5 & 6
Plongé dans les jupes de sa mère, le petit garçon observait d'un air terrifié la porte devant lui. En quelques jours, tout avait été bouleversé ! Il n'y comprenait plus rien. Après avoir emballé toutes ses affaires sans exception dans sa chambre, ses parents lui avaient dit qu'ils allaient partir dans un autre pays. Au début tout excité, le petit garçon avait rapidement perdu son sourire en se rendant compte qu'il avait dû dire au revoir à ses copains de l'école pour plus longtemps que les habituelles vacances d'été. Ils étaient alors partis de la maison, sa maison, là où il avait apprit à marcher, où il pouvait jouer dans la piscine lorsqu'il faisait trop chaud, où son père le faisait grimper sur les branches les plus petites de l'arbre du jardin. Après beaucoup de pleurs et un voyage en avion, le petit garçon avait découvert une maison en forme de cube dans une rue où toutes les maisons se ressemblaient sans exception, il n'y avait pas de jardin, juste une cour pour rentrer les voitures que ses parents prévoyaient d'acheter.
La maison était grande, mais beaucoup trop vide. Ses parents avaient reçu la visite de plusieurs camions avec leurs meubles d'avant dedans. Le petit garçon avait troqué son lit habituel pour un plus grand, mais fut rassuré de retrouver ses jouets préférés dans la malle apportée par les déménageurs. Avant à la maison, ses parents parlaient deux langues différentes, mais maintenant dans la rue, le garçon n'en entendait qu'une. Il comprenait mais avait un peu de mal à faire de grandes phrases, aussi il craignait de parler devant des inconnus.
« Félix, mon petit chat, regarde moi. »
A l'entente de son prénom, le petit garçon sorti sa tête de la jupe de sa mère. A ses yeux, c'était la plus belle femme de la terre entière. Elle avait de beaux cheveux bruns et longs, des yeux aussi clairs que des noisettes et une jolie bouche en forme de cœur. Par dessus tout : elle avait des tonnes et des tonnes de tâches de rousseur sur le visage, les même que celles de Félix, qui bardaient ses joues et son nez. C'était la plus belle de toute.
« ça va aller d'accord ? Il y a un petit garçon de ton âge, je suis certaine que vous allez bien vous entendre. » lança t-elle en s'accroupissant à côté de son fils pour passer les pouces sur les joues rondes de Félix. « Alors sois un gentil petit chat et tu auras un nouveau copain. »
Dans un dernier geste, elle raccommoda la tenue de Félix en tirant sur les manches de son tee-shirt et en remettant la croix chrétienne qu'il portait au cou à l'endroit. Le garçon sentait l'appréhension monter dans son ventre lorsque sa mère se redressa pour appuyer sur la sonnette de la maison identique à la sienne. Il s'agissait de la maison d'en face, et en une semaine Félix avait vu en effet plusieurs fois un petit garçon d'à peu près son âge devant chez lui. Trop timide pour aller l'aborder, il avait parlé de tout à sa mère qui avait décidé de rencontrer les voisins pour forcer le destin.
Après quelques bruits de pas derrière la porte, celle ci s'ouvrit sur une dame que Félix avait aussi vu ces derniers jours. Plus petite que sa maman, un peu plus ronde aussi, elle avait un visage bienveillant et marqué par la fatigue. Elle observa le duo devant elle avant de sourire.
« Vous devez être la famille Lee qui a emménagé la semaine dernière ? » demanda t-elle en s'écartant un peu de l'entrée pour laisser la place d'un passage. « Allez-y entrez, laissez moi vous inviter à boire un thé. »
La mère de Félix remercia chaleureusement cette femme, pendant que le petit garçon regardait d'un air curieux autour de lui. Il était perplexe : la maison était bien différente de la sienne à l'intérieur. Il y avait plein de décoration, avec des grandes peintures et des gravures partout. Son regard se promena partout jusqu'à ce que la femme devant lui ne s'appuie sur la rambarde de son escalier pour s'écrier :
« Changbin ! Changbin, viens voir, on a des invités ! »
Félix était persuadé d'entendre un vrai troupeau d'animaux se déplacer à l'étage avant qu'une silhouette n'apparaisse en haut des escaliers. Là haut se trouvait un petit garçon, peut être un peu plus vieux que lui, qui l'observait d'un air surpris. Timide, Félix l'observait en retour : des yeux en amande, des cheveux noirs épais et des joues rondes : le dénommé Changbin dévala les escaliers pour venir se planter devant lui avec un air curieux. Il était un peu plus grand que lui : Félix était plutôt menu pour son âge aussi il était très impressionné par le garçon devant lui.
