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Avant le chapitre, je vous passe un petit mot pour vous dire que la publication va se réduire à un chapitre par semaine pour cette histoire. J'ai du mal à écrire ces temps-ci, donc je ne peux pas tenir le rythme. Je vous donne rendez-vous vendredi prochain pour le chapitre 28. Je vous embrasse, merci comme toujours de me lire <3
15.12 : Ada
Je jetai une nouvelle enveloppe dans mon tiroir à déceptions, le cœur lourd. Une nouvelle analyse, un verdict inchangé : j'étais définitivement stérile. Ces temps-ci, l'idée était plus difficile à accepter. Le mois dernier, ma cousine avait accouché d'une magnifique petite fille. Depuis, je vivais un enfer.
J'étais à moitié bretonne et à moitié congolaise. Mon père avait vécu au Congo pendant vingt ans, pour son travail et y avait rencontré ma mère. Mes années d'enfance dans mon pays maternel avaient été extraordinaires. Je n'y avais que de bons souvenirs – la mémoire sélective aidant. En rentrant en France, à mes sept ans, j'avais découvert toute une branche de ma famille que jusqu'ici j'ignorais. De nombreuses tantes, trois cousines, mes grands-parents paternels. La plupart d'entre eux vivaient à Lyon, dont ma cousine Camille.
Le mariage congo-bretagne s'était toujours assez bien passé, peut-être même trop bien, parce qu'aujourd'hui les réunions de famille étaient nombreuses et épuisantes. Nous nous réunions trop souvent à mon goût dans la maison de mes grands-parents, ce qui signifiait que je voyais la petite Angélique au minimum une fois par semaine.
Parfois, quand je le suppliais bien, Gabriel acceptait de m'y accompagner. Il n'avait aucune idée du drame que je vivais, mais sa présence m'apportait du soutien. Il m'aidait à supporter le fait que je ne serai jamais mère.
Ce jour-là, il avait aussi accepté de m'accompagner. Il devait me rejoindre à dix-huit heures, et ma gorge était complètement nouée. Je ne voulais pas revoir Angélique, pas aujourd'hui, alors que j'avais affronté une nouvelle désillusion. Je voulais annuler, mais je ne pouvais pas m'y résoudre : on fêtait ses un mois. Si je me débinais, j'allais en entendre pendant une décennie.
Quand j'entendis ma porte d'entrée s'ouvrir, je confirmai à ma mère notre horaire d'arrivée. Gabriel glissa son corps de phasme dans ma chambre et je le scrutai, étalée sur mon lit.
— Je vois que tu es prête.
Son air sarcastique me fait grogner.
— Je les vois tous les samedis, j'aurais pu y aller en pyjama.
— Pas pour les un mois d'Angélique !
Gabriel était complètement gaga de cette petite. C'était peut-être parce qu'elle faisait partie du club des « A » – ceux dont le prénom commençait par la première lettre de l'alphabet – ou alors parce que le prénom lui rappelait son copain. Je devais avouer que la situation était amusante : notre petit club privé s'était agrandi si vite, avec l'addition d'Alice et d'Angélique, que nous étions désormais cinq « A », à flotter autour de notre cher Gabriel Chevalier. C'était surement la raison pour laquelle il allait si bien, ces temps-ci.
— T'as rien oublié ? Ton médicament ?
— Pas besoin, j'ai pas fait de crise depuis le cours de théâtre.
Je haussai un sourcil, surprise par son attitude. Gabriel n'était pas du genre à prendre des risques, et certainement pas quand ça concernait sa santé. Son médicament et lui étaient inséparables depuis des années. Tant de choses pourraient mener à une crise, ce soir.
— Je suis pas certaine que ce soit une bonne idée. Surtout en prenant en compte la présence d'un bébé.
Malgré tout, le sourire de mon ami ne disparaissait pas et j'abandonnai, confiante. S'il en était si persuadé, alors tout irait bien.
Nous nous mîmes en route et je notai, comme à chaque fois, la tenue choisit par Gabriel. Il se voulait irréprochable pour rencontrer ma famille et sortait toujours le grand jeu. Mes parents plaisantaient toujours sur son attitude de petit-ami parfait. Je me demandais jusqu'à où il irait s'il devait rencontrer la famille d'Ange.
Mes grands-parents vivaient dans le cinquième arrondissement. Ils habitaient un pavillon confortable, centre névralgique de notre famille depuis des années. Quand j'y allais avec Gabriel, il insistait toujours pour prendre le funiculaire. Cette fois ne fit pas exception.
En arrivant sur place, nous pouvions déjà entendre les rires s'échapper de la maison. Je m'arrêtai un instant devant le portable, nerveuse.
— Tout va bien ?
J'aurais aimé que mon meilleur ami ne remarque pas mon angoisse.
— Ça va, le rassurai-je.
Je ne lui servis pas un mensonge pour me justifier et me contentai d'ouvrir le portail grinçant. Nous fûmes accueillis par ma mère, rayonnante et tirée à quatre épingles. Dominique ne manqua pas de relever ma tenue, très inappropriée à ses yeux. Je ne répondis rien, habituée à ce que nos goûts vestimentaires divergent. Ma mère et moi partagions une franchise excessive, qui menait souvent à des disputes.
Elle salua Gabriel avec plaisir, notant ses efforts à lui avec ravissement. Ensuite, ce fut le défilé : mes différents oncles et tantes, mes cousines, mon père, mes grands-parents paternels... Nous étions une famille assez nombreuse, et encore : toute ma famille maternelle n'avait pas déménagé en France.
Tout le petit monde était installé dans le salon, la plupart entourant ma cousine et sa fille. Alors que Gabriel se précipitait vers elles, je pris le temps de parler un peu avec tout le monde, évitant de regarder vers Angélique.
Bien sûr, à un moment il me fallut y aller et je me dirigeai vers le canapé où ma cousine berçait la petite.
— Salut.
— Salut Ada ! Tu vas bien ?
— Oui, oui...
Je m'en voulais de n'être pas aussi communicative que d'habitude, mais Camille ne fit aucun commentaire. Je reportai mon attention sur la petite qui dormait presque dans ses bras. Son visage sembla s'illuminer en me voyant, me pinçant le cœur. Je la laissai jouer avec ma main, feignant un sourire. Maintenant, plus que jamais, j'aurais aimé que ce bébé soit le mien.
Je restai silencieuse pendant tout le repas, poussant même le vice jusqu'à rabattre la capuche de mon gilet. Personne n'osa me déranger hormis Gabriel, jamais impressionné par mon attitude. Au moins, il me distrayait en parlant de choses banales, embourbé dans son numéro de Monsieur Parfait.
D'habitude, nous restions dormir chez mes grands-parents ensuite, mais cette année Gabriel avait beaucoup de travail et il devait commencer ses révisions tôt le lendemain. Mon père avait donc accepté de nous ramener chez moi lorsqu'ils partiraient, ce qui nous contraignait à rester jusqu'à très tard. Même si mon père était assez taciturne, ma mère était une pipelette qui pouvait poursuivre une fête jusqu'au matin. Je savais que nous serions bloqués ici jusqu'à minuit, au moins.
Après le repas, tout le monde s'éparpilla un peu partout : certains dans le salon, d'autres dans la salle à manger. Gabriel et moi rejoignîmes le canapé, où Angélique se faisait à nouveau dorloter.
Je la regardais le moins possible, ignorant même Gabriel quand il la prit dans ses bras. Je n'avais pas le cœur à me réjouir pour lui.
— J'ai tellement hâte qu'Ada m'offre des petits-enfants, elle aussi.
Je me raidis à ce commentaire. Je savais qu'il n'était pas anodin : ma mère me rappelait, de façon très régulière, que j'avais une famille à fonder. Mais ma vie privée n'était un secret pour personne ici : Dominique s'assurait que tout le monde soit au courant de la moindre nouveauté me concernant. Aussi, qu'elle fasse une allusion si évidente devant toute la famille me fit voir rouge.
— Désolée pour toi, mais je déteste les enfants. Tu ne seras jamais grand-mère.
D'une certaine façon, je disais la vérité. Mais je préférai qu'ils croient cela, plutôt qu'ils ne sachent.
Ma réponse jeta un certain froid, dont je me régalai pendant quelques secondes. Les discussions reprirent vite, ma mère fit comme si elle n'avait rien entendu. J'évitais le regard interrogateur de Gabriel, très peu disposée à parler de mes problèmes avec Calimero.
Je m'enfonçai dans le canapé, me laissant porter par les conversations autour de moi, sans y prendre part. Je voulais juste que cette soirée se termine, pour rentrer chez moi.
— Ada, tu peux prendre Angélique quelques secondes ? Je dois aller aux toilettes.
Je regardai ma cousine, prise de court. Je ne pouvais décemment pas porter sa fille, pas dans mon état. Mais Camille ne me demanda pas mon avis et me tendit son bébé, presque endormi. Par réflexe, j'ajustai sa position et la calai contre moi. Un regard vers elle et je sentis les larmes monter. Je la berçai un peu, embrassai son front, m'excusai de l'avoir délaissée.
Je fus reconnaissante à Camille d'avoir fait vite, parce que lorsque je lui rendis Angélique, j'étais à deux doigts de fondre en larmes. Je me levai et courrai jusqu'à la salle de bain, Gabriel sur mes talons. Il m'appela mais je me contentai de m'enfermer seule. Je me laissai tomber contre la baignoire, profitai du calme ambiant, et enfin, les larmes coulèrent.
J'étais stérile, et même si l'idée m'était insupportable, je ne pouvais rien faire pour changer ça.
Je restai plusieurs minutes seules, puis consentit à laisser entrer mon meilleur ami. Il me trouva dans un état lamentable et ne dit rien d'abord, se contentant de se rasseoir à mes côtés. Je posai ma tête contre son épaule.
— Normalement, c'est moi qui pleure parce que j'ai porté un bébé.
Son commentaire maladroit m'arracha un rire amer. Il avait raison, c'était plutôt son genre à lui.
— Tu ne vas pas me dire ce qu'il se passe ?
— Non.
Il devait se douter de ma réponse, car il n'insista pas. Après ce qui me parut être des minutes interminables, mon ami se releva et me tira avec lui. Il me tendit un mouchoir que j'acceptai et, toujours en silence, attendit que je nettoie les restes de mes larmes. Mais bientôt, son mutisme me dérangea.
— Je suis pas en sucre. Tu peux parler si tu veux.
Je sentis une certaine dureté dans ma voix, que je ne parvins pas à minimiser. Gabriel en fit les frais mais il ne broncha pas. Je le vis esquisser un geste, sans doute pour parler, mais la voix de mon père nous interrompit. Il nous appelait, sans doute pour partir.
Nous restâmes sur des non-dits en rentrant à mon appartement. Le lendemain matin, lorsque je me réveillai, Gabriel était déjà parti.
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