Chapitre Premier
Quelque decennies plus tard ...
- LISBETH -
Une femme s'avance doucement dans les rues de Medime pavées d'un sable doré et de marchands criards. Je l'observe, intriguée par son mutisme macabre, la suivant d'étalage en étalage. L'air chaud tape son corps trempé de sueur, et son visage est caché par un linge d'un blanc maculée. L'odeur cuivrée est si forte que j'en ai la nausée. D'où vient-elle ? Je l'observe attentivement, à découvert, le vent chaud tapant contre ma peau. L'effroi se terre au coin de ses plis tandis que la misère se parsème, doucement, dans les ombres de cette coiffe clairsemée de cendre. Il m'est impossible d'en détourner le regard. Que fait-elle ici ?
Une aura mystique aurait pu émaner d'elle si elle n'avait pas semblé si épuisée, si elle ne paraissait pas si faible. Hiératique, elle s'avance d'un pas calme jusqu'au puit où le village accueille la seule source d'eau qu'il possède. Elle pose délicatement ses mains sales sur son rebord. Je m'avance jusqu'à me poster suffisament près d'elle pour remarquer qu'elle est déchaussée. Le sable recouvre ses pieds effrités, là où des cavités marquent sa peau nacrée. Je relève les yeux vers son visage mais le contour de ses lèvres est à peine visible. Je cherche alors son regard, transie par la curiosité qui fait battre ma poitrine. Qui est-elle ? Elle semble sourire, d'un de ses sourires faiblards et animés par la résignation. Mais soudain, comme prise sur le fait, ses yeux se plongent dans les miens.
Mon cœur s'arrête.
Je recule d'un pas, trébuche sur une cachette, et tombe lourdement sur le sol recouvert de raisin. La mort. Son regard me transperce toute entière. Sans aucun sourire, ni grimace, la créature se redresse au-dessus du puit, regardant lentement son reflet oscillé dans l'eau. Pourquoi est-elle là ? Je l'observe du coin de l'œil, n'osant plus faire de bruit. Elle semble être à la recherche de quelque chose. Brusquement, son regard converge de nouveau vers moi, et je me pince les lèvres, transie d'angoisse. Que me veut-elle ?
Ses yeux se mettent à ruisseler alors que chacunes de nous deux se regardent en miroir. Une larme caresse lentement sa joue avant d'aller trouver la commissure de ses lèvres. DAM. DAM. Mon coeur se fracasse contre moi.
— Lisbeth, murmure-t-elle tourmentée.
DAM. DAM. Ma gorge est sèche, l'air est devenue frais. Vient-elle pour moi ? Mon cœur tambourine de plus belle alors qu'une autre larme rejoint les grains de beauté, déposés tel un baiser mortel, le long de son cou frêle.
Je retiens mon souffle, incapable de bouger.
— Lisbeth.
Mon cœur manque de sortir de ma gorge, et mes jambes s'enlisent dans le sol m'empêchant de partir. Je la vois baisser de nouveau les yeux, le visage tuméfié de sang.
— Ils approchent, me susurre-t-elle, fébrile.
Son regard reste encore un instant accroché au mien avant qu'elle ne bascule violemment dans le puit et qu'un hurlement de terreur déchire mes poumons.
J'ouvre les yeux instantanément et me relève, le cri encore au bout des lèvres. Je regarde autour de moi, le cœur battant, et aperçoit avec soulagement les murs de ma chambre. Un cauchemar. Ce n'était que mon ridicule cauchemar. Je me laisse retomber sur l'oreiller, le souffle court, et contemple mon plafond assombri par la nuit. Un frisson me parcourt l'échine. Que m'arrive-t-il ? La créature me revient en mémoire, inhibant le calme de la pièce. Encore elle. Je secoue frénétiquement la tête pour la chasser de mon esprit. Je n'arrive pas à m'en débarrasser. La porte s'ouvre violemment, coupant le file de mes pensées :
— Votre Altesse !
Je me tourne brusquement, la poitrine encore frémissante. Hellen entre en trombe suivie de trois soubrettes.
Le regard encore habité par la mystérieuse femme, je me laisse retomber une nouvelle fois sur l'oreiller en sois. Au loin, j'entends les braillements incessants des servantes, s'affolant auprès d'Hellen. Je les observe un instant, le regard lasse. Leurs joues sont rosies, leurs fronts ridés d'angoisses et leur bouches béantes s'ouvrent aux rythmes d'une ballade mélancolique. Je m'en détourne, fatiguée, et commence à contempler le plafond. Il paraît d'un gris sinistre à la lueur faiblarde du couloir. Je ne leur en veux pas de faire ce vacarme pour un simple cri si celui-ci se répète inlassablement depuis plusieurs semaines à la même heure précise.
— Vous avez de nouveau crié, votre Altesse ?
Question réthorique, je suppose. Hellen se rapproche de moi silencieusement. J'aperçois au coin des yeux les lettres d'honneur que les prétendants m'ont envoyé. La seule pensée du programme de la journée me donne envie de dégobiller sur mes draps. « La moisson est sûrement en train de se préparer à l'heure qu'il est. »
— Qu'avez-vous ?
Une lueur de compassion danse dans ses yeux. Je serre la mâchoire et peine à retenir mon agacement :
— Rien d'important. Prépare-moi le bain.
Un court silence s'ensuit, et Hellen reste un moment immobile, face à moi. Je soutiens son regard, résistant à l'envie de me jeter dans ses bras pour lui avouer tout mon effroie. Je la transperce de mon bleu azur, le visage indéchiffrable, presque glacial. Les seules choses qui pourraient me trahir sont la goutte perlante sur mon front et mes traits tirés par la fatigue.
Au bout de quelque minutes, Hellen finit par se détourner de moi, et s'exclame d'une voie assurée :
— Vous avez entendu !
Je baisse légèrement la tête sur mes mains moites avant de reporter de nouveau mon attention sur ce visage ridé et usé par le travail. Ses yeux de cendre semblent pourtant dénués de haine, de tristesse ou de colère. Je me suis longtemps demandée comment Hellen avait fait pour garder, près d'elle, cet éclat d'innocence et de force pendant si longtemps. N'est-elle jamais tenté de m'insulter ?
Soudainement, son regard rencontre le mien et la culpabilité me traverse en coup de foudre. J'esquisse un vague sourire avant de reporter mes yeux sur mes doigts et de légèrement froncer les sourcils. Je n'aurais pas du lui parler sur ce ton. Ce n'est pas de sa faute si cette créature hante chacune de mes nuits depuis des mois.
Hellen n'est pas la cause de mon malheur, ni des frémissements qui m'assaillent la nuit tombée. Au contraire, elle est la seule personne à m'entourer de sa chaleur lorsque les larmes ruissellent en tempête sur mon visage.
Les servantes ouvrent brutalement les rideaux. Les rayons du soleil cisaillent mon regard et je me détourne, aveuglée :
— Faites attention, s'il vous plait.
Instantanément, ces trois femmes, habillées de robes vetustes, se regardent dans une discussion silencieuse, où la parole se transfome en regard insistant et où la bouche laisse parler l'âme. Mon cœur se dérythme alors qu'elle convergent vers moi et que leurs cils s'inclinent dans la même soumission que leur buste :
— Veuillez nous pardonnez, votre Altesse.
Je sens le jugement de leur regard, la pitié de leur pensée. Mon cœur s'emballe brutalement. Un malaise s'accroit dans ma poitrine. Pourquoi ai-je si honte ? Si honte de ne pas vouloir me sacrifier pour eux ?
— Ne vous inquiétez pas, murmuré-je dans un souffle.
Alors que les secondes se redressent silencieusement et ouvrent les fenêtres ornées d'un Atrix pourpre, je me contente de rester immobile et d'essayer de reprendre ma respiration. Je referme les yeux.
"Tu deviens pathétique, Lisbeth, ressaisis-toi" me murmuré-je.
Je rouvre mes paupières en prenant une grande respiration afin d'apprécier à sa juste valeur la sensation de mon corps contre le matelas.
