Chapitre 5 : Voir l'ombre irisée
« Bonjour Patte d'Agneau, on t'attendait ! »
C'était Patte d'Ormeau qui trottinait vers elle, la queue en point d'interrogation et le visage rayonnant de la même bonne humeur que la veille. L'apprentie secoua ses moustaches en guise de salut.
« Elle est attendue à la frontière au coucher du soleil, alors tâchez d'être rapides, l'informa Dent d'Astérie, très directe.
-Bien lieutenante ! » lui répondit-il en souriant.
La guerrière rousse les laissa seuls à l'entrée de l'antre, retournant vaquer à ses occupations. Le novice lui fit alors signe de le suivre.
La pièce, si on pouvait l'appeler comme cela, était un peu plus grande que le rocher plat, pouvant donc accueillir plus de malades. Il y avait au fond un renfoncement d'où provenait les senteurs des plantes médicinales. Refrain de Ressac en sortit en les entendant arriver.
« Oh... Bonjour Patte d'Agneau...
-Bonjour » fit-elle avec respect.
Le guérisseur semblait triste, presque dépressif. « Eh bien, heureusement que Patte d'Ormeau est là pour mettre un peu d'ambiance... » songea-t-elle.
« As-tu des malades à soigner d'urgence dans ton clan ?
-Oui, l'image de Petit Cirse s'afficha dans son esprit, l'un de nos chatons a un rhume... Que je n'arrive pas à guérir. »
Le matou gris aux poils rêches fit demi-tour pour chercher quelques plantes, et fit un gros tas devant eux, prenant soin de les mélanger avec sa patte blanche.
« Triez-les...
-Quel est l'intérêt ? » laissa-t-elle échapper par curiosité.
Elle regretta de contester son professeur dès le début du cours, mais avec son état émotionnel, il ne sembla pas lui en vouloir et prit le temps de lui expliquer :
« Savoir différencier les plantes est une étape élémentaire. Avec cet exercice tu apprendras à les reconnaître, te les approprier.
-D... D'accord. »
Elle hocha la tête et se mit donc à trier le tas odorant, aidée par Patte d'Ormeau. L'apprenti les manipulait avec des gestes rapides, comme impatient de finir l'exercice, mais il les éparpillait plus qu'il n'y mettait de l'ordre. Patte d'Agneau, que sa fatigue n'aidait pas, était plus méticuleuse, trop surement et hésitait à chaque feuille.
Ils finirent néanmoins par y arriver, non sans peine, après un temps qui lui parût être une éternité. Refrain de Ressac n'avait pas l'air de s'en contrarier, au contraire, il était pris dans ses pensées, le regard vague.
« Refrain de Ressac, on a fini ! fit avec fierté Patte d'Ormeau.
-...Oui très bien.
-On fait quoi maintenant ?
-Et bien, quel est le point commun de toutes ces plantes ? »
Patte d'Agneau fixa les végétaux. Il y avait trois espèces, deux d'entre elles avaient bien des feuilles dentelées, mais l'autre avait des bords bien lisses... Et l'une à bords dentelés avaient ses feuilles composées de plusieurs petits limbes... Mis à part qu'elles étaient toutes vertes, elle ne voyait pas de point commun. Elle se tourna donc vers Patte d'Ormeau, se disant que lui avait peut-être la réponse.
En se sentant fixé l'apprenti fini par assumer leur échec et déclara forfait :
« On ne trouve pas. Patte d'Agneau, tu connais leur nom ?
-Heu... Non. »
Flèche de Courant d'Air ne les lui avait jamais montrés, et elle ne se rappelait pas les avoir vu dans son antre.
Refrain de Ressac leur expliqua donc avec la voix morne :
« Ces trois plantes soignent toutes le mal blanc et le mal vert. Celle-ci, il désigna la feuille avec plusieurs limbes, c'est la grande camomille, elle pousse un peu partout sur ton territoire Patte d'Agneau, tu devrais en trouver facilement. Elle, il montra d'une griffe l'autre feuille dentelée, c'est la menthe aquatique, elle pousse sur les berges de la rivière. Et elle, il indiqua la dernière à bord lisse, c'est le mouron des oiseaux, elle se trouve aux mêmes endroits que la grande camomille. »
Les deux novices burent ses paroles, avides de tout connaitre sur ces trois végétaux. Puis la femelle brune tiqua sur le nom des pathologies, son professeur avait évoqué le mal blanc, peu avant leur départ pour la récolte de la cataire.
