Chapitre 9 : Jay
Roman m'avait envoyé un texto pour me donner rendez-vous à dix-huit heures. Ces derniers jours, j'avais lutté contre mon impatience. J'avais tellement hâte de découvrir l'intérieur du studio de danse, la salle, peut-être même voir un cours.
D'après ma montre, j'étais en avance. Je rajustai ma veste Bomber pour me donner de l'assurance et entrai dans le bâtiment via une porte vitrée automatisée.
L'entrée était simple, des murs en béton brut, un bureau noir dans un coin, une plante verte à l'entrée et... voilà tout. Une agréable odeur vanillée m'emplit les narines, donnant au lieu une chaleur qui faisait défaut à la décoration. La jeune femme de l'autre côté du bureau me sourit de toutes ses dents blanches et m'accueillit avec enthousiasme. Je me présentais, indiquant mon rendez-vous avec Roman.
— Oh super, je t'attendais ! Moi, c'est Estelle, je donne des cours ici et je m'occupe de l'accueil.
— Enchanté, marmonnai-je.
— Je vais te faire visiter les lieux, tu verras c'est pas grand.
La prénommée Estelle m'adressa un clin d'œil avant de m'intimer de la suivre.
Nous passâmes derrière une autre porte décorée de graffitis artistiques pour déboucher dans un long couloir desservant plusieurs portes latérales.
— Ici, c'est le vestiaire, il est divisé en deux parties pour les filles et les garçons, m'expliqua-t-elle, en me désignant la première entrée à droite.
La porte en face, à gauche, était une pièce d'entrepôt pour les produits ménagers et des objets divers comme plusieurs chaises empilées, des vêtements en tout genre ou encore une tonne de CD. Un petit frigo trônait dans un coin ainsi qu'une kitchenette minuscule avec un évier et un petit espace pour une cafetière.
— C'est un peu la pièce magique qui sert à tout, rigola Estelle avant de passer aux autres. Les portes qui suivent sont les salles de danse, celle au bout à gauche est réservée pour les petits, tu verras il y a des tapis et elle est plus petite.
— D'accord, dis-je distraitement.
— Au bout à droite, c'est le bureau de Roman. Je pense qu'il t'attend là-bas.
Estelle s'arrêta devant une des portes et releva le menton pour voir à travers la vitre ronde encastrée dans le lourd panneau métallique face à elle.
— En fait, il n'a pas encore terminé son cours, dit-elle en pinçant les lèvres.
Excité, je me rapprochai afin d'observer ledit cours de danse. Étrangement, la musique ne filtrait pas beaucoup à travers la porte, ce qui rendait l'observation de la dizaine de personnes s'agitant en tous sens, très étrange. Pourtant, leurs mouvements assurés, experts et dynamiques m'impressionnèrent.
— Tu peux attendre ici, il n'y en a plus pour longtemps, proposa Estelle.
— Oui, d'accord.
— N'entre pas, hein ? Sinon, Roman me tuera.
— Promis, assurai-je, les yeux toujours rivés vers l'intérieur de la salle.
Estelle ricana puis s'éloigna jusqu'à disparaître, sûrement pour retrouver sa place derrière son bureau.
Le nez collé au hublot, j'admirai cette danse rythmique. Un mélange de break danse et de hip-hop qui me fascinait. J'aurais adoré prendre des cours, mais je n'avais pas le temps et mes parents, pas l'argent. Alors pour remédier à ce manque, je regardais des vidéos sur YouTube.
Mes yeux passèrent d'un danseur à une danseuse pour finir par se poser sur le seul qui se trouvait en première ligne devant les glaces murales. Roman bougeait avec énergie, son corps fluide et envoûtant. Flûte alors, il était vraiment doué.
Je n'arrivais plus à détacher mon regard de lui. Et cela n'avait rien à voir avec ses muscles puisqu'ils étaient bien cachés sous un tee-shirt, non, cela avait tout avoir avec l'harmonie de ses gestes et l'aura impressionnante qu'il dégageait.