La tête reposée sur l'oreiller de soie bordeaux, brodé de fines pétales bleuis, je décide de me laisser bercer par cette douce réminiscence. Les rayons réchauffent ma nuque gouttelante, me déclenchant un frisson de plaisir. Leur lumière traverse mes paupières créant de gracieuses ombres chinoises à leur passage. J'aimerais que le temps s'arrête. J'aimerais que ces raies d'or se gravent sur ma peau et transpercent mon cœur de leur chaleur pour l'éternité. Je souris.
— Que voulez-vous mettre aujourd'hui ? me coupe une voix.
Je rouvre les yeux, à demi ensommeillée. Hellen est penchée vers moi et attend patiemment que je lui réponde. Je m'appuie sur les coudes et renverse ma tête en arrière en pleine réflexion.
« Que devrais-je porter le dernier jour de ma vie ? »
***
L'eau coule sur mes flancs au fur et à mesure que Lucie me caresse lentement le corps d'un geste circulaire. L'odeur du lait d'ânesse m'emplît voluptueusement les narines. Je l'entends fredonner joyeusement :
— La montagne rugit sous l'éclat triomphant de Malisse, Oh Ma reine, tu blêmis. Mais, Coatlicue ne pourra pas te retrouver ici, Oh mon inatteignable déesse, sauve nous de sa désolance éternelle.
Je contemple mes orteils qui sortent de la baignoire avec une curiosité vaine. Un ennui mortel m'assaille. La mélancolie s'installe près de mon cœur et commence à grignoter le peu de joie que j'avais trouvé à cette journée. Est-elle stupide ? Pourquoi chante-t-elle cette chansson sinistre avec temps de joie ?
Je décide de faire abstraction de cette situation gênante et de me concentrer sur la journée qui va suivre . Il y a trois semaine, j'ai effectué une liste de chaque chose que je devrais faire avant de devenir reine. Et aujourd'hui, il me reste à rayer la plus importante et la plus ennivrante de toute. Je souris d'excitation à la seule pensée de sortir du chateau pour une petite virée incognito.
— Pensez à bien faire votre masque cette après-midi. Il faut vous faire belle pour ces messieurs.
Je la regard, ne sachant pas si je dois rire ou pleurer de cette remarque. Je decide de ne rien faire et de retourner à mes pensées.
— Il y aura également l'envoie des missives au seigneur retenue qu'ils vous faudra envoyé avant midi. La reine vous y oblige.
Je ferme les yeux, réprimant un rictus de colère et d'indignation. J'ai cette étrange impression de m'être fait déposéder de ma liberté, et que peu importe ma pugnacité, on ne me la rendrait jamais. La reine m'a répété ces dernières années que ce serait facile, que laisser sa vie derrière soi n'était pas si compliqué face aux responsabilités qui m'incombaient. Elle me soufflait sans cesse que ce sacrifice valait le milliard de pieux que je recevrais dans mon cœur dès que je me rappellerai mon ancienne vie. Mais pour l'instant, j'ai l'impression d'être une marionnette, une pièce d'échec au milieu d'un jeu dont j'ignore tout de ces règles.
J'expire l'air qui s'est coincé au fond de ma gorge dans une lassitude profonde.
La moisson de ce soir sera le point d'encrage d'une nouvelle aire pour le royaume de Malisse, cela devrait m'enjouer et non pas me rendre étrangement dépitée. Lucie continue sa comptine comme si de rien était :
— Sa médisance à frapper la terre, O Tezcatlipoca montre nous le chemin, O toi champs des astres, infinité des destins, O toi reine de Malisse béni nous de ta lumière.
Elle semble absorbée par son travail et ne s'aperçoit pas que je la dévisage un instant du regard, emplis de scepticisme quant à sa santé mentale. Devrais-je la faire remplacer ?
— Je suis tellement inspirée aujourd'hui. Je suis si impatiente que le rituel se fasse. Il y a des gens qui disent qu'il sera retranscrit en direct ! m'énonce-t-elle, un brin d'excitation dans le regard.
Sans prendre la peine de lui répondre, je plonge ma tête dans l'eau pour m'en échapper. Je ferme les yeux et prie en silence : « Dame nature, je vous en prie, faites que cette vie cesse. »
Je reste un moment la tête submerger, à écouter le bruissement de l'eau et la voie inaudible de Lucie en écho. La vue est magnifique d'ici, tout semble lointain et sublimé par l'eau. Le visage flou de lucie s'affolant me parrait moins énervant, même sa voix me semble plus douce et mélodieuse.
