercenaires esclavagiste.

 Dans la soute, devenue leur geôle, ils retrouvent Michael, a peine reconnaissable, le visage tuméfié. Léa panique, elle demande à parler au capitaine, elle veut vivre et déclare que la tête de Anne est mise à prix par un syndicat du crime et qu'elle veut bien partager la récompense si ils l'épargnent. Stupeur générale, autant que chez Anne que chez Michael. Mais, plutôt que d'aller dans le sens de Léa, le capitaine l'exécute d'une balle dans la tête et déclare qu'avec le trésor qu'il va trouver sur l'ile, il n'a pas besoin de récompense, ni de s'encombrer d'une invalide. 

Michael et Anne se retrouvent enchaînés et esclaves, forcés à travailler pour les mercenaires bandits. Mais, alors qu'ils transportent du matériel à destination du soit disant trésor, une deuxième secousse, plus forte frappe l'île, fissurant le sol... Anne et Michael profitent d'un moment de panique pour s'échapper. Ils sont toujours entravés, mais malgré tout, ils parviennent à trouver une grotte pour s'abriter. Comble de malchance, Michael est fiévreux, une de ses plaie s'est infectée. Courageux, il se fracasse le pied pour que Anne puisse se libérer. Ainsi mutilé, il ne peut plus bouger et fait promettre à Anne de s'en sortir. Bien sur la jeune femme refuse de laisser et lui dit de rester dans la grotte. Elle propose d'aller chercher de quoi l'aider. 

Pas le choix, il faut qu'elle vole des médicaments aux mercenaires. Sur le chemin du navire elle est alertée par une explosion. Pas un volcan, mais de la dynamite. Pensant qu'il s'agit des mercenaires, elle décide d'aller en direction... et se rend compte qu'elle n'est pas la seule à avoir l'idée. Elle reconnaît la tribu cannibale, qui avance doucement dans la végétation. C'est le moment opportun. A partir de la tout s'enchaîne, elle profite d'un combat entre les cannibales et les mercenaires, pour subtiliser une trousse de secours. Mieux, elle récupère une partie du trésor, une dague faite d'obsidienne et d' or. 

Mais patatras, le Volcan entre en éruption. Commence alors une course, contre la montre, contre la mort. Elle sait que la nuée ardente ne lui laissera aucune chance. Anne parvient in extremis à rejoindre la grotte. Ainsi abrités, ils échappent à la nuée. Anne soigne son ami, ils sont saufs. Mais après la nuée, vient la coulée de lave. Anne aide son ami et tente de rallier le navire.

C'est la qu'ils tombent sur le capitaine, blessé au flanc, le regard brûlant de haine, une machette sanguinolente à la main,prêt à en découdre. Pire la coulée de lave a gagné la plage et s'écoule dans l'océan, laissant s'échapper de large volutes de fumée blanche. Le combat ultime s'engage entre les deux rescapés et le capitaine. Sur fond d'apocalypse, les protagoniste tentent de maîtriser le capitaine, mais rien de ne va plus alors que Anne est à terre et que le bandit s'apprête à lui assener le coup fatal.

Au dernier moment Michael s'interpose et la machette s'abat sur son cou et finit sa course au niveau du sternum. Anne hurle, mais pas de terreur. Elle saisit la dague et dans une rage incontrôlable, l'enfonce avec hargne dans l'oeil du bandit. Le capitaine titube et tombe dans la lave. Michael agonise, et dans un dernier souffle, lui déclare son amour. Anne est dévastée, mais n'a pas le temps de s'apitoyer. Elle fonce vers une des barque restée intacte et rame de toute ses forces pour s'éloigner de cette île.

Sur la modeste embarcation, Anne pense à ce qui l'attend lorsqu'elle rentrera : le chagrin des familles, son article sur le syndicat, le contrat sur sa tête. Mais elle n'a pas peur. Elle n'aura plus jamais peur"

Silence, à l'exception de l'inconnu qui grogne de satisfaction.

Puis, quelques applaudissements fusent dans la salle de classe.

Dramotov hoche la tête et affiche une mine satisfaite.

— C'est pas mal du tout Cullen, cela nécessite du travail, bien sur, mais pour un premier jet, chapeau bas. En tout cas, nous sommes bien loin de la ballade de santé que la première prémisse suggérait ! Vous êtes presque parvenu à créer un synopsis. Attention toutefois, J'ai aussi noté que vous deveniez de plus en plus... sanglant. Ce qui, connaissant votre état, me fait un peu peur j'avoue.

— Bien, il est grand temps de conclure, alors retenez ceci :

Le conflit est un des piliers de la dramaturgie. Sans conflit votre récit est aussi savoureux qu'une soupe à la pierre. Lorsque vous écrivez votre fiction, saupoudrez la de conflits et n'y allez pas avec le dos de la cuillère. Pour ceux qui se relisent leur ouvrage et trouvent que l'ennui guette et menace le lecteur à chaque ligne ou paragraphe, il y a fort à parier que l'ingrédient manquant est le conflit. Plus tard nous étudierons une technique de Dwight Swain très utile pour structurer un roman autour du conflit.

Dernière chose Sol Stein dans "Stein on Writing" évoque un concept intéressant pour le conflit : le "crucible". Creuset en français, mais je trouve que "crucible", ca claque bien plus ! Bref l'idée est que, pour augmenter la tension entre les personnages, rien de mieux que de les placer dans un creuset duquel il est impossible de s'échapper, il ne reste plus qu'a mettre le feu.

Dans l'histoire de Anne, l'île est le creuset. Un creuset peut être n'importe quoi d'autre. Le mariage à une certaine époque (Madame Bovary), une relation enfant-parent. Le creuset ne laisse aucun échappatoire au conflit. Essayez donc d'ajouter des "crucibles" dans vos fictions, vous ne serez pas déçus, le lecteur non plus.

Le prochain cours portera sur les personnages, nous allons parler des mondes alternatifs. Science-fiction, Fantasy et de la difficulté d'exposer son univers sans faire entrer la voix de l'auteur dans le récit.

Il est temps... Cullen. Tu sais ce que tu dois faire.

La voix a fait éruption dans la tête du vampire.

L'homme à coté du professeur, méfie toi de lui...

Edward répond mentalement :

Je ne peux pas faire ca...

Tu connais le prix à payer si tu refuse.

Le prix à payer. Edward soupire.

Il va le faire.

Il n'a pas le choix.