« Comment tu t'appelles ? » lança alors ce dernier, téméraire en fronçant les sourcils devant Félix, qui se fit une fois de plus petit. Intimidé, il tenta de reculer derrière sa mère mais celle ci le poussa en avant.
« Bonjour Changbin, je te présente Félix. » dit elle en souriant. « Il est un peu timide, mais très gentil. Tu veux bien prendre soin de lui ? »
Changbin releva les yeux vers la mère attentionnée avant de hocher la tête d'un air très sérieux. Alors, il tendit sa main à Félix et attendit que ce dernier fasse la moitié du chemin également. Mal assuré, le petit garçon hésita avant de saisir la main tendue doucement pour s'éloigner de sa mère. En quelques secondes, les deux petits montèrent l'escalier et Félix oublia son appréhension. La main de Changbin dans la sienne était chaude et rassurante, aussi se laissa t-il guider dans le dédale du couloir de l'étage avant d'entrer dans une chambre.
Au mur, plein de poster de super héros étaient accrochés ça et là. Il y avait aussi celui d'un chanteur que Félix ne connaissait pas. Sur plusieurs étagères se trouvaient des figurines, des livres, des jouets, et sur le lit se trouvant au fond de la pièce, une grosse peluche de lapin prenait une bonne partie de la place. Le garçon se laissa guider par Changbin à travers la pièce pendant que lui observait le moindre détail que ses yeux pouvaient capter.
« Je m'appelle Changbin, j'ai six ans. » lança alors son hôte en se tournant vers lui. « Et toi tu as quel âge ? Il est dur à prononcer ton prénom, tu viens d'où ? »
« J'ai cinq ans. » répondit Félix en se mordant légèrement la lèvre. En songeant à son ancienne maison, le petit garçon sentit les larmes monter rapidement. « Je viens de l'Australie, mais mon papa et ma maman ont voulu venir ici... »
« C'est bien ici! » répondit aussitôt Changbin en serrant un peu plus fort ses doigts. « On va sûrement aller à la même école, si tu veux on pourra marcher là bas le matin et rentrer ensemble le soir. T'en fais pas. »
Ils s'assirent ensemble sur le sol et Changbin fila ouvrir un coffre à jouets se trouvant dans un coin de la pièce. Il en sortit quelques figurines : des dinosaures et des voitures miniatures, avant de les poser devant Félix qui observait la scène d'un air curieux.
« Pleure pas, on va jouer ensemble et ça va aller. » continuait il en tendant ses propres jouets au garçon plus jeune que lui à ses côtés.
Félix se sentait un peu mal à l'aise au début, mais son aîné se montra rapidement distrayant. Oubliant la nervosité, il se permit de même rire lorsque Changbin commença à jouer avec lui, racontant une histoire farfelue à propos de dinosaures se changeant en voiture et inversement. Amusé, le petit garçon se détendit au fur et à mesure et bientôt, la chambre fut baignée de rires de la part des deux enfants. Pour la première fois en une semaine, Félix ne pensait plus à son ancienne maison. Dans la tête de l'enfant, tout semblait s'illuminer enfin. Changbin était drôle et sensible, son regard un peu perçant lui faisait un peu peur, mais ce n'était rien du tout.
Bientôt, la mère de Changbin les appela pour venir prendre le goûter. Les deux petits garçons descendirent les escaliers pour rejoindre leurs mères qui étaient déjà installées dans le salon. Sagement, Félix se sépara de son nouvel ami pour s'asseoir à côté de sa mère qui passa aussitôt sa main dans ses cheveux.