Brusquement, deux mains puissantes me remontent à la surface et met fin à mon rêve lucide. Je la regarde froidement. Hellen.
— Lucie, sortez quelques minutes, lance-t-elle d'un ton neutre. Je vais finir, je dois discuter du planning de la journée avec Madame.
Lucie semble avoir vu un fantôme. Me prend-t-elle pour une folle ? Très certainement.
— Seule à seule, rajoute-t-elle.
Malgré son hésitation à quitter la pièce d'eau, elle finit par acquiescer silencieusement et partir d'un pas pressé.
Hellen ferme la porte et, dans un calme presque surfait, me lance :
— As-tu perdu la tête ?
Face à son ton péremptoire, je ne peux m'empêcher de détourner le regard :
— Elle était ridicule et fatiguante.
Un silence s'abat sur la pièce et l'eau devient subitement froide. Un frisson me remonte l'échine.
— Comment te sens-tu ? dit-elle en faisant semblant de ne rien remarquer.
Je serre les doigts contre mes cuisses tout en essayant de trouver une réponse qui serait satisfaisante. Mais je n'en trouve aucune. Une larme s'écoule lentement sur ma joue et je la chasse avant de répondre :
— Que devrais-je ressentir d'après toi ?
Mon amertume bat si fort dans ma poitrine que mon chagrin s'étouffe au creux de mon estomac.
— Ma vie ne m'appartient pas.
Hellen me caresse tendrement les cheveux, mais je la repousse d'un geste de la main. Un sourire triste se dessine sur ses lèvres.
— C'est normal d'avoir peur et de se sentir lésé. Un nouveau monde va s'ouvrir à toi.
— Je n'en veux pas de ce monde d'artifice, de cette couronne ! Je veux vivre ma vie, tu comprends ? m'emporté-je.
L'impuissance transperce ma voix qui finit dans un murmure presque inodible. Pourquoi personne ne me comprend ?
Hellen expire bruyamment et se met à regarder par la fenêtre, pensive :
— Tu sais, Lisbeth, chaque personne a un rôle à jouer. Chaque personne trouve sa place et cela grâce aux Tescats. Ton tour viendra, tu trouveras un sens à tout cela. Fais confiance à la cérémonie qui à lieu dans trois semaines, et accepte ce qui t'es offert. C'est la clé de tous tes maux.
Offert ? Mon cœur rate un battement et la deception me poignarde de l'interieur. Une colère brulante perce le silence :
— Je ne pense pas qu'un jour j'arriverais à aimer ou à comprendre que l'on puisse inhiber ma vie sans mon accord.
Hellen me prit les mains et les serra avec tendresse :
— Abdiquer n'est pas une option pour toi, à part si la mort te paraît plus encline à te donner la liberté que tu veux. Le cas contraire, tu ne peux qu'accepter les événements et faire en sortes que ta vie soit la moins terrible possible pour toi.
Je me détourne vers la fenêtre. Je ne sais pas si j'en suis capable.
— Tu as fait un cauchemar, change-t-elle subitement de sujet.
Je savais bien que le véritable objectif de la discussion n'avait jamais été de me rassurer mais de savoir pourquoi j'avais hurlé dans mon sommeil. Je décide d'éluder la question.
— Ce n'est rien, juste un mauvais rêve.
Elle pose son regard sur mon flanc :
— Toujours le même ?
Je sens ses yeux crémeux fixer la cicatrice triangulaire et je frémis sans m'en rendre compte. Ses yeux rencontrent les miens :
— J'ai froid, Hellen. Je vais sortir du bain.
Le regard d'Hellen est inquiet. Le mien est résigné. Je ne peux pas lui dire que mon rève est en réalité un souvenir étrange dont je ne connais pas la provenance et qui m'est apparut bien avant aujourd'hui. Je baisse les yeux exténuée, je n'ai plus qu'un seul désir : m'endormir pour l'éternité et ne jamais me réveiller.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro