SIX ― Charlie
CHARLIE regarde la rue vide à travers sa fenêtre.
Ses doigts fins poussent le rideau blanc recouvrant la fenêtre de son salon. Les gouttes de pluies frappent la vitre et rendent encore plus mélancolique la jeune femme. Ses yeux balaient la route en face d'elle de droite à gauche. Aucun passant n'ose s'aventurer dehors avec la pluie battante. Seules quelques véhicules roulent à faible allure. La rue est désertique.
Cela fait cinq jours que Charlie n'a pas revu le golden retriever. Quatre jours et demi, pour être précis. Charlie a commencé à compter les heures à partir du moment où il n'est pas venu quémander à manger. Cela faisait dix jours qu'il attendait patiemment devant chez elle à vingt heure trente pile. Assis, la queue remuant, il regardait de ses yeux sages la porte. La jeune femme disposait dans un bol les restants de son frigo qu'elle lui donnait sur le perron de sa porte. Il engloutissait tout en quelques secondes pour ensuite continuer sa promenade dans le quartier.
Parfois, il restait un peu plus longtemps. Un matin en se rendant au travail, Charlie l'a surpris en train de dormir sur sa pelouse, son poids écrasant les pâquerettes qui annoncent le printemps. La jeune femme traversa son allée sans faire de bruit, de peur de réveiller le golden retriever. Malheureusement, son portail grinça lorsqu'elle l'ouvrit en grand et fit sursauter l'animal. Celui-ci s'enfuit en courant au bout de la rue, jusqu'à ce que Charlie le perdit de vue. C'était la dernière fois qu'elle le croisa.
C'est le regret qui remplace la tristesse habituelle dans le cœur de la blonde. Elle regrette de ne pas l'avoir accueilli plus tôt chez elle. Et si quelque chose lui était arrivé ? Et s'il s'était fait renversé par une voiture ? Elle ne peut s'empêcher de se croire coupable de sa disparition.
J'aurais pu agir plus tôt,
se répète-elle.
Si elle pouvait remonter le temps, Charlie ouvrirait la porte de chez elle au chien dès leur première rencontre. Il avait ce pouvoir particulier. Dès qu'elle posait les yeux sur lui, la pression sur ses épaules redescendait. Il avait ce don de la calmer avec un simple regard. Il comblait instantanément le manque en elle. Ce golden retriever était tout ce dont elle avait besoin. Plus qu'une véritable compagnie, un soutien émotionnel.
À présent, les nerfs répondaient à sa place. Charlie n'arrive plus à réfléchir correctement. Ses pensées se dirigent toutes vers ses peines, ses déceptions, ses remords. Toutes ses pensées nourrissent sa haine - non pas contre son travail qui lui demande tout son temps, mais contre elle-même.
La maquette en face d'elle n'est qu'un petit bout de papier blanc immobile. Trois heures ont passé et Charlie n'a collé qu'un morceau de carton pour le retirer aussitôt. Comment terminer à bien son projet ? Charlie ne le sait plus. Elle a tout oublié.
Ses mains se mettent à trembler lorsqu'elle tient son crayon à papier entre ses doigts. Elle le laisse tomber sur ses feuilles blanches, et bientôt, ce sont des larmes qui coulent sur ses écritures. Du revers de sa main, elle balaie ses affaires sur la table et les balance par terre.
Assez.
J'en ai assez.
Charlie se lève tout à coup de sa chaise dans un grincement strident. Elle ne prend pas la peine d'enjamber ses affaires étalées au sol et marche sur ses feuilles froissées. Elle ne se baisse que pour récupérer sa paire de ciseaux avant de se diriger, le pas sûr, vers sa salle de bain.
Son reflet lui donne envie de vomir. Ses cernes marquées par son grand manque de sommeil ressortent avec ses yeux rouges. Ses paupières tentent de contenir son chagrin mais les larmes coulent d'elles-mêmes. Charlie n'arrive plus à contenir ses émotions. Il est temps que tout cesse.
Le coup de ciseaux part plus vite que prévu.
Ses mèches blondes tombent tour à tour dans le lavabo. Coupés aléatoirement, Charlie ne prend pas la peine de tracer une ligne droite. La colère dirige ses mouvements, de plus en plus rapides et sûrs d'elle. Sa chevelure blonde raccourcit jusqu'à la hauteur de son cou.
Ce simple changement délivre Charlie de ses pensées troubles. Lorsqu'elle se regarde dans le visage, tout ce qu'elle voit est une jeune femme capable de faire ses proches choix. Une femme libre.
— Comment as-tu pu ?!
s'affole sa mère quand
elle découvrit sa coupe.
En venant rendre visite à sa fille, Karine ne s'attendait pas à voir un tel changement sur Charlie. La femme qui se trouve devant elle n'est plus la fille qu'elle connaissait.
De son côté, sa petite sœur ne répond rien. Elle l'observe simplement sans prononcer le moindre mot. Ses yeux balaient le visage de sa grande sœur et sa chevelure blonde. Charlie n'arrive pas à comprendre son avis, au contraire de ceux de leur mère qui sont clairs.
— Pourquoi réagis-tu comme ça ?
ne comprend pas Charlie.
J'ai trente ans. C'est ma vie !
Depuis toutes ces années, Charlie comprend enfin la vraie source de son problème. Sa mère.
Toute la pression qu'elle se met provient d'elle. Le besoin d'être parfaite. Aucune erreur n'est permise avec elle. Charlie n'agit que pour gagner la fierté de sa mère.
Charlie se retient pour ne pas pleurer davantage. La réaction de sa mère la fait sentir encore plus seule et incomprise qu'elle ne l'était avant. Pourtant, ce simple changement capillaire libère une partie de la pression qu'elle enfouissait.
Si seulement le golden retriever était là, il lui aurait apporté le soutien dont elle avait terriblement besoin.
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