I. Welcome to Radio Rock !
« Are you ready for a brand new beat ? »
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Assis au beau milieu d'une pièce dans laquelle il n'avait jamais fichu les pieds, installé sur l'inconfort d'une piteuse chaise de bois qui se voyait agrémentée d'un dossier plus qu'incommode et de pieds pour le moins instables, un jeune homme contemplait le lieu où il se trouvait.
Un navrant bureau de bois défraîchi trônait devant lui, recouvert par d'innombrables feuilles organisées de manière plus ou moins approximative - on sentait tout de même l'effort ayant été porté au classement de cette paperasse - ainsi que diverses cendriers dans lesquels de vieux cadavres de cigarettes entamées cohabitaient avec leurs propres cendres, ou bien encore de multiples cassettes audio s'entassant ci et là pour finir d'orner ce tableau pour le moins pittoresque. En laissant glisser ses orbes grises, l'observateur tomba face aux bibliothèques ornant les deux pans de mur sur sa droite et sa gauche et qui, comme il s'y attendait, demeuraient remplies d'innombrables vinyles et autres artefacts musicaux mais de très peu de livres. Les rayons matinaux s'infiltraient au travers du piteux rideau masquant le hublot, unique source de lumière de la pièce, et une doucereuse lueur orangée donnait à l'atmosphère du bureau une chaleureuse ambiance de matin d'été.
- Eren, c'est bien ça ?
L'interpellé quitta de ses iris argentés les multiples objets de sa contemplation pour percuter le regard brut de l'homme attablé face à lui, et qui venait de prononcer son nom d'une voix imposante, mais teintée d'une étonnante bienveillance.
- Oui, s'empressa de répondre le plus jeune d'un ton moins assuré qu'il ne l'aurait souhaité.
Une feuille glissée pincée entre ses doigts, le charismatique blond venait de lire ce qu'on aurait pu apparenter au CV dudit Eren, mais qui - plus concrètement - n'était qu'un bout de papier sur lequel le brun avait griffonné à la va-vite le peu d'expérience qu'il avait, n'ayant pas été mis au courant qu'il fallait apporter un tel document pour cet entretien.
- Tu avais un groupe de rock au lycée et tu tenais une petite émission de radio locale avec tes camarades de classe. Intéressant.
En réalité ce groupe de rock n'avait jamais jamais ressemblé à rien d'autre qu'Eren lui-même grattant sa bonne vieille Fender qu'il avait réussi à avoir d'occasion dans sa chambre, et cette fameuse émission de radio était tout bonnement fictive, passer sa journée un casque vissé sur les oreilles n'étant pas suffisant pour affirmer pouvoir tenir une antenne en direct.
- Bien.
L'imposant homme devant lui jeta le pseudo CV dans les air et la feuille se retrouva propulsée avec violence à un mètre derrière son précédent détenteur avant d'entamer un valse solitaire pour finir par s'échouer au sol, tandis que l'auteur de ce geste reposa ses coudes sur son bureau avec de venir lier ses mains et d'y reposer son menton dessus, un air des plus graves voilant ses traits.
- Ecoute. Je t'accepte sur le navire uniquement parce que le précédent capitaine, Sadies, connait et apprécie tes parents. Seulement, tu devras faire tes preuves ici. Ne pense pas qu'on t'accordera un traitement de faveur.
Eren hocha la tête, sachant pertinemment que l'homme face à lui ne plaisantait pas le moins du monde. Erwin Smith. Ses parents ne lui avaient parlé de lui que brièvement, après tout ils ne le connaissaient pas réellement, mais le jeune adulte se souvenait parfaitement la façon dont ils avaient insisté sur un point : ne pas tenter de jouer au plus malin avec lui. A l'époque, le brun s'était contenté de lever les yeux au ciel en balayant leurs paroles d'un revers de la main, mais à présent qu'il se retrouvait face à l'homme en question, il prenait les choses parfaitement au sérieux.
- Sache que chaque personne à bord n'est pas là par hasard. Nous sommes une radio pirate perdus au beau milieu de la mer du Nord sur ce bateau qui est notre radeau à tous. Nous sommes les ennemis du gouvernement et de l'Angleterre puritaine. Nous ne faisons rien d'illégal pour le moment, mais un jour ou l'autre, quelqu'un trouvera une faille dans notre système et fera tout pour nous nuire.
La tension montait progressivement dans sa voix, accentuant davantage ses octaves déjà excessivement impressionnantes de nature.
- Mais nous nous devons de résister, car des gens comptent sur nous, Eren. Nos auditeurs ont besoin de notre musique quotidiennement. Que ce soient les lycéens après les cours, les ménagères pendant qu'elles s'occupent de leur foyer, les travailleurs lorsqu'ils effectuent leurs pénibles tâches ; comment crois-tu qu'ils peuvent tenir sans la force que donne la musique ?!
L'éclat brut imprégné dans l'azur éthéré des iris de son interlocuteur glaça le sang du jeune brun, prenant de plus en plus conscience que l'homme en face de lui serait même capable d'aller donner sa vie pour ce navire, pour ses auditeurs et pour le rock. Sa voix ayant progressivement haussé lors de ses dernières paroles, la capitaine reposa à nouveau son ton et poursuivit, avec gravité :
- Si tu montes à bord de ce bateau, tu te dois d'être à la hauteur de tous ceux à l'écoute de nos ondes et, surtout, de tous ceux étant déjà ici. Ce sont des passionnés de la musique, des amoureux de la radio, des professionnels de l'antenne qui peuvent garder leurs auditeurs des heures durant.
Eren écoutait les dires du plus âgés, le cœur palpitant et l'œil pétillant.
- A cette radio, à la musique, tu devras t'y consacrer corps et âme.
Le blond se leva brutalement, renversant la chaise sur laquelle il était assis auparavant, et riva ses iris perçants sur un poster des Who qui trônait fièrement dans un cadre ornant le mur face à lui. L'élégant tailleur gris aux fines rayures ébènes qu'il arborait accentuait son écrasante silhouette dessinée par la chaude lueur matinale, achevant d'impressionner le nouvel arrivant.
- Offrir ton cœur au rock ! le capitaine baissa son regard de givre vers son interlocuteur. Tu me comprends, Eren ?
Le jeune homme eut tout juste la force d'acquiescer, tant il était happé par ce prodigieux discours. Le capitaine venait de prononcer ces paroles avec un tel sérieux, un tel solennel que l'écho de sa voix semblait avoir traversé mers et océans pour atteindre toutes côtes existantes sur cette planète, une sensation qui fit frissonner l'échine du nouvel arrivant. Il n'était pas seulement impressionné, il était estomaqué, sans voix, presque terrifié en anticipant ce qu'il s'apprêtait à vivre sur ce navire. Laissant à peine le temps au cadet de digérer toutes ces informations, Erwin se dirigea vers la porte de son bureau qu'il ouvra, et invita, d'un geste de la main, le brun à le suivre :
- Je vais te présenter à Hanji maintenant.
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Les mots manquèrent à Eren pour décrire l'endroit dans lequel le capitaine du navire l'avait conduit, il n'avait jamais rien vu de tel. Une quantité innommable de vinyles occupait chaque recoin de la vaste pièce, bien plus encore que dans le bureau d'Erwin, cohabitant avec de bien trop nombreuses cassettes qui s'entassaient avec maladresse sur le moindre centimètre carré disponible. Le vieux parquet grinçant d'un brun chaud et usé se mariait aux lambris cuivrés sur lesquels étaient accrochés diverses posters de groupe musicaux en vogue. Quelques fauteuils au tissu défraîchi avaient été maladroitement disposés afin que les potentiels occupants de la pièce - lorsqu'il y en avait, celle-ci étant vide pour le moment - puisse être confortablement installés lorsqu'ils gribouillaient sur leurs vieux carnets cornés, ces derniers reposant en toute quiétude sur le moelleux des coussins. Eren se permit d'en feuilleter un et constata qu'ils refermaient majoritairement des fils conducteurs ou idées d'émission, bien que certains contenaient diverses poèmes ou paroles de chansons - visiblement, ils avaient des artistes à bord.
Surplombant chaque détail enfoui dans cette mine d'or, ce qui avait le plus marqué le jeune adulte en arrivant était qu'un classique des Kinks, All Day And All Of The Night, résonnait dans la pièce à plein volume, à en faire vriller les tympans de quiconque s'aventurant ici. La chanson se terminant, le brun releva son regard des lignes griffonnées au crayon à papier et découvrit qu'une immense vitre ornait le mur opposé à celui duquel il se trouvait, dévoilant l'intérieur de la pièce adjacente : la cabine. Au dessus de la porte menant à ce studio, un néon rouge vif affichant On Air trônait prodigieusement, signifiant que la personne à l'antenne était, actuellement, en train de s'adresser à ses précieux auditeurs. Le spot rougeoyant s'éteignit pour laisser place à une musique où une guitare sèche et cinglante cria ses premières notes, bientôt suivie par une floppée d'instrument et une voix pour le moins surprenante. C'est à cet instant-là qu'Erwin indiqua au plus jeune d'un discret signe de la tête qu'il pouvait entrer ; il s'exécuta.
Dissimulée derrière des tas de disques ordonnés on ne peut plus maladroitement, une silhouette dodelinait de la tête derrière son micro en rangeant avec minutie le vinyle venant d'être diffusé dans sa pochette, et en sélectionna un autre en prévision du titre à venir. Déposant l'objet circulaire avec toute l'attention du monde, la personne s'empressa ensuite de disposer le diamant du tourne disque sur la surface plane du quarante-cinq tour afin qu'il soit paré à prendre le relais, puis se replongea dans le Subterranean Homesick Blues que crachait les haut-parleurs.
- Vous entendez cette voix ?
Sans même se retourner, la femme aux commandes de l'antenne questionna les deux hommes d'une voix solennelle et qui cachait difficilement l'effervescence faisant rage dans son esprit bouillonnant. Le volume avait été légèrement baissé, de sorte à ce que sa voix électrisée soit audible. Pensant que cette question était rhétorique, après tout il n'était pas sourd, Eren se contenta d'hocher la tête distraitement mais, constatant que la DJ aux mèches acajou venait de brutalement tourner son regard farouche vers lui, et que dans ce dernier y régnait une lueur lui intimant fermement de répondre, il bafouilla :
- Euh.. oui.
- Tu sais à qui elle appartient ?
- Non.
La DJ se pinça l'arrête du nez tout en expirant un souffle las, dépitée, avant de faire glisser sa chaise face au jeune et de se relever pour ancrer ses orbes chocolat dans les siennes, avec intensité malgré les verres de ses lunettes les séparant. Elle agrippa les poignets du nouvel arrivant de ses deux mains avec une force qu'on ne lui soupçonnait pas, et entama son explication, exaltée :
- C'est la voix de l'Amérique ! Tu vois, même si je suis fière de voir que des groupes anglais envahissent les ondes américaines, je trouve qu'il n'y a rien de plus génial de voir tout ce qu'ils inventent ces américains. Ca c'est Bob Dylan, c'est de la folk et c'est merveilleux.
Au fur et à mesure de son monologue, elle resserrait l'emprise qu'elle avait autour des articulations du jeune adulte et ne s'aperçut de l'énergie qu'elle mettait dedans que lorsqu'une grimace commença à s'immiscer sur le portrait de ce dernier ; elle lâcha aussitôt sa prise en s'esclaffant, et se laissa retomber sur sa chaise en invitant le pauvre gus à faire de même.
- Ecoute moi ça, prête attention attention à chaque détail, poursuit-elle, toujours autant happé par le titre diffusé dans la salle.
Le jeune homme porta une plus grande intention à la voix nasillarde du chanteur qui se mélangeait étrangement bien avec sa guitare sèche et ses paroles rédigées d'une telle main de maître que chaque phrase mériterait d'être encadrée. Sentant qu'il ne devait pas trop s'éterniser ici s'il ne souhaitait pas passer les trois prochaines heures confiné dans cette pièce à écouter les dires de la passionnée de musique, le capitaine - qui jusqu'ici assistait à la scène en silence - fit racler sa gorge et déclara sobrement, afin de rapidement prendre la fuite :
- Hanji, je te présente Eren, le fils des Jaeger. Je te le confie, j'ai de la paperasse à régler de mon côté, à tout à l'heure.
Eren fixa la porte que le capitaine avait claquée derrière lui, et tourna à nouveau son visage vers la fameuse Hanji qui trifouillait à nouveau dans ses bien trop nombreux vinyles alignés sur une étagère.
- Donc.. tenta le jeune adulte d'une voix incertaine. Vous aimez bien Bob Dylan ?
Il regretta instantanément sa stupide question dont la réponse demeurait plus qu'évidente, mais constata que la femme s'était stoppée net dans ses mouvements pour planter à nouveau son regard dans celui du brun ; il venait de mettre les deux pieds dans le plat sans s'en rendre compte.
La brune se lança dans un monologue sans interruption une dizaine de minutes durant, et ce sans que le jeune adulte n'osa l'interrompre, se contentant alors de l'écouter étaler son amour pour diverses groupes et compositeurs, tout en l'observant changer les quarante-cinq tour d'une main experte et glisser quelques mots à ses auditeurs lorsque cela était nécessaire. Il n'avait jamais rencontré quelqu'un d'aussi passionné.
- Pourquoi vous n'y allez pas en Amérique alors si vous aimez tant leurs musiques ?
Délaissant ses traits rieurs pour un regard rêveur, emprunt d'une subtile - presque imperceptible - mélancolie, la disc-jockey souffla d'une voix douce et absente :
- J'irai sûrement un jour, quand ce bateau coulera.. Elle resta quelques secondes à contempler la poussière voletante dans l'atmosphère de la pièce, songeuse, puis se redressa brutalement et poursuivit avec plus d'entrain : en attendant, j'ai beaucoup à faire ici !
Sans faire plus de sentiments, elle se replongea derrière son poste et augmenta à nouveau le volume afin que le nouveau titre leur crève les tympans - la douleur et leur future perte d'audition n'étant que des détails, après tout.
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« You don't need a weatherman to know which way the wind blows »
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