Chapitre 1 : Et dans le silence
Patte d'Agneau fixa les tas de graines devant elle. Chaque espèce était bien différente, forme, couleur, odeur, mais l'apprentie guérisseuse du Clan des Champs était incapable de choisir avec certitude celle que son mentor venait de lui demander d'aller chercher.
« Alors Patte d'Agneau, trouves-tu ?
-N... Non, Flèche de Courant d'Air », admit-elle.
Des pas feutrés lui firent tourner la tête. Un museau blanc traversa le rideau de ronce et le chat mince vint s'asseoir à côté d'elle. Il ne semblait pas exaspéré, au contraire le calme l'habitait. Il reprit donc avec patience :
« Quelles graines t'ai-je demandé ?
-L'anis vert, le nom ça elle en était sûre.
-Oui, et à quoi ressemblent-t-elles ?
-Elles sont toutes petites, à peine plus grandes que le bout d'une griffe, brunes, effilées et dentelées, récita-t-elle sans hésitation.
-Parfait ! Alors, ce sont lesquelles ? »
La jeune examina pour la énième fois les petits tas. Elle trouva vite le bon, mais le doute refusait de la lâcher.
« Je... Je crois que c'est elles.
-Tout juste ! Tu vois ce n'est pas compliqué, la félicita-t-il en ronronnant.
-Oui, concéda-t-elle sans être convaincue.
-Allez, prends-en quelques-unes, Lueur de Tornade s'impatiente ! »
L'apprentie obtempéra et suivit son professeur hors du taillis épineux. L'ancienne était couchée à l'entrée, sous une pierre plate surélevée d'un côté par un deuxième rocher. Elle était ainsi à l'ombre et au sec.
« Ah notre petite Patte d'Agneau a enfin trouvé la bonne plante ! » lança-t-elle amusée.
Bien que ce n'était pas méchant, l'aspirante ne put s'empêcher d'être mal à l'aise et enfonça ses griffes dans la terre d'embarras.
« Peux-tu me rappeler l'effet de l'anis vert avant de le donner à Lueur de Tornade ?
-C'est pour soigner sa colique. Et heu... Il sert aussi pour les reines ?
-Oui, il stimule la production du lait. »
Ils laissèrent ensuite la vieille chatte avaler son traitement, mais avant qu'ils n'aient eu le temps de retourner dans la tanière de ronce, un nouveau chat déboula sous la pierre plate.
« Flèche de Courant d'Air ! C'est Petit Cirse, son nez commence à couler ! »
Patte d'Agneau se retourna et regarda l'arrivante. Il s'agissait de Jolie Brize, l'une des deux reines actuellement dans la pouponnière. La femelle blanche et crème avait de grands yeux paniqués et ses oreilles ne cessaient de pivoter dans toutes les directions.
« Du calme Jolie Brize, peux-tu m'en dire plus ?
-Ce matin il a commencé à tousser. Je pensais que c'était passager mais ça s'est intensifié. Et là sa truffe commence à couler !
-Un rhume peut-être ? C'est courant pour un chaton, intervint Lueur de Tornade.
-Peut-être, acquiesça Flèche de Courant d'Air, mais il peut vite dégénérer en mal blanc. »
Son mentor fila dans sa tanière, en ressortit quelques secondes plus tard la bouche pleine de feuilles, et indiqua à la reine de l'accompagner d'un signe de la queue. Patte d'Agneau qui leur emboîta le pas entendit l'ancienne soupirer :
« Ces jeunes reines franchement, à s'inquiéter pour tout et n'importe quoi ! »
Patte d'Agneau fit un pas dans la pouponnière et se retrouva face à son professeur.
« Demi-tour, on va chercher de la cataire ! »
L'apprentie n'eut d'autre choix que de reculer, un peu déstabilisée, et de suivre le guérisseur qui se ruait déjà vers la sortie du camp.
« De la cataire ? c'était la première fois qu'elle entendait le nom de cette plante.
-Oui, je t'expliquerai en chemin. »
Ils se faufilèrent par la brèche du rempart d'ajonc, le seul passage praticable, et se retrouvèrent en dehors du camp. Après quelques pas ils croisèrent une patrouille. A sa tête, Étoile de Crécerelle, leur chef, alla à leur rencontre.
« Où allez-vous ? clama-t-elle.
-Récolter de la cataire. Petit Cirse a un rhume, je préfère me préparer en cas de mal blanc.
-Entendu. »
Elle hocha la tête et donna le signal du départ à sa troupe.
« Allez viens, le chemin est long, la pressa Flèche de Courant d'Air.
-C'est très loin ? demanda la novice.
-A la frontière avec le Clan de la Pierre. »
Patte d'Agneau sentit son ventre se tordre, elle n'était jamais allée aussi loin. Elle ne connaissait d'ailleurs rien sur ce Clan, mis à part les histoires de sa mère. D'après elle ses guerriers chassaient chez les deux-pattes et vivaient avec des chauves-souris, et ils n'hésitaient pas à manger les chatons intrépides qui s'aventuraient sur leur territoire, une forêt sombre où on ne pouvait même pas voir ses pattes.
L'apprentie se demandait comment c'était possible qu'un endroit soit plus obscur que la nuit. Car même quand la lune se cachait, elle percevait encore parfaitement son environnement. Néanmoins elle ne tenait pas à le vérifier.
Flèche de Courant d'Air avançait avec une bonne allure, et bien qu'elle soit une novice, Patte d'Agneau n'avait qu'à peine plus de six lunes, en effet, son baptême ne remontait qu'à quelques jours seulement. Elle n'avait donc pas encore sa taille adulte et l'endurance de son tuteur, alors elle peinait à suivre le rythme.
Elle ne regardait pas le paysage, se contentant de se concentrer sur sa respiration. Elle le connaissait déjà de toute façon. Il était quadrillé de champs avec une flore riche, de prairies où paissaient quelques vaches ou chevaux, et de terrains où les deux-pattes venaient planter une seule espèce végétale. Ils étaient délimités par des barrières et seuls quelques bouquets d'arbres venaient diversifier l'horizon totalement plat.
« Vois-tu la bande sombre au loin ?
-Oui, c'est le territoire du Clan de la Pierre ?
-Tout juste, la cataire se trouve à la lisière de la forêt. La rivière y fait une boucle, nous pouvons aller jusqu'à sa berge. »
La jeune enregistra l'information et se demanda s'ils allaient rencontrer des guerriers ennemis. Elle espérait que non.
Ils arrivaient bientôt aux sous-bois lorsque le croassement d'un corbeau freux attira son attention. Elle leva la tête et contempla la belle silhouette noire, l'œil intelligent et son puissant bec gris. Futés, ces oiseaux étaient considérés par son Clan aussi bien comme des rivaux que comme des alliés. En effet, ils s'attaquaient aux chats seuls et blessés, mais débarrassaient aussi leur territoire des charognes. Aussi d'excellentes sentinelles, rien ne leur échappait.
« As-tu remarqué la boule de feuilles foncées ?
-Hein ? Heu... Où ça ?
-Sur la branche, à côté du corbeau. »
Patte d'Agneau chercha donc les feuilles indiquées par son instructeur. Après quelques instants à fouiller la cime, elle finit par repérer l'agglomération sphérique et l'en informa.
« Il s'agit d'une pousse de gui. C'est une plante qui se développe sur les branches, en s'accrochant à l'écorce. Elle est donc très difficile à cueillir.
-Et la cataire aussi pousse sur les arbres ?
-Non, il ronronna d'amusement, d'ailleurs on ferait mieux de se dépêcher. »
Ils reprirent donc leur route. Ils passèrent dans un pré d'herbe rase habité par un troupeau de vaches placides. Occupés à ruminer, les animaux noir et blanc levèrent un œil, puis les ignorèrent.
« Attention à la barrière. »
Elle avisa les longs fils brillants aux poils encore plus piquants qu'un hérisson, mais ses épaules n'atteignaient pas encore le plus bas. Soudain, une détonation, plus terrifiante encore qu'un coup de tonnerre, déchira le calme. Ses muscles se tendirent aussitôt, paralysés par la peur.
« Les pattes-tueuses, déjà ? Nous sommes pourtant encore dans la saison du blé ! »
L'échine de son mentor s'était dressée de colère, mais Patte d'Agneau pouvait percevoir sa panique. De toutes les histoires de sa mère, les plus cauchemardesques étaient sans nul doute celles avec des pattes-tueuses. Il s'agissait de deux-pattes armés de bâton-foudroyants et accompagnés de chien-tueurs. Ils volaient le gibier des Clans, et n'hésitaient pas à tuer les chats, peu importe leur âge ou leurs origines.
« Vite, dans ce buisson ! »
Elle ne chercha pas à réfléchir et se rua dans le bosquet que lui désignait Flèche de Courant d'Air. Une fois à l'abris elle se blottit contre sa fourrure dont le parfum était emprunt des odeurs des plantes médicinales de leur tanière.
« Attendons qu'ils soient partis, lui chuchota-t-il, la cataire ne s'enfuira pas. »
Elle hocha simplement la tête et attendit.
Le temps lui parût être une éternité. Le silence s'était installé. Aucun volatile ne chantait. Pas un bruit. Les vaches restaient immobiles. Même le vent s'était tu. Sa brise ne bousculait plus les hautes cimes, alors qu'elle leur apportait habituellement l'air marin du Clan du Sel. Seule la douce chaleur du soleil arrivait à se frayer un chemin parmi les branches noueuses de leur refuge. Elle réchauffait un peu leur peau.
Après un long moment, l'astre solaire débutait sa descente, son mentor reprit la parole :
« Je pense que c'est bon. Vois-tu l'autre buisson là-bas ? Je vais courir jusqu'à lui, quand je serai arrivé, compte jusqu'à vingt et fais de même.
-D... D'accord », sa voix était tremblante.
Il bondit donc hors de la cachette. Ses pattes le menaient à une vitesse incroyable. Un aboiement perturba le silence. Puis une seconde détonation hurla. Son mentor s'écroula.
Elle le vit trébucher, s'effondrer, ses membres ne le portant plus. Son corps mince disparu dans les herbes folles. Elle ne le vit plus.
Elle voulait crier, courir à son secours, mais ses muscles, ses os, tout, ses articulations, refusaient de lui obéir. Elle était paralysée, comme si le Clan des Étoiles l'avait mise sur pause. Seul l'écho du bâton-fulgurant résonnait encore dans ses oreilles.
A présent, elle était seule.
*****
J'espère que ce premier chapitre vous a plu, je suis ouverte à toutes les remarques ^^
Pour ce qui est des registres, de la carte, ... Allez voir sur L'Encyclocat, j'ai préféré créer un deuxième livre plutôt que d'encombrer celui-ci ;3
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