« ça fait du bien de t'entendre rire ! » lança t-elle avant de regarder Changbin s'asseoir à côté de sa propre mère. « Merci en tout cas, Félix a eu beaucoup de mal avec le déménagement, il se sentait triste ces derniers jours. »
« C'est loin l'Australie ? » demanda Changbin, beaucoup moins timide que son cadet pour parler devant des adultes. « Sinon on pourra y aller la semaine prochaine pour faire plaisir à Félix. »
« Oh, oui c'est loin l'Australie mon petit. » répondit la mère de Changbin à ce dernier en souriant, elle semblait très fière de lui. « C'est gentil de ta part de vouloir y aller en tout cas. Mais ça va être difficile. »
Pendant que les mères parlèrent ensemble de tout et rien, les deux garçons dévorèrent des cookies fait maison et firent le tour du rez-de-chaussé. A défaut d'avoir un jardin, la maison avait une petite cour dans laquelle des pots de pois étaient plantés : Changbin montra à Félix comment arroser ses plantes tout en lui parlant des activités de l'école. Le petit australien n'avait pas fait beaucoup d'école : rien que deux ans, mais il aimait y aller. Ses copains lui manquaient, son instituteur aussi. Pourtant Changbin lui faisait changer ses idées, jouant au ballon avec lui dans la cour minuscule ou lui montrant une chenille qui remontait l'allée où était garée la voiture de sa mère.
Bien rapidement pourtant, trop rapidement au goût des garçons, leurs mères finirent de parler de tout et de rien et la mère de Félix appela son fils pour qu'ils partent de la maison de leurs voisins. Le petit garçon s'approcha aussitôt, bien obéissant, avant de sourire à la mère de Changbin. Cette dernière souriait aussi.
« N'hésitez pas à appeler si vous voulez venir boire le thé de temps en temps madame Lee. » lança la mère de Changbin en souriant à celle de Félix. « La porte est toujours ouverte pour les voisins. »
« Nous nous reverrons au plus tard à la messe de dimanche j'imagine ? » demanda la mère de Félix sans cesser de sourire. Mais en face, celle de Changbin eu une mine légèrement figée.
« Oh, désolée, nous ne sommes pas croyants ici. » répondit elle en secouant la tête. « Rien ne vous empêche de venir lorsque vous le voulez. »
« Merci madame Seo. Au revoir Changbin ! »
Après avoir fait une petite courbette, Félix fit un geste de la main à son nouvel ami et suivi sa mère. Sa tête était remplie de rires et de joie : il s'était fait un copain ! Venir dans ce pays ne semblait plus aussi insurmontable qu'avant, surtout si Changbin restait son ami et faisait le chemin jusqu'à l'école avec lui. Après avoir traversé la rue main dans la main avec sa mère, Félix se mit à parler :
« J'aime bien Changbin, tu avais raison il est gentil avec moi. J'espère que ça deviendra un bon copain ! »
« Oui mon chat. » répondit elle, en serrant la main de son fils dans la sienne. « C'est bien mais méfie toi d'accord, on doit se méfier des gens qui ne sont pas d'accord avec notre Seigneur, tu le sais ça ? »
Félix comprenait mal souvent les allusions de sa mère et de son père à son sujet. D'après eux, il y avait quelque chose de très puissant dans le monde qui permettait aux gens de vivre. Chaque dimanche, ils allaient tous les trois, lorsque son père était là, dans la maison de cette personne, de ce Dieu, pour aller prier pour lui et le remercier encore et encore. Félix avait prié pour rester en Australie avec ses copains, mais Dieu n'avait pas voulu l'écouter...
Pourtant Changbin était vraiment gentil avec lui ! Qu'il ne soit pas d'accord avec Dieu ou pas ne changeait rien pour Félix. Une fois, il avait soulevé la question avec son père et celui ci s'était énervé. Aussi depuis, il n'osait plus dire grand-chose à ce sujet. Il fallait y croire et le remercier, Félix voulait être un bon petit garçon, alors il le faisait.
« Promis maman, mais je pense que Changbin est vraiment super ! » répondit il alors qu'ils passaient le palier de la maison encore un peu vide.
Sa mère lui décocha un dernier sourire avant de l'envoyer jouer dans sa chambre. Félix monta alors les escaliers et découvrit son propre petit refuge, bien vide par rapport à celle de Changbin. Au dessus de son nouveau lit trônait un crucifix dans lequel sa mère avait inséré une rose rouge. Hormis son coffre à jouet, il n'y avait pas grand-chose pour s'occuper ici.
Par curiosité, le petit garçon se hissa péniblement sur son lit pour regarder par la fenêtre. Il fut surpris de voir de l'autre côté de la rue Changbin, à la même place que lui qui observait sa fenêtre. Amusé, Félix lui fit un signe de la main que son aîné lui rendit avec un immense sourire. Dans sa poitrine, le petit garçon était terriblement heureux. Il avait enfin quelqu'un dans cette nouvelle vie, et ça ne pouvait être que pour le mieux.
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