La musique dut se terminer puisque les danseurs s'immobilisèrent dans un ensemble parfait après avoir fait une dernière pirouette. Roman se retourna vers eux, sa main passa au travers de ses cheveux bruns et son visage s'illumina d'un sourire. Sa bouche bougea pour leur dire quelque chose que je n'entendis pas et tout le monde se dispersa.
La porte s'ouvrit et je fis un bond en arrière pour libérer le passage. Les danseurs se faufilèrent jusqu'au vestiaire et Roman apparut à son tour.
— Jay, tu es déjà là ? s'étonna-t-il.
— Ouais, je suis en avance.
— Un point pour toi, j'aime la ponctualité.
— Ne prends pas tes rêves pour la réalité, mon grand. C'est l'exception, pas la règle.
Roman haussa un sourcil. Je me fustigeais mentalement. J'arrêtais pas de parler sans réfléchir !
— Bon, je pensais que j'aurais le temps de prendre une douche avant notre rendez-vous mais... je ne vais pas te faire attendre.
Il s'engagea dans le couloir, me dépassant pour rejoindre son bureau.
— Je ne suis pas contre une petite visite des vestiaires. Surtout si les danseurs y prennent leur douche, insinuai-je avec humour.
L'ami de mon grand frère s'arrêta net, d'une manière si brutale que je fus à deux doigts de le percuter. Il se retourna vers moi et baissa le menton lentement afin que ses yeux gris puissent m'observer. Ce mouvement me fit me sentir très petit.
— Pas de ça, ici, Jay. Garde tes yeux, tes remarques et surtout tes mains pour toi. C'est un studio de danse, pas un baisodrome, ok ?
— Ça va, je plaisantais, répliquai-je, comprenant le sérieux de Roman.
— Bien. Maintenant, suis-moi et pour l'amour de Dieu, tais-toi !
Il reprit sa marche et je me pinçai très fort les lèvres. Purée, mais quel rabat-joie. C'était quoi son problème ? Si on ne pouvait même plus plaisanter, ce boulot allait rapidement me faire chier.
En entrant dans sa pièce, j'avisai mon environnement. Ici aussi, les murs étaient également d'aspect béton, dégageant une ambiance industrielle. Roman dépassa deux petits fauteuils pour rejoindre son bureau sombre au centre. La pièce était illuminée à la fois par la seule fenêtre et par les néons aux murs. J'observai le mot « danse » en violet au-dessus des fauteuils et un éclair géant en bleu sur le mur derrière le bureau autour duquel était accroché de nombreuses photos. C'était super cool.
— Assieds-toi, m'enjoignit d'un geste Roman.
Je posai donc mon fessier sur la chaise en face de lui et attendis.
— J'ai besoin de toi au studio chaque soir pour nettoyer les salles. Sauf le dimanche et le lundi. Mon dernier cours se termine à vingt et une heures donc tu finiras vers vingt-deux heures. Je te raccompagnerai chez toi pour que tu n'aies pas à payer le transport à chaque fois.
— C'est pas la peine, précisai-je.
— C'est non négociable. Je parlerais à Théo de ton travail ici, et tu en parles à tes parents. Je veux qu'ils me signent ça, dit-il en me tendant une feuille.
Le bout de papier ne me disait rien qui vaille, mais je le pris tout de même pour voir ce qui était inscrit dessus. Ok, c'était l'autorisation parentale. L'équivalent d'une attestation. Il me prenait pour un gamin de CE2 ou quoi ?
— Ne proteste même pas, Jay, c'est comme ça et c'est obligatoire. Je veux qu'ils sachent que tu es là chaque soir et que c'est un vrai travail.
— Je vois pas en quoi c'est important, je travaille déjà au café et ils n'ont rien dit.
— Parfait, ils n'auront donc pas de soucis avec ça.
La mine de Roman s'éclaira d'un regard conquérant qui me fit serrer les dents.
— Ok, lâchai-je.
— Sois ici à dix-huit heures. J'ai besoin que les vestiaires et les salles soient nettoyés entre chaque cours, c'est important.
— Et entre, je fais quoi ? demandai-je.
— Tu pourras regarder si tu as fini ton travail.
La joie explosa en moi en un million de confettis de toutes les couleurs. J'aurais la chance d'assister à toutes les répétitions et peut-être que j'apprendrais quelques mouvements au passage. Le job était facile, franchement, récurer des douches, des sols et des toilettes, c'était dans mes cordes. Enfin, je n'avais jamais fait ça, mais ça ne devait pas être difficile.
— Ça marche pour moi, confirmai-je alors avec enthousiasme.
— Tu commences dès demain si tu as les signatures.
Roman fouilla dans un tiroir de son bureau et en sortit une enveloppe brune.
— C'est ton contrat de travail.
Un sourire se plaqua sur mon visage alors que je récupérai les papiers qui me feraient travailler dans l'endroit le plus cool de la ville.
— Tu as des questions ?
— Est-ce que tu m'apprendras à danser ? Je veux parler de techniques, m'empressai-je de questionner.
— Ça pourrait se faire.
— Cool.
Un instant de silence pendant lequel Roman s'adossa à son fauteuil, les yeux rivés sur moi. Il haussa un sourcil et je notai que c'était une manie chez lui.
— Autre chose ?
— Tu avais dit que je pourrais t'assister pendant les chorés et je me demandai... qu'est-ce que tu voulais dire ?
— Parfois j'ai besoin d'un regard extérieur pour juger le côté harmonieux et artistique de mes chorégraphies. Je fais appel à des amis ou à Estelle, mais je me suis dit que tu pourrais être intéressé, m'informa-t-il nonchalamment.
Je compris ainsi qu'il recherchait un avis, non pas sur la technique, plutôt sur le côté scénaristique et esthétique. Pour cela, un regard amateur faisait tout aussi bien l'affaire que les yeux experts d'Estelle. Roman avait eu raison, l'idée m'enchantait. Je me voyais déjà en prendre plein les yeux.
— Ça me plairait, concédai-je avec un sourire.
— Parfait ! Tu as visité les lieux ?
— Je ne suis pas entré dans les salles de danses.
— Allons-y avant que mon prochain cours ne débute.
Il se leva prestement, me poussant à l'imiter avec autant d'énergie. Le premier arrêt fut dans la salle juste en face son bureau, celle des plus jeunes, d'après Estelle.
— Estelle donne des cours de modern-jazz et elle fait les plus jeunes, me renseigna Roman. cette salle est la plus petite, les deux autres sont bien plus grandes.
Mes yeux scannèrent la pièce ; un sol en parquet clair, un mur de glace, des tapis molletonnés au fond et les autres murs décorés par des graffitis de danseurs.
— Les tapis servent à quoi ?
— L'apprentissage des figures peut parfois être douloureux. Les plus jeunes sont moins à l'aise avec leur corps, ils chutent souvent, ça leur évite d'être couverts de bleus et d'avoir des parents furieux sur le dos.
Cette remarque m'amusa et je laissai échapper un ricanement.
— J'aurais bien eu besoin d'un tapis comme ceux-là, moi aussi, lorsque je m'entraînais, notai-je.
— Tu t'entraînais ? répéta Roman, dubitatif en reprenant la direction du couloir.
— Ouais, j'apprenais des figures et des pas sur internet et je les reproduisais encore et encore dans ma chambre.
Roman ouvrit une porte et je vis carrément l'apparition d'étincelles de joie à travers mes prunelles. Mon cœur bondit sous l'émerveillement. C'était comme dans les films !
La pièce précédente était petite, je n'avais pas eu cette impression, mais ici, dans cette vaste salle, la sensation d'excitation me picota le bout des doigts. Le parquet brillait, de multiples points éclatants reflétaient la lumière des spots aux plafonds et se réverbéraient sur les murs vitrés.
Mon reflet dans la glace projetait une image claire de mon état d'esprit, j'avais les yeux écarquillés, le brun chaud de mes iris étincelait littéralement de joie et ma bouche était ouverte.
— Cette salle est la mienne et l'autre celle d'Estelle, mais on échange de temps en temps, commenta Roman, ignorant mon état. Tu devras laver le sol et les glaces entre les cours, mais à la fin de la journée, tu passeras la cire sur le parquet, c'est important.
Je hochai la tête tout en pivotant sur moi-même pour m'imprégner complètement du lieu. À l'époque, lorsqu'il était au conservatoire, j'avais vu Roman danser lors de quelques-unes de ses représentations. Depuis, Roman s'était perfectionné dans la danse urbaine et avait ouvert un studio pour donner des cours. Le rêve.
— Eh oh, tu m'as entendu ?
— Hein ? Oh ! Oui, bien sûr, pas de problème, répondis-je précipitamment.
Roman plissa les yeux avant de les glisser sur mon corps dans un mouvement expéditif.
— Tu disais donc que tu t'entraînais chez toi à faire des figures ? reprit-il d'un ton neutre.
— Ouais, c'est comme ça que j'ai appris à danser.
— Donc tu n'as jamais pris de cours ?
— Non. Enfin, quand j'étais petit oui, mais après le prix était de plus en plus élevé et mes parents ne pouvaient pas assurer la danse et le tennis pour Théo.
— Et ils ont choisi de privilégier Théo ? s'étonna-t-il en relevant un sourcil.
Un beau sourcil, d'ailleurs. Parfaitement dessiné, d'une teinte légèrement plus claire que le brun de ses cheveux courts. Ils soulignaient la forme en amande de ses petits yeux et... je disais n'importe quoi. Détournant le regard, je m'avançai vers l'enceinte et les haut-parleurs dans un coin de la pièce.
— À cette époque, je n'étais pas aussi passionné. J'adorais, mais j'étais plus gêné par mon choix d'activité extra-scolaire. Mes amis faisaient du foot ou du judo et moi je dansais, révélai-je en grimaçant. Ce n'était pas le top alors j'ai dit à mes parents que ça ne me dérangeait pas d'arrêter.
— Je vois.
— Quand j'ai voulu reprendre, ils m'ont gentiment fait comprendre que c'était pas dans leur moyen. Alors je n'ai pas insisté, j'ai appris autrement. Depuis que je peux travailler, je mets de côté. J'espère avoir assez pour l'école et prendre des cours avant afin d'être admis.
Pourquoi déblatérais-je autant ?
Inconsciemment, me retrouver dans cette salle aux allures de rêve me donnait l'envie de parler de ma passion, de cette chose qui vibrait en moi à chaque instant. Toute la journée, sans relâche, je pensais à la danse, à de nouveaux mouvements, à la prochaine chorégraphie que j'apprendrais. Mes historiques internet étaient bourrés de vidéos de danses, de blog ou encore de sites sur l'histoire de la danse.
Cette passion était réelle, je voulais tout connaître de cet art magnifique. Un art qui vivait sous plusieurs formes. À chaque génération, un type nouveau se développait, comme si la danse était animée d'une âme, avec sa propre évolution. Cette multitude de facettes rendait le sixième art exceptionnel ; chacune pouvant exprimer une émotion, un état d'esprit, un caractère.
Je voulais tout apprendre ! J'aimais absolument toutes les déclinaisons. Que ce soit la danse classique, contemporaine, les danses traditionnelles comme le tango, la salsa ou le rock. Même les danses plus atypiques me charmaient, tel que la polka ou la country.
Évidemment, je me concentrai sur le hip-hop et la street dance, mais j'espérais consacrer ma vie à m'initier à toutes ces danses diverses et variées.
— Tu auras l'occasion de me montrer ce que tu sais faire alors, suggéra Roman, me tirant de mes pensées.
Je pivotai vers lui, la respiration rapide.
— Vraiment ?
— Pourquoi pas ? rétorqua-t-il en haussant les épaules.
Et sur cette perspective joyeuse, nous nous séparâmes. Il dut se préparer pour le cours suivant et je devais rentrer chez moi, faire signer ce contrat !
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