Chapitre 11 : Erreur
Liraha, le teint livide, luttait pour maintenir sa concentration. Elle s'approcha de Norio, ses gestes précis malgré la fatigue écrasante qui pesait sur elle. Posant ses mains tremblantes au-dessus des moignons sanguinolents, elle invoqua son Blund, l'énergie vitale qu'elle maîtrisait, pour sceller les blessures.
La lumière pâle de son pouvoir vacillait, reflet de ses forces qui s'amenuisaient à chaque instant. Un filet de sang s'écoula de son nez, témoignage du prix qu'elle payait pour cet acte.
Lorsque le travail fut achevé, elle chancela, prenant un court instant pour retrouver son souffle. Ses paupières papillonnaient, mais elle tint bon. Après un moment de silence, ils se remirent en route, retournant vers Felix, qui recouvrait peu à peu ses forces grâce aux soins déjà prodigués.
L'enfant qui avait frappé Liraha était resté auprès de Felix, assis en silence. Ses poings, encore serrés, trahissaient la colère qui continuait de bouillonner en lui.
Marcus scrutait la scène avec méfiance. Une trêve fragile s'était imposée, mais elle semblait irréelle après tant de violence et de haine. Il se demandait pourquoi Liraha, leur ennemie, les aidait si docilement. Il y avait là un mystère qu'il ne pouvait ignorer. Son instinct le poussait à la surveiller.
— Je vais descendre vérifier quelque chose dans les souterrains, dit-il brusquement, brisant le silence.
Il les laissa derrière lui, son arme prête, et s'enfonça dans l'obscurité oppressante des décombres. À chaque pas, le poids du silence semblait s'alourdir, l'air devenant plus dense, chargé de poussière et d'une odeur métallique persistante. Ses bottes résonnaient contre la pierre, un son creux et sinistre qui semblait aspiré par les ténèbres environnantes.
Arrivé au fond des sous-sols, Marcus s'immobilisa, son souffle suspendu. Ce qu'il vit devant lui dépassait l'entendement. Une scène de carnage indescriptible s'étalait sous ses yeux : des corps disloqués, une violence si extrême que les restes de Minth, l'un de leurs adversaires, étaient méconnaissables.
Tout semblait indiquer qu'il avait été écrasé, réduit à l'état de chair informe, mais aucune arme, aucun signe de la force responsable n'était visible. C'était comme si une puissance invisible et implacable s'était déchaînée.
Le cœur au bord des lèvres, Marcus détourna le regard et inspira profondément pour calmer la nausée qui montait. Un mouvement faible attira son attention. Trois enfants étaient là, recroquevillés dans un coin sombre, les yeux agrandis par la terreur. Ils étaient les seuls survivants du massacre.
Il s'approcha doucement, ses mots apaisants cherchant à rompre leur torpeur. Prenant deux des plus jeunes dans ses bras, il murmura au troisième, plus âgé :
— Ferme les yeux et attrape mon bras. On s'en va.
L'enfant obéit d'un mouvement tremblant, et Marcus les guida hors de cet enfer. Lorsqu'ils remontèrent à la surface, la lumière grise du jour sembla presque irréelle après l'ombre suffocante des souterrains. Tous se rassemblèrent, le regard perdu, épuisés. Ils n'étaient plus qu'un groupe disparate, unis par une volonté commune de fuir cet endroit maudit.
— On ne peut pas rester ici, déclara Marcus avec gravité. On doit partir... et vite.
Ils se dirigèrent vers un hangar proche, un bâtiment délabré que Marcus avait repéré plus tôt. Derrière des bâches couvertes de poussière se trouvaient des charrettes aux structures métalliques élégantes, mais dépourvues de tout animal pour les tirer. Un étrange désespoir s'empara de Rita, qui observait ces véhicules inachevés avec incompréhension.
C'est alors que Liraha, toujours agenouillée avec les mains liées, parla d'une voix calme et résignée, brisant le silence.
— Ces charrettes n'ont pas besoin d'animaux. La longe utilise le Blund du conducteur pour s'attacher au vent. Il suffit de les saisir pour invoquer cette connexion.
Ses mots, bien que posés, portaient une lassitude qui troubla Marcus. Il la fixa, cherchant un indice de duplicité ou de malice dans son regard. Mais il n'y trouva rien d'autre qu'un abîme de fatigue et de désespoir. Après une hésitation, il hocha la tête.
Rita et Felix prirent chacun place sur une charrette, essayant d'activer le mécanisme que Liraha avait décrit. Pendant ce temps, Marcus monta la garde, ses sens en alerte, prêt à défendre leur fuite.
Le groupe, désormais fracturé mais tenu ensemble par une nécessité partagée, s'apprêtait à quitter ces terres marquées par la mort et la trahison. Mais une question hantait encore Marcus : ce voyage les mènerait-il vers un espoir, ou simplement vers une autre étape de leur descente aux enfers ?
Cependant, il restait une dernière tâche à accomplir, une épreuve aussi sinistre qu'indispensable : rendre justice aux morts. Chaque fois que Rita remontait un corps sans vie des profondeurs, son visage se voilait de larmes, et son souffle devenait plus court, comme si le poids des âmes qu'elle portait lui écrasait les épaules.
Autour d'elle, une atmosphère lourde régnait, empreinte de solennité. À genoux dans la poussière et le sang, elle déposait chaque dépouille sur les charrettes avec un respect douloureux, ses mains tremblantes découvrant les chairs meurtries et le sang coagulé, vestiges d'un massacre impitoyable.
Les survivants, écrasés par la gravité de leur tâche, alternaient entre la détermination implacable de ceux qui n'ont plus le choix et le désespoir de ceux qui savent que rien ne ramènera les morts. Ces corps, figés dans une éternité tragique, étaient autant de témoins silencieux de l'horreur qu'ils avaient subie.
Rita continua, un pas après l'autre, traînant son fardeau au bord de l'effondrement. Mais à mesure que le temps s'étirait comme un abîme sans fin, son esprit cédait. Elle finit par s'écarter, les épaules secouées par des sanglots qu'elle ne pouvait plus contenir.
Felix, malgré sa jeunesse, prit le relais. Mais le garçon, encore frêle face à la réalité de la mort, ne tarda pas à trébucher sous le poids de la tâche, vomissant à même le sol. Finalement, ce fut à Marcus de terminer ce sombre labeur. Les muscles bandés par la fatigue, il hissa les dépouilles sur les charrettes, une par une, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que quelques-unes.
Alors qu'il essuyait son front, le plus âgé des jeunes Élus, un adolescent, s'approcha timidement, ses yeux craintifs trahissant une douleur qu'il portait depuis bien plus longtemps que cette nuit seule.
— Il reste un autre corps... murmura l'adolescent. Tout au fond.
Marcus pensa d'abord à Minth, mais l'enfant secoua la tête avec véhémence.
— Pas lui. Il n'en vaut pas la peine. Un autre... quelque chose... là-bas.
Intrigué, Marcus descendit de nouveau, franchissant une série de draps effilochés qui masquaient une chambre dissimulée. Là, dans les ténèbres oppressantes, il découvrit une scène glaciale : des cuves d'acier noirci par l'usage, disposées en cercle comme un autel maudit, et au centre, un dernier corps. Celui d'un enfant, enroulé sur lui-même, son visage paisible dans la mort malgré l'horreur de son destin.
Avec une révérence silencieuse, Marcus enveloppa le corps dans un drap et le porta jusqu'à la lumière. Mais une ombre dans son esprit le poussa à retourner dans la pièce. Quelque chose en cet endroit, une insistance étrange, semblait réclamer son attention.
Plongé dans un mélange de rage et de détermination, il s'avança jusqu'aux machines. Ces artefacts mécaniques, faits de rouages complexes et de runes gravées, résonnaient encore des échos de leur sinistre usage.
Il savait qu'il devait détruire tout cela, mais avant, il fallait comprendre. L'endroit était le cœur d'une abomination, et Marcus comptait l'arracher à la mémoire de ceux qui l'avaient conçu.
Sortant son Vault, un artefact cristallin utilisé pour archiver des fragments d'énergie et de savoir, il commença à enregistrer chaque recoin de la salle. Les lumières de son dispositif reflétaient les surfaces des cuves et des instruments comme des feux follets sur des eaux mortes. Tout ce qu'il voyait — plans, gravures, symboles — était empreint d'une complexité terrifiante.
À travers son exploration, il trouva des pierres étranges, semblables à des diamants, de petits prismes éclatants et des sphères plus grandes. Ces pierres vibraient faiblement lorsqu'il les touchait, comme si elles contenaient un fragment de Blund, emprisonné dans un sommeil torturé. Elles semblaient intimement liées au fonctionnement des machines.
Poussant son investigation plus loin, Marcus découvrit une console sur laquelle étaient entreposés des documents d'une valeur inestimable. Des cartes gravées, des organigrammes, des catégories pouvoir, des descriptions d'autres sites.
Il tomba même sur les schémas détaillés des cuves infernales. Ses doigts s'activèrent avec fébrilité, transférant les données vers son Vault, mais bientôt il réalisa que l'artefact ne pourrait contenir qu'une infime partie de ce trésor d'informations.
Il remonta à la surface et appela Rita et Felix, leur voix brisant l'épais silence :
— Descendez. Vite !
Les deux accoururent, hésitant d'abord à s'aventurer à nouveau dans les ténèbres. Pourtant, l'appel à la connaissance était irrésistible. Une fois à ses côtés, ils écoutèrent ses explications et connectèrent leurs propres Vaults au système. Ensemble, ils parvinrent à sauvegarder une fraction de ce savoir maudit, divisant le fardeau entre eux.
Alors qu'ils remontaient une dernière fois, le poids de ce qu'ils avaient découvert semblait plus lourd que celui des corps qu'ils avaient portés. Mais Marcus savait qu'au-delà des horreurs, ces informations étaient une clé — peut-être leur unique espoir d'empêcher qu'un tel cauchemar ne se reproduise ailleurs.
Rita, ses pensées en tumulte, s'attarda un instant près des sphères cristallines. Ces pierres mystérieuses, lisses et lumineuses comme des étoiles figées, semblaient contenir un secret qu'elle ne pouvait encore percer.
Elle en prit deux avec précaution, puis rassembla les autres dans un sac improvisé, noué à partir d'un drap déchiré. Une sensation de déjà-vu la traversa, fugace mais troublante, tandis que ses yeux se perdaient dans les reflets envoûtants des cristaux.
Ils savaient ce qu'il leur restait à faire. Ce lieu devait être réduit en cendres, effacé pour que ses horreurs ne puissent jamais se reproduire. Malgré l'épuisement qui s'abattait sur elle comme un poids immense, Rita se redressa et donna des ordres, sa voix brisant le silence :
— Éloignons les corps. Ils ne doivent pas être pris dans les flammes. Attendez mon signal. Ensuite... nous mettrons fin à ce cauchemar.
Elle déplaça la charrette avec effort, les muscles tremblants mais résolus, pendant que Marcus et Felix préparaient l'arsenal nécessaire pour détruire le site. Lorsque son signal fut donné, le rugissement des explosions retentit.
Les flammes jaillirent avec une violence furieuse, léchant les murs de pierre et dévorant les machines comme un prédateur affamé. Le sous-sol se transforma en un brasier infernal, chaque éclat de lumière mettant un terme à des années de cruauté et de souffrance.
Les trois compagnons observaient à distance, figés dans une contemplation silencieuse. Les flammes illuminaient leurs visages fatigués, sculptant leurs traits d'ombres profondes et de lueurs orangées.
Rita, haletante, serrait dans ses mains les deux sphères cristallines. Leur surface semblait absorber les éclats des flammes, capturant une part de l'enfer qu'elles éclairaient. Une grimace de douleur mêlée de détermination se dessinait sur ses lèvres.
Felix, plus jeune, restait en retrait, ses yeux fixés sur les volutes de fumée noire s'élevant vers le ciel. Sa main tremblait légèrement, non plus de peur, mais d'une colère muette. Il semblait chercher, dans cette destruction, une sorte de rachat pour ce qu'ils avaient dû faire pour survivre.
Quant à Marcus, il se tenait un peu à l'écart, les bras croisés sur sa poitrine. Son regard perçant suivait les flammes dans leur danse destructrice, les pensées alourdies de questions sans réponses.
Il revoyait les cuves, les minéraux cristallins, les machines imprégnées d'énergie du Blund, et les données qu'ils avaient extraites. Tout cela dépassait leur compréhension immédiate, mais une chose était certaine : ce lieu n'était qu'une pièce d'un échiquier bien plus vaste et dangereux.
Finalement, il se détourna du brasier, le visage fermé. Il hocha la tête vers ses compagnons, son geste grave indiquant qu'il était temps de partir.
— Nous avons détruit ce que nous pouvions, dit-il d'une voix basse, presque pour lui-même. Mais ce n'est pas la fin. Ce n'est qu'un début.
Ils reprirent place sur les charrettes, chacune chargée non seulement de corps et de cristaux, mais aussi du poids de leurs découvertes. Marcus marcha en tête, scrutant l'horizon pour détecter la moindre menace, tandis que Felix et Rita guidaient les charrettes hors des ruines.
Alors que les premiers rayons de l'aube percent l'horizon, la fumée noire qui s'élève derrière eux forme une colonne spectrale, symbole de la fin d'un cycle et de la naissance d'un autre. Rita, les mains crispées sur les rênes, jetait parfois un regard en arrière. Sa voix tremblait légèrement lorsqu'elle rompit enfin le silence :
— On a fait ce qu'on devait faire, Marcus. Pas vrai ? Tu crois que... c'était suffisant ?
Marcus ne répondit pas tout de suite. Il fixait l'horizon, son regard brûlant d'une résolution nouvelle. Finalement, il répondit, d'une voix basse mais lourde de promesses :
— Suffisant, je ne sais pas. Mais c'était nécessaire. Il faut juste espérer que ça nous mène quelque part.
Rita hocha doucement la tête, les mots résonnant comme une vérité douloureuse mais incontournable. Et tandis qu'ils avançaient vers l'inconnu, une lueur d'espoir — fragile mais persistante — semblait briller quelque part dans le lointain, au-delà des cendres et du feu.
Alors que les charrettes s'éloignaient des ruines fumantes, un vent glacé se leva, s'insinuant entre les flammes mourantes et dissipant les cendres dans un tourbillon spectral. Le sifflement du vent, mêlé au grincement des roues et aux craquements du bois, formait une mélodie funèbre. C'était comme si le site lui-même pleurait les âmes perdues et la sombre vérité qu'il abritait.
Marcus, Rita et Felix avançaient en silence, chacun perdu dans ses pensées. Le poids de leur victoire amère et des secrets qu'ils transportaient se faisait sentir, une ombre pesant sur leurs épaules. Ils avaient arraché ces informations à un lieu maudit, mais la question demeurait : à quel prix ?
Dans les Vaults qui se balançaient à leur poignet, des fragments de vérités volées dormaient, codifiés et dissimulés dans des cristaux de lumière multicolore. Les éclats de données qu'ils avaient récupérés se mêlaient à leurs propres souvenirs, leurs propres archives, comme des intrus silencieux. Pourtant, aucun d'entre eux ne se doutait que quelque chose d'étrange avait eu lieu.
Au cœur des ruines, sous les décombres et les flammes, une lueur inquiétante persista. Une machine, dissimulée dans l'ombre des cuves détruites, s'était activée lorsque le transfert avait commencé.
Ses lumières clignotaient faiblement, d'un rouge qui pulsait au rythme d'une horloge invisible. À l'instant où les Vaults des Élus s'étaient connectés, un échange s'était établi – non pas un simple vol, mais une étrange symbiose.
Les cristaux récupérés, imbibés de l'énergie résiduelle du Blund, s'étaient illuminés brièvement. Comme un battement de cœur, ils pulsaient en silence, établissant une connexion indéchiffrable.
Des schémas ésotériques défilaient sur des écrans imaginaires au plus profond des Vaults, trop complexes pour être interprétés par leurs propriétaires. Rita, Felix et Marcus ne pouvaient percevoir ces manifestations subtiles ; ils étaient concentrés sur leur fuite et leur avenir incertain.
Mais à chaque secousse des charrettes, à chaque tour de roue, quelque chose s'insinuait dans leurs artefacts. Des données enfouies dans le système du complexe avaient été glissées dans leurs Vaults – des plans, des images, des schémas de structures inconnues.
Pourtant, en échange, leurs propres dispositifs avaient commencé à émettre. Lentement, presque imperceptiblement, ils diffusaient une partie d'eux-mêmes dans une trame mystérieuse.
Au loin, dans un endroit inconnu et insondable, une table ronde virtuelle s'illumina d'une série de points scintillants. Des silhouettes indistinctes, enveloppées de ténèbres, se rassemblèrent autour de la lumière.
Une voix douce mais tranchante s'éleva parmi elles :
— Des mécréants ont parlé. Ils portent des secrets, mais ils ont aussi offert les leurs. Des identités. Des aptitudes. Des coordonnées.
Un murmure s'éleva, puis retomba, comme une vague se brisant contre un rivage invisible. Une autre voix, plus grave, répondit :
— Que faire ?
La silhouette centrale, plus haute et plus imposante, se leva lentement. Le rouge d'une lueur subtile effleura son visage, le dissimulant plus qu'il ne le révélait.
— Nous les traquerons. Mais pas encore. Laissons-les croire qu'ils ont gagné. Ce qu'ils portent nous intéresse bien plus que leur existence.
La lumière s'éteignit brusquement, plongeant la scène dans l'obscurité totale.
Sur la route, ignorant l'éveil d'une force bien plus vaste qu'eux, Marcus, Rita et Felix continuaient leur fuite. Marcus scrutait l'horizon, toujours alerte, tandis que Rita, les mains serrées sur les rênes, jetait des coups d'œil vers les Vaults à son poignet, ressentant une étrange vibration. Félix, assis à l'arrière, fixait les cristaux dans le sac, fasciné par leur éclat vacillant.
Une ombre planait sur leur chemin, mais ils n'en savaient rien. La route s'étendait devant eux, infinie, pleine de dangers invisibles et de promesses tissées de fils incertains.
Le trajet s'était déroulé dans un silence oppressant, seulement troublé par le bruit des roues et le grincement des charrettes sur le chemin caillouteux. Personne ne parlait. Chaque mot semblait superflu, chaque phrase une intrusion dans le poids écrasant des souvenirs qui les assaillaient dès qu'ils fermaient les yeux.
Rita, les mains crispées sur les rênes, se revoyait remontant les corps un à un, ses muscles brûlant sous l'effort. Les visages des enfants, figés dans une expression de peur, revenaient sans cesse. Elle l'avait posé délicatement sur la charrette, mais son image restait gravée dans sa mémoire.
Felix, à l'arrière, sentait encore la nausée qui l'avait submergé en voyant ces machines infernales, et les cuves où le pire des sorts aurait pu être réservé à chacun d'eux. Marcus, lui, revoyait les flammes, les explosions, et surtout ce dernier regard qu'il avait échangé avec le jeune garçon avant qu'il ne tombe.
Ils avaient tous essayé, en vain, de chasser ces visions, mais à chaque clignement de paupières, elles revenaient plus vives, comme des ombres indélébiles sur leur esprit.
L'aube les accueillit enfin lorsqu'ils arrivèrent devant le manoir. C'était une bâtisse immense et décrépite, vestige d'un temps où elle avait sans doute abrité des éclats de vie, mais qui n'offrait plus que des murs noircis par le temps et des fenêtres béantes comme des orbites vides. Cette maison, autrefois refuge pour les enfants qu'ils venaient de sauver, semblait à présent un mausolée.
Felix descendit le premier, ses jambes flageolant sous la fatigue. Il se dirigea vers la charrette de Rita pour l'aider, mais la trouva immobile, figée sur son siège. Son regard vide semblait perdu dans un ailleurs inaccessible. Il l'appela doucement :
— Rita ? Ça va ? Rita !
Pas de réponse. Il dut claquer des mains, un son sec qui résonna dans le calme sinistre du matin.
Rita sursauta, levant les bras pour se protéger dans un réflexe défensif. Ses yeux s'écarquillèrent, et son souffle s'accéléra comme si elle avait été arrachée d'un cauchemar.
— Je... désolée, murmura-t-elle en reprenant ses esprits, haletante. J'étais juste... en train de penser. C'est rien.
Elle descendit maladroitement de la charrette, mais s'arrêta net, son regard balayant l'extérieur du manoir. Elle fronça les sourcils et lança :
— Les garçons ? Il n'y a pas de jardin...
Ils se figèrent. Le terrain autour de la maison n'était qu'un champ de terre battue, stérile et vide. Une vérité brutale les frappa alors : ils n'avaient pas de plan. Ils avaient agi à l'instinct, portés par la rage et la nécessité, mais ils n'avaient aucune idée de ce qu'il fallait faire ensuite.
— Et maintenant ? murmura Felix, brisant le silence.
Marcus, le visage sombre, se passa une main sur le front, massant ses tempes comme pour calmer un mal de tête insupportable. Felix, lui, perdit patience le premier et jura violemment, frappant du poing sur le bois de la charrette.
— On n'aurait jamais dû prendre autant de risques ! On est fichus ! Ils savent peut-être déjà où on est !
Rita, encore tremblante, tenta de garder son calme malgré la montée de panique générale.
— Felix... s'il te plaît, arrête. On va trouver une solution. Mais il faut réfléchir et...
Elle fut interrompue par une voix douce mais hésitante, presque un murmure.
— Excusez-moi ?
Ils se tournèrent, surpris, pour découvrir une jeune fille qui les observait depuis l'ombre de la porte du manoir. Elle était frêle, à peine âgée de douze ans, sa peau noire éclairée par la lumière du matin. Ses yeux brillaient d'une intelligence inquiète.
— J-je pense pouvoir vous aider, dit-elle.
Marcus plissa les yeux.
— Tu es sûre de toi ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête, sa voix se brisant légèrement.
— Oui. Avant que... tout arrive. Je connais la maison. Il y a... peut-être un endroit où nous cacher.
Des murmures d'inquiétude s'élevèrent de l'intérieur du manoir. Ils n'étaient pas seuls : d'autres enfants, leurs visages encore marqués par la terreur, se cachaient derrière les portes, chuchotant entre eux. Malgré tout, la jeune fille s'avança.
— Attendez, dit-elle en inspirant profondément.
Elle franchit le seuil et se retrouva dehors. Ses pas étaient lents, hésitants, comme si chaque mètre parcouru l'éloignait un peu plus d'une sécurité fragile. Elle s'arrêta devant la maison, regardant l'immense bâtisse avec une peur qui se lisait clairement sur ses traits.
— Tu es sûre de pouvoir nous aider ? demanda Rita doucement.
La jeune fille hocha la tête, même si son regard trahissait une appréhension qu'elle ne parvenait pas à dissimuler.
— Oui. Il y a une pièce secrète... mais vous devez me suivre. C'est... juste après l'entrée. Venez.
Elle entra, ses pas résonnant sur le sol carrelé de l'entrée. Derrière elle, les trois Élus échangèrent un regard. Aucun d'eux n'avait confiance, mais ils n'avaient pas d'autre choix.
Et ainsi, guidés par cette frêle enfant dont le courage semblait sur le point de se briser à chaque instant, ils avancèrent, les ombres du manoir se refermant sur eux.
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