DIEGO SE SENTAIT SEUL.

Le monde avançait mais, lui, reculait. Les gens papillonnaient, continuaient leur vie comme si de rien n'était. Ils marchent au milieu de la masse, insouciants, égoïstes. Ils se croient au centre du monde, mais ce n'est pas le soleil qui tourne autour d'eux. Ils refusent de faire face à la vérité et admettre qu'ils ne sont qu'une poussière dans ce vaste univers.

Mais tout le monde n'agit pas comme eux. Tout le monde n'a pas le sourire aux lèvres. Tout le monde ne pense pas à dépenser son argent, pour que faire au final ? Rien. Acheter des babioles qui finissent leur vie au fond d'un placard.

Diego ne pourrait plus dire pourquoi il est allé dans ce centre commercial. Sur un coup de tête, peut-être. Il déteste se trouver là - ça c'est certain. Dévisager les gens au lieu d'admirer les vitrines colorées, c'est tout lui. Il se sent à l'écart de la foule. Seul. Différent. Comme si tous les regards convergent en sa direction.

Diego baisse la tête pour éviter les regards, bien que personne ne prête attention à un homme si discret. Pas de tenue excentrique. Ni de discussion trop forte. Rien pour l'extirper de la foule homogène. Juste un humain comme un autre. Pourtant il ressent cette pression incessante sur lui.

Il se faufile à l'extérieur, se maudissant intérieurement d'être venu dans un espace autant anxiogène. Ses proches lui répètent sans cesse qu'il doit sortir. Pour une fois, il les a écouté. Maintenant, il le regrette.

Vide toi la tête.

Sors de ta chambre, tu n'es plus un adolescent.

Tu ne vas pas rester toute la journée à ne rien faire ?

Diego n'en peut plus.

Il voudrait exprimer ses plus profonds sentiments à sa famille, mais personne ne pourrait le comprendre. Ils peuvent faire semblant de se soucier de son bien-être, mais aucun d'eux ne prononce le véritable mot qui se cache derrière ses problèmes.

Une dépression, ce n'est pas si compliqué à articuler ?

Incompris. C'est ce qu'il est. Jusqu'à ce qu'il pose les yeux sur cette créature.

Un long pelage couleur beige. Des pattes boueuses. Des yeux de chien battus. De la bave au coin de ses babines.

Un chien abandonné. Abandonné, comme lui.

Diego s'arrête en face de l'animal assit. Les sourcils froncés, il l'inspecte sans un mot. Bien qu'intrigué, Diego est dans l'incompréhension totale du comportement canin. Le chien le fixe intensément, comme s'il se trouvait face à un os alléchant. Pourtant, malgré sa faim flagrante, le jeune homme s'aperçoit de la tristesse dans ses iris bruns.

Ses oreilles bougent de temps en temps, alertés par le bruit environnant, mais toute son attention est portée sur lui. Même les bruyants passants ne font pas vriller son regard.

Qu'attend-il de moi ?
songe Diego.

Sa virée shopping n'étant pas une, Diego sort les mains vides du centre commercial. Rien à donner à ce pauvre chien.

Sa condition n'est pas ce qui frappe le plus Diego, mais leur ressemblance oui. Tous deux seuls, dont personne ne fait attention, ou ne s'en soucie correctement. Comme s'il lisait dans ses pensées, le chien tourne la tête sur le côté. Ce mouvement adorable ferait fondre n'importe qui. Sauf Diego.

Sans la moindre empathie apparente, Diego plonge ses mains dans ses poches et poursuit son chemin. Déjà qu'il n'arrive pas à s'occuper correctement de lui-même, pourquoi prêterait-il attention à une bête ? Il continue ainsi à avancer, jusqu'à ce qu'un bruit le fasse tressaillir.

A-t-il vraiment aboyé ?

Non, ce n'est pas une hallucination. Le jeune homme se retourne brusquement et voit le chien le suivre. Sa gueule entrouverte, prête à produire un autre son, valide l'hypothèse de Diego. À quelques mètres de lui, l'animal s'assied à nouveau, croyant que le jeune homme viendra s'occuper de lui. Sa queue est déjà sur le point de remuer de gauche à droite.

— Va-t'en, clébard.

Comme un éclair dans l'air, sa voix sèche dissuade le chien. Penaud, il baisse la tête et fait demi-tour. Diego poursuit son chemin dans une marche rapide, espérant ne pas être suivi de nouveau. Cependant, il ne peut s'empêcher de jeter un dernier coup d'œil par-dessus son épaule. Alors que le chien s'est arrêté devant le centre commercial, ses yeux bruns sont tournés vers Diego, remplis d'émotions qui se battent pour surgir au grand jour mais qui n'arrivent pas à passer la barrière du corps. Une envie d'hurler sa douleur ou d'aboyer sa haine avec la seule force de l'esprit.

C'est à ce moment que Diego comprit. Ce chien l'observe comme personne ne l'a auparavant regardé.