Chapitre 4 : Inquiétude
Ces mots tombèrent comme un couperet. La surprise se lisait sur les visages de ses compagnons. Felix ne parlait jamais vraiment de sa famille, encore moins de sa sœur. La révélation laissa tout le monde sous le choc, chacun comprenant à cet instant que les enjeux étaient encore plus personnels pour lui que ce qu'ils avaient imaginé.
— Comment... ? Comment c'est possible ? demanda Marcus, la voix pleine de confusion.
Felix leva les yeux, fixant un point invisible au loin.
— Ma soeur avait ... reçu la lettre avant moi. Elle était « morte » avant moi.
Cette révélation eut un impact dévastateur, suscitant des réactions exacerbées témoignant de la stupéfaction générale. Un silence oppressant s'installa, enveloppant le groupe dans un mutisme presque absolu.
Il expliqua que, dès son arrivée en ce lieu, son inquiétude pour sa sœur avait été tempérée par le contexte « rassurant » et ordonné du manoir. Cependant, cette tranquillité fut ébranlée récemment par une attaque, brisant l'illusion d'un havre de paix. La crainte de tout grand frère se concrétisait : sa petite sœur était en danger.
C'est pourquoi il considérait qu'il ne pouvait se permettre de s'engager dans une quête de vengeance, au risque de compromettre la seule et unique possibilité de retrouver celle qu'il avait toujours veillé à protéger. Il devait aller la chercher.
Il lui incombait, en l'honneur de ses parents et de sa propre intégrité, de retrouver sa petite sœur à tout prix. Dépourvu de moyens pour la contacter directement, Felix envisageait avec conviction que la capitale pourrait offrir des dispositifs de communication accessibles aux Élus.
Felix resta un instant silencieux après sa confession, le regard fuyant et le visage tendu, comme si les mots lui brûlaient encore la gorge. Finalement, il prit une profonde inspiration, tentant de contenir le flot de ses émotions, mais sa voix trahissait une peine immense.
— Windel... elle savait tellement de choses sur nous, dit-il, sa voix brisée d'une amertume à peine contenue. Elle connaissait nos capacités, nos origines... tout. Alors, si ces assassins ont su où nous trouver, il y a de grandes chances qu'ils sachent aussi où sont cachés les autres Élus.
Ses yeux se perdirent dans la lueur vacillante du feu de camp, mais son visage restait marqué par une détresse qu'il ne parvenait plus à cacher. À ces mots, Marcus fronça les sourcils, le doute et une certaine perplexité se lisant dans son regard. Il croisa les bras, cherchant à percer les intentions de son ami.
— Alors, pourquoi tu n'es pas resté avec Elias, si tu te faisais autant de soucis ? demanda-t-il, d'un ton à la fois direct et teinté de curiosité, comme s'il essayait de comprendre les contradictions de Felix.
Le visage de Felix se tendit encore plus. Ses mains tremblaient légèrement, comme si le simple fait d'entendre cette question le déstabilisait. Il leva les mains dans un geste désespéré, les laissant retomber avec une résignation silencieuse.
Ce simple mouvement, maladroit et lourd, disait tout ce que ses mots ne pouvaient exprimer. Il baissa la tête, ses lèvres tremblant avant de se tordre en une grimace douloureuse, les larmes se mettant à couler librement.
— J'ai toujours été... un enfant à problèmes, lâcha-t-il finalement, sa voix à peine plus qu'un murmure brisé par les sanglots. Je venais d'une famille aisée, aimante, mais je me battais tout le temps. Toujours à chercher les ennuis, à causer du souci à mes parents...
Il marqua une pause, cherchant à reprendre son souffle, mais les mots semblaient lui échapper, comme s'ils s'accrochaient à chaque battement de son cœur. Ses épaules secouées par les pleurs, il leva un regard embué vers Rita et Marcus, sa détresse s'affichant sur son visage.
— J'ai toujours pu protéger ma sœur, dit-il, mais ici... ici je ne peux pas ! Je... je n'ai plus le contrôle.
Ses poings se serrèrent jusqu'à en blanchir les articulations, et il pointa du doigt la forêt obscure autour d'eux, comme si elle était la cause de toute cette terreur.
— J'ai peur de la perdre... Peur qu'elle soit déjà morte, articula-t-il, la voix brisée par une souffrance presque insoutenable. Je... je n'ai pas envie de revivre cette sensation. Une seconde fois. Cette partie de moi que je pensais éteinte pour toujours, celle qui riait avec elle, qui la grondait quand elle entrait dans ma chambre sans frapper...
Sa voix se cassa à nouveau, et il se recroquevilla sur lui-même, submergé par la douleur qui se lisait sur chacun de ses traits. Ses sanglots se faisaient plus intenses, luttant pour sortir de sa gorge.
— Avec tout ce qui vient de se passer, j'ai peur... Peur de ce qui pourrait arriver si je devais la protéger seul. Peur... de fuir et de la laisser mourir. Et j'ai peur... j'ai peur de faire pareil avec vous ! acheva-t-il dans un cri étouffé, sa voix se brisant complètement, le corps secoué de spasmes alors que les larmes dévalaient ses joues.
Un silence lourd, presque tangible, retomba sur le groupe, les entourant comme un manteau glacé. Ils étaient jeunes, bien trop jeunes pour porter un tel fardeau.
Et pourtant, chacun comprenait, au fond de lui, la profondeur de la peur qui les unissait.
Un âge où vivre de telles épreuves pouvait-il jamais être acceptable ?
Non, il n'y en avait aucun.
Les visages de Marcus et de Rita restaient figés, leur respiration le seul bruit qui se mêlait au murmure nocturne de la forêt.
Après un moment qui sembla durer une éternité, Marcus, touché par les mots de son ami, se redressa légèrement et murmura, sa voix teintée d'une douceur inhabituelle :
— Moi aussi... j'ai une sœur. À vrai dire, je ne sais pas vraiment ce qu'elle pense de moi, mais sache que, de mon point de vue, tu es un grand frère admirable, Felix.
Felix releva la tête, surpris par la sincérité de Marcus, et un nouveau flot de larmes jaillit de ses yeux. Cette fois, c'était un mélange de douleur et de soulagement. Il fondit en larmes de manière encore plus intense, incapable de contenir le torrent d'émotions qui l'envahissait.
— Merci... murmura-t-il à travers ses sanglots, sa voix brisée mais empreinte d'une profonde reconnaissance.
Rita et Marcus ne perdirent pas une seconde de plus. Ils vinrent se serrer contre Felix, lui apportant une chaleur humaine et réconfortante dans ce moment de vulnérabilité extrême. Pendant de longues minutes, ils restèrent ainsi, en silence, le trio soudé par des sentiments qu'ils n'avaient jamais osé dévoiler.
Lorsque le calme revint, leurs esprits s'apaisant peu à peu, Marcus se recroquevilla sur lui-même, une ombre traversant son visage. Il hésita un instant avant de lâcher, d'une voix presque inaudible :
— Parfois, quand... quand je pense à ma famille, j'espère qu'ils sont effondrés. Détruits à l'idée de me savoir mort.
La phrase tomba comme un couperet, froide et brutale. Felix et Rita relevèrent la tête, l'incompréhension et la stupeur marquant leurs visages. Mais ils connaissaient Marcus. Ils savaient qu'il ne parlait pas à la légère.
Cette douleur qui l'habitait, elle était bien plus profonde que ce qu'ils avaient pu imaginer. Ils n'osèrent pas le questionner davantage, sentant que ce qu'il venait de dire était déjà une confession d'une lourdeur extrême.
Le silence se fit encore plus lourd, mais cette fois, Rita le sentit. Le moment était venu pour elle de se dévoiler, de partager à son tour une part de ses secrets. Et, d'une manière silencieuse, Felix et Marcus l'attendaient, même s'ils ne le disaient pas, même s'ils n'osaient pas la presser.
Mais Rita, la tête enfouie dans ses bras, se contenta de souffler, sa voix à peine plus forte qu'un murmure :
— Je... je vous raconterai ça une autre fois.
Ses mots, discrets mais emplis de tristesse, mirent fin à cette confession nocturne. Chacun d'eux portait un poids, un fardeau qu'ils n'étaient pas encore prêts à partager entièrement. Dans cette intimité forgée par la douleur et le réconfort, ils finirent par s'endormir, bercés par la rumeur de la forêt et les souvenirs amers de ce qu'ils avaient perdu.
Rita sombra dans un rêve étrange, où le monde semblait à la fois réel et irréel, baigné d'une lumière blanche et glacée. Seul le vide l'entourait, une sensation de solitude pesant sur son cœur.
— Je ne te pensais pas si cachotière, Rita, susurra une voix lointaine, résonnant dans son esprit comme un écho.
Elle fronça les sourcils, incapable de reconnaître cette voix, et demanda avec une méfiance palpable :
— Qui... qui es-tu ? Montre-toi !
La voix féminine émit un rire léger, presque moqueur, puis murmura avec malice :
— Et dire que vous étiez bien plus perspicaces dans cette forêt...
Rita comprit alors, ses yeux s'écarquillant sous l'effet de la révélation.
— Toi... murmura-t-elle, incrédule, mais avant qu'elle ne puisse en dire plus, une plume tomba lentement dans ses mains. Elle tendit les doigts pour la toucher, et au moment même où elle effleura la plume, la réalité se dissipa autour d'elle.
Elle se réveilla en sursaut, le soleil levant teintant l'horizon de ses premières lueurs. À ses côtés, Felix et Marcus dormaient encore, leurs visages marqués par la trace de leurs larmes. Mais la journée les attendait, tout comme les dangers à venir.
Rita se redressa doucement et, d'un geste doux mais ferme, secoua ses amis pour les réveiller. Felix fut le premier à réagir, se levant en sursaut après avoir été secoué. Marcus, lui, demeurait profondément endormi, insensible aux secousses.
Voyant cela, un sourire malicieux naquit sur les lèvres de Rita. Elle activa son jaya, leva la main, et, sans hésiter, gifla Marcus.
Le jeune français se redressa d'un bond, complètement désorienté par la claque. Par réflexe, il saisit sa dague, enveloppa la lame de jaya, et exécuta un geste rapide pour éloigner le danger.
Mais à sa grande surprise, son énergie jaillit de la lame sous la forme d'un projectile, reproduisant le mouvement qu'il avait exécuté.
Le tir frappa une cascade proche, délogeant quelques pierres qui chutèrent bruyamment dans l'eau. Rita, qui s'était trouvée dans la ligne de tir, se retrouva soudain projetée dans l'eau, éclaboussée de la tête aux pieds.
Pendant un instant, le silence plana, chacun figé par la surprise. Puis Marcus éclata de rire, un rire franc et inattendu, rapidement rejoint par Felix, dont l'hilarité résonna entre les arbres.
Rita, émergeant de l'eau trempée, fut accueillie par les rires de Felix et Marcus. Toutefois, son expression gênée et la montée de colère qui suivit l'incident ne firent qu'amplifier l'hilarité de la scène.
Déterminée à riposter, elle chargea un tir de jaya, prête à le lancer sur ses deux compagnons. Leurs rires redoublèrent, transformant la situation déjà cocasse en un moment encore plus comique.
Exaspérée, Rita finit par tirer sur la cascade par frustration. C'est alors que Marcus, remarquant un détail subtil, éclata de rire une fois de plus. Il expliqua à Felix que si Rita avait tiré sur la cascade, ce n'était pas par exaspération, mais simplement parce qu'elle n'arrivait pas à désamorcer son tir.
Rouge de honte, Rita leur ordonna de rassembler leurs affaires et de se préparer à partir. Respectant l'ordre, le groupe s'exécuta, saluant leur cheffe d'un geste militaire.
Une fois prêts, Marcus s'approcha de Rita pour la saluer convenablement, profitant de l'occasion pour s'excuser de sa réaction. Après leurs échanges de salutations, ils contemplèrent ensemble le cours d'eau.
Marcus, sceptique, demanda à Rita si elle croyait sincèrement en la possibilité de retourner dans leur monde. Elle resta d'abord silencieuse, puis posa une main sur son épaule avant de répondre :
— S'il n'y a pas d'espoir, à quoi bon accepter cette nouvelle vie qui nous a été donnée ?
Sans savoir quoi répondre, Marcus se contenta de hocher la tête avant de reprendre la route.
Il faisait chaud, mais les arbres leur offraient une ombre bienvenue, les protégeant des rayons directs du soleil. Après environ une heure de marche à travers la forêt, le groupe en émergea enfin.
Rita les guida vers un chemin qui, bien que légèrement plus long, les mettrait à l'abri des créatures locales. Ils marchèrent encore quelques heures avant de décider de manger tout en continuant leur progression, afin de ne pas perdre de temps.
C'est à ce moment-là qu'ils découvrirent un enfant, visiblement blessé, leur racontant qu'il avait été séparé de ses frères à cause d'un sanglier couvert de lianes qui les avait fait chuter dans la forêt. Émus par son récit, Felix et Rita décidèrent de lui venir en aide.
Marcus s'approcha de l'enfant avec précaution et lui demanda, bienveillant :
— Tu es sûr que ça va ?
Mais l'enfant éclata en sanglots. Felix, maîtrisant la technique du « pas collant », descendit le premier la pente abrupte, suivi de près par Rita. Marcus, quant à lui, resta avec l'enfant pour le rassurer avant de le descendre lui aussi afin de faciliter la recherche de sa famille.
Alors qu'ils appelaient les proches de l'enfant pour les localiser, une voix masculine se fit entendre, expliquant que le sanglier l'avait piégé dans un arbre. Tout à coup, une flèche vint se planter dans la jambe de Rita, et chaque membre du groupe se retrouva piégé.
Felix tomba dans un puits improvisé, Marcus fut captif d'un filet suspendu, tandis que Rita se retrouva attachée et soulevée dans les airs, une situation qui ne lui était pas inconnue. Cinq individus émergèrent des ombres, dont deux femmes. L'un d'eux s'exclama :
— Wow, c'est donc vrai, les Élus ne sont pas une légende.
— Je pensais que ce n'était que des histoires pour nous effrayer, renchérit une autre.
Les trois Élus, déconcertés, ne comprenaient rien à leur conversation. C'est alors qu'une jeune femme mexicaine les interrogea :
— On est bien d'accord, vous n'êtes pas de la même famille que ce gamin ?
Un homme d'une trentaine d'années répondit avec un sourire large que non.
À cette déclaration, chaque Élu se libéra de ses liens. Felix utilisa son jaya pour sortir du trou, érigeant un mur de terre en guise de défense. Marcus, de son côté, découpa les filets qui le retenaient, ainsi que ceux de Rita.
Une fois au sol, les Élus prirent Rita et l'enfant et s'enfuirent en remontant la pente abrupte.
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