« Le rhume peut devenir un mal blanc, c'est ça ?
-Oui, le rhume devient le mal blanc, qui, sans soin, dégénère en mal vert. C'est une maladie très contagieuse et mortelle. »
Elle frissonna, heureusement que Petit Cirse n'avait qu'un rhume...
« Et à quoi ressemble la cataire ?
-C'est pas le deuxième nom de l'herbe-aux-chats ? ajouta Patte d'Ormeau avec enthousiasme.
-Si, Flèche de Courant d'Air, le regard du guérisseur fut emprunt de nostalgie, appelait toujours l'herbe-aux-chats par son deuxième nom, la cataire. Elle ne pousse ici qu'à la lisière de la forêt, à la frontière entre le Clan de la Pierre et le Clan des Champs et ressemble à un buisson. Ses feuilles sont crénelées et légèrement velues. Il est d'ailleurs impossible de la confondre avec une autre plante car l'odeur est irrésistible et sa consommation rend les chats fous quelques minutes, il fit une pause avant d'achever son exposé, et c'est le meilleur remède contre le mal vert.
-Ça n'a pas l'air facile de s'en procurer... constata le matou au visage blanc.
-Pour nous non, il y a trois saisons du sable froid Flèche de Courant d'Air, sa voix trembla de tristesse, a fini par m'en donner car la menthe aquatique ne soignait pas mes malades du mal vert. »
Patte d'Agneau réfléchit, dur de savoir si ce don venait des chefs ou de leur vieille amitié... Elle n'osa cependant pas questionner son mentor, son humeur n'était pas au beau fixe. Il valait mieux changer de sujet avant qu'il ne commence à avoir des pensées suicidaires.
« Je dois donner le remède à quelle fréquence ? Et en quelle quantité ? »
La réflexion qui se déclencha dans la tête du mâle gris chassa ses souvenirs douloureux, pour le bonheur de la petite chatte des champs toujours hantée par l'image du corps s'étalant dans l'herbe.
« Commence une fois par jour, si le lendemain tu n'as pas d'amélioration augmente la dose. S'il a plus d'une lune et qu'il a du mal à l'avaler, tu peux mettre un peu de miel sur la feuille pour la rendre plus appétentes. Même s'il vaut mieux le garder pour un mal de gorge. »
Elle l'écouta avec toute l'attention dont elle pouvait faire preuve. Maintenant elle ne pouvait plus se tromper ! Patte d'Ormeau relança sur une autre question intéressante :
« Et quels sont les symptômes de ces maladies ?
-La truffe qui coule, de la toux, des éternuements, de la fatigue... La fièvre peut aussi les accompagner et les chats atteints ont souvent froid. Les symptômes sont les mêmes pour le mal vert mais en plus sévères. »
Puis le silence accompagné de l'écho des vagues les enveloppa. Patte d'Agneau méditait sur ce qu'elle venait d'apprendre. Petit Cirse allait-il avoir le mal blanc après un vrai diagnostique ? Cependant Patte d'Ormeau, qui semblait s'ennuyer car il occupait sa patte avec un coquillage qui traînait, le rompit vite :
« On fait quoi maintenant ?
-Rien, le cours est fini. »
Les deux jeunes sursautèrent en se retournant vers la voix. Il s'agissait de Dent d'Astérie. Le temps avait passé si vite aux yeux de la novice brune... Après avoir tant redouté ce premier cours elle avait fini par l'apprécier, il lui restait encore tant de choses à découvrir !
« Déjà ? se lamenta l'apprenti du Sel.
-Oui.
-Bon bah à demain Patte d'Agneau ! »
Il accompagna son salut d'un ronronnement et elle lui répondit en agitant les moustaches.
« Attend, prend un peu de menthe aquatique pour en donner dès ce soir au chaton, fit Refrain de Ressac en poussant vers elle quelques feuilles.
-Merci.
-Allez, ne perdons pas de temps ! les pressèrent la lieutenante.
-Tu as peur de te faire tirer les oreilles par Rafale de Chevreuil ? » la taquina le guérisseur.
La rouquine lui lança un regard sévère et fit demi-tour pour sortir de l'antre, tout en faisant un signal de la queue qui signifiait « dépêche-toi ! ».
« Eh bien, elle ne rigole pas aujourd'hui la Dent d'Astérie, s'esclaffa le matou gris.
-Tu lui as fais quoi pour qu'elle soit comme ça ? » pouffa son cadet.
Elle enfonça ses griffes dans la fine couche de sable d'embarras et s'empara de son paquet de verdure. Qu'allaient-ils penser d'une chatte incapable de gravir un rocher sans aide ? Elle fila sans leur répondre, leur accordant simplement un petit signe de tête d'au revoir, finalement pressée de retrouver son escorte.
Contrairement à l'allée Dent d'Astérie n'était accompagnée que de Patte de Frégate. La femelle grise traînait des pattes, peu enchantée de devoir ravir les exigences de son mentor alors qu'elle s'apprêtait à dîner avec les autres apprentis.
« Allez du nerf vous deux ! »
Patte de Frégate grommela dans ses moustaches et fit mine d'accélérer. La lieutenante commençait sérieusement à les distancer, mais malgré cela elle ne ralentit pas le rythme.
Patte d'Agneau ressassa son cours. Patte d'Ormeau était encore plein de bonne humeur et ne semblait pas avoir trop d'avance par rapport à elle. En revanche elle avait plus de mal à cerner Refrain de Ressac, il était passer de la dépression à la joie et la taquinerie en l'espace de quelques instants...
La fatigue plein les membres, la novice des Champs bouscula un coquillage qui par mégarde tomba dans une crevasse et se fracassa contre la pointe d'une pierre, répandant ses éclats de nacre dans l'ombre du soir.
« Non mais tu pourrais pas faire attention ? la houspilla Patte de Frégate, son mentor hors de portée d'oreilles, l'ormeau est le coquillage préféré de Dent d'Astérie en plus, t'as de la chance qu'elle ne t'ai pas vu !
-Dé... Décholé, bafouilla la coupable d'une voix déformée par les feuilles qu'elle tenait entre ses dents.
-Les coquillages sont très importants pour mon clan, ne t'avise plus d'en recasser un autre, compris ? »
Elle hocha la tête tandis que l'autre souffla de la truffe et lui tourna le dos, le port fier et la queue battante.
Cette jeune chatte ne semblait pas très sympathique. Pourtant la coureuse des prairies décelait en elle un jeu d'acteur exagéré. Était-elle au fond vraiment dédaigneuse ? Puis elle se demanda ce que faisait un coquillage entier ici, sur la route. Un chant rauque et sonore lui répondit depuis le ciel.
Elle leva son regard et vit un oiseau qu'elle pouvait parfois apercevoir sur son territoire, c'était une mouette. A moins qu'il ne s'agissait d'un goéland ? Elle hésita à poser la question à sa camarade salée mais se retint. Elle ne voulait pas l'entendre étaler ses connaissances d'un air supérieur.
« Vous êtes en retard.
-Tu n'as qu'à entraîner ton apprentie, je n'ai jamais vu un chat aussi peu doué dans les rochers ! »
Les deux lieutenants se toisèrent et Patte d'Agneau se fit toute petite. Ses coussinets étaient en feu et elle ne sentait presque plus ses membres. Elle avait manqué la chute à plusieurs reprises, rattrapée de justesse par Patte de Frégate et sous l'œil plein de critique de Dent d'Astérie. Malgré ses efforts les corbeaux avaient déjà repeint les territoires.
Le groupe de chats finit par se séparer. Serre de Choucas lui proposa de l'alléger de son fardeau, mais elle refusa, c'était à elle de porter ses remèdes.
La nuit étant tombée, ils ne rencontrèrent pas de patte-tueuses et rentrèrent, certes à une heure tardive, sans embûche.
Aussitôt la brèche passée Jolie Brize se précipita sur elle.
« Viens vite, je crois que Petit Cirse et Petit Lièvre ont de la fièvre ! »
La femelle crème et blanche était, pour ne pas changer, complètement affolée. L'apprentie la suivit dans la pouponnière aux effluves lactés. « Par le Clan des Étoiles, faites que ce ne soit pas le mal blanc ! » pria-t-elle.
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