Chapitre 15 : Roman
Le mois de décembre était piquant, le froid saisissait mes membres malgré ma parka noire. On sentait les fêtes approcher avec cette ambiance glacée et chaleureuse à la fois.
J'avais hâte de prendre mes congés, dès la semaine prochaine, je serais officiellement en vacances. Et je comptais bien m'éloigner un peu, histoire de reprendre mes esprits. Parce que clairement, j'étais en train de devenir fou. Presque deux mois que cette soirée déguisée s'était déroulée et elle me hantait toujours.
Quand bien même j'avais mis un point d'honneur à ignorer l'attitude de Jay lors de la fête, les faits étaient là. J'avais été attiré par lui. Cela avait été purement physique, un besoin du corps et une bonne alchimie. Je n'avais pas vu son visage, ni discuté avec lui, pourtant j'avais été intéressé. Et cette idée ne voulait pas me laisser tranquille.
Durant les dernières semaines écoulées, je transposais le minois de Jay avec son comportement aguicheur. Je voyais sa bouche et je repensais à ses lèvres sur moi. J'étais complètement déstabilisé. J'avais beau faire comme si rien n'avait changé, reprendre nos habitudes, nos conversations, nos attitudes taquines, rien n'était plus comme avant. C'était même pire.
Parce que depuis quelques temps, ses taquineries avaient changé de ton. Jusqu'ici, je relativisais, sentant bien que c'était dans son caractère d'être un peu provoquant, ce n'était jamais dans une démarche négative. Nous avions naturellement développé un échange divertissant.
À présent, les tournures de phrases me donnaient l'impression qu'il n'y avait pas que de l'humour derrière, mais peut-être plus...
Une part de moi avait envie de lui montrer ce que c'était la provocation, entrer dans son jeu pour le déstabiliser à mon tour. Le problème était que cela risquait de mal tourner. Jay n'avait aucun filtre, pas de barrières, je craignais que le jeu nous explose en pleine face.
Au fond, j'appréciais Jay. Son humour extravagant, sa vivacité, l'écouter parler ou chanter comme une casserole pendant le ménage, et même sa façon d'écarquiller les yeux lorsque je disais quelque chose que, selon lui, je n'aurais pas du connaître !
Ouais, en vérité, ce petit jeu d'ambiguïté me plaisait bien, parce qu'il me semblait innocent... Le problème était que ma vision de lui se brouillait peu à peu pour me le présenter sous un aspect bien différent.
Mon téléphone vibra dans la poche de mon jean, interrompant ainsi le cours de mes pensées. Je décrochai rapidement, voyant l'identifiant de mon amie, Estelle. Les mots qui percèrent mon oreille furent incompréhensibles, hachés et incohérents. Puis dans un souffle étranglé, j'entendis le mot « cambrioler ».
Figé au milieu de la rue, je fus contraint de me pousser contre la boulangerie après avoir été percuté par des passants à plusieurs reprises. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ?
— Attends, quoi ? m'enquis-je.
— Viens vite, s'il te plaît.
— J'arrive, paniquai-je, le cœur frénétique.
Estelle raccrocha et mes prunelles fixèrent l'écran de mon téléphone comme s'il allait me délivrer les réponses à mes interrogations.
Le samedi était le seul jour où le studio ouvrait dès la matinée, aux alentours de neuf heures. Toute la journée, les cours s'enchaînaient et j'arrivais toujours avec des pains au chocolat pour nous donner de la force. Mais cette fois-ci, il n'y aurait pas de viennoiseries.
Me secouant vivement, je fonçai vers ma voiture pour arriver le plus vite possible au studio, où parait-il, nous avions été cambriolés. Qui volerait dans un studio de danse ? Il n'y avait rien à voler, mise à part peut-être les enceintes dans les salles de danse.
Très vite, j'arrivai à destination et la première chose que je remarquais fut l'absence totale de vandalisme. Les doubles portes vitrées étaient intactes. Estelle m'attendait au bureau de l'accueil et lorsqu'elle me vit, elle me sauta dans les bras.
— Je te jure que j'ai bien fermé hier soir, sanglota-t-elle.
Mes bras la serrèrent contre moi un instant avant de la faire reculer. Mes yeux scannaient les lieux, sans observer le moindre signe de cambriolage.
— Rien n'a été détruit, tu es sûre que l'on s'est fait cambrioler ? demandai-je.
— Je... je ne sais pas, oui, bafouilla-t-elle en essuyant ses joues pleines de larmes.
— Je ne comprends pas, avouai-je.
— La salle B était ouverte quand je suis arrivée, ainsi que ton bureau et j'ai retrouvé deux bouteilles d'eau par terre. Et aussi l'enceinte avait été utilisée puisque le voyant était encore allumé alors que je sais qu'on les éteint toujours !
Les propos d'Estelle n'avaient aucun sens. Je décidai de faire un tour des lieux pour constater par moi-même ce qui bouleversait autant mon amie.
— C'est bizarre, les portes à l'entrée n'ont pas été forcées ou cassées, exposai-je.
— Je sais, je ne comprends pas. Ce sont des professionnels. On appelle la police ? Je n'ai touché à rien.
En effet, la salle B avait été utilisé. Hormis les bouteilles et l'enceinte allumée, les traces sur le parquet démontraient clairement que quelqu'un ou plusieurs personnes s'étaient amusées à danser dans cette salle.
Réfléchissant à toute allure, j'inspectai chaque recoin du studio, mais rien n'avait été volé. Aucune casse non plus. Peut-être était-ce des élèves qui avaient voulu s'entraîner tout en bravant l'interdit. Ces cons d'adolescents étaient ingérables.
— Il n'y a pas eu de vandalisme, ni de vols, c'est peut-être des élèves, dis-je pour calmer Estelle. Inutile d'appeler la police.
— Des élèves ? Mais ils n'ont pas le code pour les portes automatiques, ni de clés.
Une illumination traversa mon esprit. Putain de petit morveux sans gêne ! Jay avait dû se croire chez lui en pénétrant dans le studio sans vergogne ! Serrant les dents pour contenir ma colère, j'entrepris de rassurer Estelle qui se remit à son poste, la mine toujours aussi inquiète.
Il fut très difficile de prendre sur moi pour ne pas littéralement exploser, cependant, j'avais des cours de danse à assurer et le matin, c'était les classes des juniors, cela demandait plus de patience que pour les autres.
Par miracle, je parvins à ne tuer personne durant toute la matinée et lorsque j'eus enfin ma pause déjeuner, je m'empressai de partir, le feu courant dans mes veines.
Arrivé devant le Florentin, le petit serveur que je cherchais zigzaguait entre les tables, un sourire aux lèvres et son tablier vert sur le dos, le faisant ressembler à un feu follet. Il ne me vit qu'au dernier moment, quand mon corps fut à quelques millimètres du sien. Ses sourcils se haussèrent en même temps que sa tête se pencha en arrière pour me voir.
— Roman ? dit-il d'un ton hésitant.
— Tu as deux minutes ? grognai-je.
— Qu'est-ce qui a encore ?
— Encore ? fulminai-je en l'attrapant par le bras. Il vaudrait mieux pour toi que tu arrêtes de me provoquer, je suis à deux doigts de perdre mon sang-froid. Prends une putain de pause.
Jay ouvrit la bouche, d'abord dans un mouvement de surprise puis pour parler certainement, mais je ne lui en laissais pas l'occasion :
— Maintenant !
Il se dégagea avant de me tourner le dos pour se diriger vers le comptoir et passer une porte sur le côté. Au bout de quelques minutes, il revint vers moi et m'adressa un signe de tête pour que je le suive. J'entrai alors à sa suite dans une pièce où trônait tout un tas de choses qui ne m'intéressaient pas.
— Tu as pénétré dans le studio la nuit dernière ? l'interrogeai-je de but en blanc.
— Hein ?
— Ne me mens pas ! Rien n'a été vandalisé, les portes ont été ouvertes par quelqu'un qui connaît le code et il y avait des traces de passage partout dans la salle B !
Jay battit des paupières plusieurs fois, la bouche close, le corps figé. Le temps s'écoula et je n'eus pas de réponse.
— Jay...
— Ok ! capitula-t-il. D'accord, j'ai fait un tour pour pouvoir danser, mais je n'ai rien volé ! Et j'ai bien refermé derrière moi...
— Non, mais tu te fous de moi ? criai-je. Tu penses que toi et moi, on est des collègues ? Tu penses que parce que je t'ai donné un travail, tu peux abuser de ma confiance !
— Non !
Cette fois-ci, Jay laissa une pointe de panique percer sa voix. Son visage n'affichait plus du tout la même arrogance. La colère circulait dans chaque partie de mon corps, chauffant chaque cellule.
Cela ne me ressemblait pas d'être aussi emporté, je fuyais les conflits et maîtrisais mes émotions la plupart du temps.
Mais avec Jay, mon contrôle m'échappait, il me rendait chèvre ! Son attitude bravache, arrogante et provocatrice me désarmait.
Comment un gamin de cet âge pouvait-il avoir l'ascendant sur moi ? C'était un mystère. Chacun de ses sourires, de ses regards, de ses blagues, de ses taquineries frivoles ou de ses gestes me chamboulait.
