Chapitre 4 bis : OmniVault
Brisant le silence, une jeune femme élancée à la peau dorée s'avança au centre de la pièce.
— On dirait que ce truc nous a... synchronisés, dit-elle, sa voix empreinte de méfiance. Quel genre de technologie peut faire ça ?
Un homme un peu plus âgé, qui avait jusque-là observé en retrait, croisa les bras, la mâchoire serrée.
— Technologie ? Ça pourrait tout aussi bien être de la magie. On est dans un autre monde, après tout. Est-ce que quelqu'un ici a encore envie de faire semblant que tout ça est normal ?
Les paroles jetèrent un froid. Chacun se renferma un peu plus dans son propre silence, comme pour éviter d'affronter l'évidence qui planait sur eux tous.
Marcus observa l'échange sans participer, son esprit accablé par un tourbillon de pensées. L'idée d'un autre monde, d'être pris dans une mécanique qui les dépassait, lui donnait le vertige. Ses mains tremblaient légèrement, mais il les serra pour reprendre le contrôle.
Deux des Élus brisèrent l'atmosphère lourde en engageant une conversation, leurs voix nerveuses et hésitantes trahissant un besoin désespéré de rationaliser ce qu'ils vivaient.
— Je m'appelle Alexander Vind, lança l'un d'eux avec un sourire forcé, ses cheveux blonds légèrement en bataille. Suédois. Et toi ?
L'autre garçon, un brun d'une vingtaine d'années, esquissa un rire nerveux.
— Jules Martin. Français. Content de voir que je ne suis pas le seul européen ici.
Marcus ne put s'empêcher de sourire, bien qu'amèrement.
— Vous êtes ici depuis combien de temps ? demanda-t-il, brisant son mutisme.
Alexander haussa les épaules, son regard trahissant une fatigue accumulée.
— Trois semaines, je dirais. On n'a pas vraiment de moyens fiables pour suivre le temps ici.
— Trois semaines ? répéta Marcus, incrédule.
Jules acquiesça.
— Et toi, t'es arrivé quand ?
— Aujourd'hui. Quelques heures à peine. Je suis la dernière « brebis » et sûrement la dernière pièce du puzzle, répondit-il, la voix rauque.
Le mot « puzzle » sembla éveiller quelque chose chez les autres. Jules fronça les sourcils, soudain pensif.
— Attends... s'écria-t-il, presque pour lui-même. Quand notre guide disait qu'on ne pouvait pas partir tant qu'on n'était pas au complet... il voulait dire tous les Élus, pas juste ceux de notre groupe.
Le poids de cette réalisation frappa la petite assemblée comme un coup de massue. Chacun digérait lentement cette vérité : ils n'étaient pas là par hasard, ni même par accident. Chaque pas, chaque événement semblait suivre un plan préétabli, et leur simple présence ici faisait partie d'un dessein plus vaste.
Un garçon à la silhouette frêle, les cheveux bouclés, murmura presque pour lui-même :
— Tout ça... c'est orchestré, pas vrai ? Rien de ce qu'on fait n'a jamais été laissé au hasard.
Marcus sentit un frisson courir le long de son échine.
— Alors on n'a pas vraiment le choix, conclut-il dans un souffle. Peu importe ce qui nous attend, il attendait juste que nous soyons tous là pour commencer.
Un silence pesant s'abattit à nouveau sur le groupe. L'air lui-même semblait chargé d'une tension électrique, comme si quelque chose, ou quelqu'un, les observait depuis les ombres.
Et dans le cœur de Marcus, un seul mot résonnait : piège.
Un frisson parcourut l'assemblée. L'idée que leurs actions, leurs déplacements, jusqu'à leur incapacité à sortir, faisaient partie d'un plan plus vaste et précis, ajoutait une couche de mystère et de méfiance. Ils n'étaient pas seulement des participants, mais des pièces dans un jeu savamment organisé.
Alors qu'ils marchaient dans la ville, un frisson imperceptible traversa le groupe. Laquis n'avait rien d'une ville normale. Chaque rue pavée, chaque bâtiment, semblait dissimuler un secret. Les fenêtres ornées d'arabesques métalliques semblaient observer les passants, et les rares habitants qu'ils croisaient murmuraient dans une langue inconnue, leurs regards furtifs glissant sur eux comme s'ils n'étaient que des ombres.
— Vous pensez que c'est une bonne idée de continuer ? murmura l'un des garçons, brisant le silence.
Marcus jeta un coup d'œil aux alentours. La nuit s'épaississait, et l'étrange lumière des lampadaires, d'un blanc presque spectral, ne faisait qu'amplifier le sentiment d'être épié.
— Peut-être pas, admit-il, le ton un peu raide. Visiter une ville inconnue, la nuit, dans ce... monde, c'est sûrement un pari risqué.
Le groupe s'arrêta à un croisement. Après quelques regards échangés, un consensus silencieux se forma. Ce n'était pas le moment de tenter le diable. Ils échangèrent des salutations brèves, empreintes d'une certaine nervosité, avant de se séparer. Deux garçons accompagnèrent la jeune fille du groupe, tandis que Marcus reprit le chemin par lequel il était arrivé.
Laquis semblait différente en sens inverse, comme si la ville elle-même cherchait à le désorienter. Les ruelles étroites se succédaient, chacune semblant identique à la précédente, et Marcus dut demander son chemin à plusieurs passants. Ils répondaient tous d'un geste vague ou d'un mot bref, évitant de le regarder dans les yeux. Le malaise grandissait en lui.
Lorsqu'il parvint enfin au dôme de téléportation, deux silhouettes familières l'attendaient déjà. C'étaient deux des Élus qui l'avaient accompagné chez le marchand. Ils lui jetèrent un regard rapide, mais aucun mot ne fut échangé. Leurs traits étaient tendus, et Marcus sentit un poids invisible peser sur leurs épaules, comme s'ils avaient deviné quelque chose qu'il ne comprenait pas encore.
Il observa le dôme un instant. La lumière qui en émanait pulsait doucement, comme une respiration lente et régulière. Il hésita. Traverser à nouveau ce portail, retourner au manoir... une partie de lui voulait rebrousser chemin, explorer davantage cette ville énigmatique. Mais il savait que ce n'était ni le lieu ni le moment pour cela. Il inspira profondément et franchit le portail.
La transition fut aussi étrange et déstabilisante que la première fois. Lorsqu'il ouvrit les yeux, le manoir s'étendait devant lui, imposant et immobile sous un ciel noir d'encre. Le silence y était presque oppressant, comme si l'endroit retenait son souffle. Marcus avançait d'un pas lent, ses pensées embrouillées par les événements de la soirée.
Alors qu'il atteignait enfin l'entrée principale, une voix familière et légèrement moqueuse le fit sursauter.
— Je vois qu'on a pris le même chemin, lança Rita Quezada avec un sourire en coin.
Marcus se retourna, agacé.
— Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-il sèchement. Si ta chambre était de ce côté, je l'aurais remarqué.
— Ah, donc tu fais attention à moi ? rétorqua-t-elle, feignant la surprise. Je vais finir par croire que tu m'apprécies.
Il grogna, préférant ne pas répondre. Mais avant qu'il ne puisse poursuivre son chemin, elle s'avança à sa hauteur, le sourire toujours accroché à ses lèvres.
— Sérieusement, lâcha-t-elle finalement, un peu plus sérieuse. Ils ont changé ma chambre. Mon ancien groupe ne voulait plus de moi parce que je suis... disons, un peu trop franche. Donc me voilà. Avec toi.
Marcus s'arrêta net.
— Attends... quoi ? Ta chambre est où, exactement ?
Elle pointa du doigt une porte non loin devant eux. La sienne.
Un mauvais pressentiment se déploya dans sa poitrine. Il fronça les sourcils.
— Ils t'ont mis dans ma chambre ?! s'exclama-t-il, un mélange de surprise et de confusion dans la voix.
— Apparemment, c'est temporaire, répondit-elle avec un haussement d'épaules. C'est ça ou dormir dans les couloirs. Personnellement, je trouve ça... amusant. Toi, peut-être moins ?
— Ne fais pas de bruit, grogna-t-il avant d'entrer.
Rita haussa un sourcil mais le devança sans un mot. Une fois à l'intérieur, Marcus sentit l'atmosphère pesante du manoir se refermer autour de lui, comme un étau. Il ne savait pas ce que cette nuit, ou les suivantes, allaient lui réserver. Mais il avait une certitude : cette étrange cohabitation ne serait pas de tout repos.
À peine avait-il franchi le seuil qu'une vision le cloua sur place : son lit, celui où il espérait enfin trouver du répit, était maintenant occupé par Rita. Elle était confortablement installée, un livre à la main, comme si de rien n'était.
— Sérieusement ? lâcha-t-il, les sourcils froncés.
Rita leva les yeux, un sourire narquois sur les lèvres.
— Oh, tu es là. Parfait. Je me demandais justement si tu allais tarder à venir vérifier.
Il inspira profondément pour se contenir, mais l'agacement dans sa voix était palpable.
— Ce. N'est. Pas. Ton. Lit.
Elle haussa les épaules d'un air désinvolte, posant son livre sur le chevet.
— Apparemment, si. Les autres ont décidé que ma chambre actuelle ne me convenait pas. Trop de gens qui ne parlent pas ma langue. Alors voilà, ils m'ont transférée ici. Sympa, non ?
Marcus sentit la colère bouillonner en lui. Cette réponse nonchalante, ce ton moqueur... C'en était trop.
— Mon lit, vraiment ? Tu n'as rien trouvé de mieux ? dit-il, la mâchoire crispée.
Rita lui lança un regard faussement innocent.
— Écoute, ce n'est qu'un lit. Trouve-toi un autre coin pour la nuit. Tu es malin, non ?
Cette phrase, bien que dite sur un ton léger, le fit exploser intérieurement. Il ferma les poings, pivota sur ses talons, et quitta la pièce sans un mot, claquant violemment la porte derrière lui.
Marcus erra dans les couloirs du manoir, sa colère le tenant éveillé malgré la fatigue qui pesait sur son corps. Les couloirs semblaient interminables, chaque virage révélant des pièces qu'il n'avait jamais vues auparavant. Parfois, il s'arrêtait pour examiner des tableaux poussiéreux ou des meubles anciens, espérant que l'un d'eux lui offre une distraction, une réponse, ou au moins un semblant de logique dans ce chaos.
Mais plus il marchait, plus le manoir semblait jouer avec lui. Ses pas résonnaient dans le vide, et les ombres dansaient sur les murs à la lueur des rares chandeliers. Il n'avait aucune idée de l'heure qu'il pouvait être, mais il savait qu'il était tard. Très tard.
Après ce qui lui sembla être des heures d'errance, il trouva enfin une porte qui attira son attention : celle du bureau de Mme Windel. Il reconnut les initiales gravées dans le bois élégant, et une lueur d'espoir illumina son esprit fatigué. Peut-être pourrait-elle résoudre cette absurdité. Peut-être qu'elle le soutiendrait.
Il frappa à la porte. Trois coups nets et précis.
Une voix douce et familière lui répondit de l'autre côté.
— Entre.
Marcus ouvrit lentement la porte, s'attendant à voir Mme Windel derrière son bureau. Mais à sa grande surprise, la pièce était vide. Aucun signe de vie. Juste des étagères remplies de livres, un fauteuil près de la fenêtre, et une lampe qui diffusait une lumière tamisée.
Il fronça les sourcils, l'incompréhension se mêlant à une légère inquiétude. Il était sûr de l'avoir entendue. Sa voix, claire et distincte. Elle était là, juste derrière la porte... n'est-ce pas ?
Il fit quelques pas dans la pièce, son regard balayant les lieux à la recherche d'un indice. Puis, soudain, une voix murmura doucement derrière lui :
— Tu sembles troublé, Marcus.
Il sursauta violemment et se retourna. Mme Windel se tenait là, à quelques pas de lui, un sourire énigmatique accroché aux lèvres.
— Comment... ? bredouilla-t-il. Vous étiez derrière la porte, je vous ai entendue ! Comment êtes-vous arrivée ici ?
Mme Windel haussa légèrement les épaules, l'ombre d'un amusement dans ses yeux.
— Trop de questions, Marcus. Mais tout ce que je pourrais te dire maintenant ne te servirait à rien. Tu comprendras en temps voulu.
Son ton était calme, mais portait une autorité indéniable. Elle posa un regard appuyé sur l'OmniVault au poignet de Marcus, puis continua :
— Ce monde a ses propres règles. Et tu es encore loin d'en saisir toutes les subtilités.
Marcus, malgré son appréhension, ne pouvait retenir sa frustration.
— Pourquoi ? Pourquoi est-ce que tout semble si... absurde ? Pourquoi personne ne dit rien ? Et surtout, pourquoi moi ? demanda-t-il, la voix empreinte d'une lassitude qu'il ne tentait même plus de cacher.
Mme Windel sourit, presque avec tendresse.
— La vraie question n'est pas « pourquoi toi ». Mais plutôt... « pourquoi pas toi ? »
Il fronça les sourcils, ne sachant pas comment répondre à cette énigme. Mais avant qu'il ne puisse insister davantage, elle posa une main légère sur son épaule.
— Et... nos parents... notre monde, on pourra y retourner ? demanda-t-il, scrutant le visage de Rose-Marie avec insistance.
Elle soutint son regard, émettant une pression palpable, mais Marcus tint bon. Elle lui tendit un sourire, une fois de plus, mais ne répondit point.
— Et puis, il y a des priorités plus urgentes, n'est-ce pas ? Comme... où tu vas dormir ce soir.
Il hocha la tête, frustré mais résigné. Elle fit alors un signe de tête vers la porte.
— Suis-moi.
Mme Windel le conduisit à travers le manoir, jusqu'à une grande pièce qu'il n'avait jamais vue. C'était un salon secondaire, décoré avec goût, mais moins chaleureux que le reste de la maison. Au centre de la pièce trônait un grand fauteuil en velours.
Elle se tourna vers lui, un sourire amusé sur les lèvres.
— Voilà ta solution pour la nuit, dit-elle en tapotant le dossier du fauteuil. Fais de beaux rêves, Marcus.
Il la fixa, incrédule.
— Vous plaisantez, n'est-ce pas ? C'est un fauteuil.
Elle lui tapota l'épaule puis haussa légèrement les épaules, un éclat énigmatique dans le regard.
— Un fauteuil confortable. Bonne nuit, jeune homme.
Sans lui laisser le temps de protester, elle s'éloigna, ses pas résonnant doucement dans le silence.
Marcus s'assit dans le fauteuil, la tête pleine de pensées contradictoires. Ce n'était pas seulement la fatigue ou l'injustice de la situation. C'était ce manoir. Ce monde. Tout cela semblait jouer avec lui, un jeu dont il ne comprenait pas encore les règles.
Il s'endormit, la tête appuyée contre le dossier, ses rêves peuplés de questions sans réponse.
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