UNE LOURDE FATIGUE PÈSE SUR DIEGO.

Dix heures qu'il reste immobile, ou peut-être plus. Avec la nuit passée, Diego n'a plus le sens du temps. Il s'était endormi la veille, et, depuis, il ne s'est pas levé. Les rayons du soleil tapent sur la vitre de sa chambre depuis de longues heures, mais Diego recouvre ses iris de ses lourdes paupières. Sa vessie n'a même pas été assez convaincante pour qu'il se lève.

Oublier de vivre, ça peut poser problème.

C'est avec étonnement que le jeune homme se rend compte qu'il a faim. Son ventre gargouillant lui rappelle son besoin vital. Depuis quand n'a-t-il pas avalé de la nourriture ? Vingt-quatre heures, au moins. Sa gorge est d'autant sèche qu'il ne boit que très peu d'eau.

Diego se sent vide. Son corps n'a plus d'énergie. Son esprit n'a plus d'envies. Son cœur n'a plus de raison de battre.

Rester dans son lit ne l'avance en rien. Il se maudit de pas faire d'effort pour se sortir de cette situation, cependant, la motivation lui manque cruellement. Ce n'est qu'un terrible cercle vicieux.

Peut-être que la faim est cette motivation qui lui manquait tant. Mettant toute son énergie pour tirer ses jambes hors de sa couette, Diego pose un premier pied par terre. Un pas après l'autre, il quitte pour la première fois en plusieurs jours sa chambre.

En passant devant une fenêtre, il parvient à entendre des couinements étouffés.

On dirait un chien,
lui passe-t-il par la tête.

Mais Diego passe son chemin. Une chose à la fois, il se préoccupe de son besoin vital dans la cuisine. Cuire deux œufs et du bacon lui prend autant de temps que cuisiner un repas complet. Il ne se rend même pas compte des longues secondes qu'il passe à observer vers chez sa voisine.

La silhouette de sa voisine se dessine derrière la fenêtre de chez elle. Pratiquement tous les jours, chaque matin où Diego se lève, chaque soir où il se prépare à dîner, elle est là. Elle dessine des croquis, colorie ses travaux, se tirant parfois les cheveux, avec des expressions toujours plus tendues. Il n'a jamais tenté de lui parler, mais il ne manque pas une seule fois de regarder chez elle lorsqu'il se trouve devant cette fenêtre. Son rythme de vie intrigue le jeune homme, mais ce n'est pas lui qui va lui faire une réflexion.

Il détourne le regard, partant s'installer dans la salle à manger avec son assiette. La bonne odeur de bacon grillée vient ouvrir son appétit, mais pas que la sienne.

Derrière sa baie vitrée, un chien au pelage crème se lèche les babines. Les odeurs de nourriture flottant dans l'air, il gratte le bas de la porte avec l'espoir d'obtenir à manger. Diego le reconnaît tout de suite. Le même chien du centre commercial. Mais un doute persiste en Diego.

Comment a-t-il pu venir jusqu'ici ?
se demande-t-il.

Avec ses pattes boueuses, c'est bien le même golden retriever.

Le jeune homme se décide à se lever, prit de pitié par ses yeux de chien battu. Il ouvre la baie vitrée, le temps de se faufiler à l'extérieur, où le chien s'assied à la vue du bacon.

— Tu es coriace, le clébard.

Diego tend délicatement sa main avec une tranche de bacon, mais c'est avec rapidité que le golden retriever se jette sur la nourriture. Il laisse sur la main du jeune homme un filet de bave, que Diego s'empresse d'essuyer, une expression de dégoût sur son visage. Avalé en une fraction de secondes, son comportement fait décrocher un sourire à Diego. Le premier en plusieurs jours.

Le chien se met à remuer la queue, bien que la fine tranche de bacon ne suffit pas à remplir son estomac. C'est cette attention que Diego lui porte qui lui apporte un peu de bonheur. Même lui, animal à quatre pattes incapable de prévoir les réactions des humains, ne s'attendait pas à un tel geste de bienveillance de la part de Diego après leur première rencontre d'une froideur incomparable.

C'est avec un excès de confiance que le chien se faufile entre les jambes de Diego. Il rentre dans la maison, laissant une trainée de boue sur son passage. Sa queue se balance de gauche à droite, il halète en gambadant dans le salon.

— Sors de là ! Tout de suite !

Les lourds pas de Diego succèdent à la démarche guillerette du chien. Ce dernier parcourt tout le salon comme s'il découvrait un pays merveilleux rempli de nouvelles possibilités. Parmi celles-ci, le canapé, auparavant clair, à présent couleur terre.

— Descend immédiatement, clébard !

Diego cru s'étouffer en voyant le golden retriever se balader sur son canapé avec ses pattes sales. Le tissu et les coussins sont imprégnés de terre et de boue. Avec ses cris, l'animal se décide à descendre de son trône, la queue entre les jambes. En quelques secondes, l'odeur de bacon accrochée à sa truffe disparaît lorsque Diego ferme après lui la porte d'entrée.

Malgré la mine triste du golden, Diego ne remarque même pas le bref sourire qui persiste sur ses lèvres. Il suffit parfois d'une petite aventure pour retrouver la joie de vivre.