Jay me troublait et je ne l'assumais pas.
— Je pensais...
— Quoi ? Tu pensais quoi ? insistai-je durement.
— Je sais pas, je voulais danser dans ces salles, c'est tout. Et je pensais pas que tu serais contre, je veux dire tu m'as dit que je pourrais...
Pour la première fois, l'assurance de Jay disparut, remplacée par quoi ? De la panique ? Du malaise ?
— Si tu pensais réellement que ça ne me poserait aucun problème, tu m'en aurais parlé hier lorsque je t'ai raccompagné. Mais tu n'as rien dit. Tu es rentré chez toi puis tu es ressorti en pleine nuit pour t'introduire comme un voleur dans mon studio ! m'égosillai-je. Tu aurais dû demander. Je t'ai donné le code d'entrée parce que je te faisais confiance, Jay.
— Tu peux me faire confiance, protesta-t-il en s'approchant de moi. Je te jure, je n'ai rien dégradé, j'ai juste dansé.
Ses yeux ambrés brillèrent et happèrent mon regard avec une force irrésistible. Une part de moi admirait son assurance au point d'être si extraverti et sûr de lui. Cette même part s'amusait de ce jeu de drague qu'il instaurait parfois. Et une autre part de moi était totalement outrée par ce que je ressentais et freinait des quatre fers pour me raisonner.
— Roman, je suis désolé.
Sa main se posa sur mon bras droit, déposant une source de chaleur étrange. Venait-il de s'excuser ?
— Je pensais pas que tu serais aussi en colère, je n'ai pas réfléchi, ajouta-t-il dans un souffle en faisant un pas de plus vers moi.
— Tu n'as pas l'air de beaucoup réfléchir, Jay, lui reprochai-je.
— Je voulais simplement danser dans ces salles incroyables.
J'avais bien compris qu'il était subjugué par la danse, il était comme un gosse devant le Père Noël, totalement en admiration et avide.
Cela me plaisait de savoir qu'il venait chaque soir un peu plus tôt pour pouvoir admirer mon cours. Je comprenais cette envie de vivre sa passion. Jay n'avait pas eu la chance de suivre des cours alors j'imaginais sans mal que travailler au studio devait lui faire miroiter tout ce qu'il souhaitait, mais ne pouvait avoir.
— Je suis désolé, répéta-t-il.
Sa voix laissa filtrer un soupçon d'inquiétude et j'entendais sa sincérité dans ses mots. Mon palpitant ralentit sa cadence sous mes côtes tandis que ma colère s'estompait.
La plupart du temps, j'étais quelqu'un de raisonnable, réfléchi et assez posé. Alors je pouvais concevoir à quel point ces salles faisaient rêver, je ressentais toujours de l'excitation en m'imprégnant des lieux alors même que j'y étais tous les jours. Jay avait eu envie de rêver l'espace de quelques heures, à l'abri des regards. Parce qu'il n'avait pas les moyens de faire plus que ça.
— Tu sais, Jay, tu dois te responsabiliser. C'est bien beau de prévoir tout un plan d'avenir avec engagement, mais commence par devenir quelqu'un de sérieux et de consciencieux. Et surtout, apprend à respecter les autres. La confiance, c'est une chose précieuse. La conscience aussi. Avant d'agir, demande-toi si tu ne risques pas de dépasser les limites ou de faire du mal à quelqu'un.
Les yeux noisette face à moi se mirent à briller avec plus d'intensité et à ma grande surprise, j'observai Jay lutter avec ses émotions.
— D'accord... Je suis vraiment désolé, je vais... je te promets que je ferais plus de conneries et je vais arrêter d'être...
— Ingérable, provocateur, insolent ? proposai-je, voyant qu'il buttait sur les mots.
Un long soupir filtra à travers les lèvres roses de Jay. Mettait-il un baume sur ses lèvres pour qu'elles aient cette couleur ?
Putain, d'où me venait des pensées pareilles ?!
— D'accord, j'ai compris, je suis insupportable, marmonna-t-il en détournant le regard.
— Parfois oui, mais j'imagine que c'est la jeunesse. Par contre être jeune ne te dispense pas d'être honnête ou respectueux.
— J'ai compris, Roman.
— J'espère bien.
Sur cet espoir, je fis demi-tour pour sortir de la réserve et du café. La colère était toujours là, cependant, je n'avais plus envie d'étrangler Jay. À la place, la déception rongea mes entrailles et je me promis d'ignorer ce petit con pendant quelques jours, histoire qu'il réalise que ces actes étaient graves. Et que je ne passerai pas l'éponge aussi facilement.
*
⭐️
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro