Jisung se sentait plus léger. Il avait peut-être fait du tort à ses parents en leur balançant la vérité, mais il ne regrettait pas. Cela l'avait soulagé d'un poids énorme. Quand il était rentré avec les yeux rouges, Minho avait été là pour lui. Ils s'étaient longtemps câlinés, embrassés, et avaient même fini par faire l'amour. Jisung lui avait demandé de lui faire tout oublier et ça avait fonctionné. Le temps d'une nuit, il avait pu s'abandonner dans les bras de son petit ami, et ne plus penser à tout ce qui le tourmentait. Il avait zappé ses parents, Chan, et tout ce qui pouvait aller de travers dans sa vie. Il avait Minho à ses côtés et c'était tout ce qui comptait. Ils s'aimaient et avec tout ce qu'ils avaient traversé, ils ne pouvaient pas mettre un terme à leur relation. Elle était trop précieuse.

Mais la fin du week-end était arrivée et la vie reprenait son cours. Jisung se rendit dans les locaux d'Uniaroom, un peu plus serein que quelques jours auparavant. Chan pouvait bien lui donner autant de travail qu'il voulait, il n'avait plus d'appréhension. Il allait continuer à travailler sous ses ordres, à faire ce qu'il lui demandait même s'il exagérait. Il était désormais sûr que plus rien ne viendrait entacher ce qu'il vivait avec Minho.

Il passa dans le hall, devant Minho et Chan qui se trouvaient au distributeur de boissons chaudes et après s'être incliné, il se hâta vers le comptoir où se tenait Seungmin. Il lui adressa un signe de la main, le sourire aux lèvres. Le secrétaire resta perplexe. Jisung arrivait rarement si joyeux au travail — pour ne pas dire jamais. Il salua ses collègues en arrivant dans l'open-space et décocha un clin d'œil à Jeongin. Ce dernier força un sourire et se reconcentra sur son écran d'ordinateur. Jisung se dirigea vers la machine à café où s'étaient agglutinés les trois autres. Heejin l'observa comme une bête curieuse.

— T'as dû passer un bon week-end, lança-t-elle.

Jisung se servit un café long et en but quelques gorgées.

— Ça va, dit-il.

La jeune femme jeta un regard suspicieux à Jooheon et Hyungwon qui haussèrent les épaules.

— Il y a une fille derrière cet air béat ?

Il manqua de recracher sa boisson.

— Pas du tout !

— Tu nous la fais pas à nous ! Tu t'es trouvé une jolie demoiselle et c'est pour ça que tu peux pas t'empêcher de sourire comme un idiot.

Jisung leva les yeux au ciel. Si seulement ils savaient que ce n'était pas une femme et qu'en plus, il s'agissait de leur patron… Ils tomberaient des nues. Mais c'était un secret bien gardé et il n'avait aucune envie que qui que ce soit le découvre. En tout cas, pas pour le moment, et pas par pur hasard. Il préférait que ce soit parce que Minho et lui avaient décidé de l'annoncer, pas parce qu'ils n'avaient pas été assez vigilants. Comme Chan et Jeongin. Il se demandait d'ailleurs où en était leur relation, s'ils se voyaient encore et s'ils étaient ensemble.

— Vous voulez des petits gâteaux aussi ?

La voix de Chan qui s'était élevée dans la pièce les avait fait sursauter. Jisung soupira discrètement en regardant ses collègues. Son répit avait été de courte durée.

— Tout est prêt pour la réunion de ce matin ?

Heejin s'empressa d'acquiescer et de se diriger à son bureau pour saisir un dossier plutôt épais. Jisung crut défaillir. Il avait totalement oublié cette réunion, et tout bien réfléchi, il n'avait pas le souvenir d'y avoir été convié. Certes, il avait dû travailler sur le projet qui allait être présenté, mais il ne pensait pas qu'il devrait être présent.

— Jisung ? l'interpella Chan, un sourcil haussé.

— Oui, j'ai préparé un petit quelque chose.

— J'espère que ta présentation ne sera pas trop brouillonne.

Jisung déglutit. Il n'avait pas du tout prévu de quelconque présentation de ce qu'il avait produit. Il s'imaginait seulement devoir confier son idée pour qu'elle soit examinée. Et voilà qu'il allait devoir parler de ce qu'il avait fait devant tout le monde. Devant Minho. Ça n'allait pas être une mince affaire.

Chan jeta un coup d'œil à sa montre avant de relever la tête. Il balaya l'open-space d'un regard, considérant chacun des employés.

— Dans une demi-heure à l'étage du dessus, dit-il avec un petit mouvement vers le haut.

Un « Oui ! » général éclata et Chan disparut dans son bureau. Jisung se rua sur ses quelques feuilles pour les remettre en ordre. Le projet consistait à revoir totalement la décoration de l'ancienne maison d'un célèbre peintre qui avait été rachetée par un riche entrepreneur. Il désirait garder l'authenticité du lieu tout en lui donnant une touche moderne et originale. Jisung avait réalisé quelques plans 3D un peu sommaires, car il ne manipulait pas encore très bien le logiciel. Il avait fait des annotations, des suggestions, mais rien de très élaboré. Il n'avait pas été formé pour ça et c'étaient ses collègues qui lui avaient prêté main forte pour qu'il puisse tout de même apprendre.

Quand il vit tous ses collègues se lever, son cœur s'emballa. Il n'avait pas le choix que d'y aller lui aussi. Il voulait que tout se passe bien et, puisqu'il s'agissait d'une réunion avec Minho, il ne pouvait pas se défiler. Il suivit les autres jusque dans une grande salle. Visiblement, des employés d'un autre secteur de l'entreprise étaient conviés à cette réunion. Ils étaient déjà installés sur les fauteuils noirs qui entouraient une immense table. Sur le mur d'en face se tenait un tableau blanc. Jisung jeta un bref regard à Minho, celui-ci lui adressa un petit sourire. Les feuilles plaquées contre son torse, il alla s'installer à côté de Heejin. Il souffla lentement, mais il n'arriva pas à retrouver un rythme cardiaque normal. C'était peut-être la chose la plus stressante qu'il allait vivre depuis qu'il avait intégré Uniaroom. Devoir présenter un projet devant tout le monde, alors qu'il ne s'y connaissait pas vraiment, c'était une épreuve dont il se serait bien passé.

— Si tout le monde est bien installé, nous pouvons commencer la réunion, annonça Minho.

Il présenta le projet initial et pendant un moment, ils discutèrent du budget qui avait été prévu. Les sommes étaient astronomiques. Jisung ne s'imaginait pas que des clients puissent dépenser autant d'argent pour la décoration d'une seule maison. Mais Minho s'était fait un nom dans le milieu et désormais, il ne comptait plus le nombre de demandes qui s'élevaient à des montants faramineux.

Après avoir consulté les différents devis, il fut temps au service commercial d'entrer en scène. Jooheon fut le premier à passer. L'homme exubérant qu'il pouvait être avait laissé place à un homme confiant et professionnel. Jisung le regardait, admiratif. Il parlait de manière fluide et était on ne peut plus sûr de lui. Passer après lui n'allait pas être une mince affaire. Ce serait dur de faire mieux, voire même impossible. Lui, il n'était là que depuis peu et Jooheon avait non seulement fait les études qu'il fallait, mais il avait quelques années derrière lui. Une fois qu'il alla reprendre place autour de la table, Minho acquiesça et le remercia pour sa présentation. Il l'avait jugé excellente et vraiment intéressante à exploiter.

— À qui le tour ? demanda-t-il en observant ses employés.

— Jisung.

Il blêmit. Chan venait de le jeter en pâture mais il n'avait pas le choix, il ne pouvait pas reculer. Il s'éclaircit la gorge et se leva. Un peu maladroitement, il accrocha ses quelques feuilles sur le tableau aimanté. Tous les regards étaient braqués sur lui et il crut bien s'évanouir. Minho le fixait, comme pour l'encourager, mais ça l'angoissait encore plus. Alors il préféra s'en détourner.

— Voilà c'est…

Il dut tousser à nouveau, sa voix était coincée dans le fond de sa gorge. Chan ricana, court et net. Il leva les yeux au ciel et croisa les bras contre son torse, les lèvres pincées entre elles. Mais Jisung n'allait pas s'avouer vaincu. Il était peut-être mort de trouille, il devait au moins faire son travail.

— C'est ce que j'ai modélisé. Là, on a l'entrée avec le déport en carrelage et une armoire intégrée au mur pour que ça se fonde dans le décor en bois.

Il pointa du doigt une des images et donna quelques indications supplémentaires.

— On remarque quand même un gros souci au niveau des couleurs, intervint Chan.

Le regard de Jisung vacilla. Il se tourna vers sa maquette, mais il avait beau l'analyser, il ne voyait pas ce qui posait problème. Les couleurs se mariaient plutôt bien ensemble, il était resté dans des tons bois agrémentés de vert et de jaune pastel. Il n'avait pas besoin d'un diplôme en décoration d'intérieur pour affirmer que ça ne choquait pas, que c'était même doux. Il décida de prendre son courage à deux mains. Cette fois, il ne se laisserait pas marcher sur les pieds.

— Pourtant, l'ensemble est harmonieux.

Chan haussa les sourcils, surpris par ce changement d'attitude. Il n'avait pas l'habitude qu'on lui réponde, et surtout pas Jisung qui faisait ses quatre volontés depuis qu'il était arrivé.

— Pardon ? Tu dois être sacrément aveugle. Ce jaune est tout simplement affreux.

— Excusez-moi mais je ne le vois pas comme ça.

Un nouveau rire échappa au chef commercial. Il chercha du soutien auprès des autres personnes présentes autour de la table. Il se tourna en direction de Minho qui lui, restait impassible. Il écoutait, observait.

— Jisung, voyons ! Tu penses sérieusement que ça, cette... horreur, est harmonieuse ?

Le ton de Chan était dur. Jisung ravala difficilement sa salive avant de s'humidifier les lèvres. Il commençait à avoir sacrément chaud. Une sensation affreuse était en train de se répandre en lui et s'il avait pu partir en courant, il l'aurait fait sans hésiter.

— Ce n'est pas joli, c'est tout. Je n'en attendais pas moins de toi, mais quand même.

Cette fois, les larmes lui montèrent. Un puissant coup retentit contre la table et fit sursauter tout le monde. Minho venait de taper du poing, la mâchoire serrée et le souffle court. Jisung se sentit rassuré de le voir intervenir, mais il ne put s'empêcher d'avoir peur. Quand son petit ami se mettait en colère, il pouvait vraiment se montrer exécrable. Il ne connaissait que trop bien l'air qu'il prenait quand quelque chose le contrariait.

— Chan, Jisung, suivez-moi dans mon bureau.

Sans un mot de plus, il se leva et sortit de la pièce, suivi des deux autres. Il se dirigea vers son bureau d'un pas pressé et, une fois devant celui-ci, il se tourna.

— Jisung, peux-tu attendre ici pour le moment ?

Il essuya les quelques larmes qui s'étaient faufilées sur ses joues et hocha la tête.

— Chan, venez avec moi.

— Oui Monsieur Lee.

La porte claqua à en faire trembler les mur, Jisung en tressaillit. Il resta planté là, droit comme un piquet, les bras le long du corps. Il se demandait ce qui pouvait se tramer de l'autre côté du mur, mais la réponse ne tarda pas à se faire entendre. La voix de Minho s'éleva jusqu'à lui. Il n'arrivait pas à discerner ce qu'il disait, mais il pouvait en déduire qu'il était tout simplement furieux. Il ne se souvenait pas avoir déjà entendu Minho crier autant. Même s'il aurait dû se réjouir du fait qu'il était sans doute en train de passer un savon à Chan, il n'arrivait pas à réagir. Tout s'était enchaîné très vite et la seule interrogation qui lui venait était de savoir s'il allait lui dire que Jisung et lui entretenaient une relation. Il était mitigé. Il avait envie qu'il lui balance cette information pour qu'il comprenne qu'il ne fallait pas toucher à son petit ami. Mais en même temps, Jisung avait peur que ça leur crée des problèmes.

Soudain, la porte s'ouvrit, mettant fin à toutes ses questions. Minho apparut, le visage fermé, encore sur les nerfs.

— Tu peux entrer.

Il se décala et indiqua à Jisung de se joindre à eux. Aussitôt, il remarqua que Chan avait la tête baissée. Ses mains étaient jointes devant lui et il avait l'air tout penaud. C'était bien la première fois qu'il le voyait dans un si piteux état. Si la scène ne l'avait pas surpris, il en aurait probablement ri.

— Je crois que Jisung attend vos excuses, lança Minho en positionnant une main dans le dos de son compagnon pour le faire avancer.

Chan daigna lever les yeux et ne manqua pas de noter le geste que son patron avait envers Jisung. Sa main était toujours au même endroit, elle ne bougeait pas. Peut-être qu'il avait décidé de se montrer un peu plus clair sur leur lien.

— Je suis désolé… bredouilla-t-il.

— Je pense qu'il n'a pas entendu. Et redressez-vous, ça m'énerve.

Le chef commercial prit une grande inspiration et obtempéra. Il planta son regard dans celui de Jisung.

— Je suis désolé pour tout ce que je t'ai dit, Jisung.

— C'est tout ? demanda Minho.

— Je… Je suis sincèrement désolé et…

— Minho, marmonna Jisung, c'est bon.

Chan battit des cils. Il ne savait plus où donner de la tête. Devait-il s'attarder sur le fait que Jisung ait appelé son patron « Minho » ou sur le fait qu'il semblait ne pas lui en vouloir ? Il avait mené la vie dure à Jisung pendant des semaines, il avait exagéré et usé de sa place de chef pour lui refiler toutes les tâches ingrates. Et lui, il essayait de calmer le jeu ? Il n'en revenait pas.

— J'accepte vos excuses, dit-il.

— Je suis vraiment désolé, je n'aurais jamais dû te considérer comme un larbin parce que tu es un stagiaire.

— Ça vous apprendra. J'ai horreur des gens qui prennent la grosse tête comme vous, ça me…

Une nouvelle fois, Jisung interrompit son petit ami, mais en lui prenant la main. Minho ne recula pas, au contraire, il se laissa faire.

— Je pense qu'il a compris alors ne soit pas trop dur avec lui.

Il lâcha un soupir et se résigna. Heureusement que Jisung était là pour l'apaiser.

— Même si vous n'avez pas été sympa avec moi, vous avez des qualités et je ne veux pas que ça se passe mal entre Minho et vous. D'accord ?

Il se tourna vers son compagnon pour l'interroger silencieusement. Bien sûr, il n'oubliait pas toutes les heures supplémentaires qu'il avait faites à cause de Chan et tous les mots désobligeants qu'il avait encaissés, mais il avait conscience qu'il était un bon élément pour l'entreprise. Il devait mettre de l'eau dans son vin, pour le bien de tous. Il espérait que Chan puisse se remettre en question et changer sa façon de se comporter avec ses autres collègues.

— Bon. Si tout est clair maintenant, nous pouvons retourner à notre réunion.