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Partie 2

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Partie 2 : Ami, n'entre pas sans désir
(Paul Valéry)

Physical — Dua Lipa

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Le discours du proviseur eut quelque chose de surréaliste.

Je crus percevoir quelques trémolos dans sa voix et ses yeux embués cachaient mal son émotion. Il annonça son départ en retraite et la salle l'applaudit. J'ai tapé si fort et si longtemps que mes mains avaient fini par s'engourdir. La conseillère d'éducation lui apporta un bouquet de fleurs et Kwang lui tendit un paquet de chocolats raffinés des deux mains.

Moi, je tremblais de tout mon long. Je crois que j'aurai pu m'écrouler si je n'avais pas tant eu peur de me ridiculiser.

— Respire Seungmo, me souffla Hyunjin en posant une main rassurante sur mon épaule.

J'ai rapidement dégagé sa main en lui faisant un signe de tête. J'avais beaucoup trop chaud. Hyunjin avait raison, je devais me calmer. J'étais ridicule à m'affoler autant, j'allais porter la couronne. Je devais la porter. Elle me revenait de droit. Elle était à ma taille et portait mon nom. Oui, je devais la porter ! Je devais être roi, que tous mes efforts n'aient pas été vains !

Voilà, j'allais être roi de promo parce qu'il en était ainsi. Je devais avoir confiance puisqu'il n'en était pas permis autrement.

Je n'ai pas écouté la fin du discours du proviseur, j'ai continué à applaudir pendant ce qui me sembla être une éternité et j'ai porté le sourire sincère et la façade calme et pleine de faux semblants sur mon intérieur en proie à la panique. Hyunjin m'a donné une tape amicale dans le dos en m'insultant.

— On dirait que t'as un bâton dans le cul mec, décoince-toi un peu.

Ça l'a fait marrer, ça m'a un peu détendu. Je ne savais pas comment il faisait pour être si confiant. J'avais toujours admiré Hyunjin, j'avais toujours voulu être comme lui. Peut-être qu'en devenant roi, j'aurais réussi à me dresser à son niveau, à revêtir son image, à le surpasser.

J'ai rencontré Hyunjin en primaire. Il était déjà meilleur ami avec Eunji et à cette époque, la petite fille protégeait le garçon timide et fragile qu'il était. Jisung était un casse cou, toujours agité, plein d'enthousiasme. Nous étions dans la même classe. J'avais quelques kilos en trop, de grosses lunettes rouges et je n'étais pas très intelligent, j'étais même un peu en-dessous de la moyenne. Mes parents avaient peu de sous, mon grand-père et modèle venait de nous quitter, je n'avais rien pour moi et j'étais au bord du trou.

C'est Eunji qui nous a rapproché.

Elle avait déjà un fort caractère, un sacré syndrome du sauveur, et j'avais le visage typique de la victime, de l'enfant mal dans sa peau qui se détestait et rejetait la faute sur les autres. Il faut dire que les autres enfants me l'avaient bien rendu. Nous avions tous les quatre subi nos années collège.

Eunji a été traitée de tous les noms par les autres filles parce qu'elle ne restait qu'avec des garçons. Sugyeong, sa seule amie, n'a pas tardé à nous rejoindre, subissant l'étiquette de « garçon manqué » que les autres lui avaient collée sur le front. Jisung a transformé son hyperactivité en mutisme. Il avait peur de tout, avait arrêté d'étudier et s'était mis à se battre dans la cour de récré. Sans connaître de période barbare, Hyunjin est devenu le garçon intouchable, beau et admiré par tous. Ses parents ont divorcé et il a enfoui son mal-être familial sous une façade de beau gosse inaccessible et plus fort que tout le monde. Nous étions un groupe de gamins brisés.

Pour ma part, j'ai subi moqueries, insultes et humiliations à outrance. On m'avait décoré des plus fleuris des surnoms et avait coloré de bleu et de violet ma peau trop matte. Je ne compte plus le nombre de fois qu'on m'a douché pour enlever ma crasse, ma laideur, mon gras et l'acné critique qui avait couvert mon visage et mon dos. C'est en première année de collège que pour la première fois, j'ai eu une réelle envie de crever. Ça ne m'a pas quitté depuis.

En avril de deuxième année, Jisung m'a trouvé dans les toilettes. On venait de plonger ma tête dans une des cuvettes et une énième bagarre avait eu raison de son nez, tâchant de sang son menton, ses mains et ses vêtements. Eunji et Sugyeong nous ont discrètement rejoints après que l'une des filles de leur classe ait coupé les cheveux de cette dernière. Hyunjin a mis quelque temps à venir nous retrouver. Trop de temps. Jisung a pété un câble. C'est Felix qui l'a empêché de frapper le noiraud. Il nous a trouvé tous les cinq dans les toilettes, dans les états les plus pitoyables qui soient. Felix venait d'arriver en Corée à cette époque-là. Il articulait difficilement une présentation basique d'une voix chevrotante et cassée, et avait préféré se faire oublier dès la rentrée. Il était incapable de parler, n'avait aucun ami et vivait aux dépends d'une famille d'accueil dans laquelle ses parents l'avaient envoyé comme punition. Felix, il avait le visage basique du pédé par excellence, les collégiens l'avaient rejeté comme s'il avait la peste. Ça nous a suffi pour l'accepter dans notre groupe.

On formait une sacrée bande de bras cassés.

La même année, on a découvert l'instable puissance du désespoir. On a joué avec le feu et on a brulé de nos pulsions hormonales adolescentes. On venait d'avoir quatorze ans. On était encore des gamins.

La dernière année de collège a été décisive, elle a été l'année des revanches et des transformations. J'ai perdu plus d'une vingtaine de kilos, ait été traité sévèrement pour l'acné et me suis acharné pour devenir le meilleur de la classe. Jisung s'est fait refaire le nez qu'il avait tordu à force d'avoir été cassé, il est allé voir une psychiatre qui lui a prescrit un traitement fiable pour ses TDAH et il a décroché la moyenne pour passer au lycée. La voix de Felix est tombée dans les sonorités graves, il s'est mis aux arts martiaux, il a trouvé un boulot et s'est pris un petit appartement à l'autre bout de la ville avec la caution de ses tuteurs. Après plusieurs années d'aller-retours au tribunal, la mère de Hyunjin a fini par obtenir sa garde. Il a pris une vingtaine de centimètres en quelques mois et a été repéré plusieurs fois par des agences de jeunes mannequins grâce auxquelles il a produit plusieurs clichés pour des marques peu connues. Eunji et Sugyeong se sont affirmées elles aussi, même si elles n'ont pas tant changé. La première a fini par cracher au visage de celles qui l'avaient prise pour une trainée et une salope. Elle a eu une histoire avec un mec d'un autre collège et qui a duré des mois. Pour ce qui est de Sugyeong, elle a pris confiance en elle grâce à la jumelle de Jisung, suffisamment pour faire son coming out à ses parents. Ils n'ont pas été réjouis mais ont fini par tolérer les penchants de leur fille. Eunji l'a soutenue autant qu'elle a pu et j'aime croire que nous avons aussi réussi à l'aider, ou au moins un peu.

Voilà où nous en étions à présent.

Voilà ce que nous étions devenus.

Sur l'estrade face aux lycéens, le doyen a laissé place à Chris. Il s'est présenté, a souhaité ses voeux de bonheur à notre bien aimé proviseur et ses dents blanches ont manqué de m'aveugler tant elles paraissaient brillantes sous la lumière des projecteurs. Il a ponctué son discours de traits d'humour bien placés qui ont amusé l'assemblée. Ses joues étaient creusées de fossettes quand il souriait, il avait le corps incliné vers l'avant pour être plus près du micro et je crus percevoir les murmures excités et étouffés de certaines lycéennes lorsqu'il passa sa main dans sa frange brune, décrétant n'avoir jamais été à l'aise avec les longs discours.

Christopher Bang avait un don indéniable pour capter l'auditoire. On l'écoutait avant même qu'il n'ouvre la bouche. Alors qu'il rie ainsi de ses propres craintes avait pour moi quelque chose d'incroyable, d'insupportable et je dirai même d'insultant. Chris savait parfaitement ce qu'il disait, faisait et inspirait chez les autres. Il paraissait intouchable, bien plus que Hyunjin, Jeongin et Changbin réunis. Il était terrifiant.

Chris, il était le plus fort et le plus grand de tous.
Il était l'indétrônable roi qui vit et qui ne meurt jamais.

En aucun cas un imposteur comme moi se sentait digne de prendre sa place. Pourtant, c'était ce qui allait arriver. C'était ce qui devait arriver. C'était ridicule. Je ne méritais rien de cela, je n'étais personne face à Chris et ce serait une insulte à tous les lycéens si je devenais leur roi et leur représentant.

— 'Jin, j'suis pas sûr de v'loir rester... ai-je mangé mes mots.

J'étais pitoyable. Pitoyable comme je le fus à l'époque dans les toilettes, le corps trempé de transpiration, les cheveux ruisselants d'eau salie. Pour Jisung, j'avais beau être devenu un roi sans couronne, je ne serai jamais plus que l'enfant grassouillet, lamentable et répugnant qu'il a trouvé ce jour-là.

Hyunjin a eu un rictus triste, compréhensif. J'ai senti qu'il voulait me prendre dans ses bras, j'ai détesté sa pitié, sa compassion, peu importe ce que c'était. Discrètement, pour que personne ne le remarque, il a approché sa main et son petit doigt a enlacé le mien. C'était le moins et le plus qu'il pouvait faire pour me dire qu'il me soutenait, qu'il était là. J'ai évacué la pression d'un rire nerveux et je me suis revu au collège, quand j'ai ramassé Hyunjin à la petite cuillère après l'annonce du divorce de ses parents.

Nous avions bien changé.

Je n'étais pas sûr de vouloir rester mais je n'ai pas bougé. Je suis resté prostré, mes pieds enfoncés dans le lino collant du gymnase. Sur l'estrade, Yoohyeon a dit quelques mots après Chris pour annoncer le début de la remise des prix, puis un autre garçon auquel je n'ai pas vraiment fait attention s'est présenté. Il avait une étrange chevelure rousse. Il avait l'air tout sauf ravi d'être ici mais il a fait semblant, il s'est forcé, blaguant même sur l'aspect rébarbatif de cette cérémonie. Lui-même s'était ennuyé lorsqu'il avait été élu roi, a-t-il commenté. Je me suis dit que je devais faire comme lui. Je devais faire semblant. Cela faisait déjà longtemps que j'agissais ainsi.

J'ai balayé mes pensées d'un mouvement de tête et le rouquin sur l'estrade a fait durer le suspense.

— ... Hwang Hyunjin.

Je suis resté figé un instant avant de me retourner vers le noiraud. Il n'avait pas l'air tant surpris. A vrai dire, je crois que personne n'était vraiment étonné. Hwang Hyunjin avait été élu garçon le plus beau des dernières années, et donc prince de notre promo. Il n'y avait rien d'extraordinaire à ça. Heureux, je l'ai enserré dans mes bras quelques secondes en lui tapant le dos. Il m'a enlacé en grognant, un sourire immense sur ses lèvres. Par la suite, il a relevé la tête, a remercié nos camarades qui le félicitaient et s'en est allé. Avec un temps de latence, son petit doigt s'est détaché du mien et il m'a laissé là. Suivi par le rayon lumineux du projecteur, il s'est frayé un chemin jusqu'à l'estrade. Le rouquin l'a félicité du bout des lèvres en roulant des yeux, Hyunjin a étouffé un rire. Je l'ai regardé recevoir l'écharpe qu'il enfila sur son épaule gauche, un bouquet de fleurs et s'approcher du micro. Il manqua de le faire tomber et je me suis retenu de frapper mon front de dépit.

— BOULET ! a hurlé Jeongin à l'autre bout de la salle.

Hyunjin s'est marré, remerciant son cousin avec une moue mesquine sur les lèvres. Les lumières faisaient briller ses yeux. Il m'était apparu comme une étincelle. Une douce chaleur a enivré mon corps quand nos regards se sont croisés. J'étais si fier du garçon de papier, qui avait grandi et qui avait brillé. Hyunjin méritait son titre : debout sur cette scène bancale, je ne l'avais jamais trouvé aussi magnifique. Il a rapidement fini son discours et mon stress est remonté en flèche. Maintenant que Hyunjin n'était plus à mes côtés, je n'avais rien ni personne pour m'y raccrocher.

Une fille a pris la place de Hyunjin. A son tour, elle a dit quelques mots que je n'ai pas écouté et a nommé Heo Jiwon comme princesse de promo. J'ai manqué d'éclater de rire quand Hyunjin a fait une drôle de grimace, sûrement déçu qu'une fille ne portant pas son nom ait été élue. L'assemblée l'a applaudie longuement et ses amies n'ont pas cessé de crier et scander son nom. Jiwon a rougi, les yeux brillants de larmes. Heureuse, elle était attendrissante.

Mon stress n'est pas descendu d'un iota.

A son tour, Changbin est passé devant le micro. Il détonnait clairement et son apparition a suscité un intérêt presque malsain auprès des lycéens. Les murmures se sont élevés mais Changbin a fait mine de rien. Après avoir failli à descendre le pied du micro, il a simplement renoncé et a enlevé celui-ci de son socle pour le tenir près de son menton.

— Bonsoir, a-t-il commencé d'une voix claire. J'espère que vous passez une bonne soirée. Je suis Seo Changbin et j'ai été couronné roi l'année dernière.

— Oh putain ! s'est exclamée une fille dans la salle.

— C'est une blague ? a rigolé quelqu'un.

— Je ne l'imaginais pas comme... ça, a commenté une lycéenne, perplexe.

— Seo Changbin... C'est Seo Changbin ! s'est affolée une autre à ma gauche, stupéfaite.

Le petit noiraud a eu un rictus amusé.

— C'est moi, a-t-il répondu.

A ce moment-là, Seo Changbin, premier aux examens nationaux, a eu l'air d'un idiot.
Même si je ne devais pas être le seul à le penser, personne n'a osé faire une remarque désobligeante. Personne n'a osé ouvrir la bouche une nouvelle fois. J'ai lâché un petit ricanement. Nous étions tous ridiculement sots comparé à lui.

Changbin a fait tourner une fois le micro dans sa main avant de le prendre haut sur le manche et de l'apporter à nouveau à ses lèvres. Il dardait son regard chocolat sur l'assemblée, imposant un silence de plomb qui n'aida en rien mon coeur à battre plus lentement.

— Trêve de bavardages inutiles, je vais ouvrir l'enveloppe.

Le moment sembla durer des heures. Tout le monde était pendu à ses lèvres. Il prenait son temps, il rallongeait l'instant. Ça ne prit que quelques secondes tout au plus, j'eus l'impression qu'une éternité était passée.

— Le roi de la promo 20XX est...

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Un violent bourdonnement a empli ma tête si bien que je n'étais plus capable d'entendre, de ressentir. J'étais à dix mille lieux du gymnase, loin des applaudissements, des cris. J'avais l'impression d'être dans du coton. Un ange puis un train passèrent, les rails crissèrent à mes oreilles, la musique festive parut soudain envahissante. J'étais si loin que les traits de Hyunjin, auparavant éclairés d'un sourire en croissant de lune plus grand que l'astre, se tordirent en une expression inquiète. Précipitamment, il a sauté les trois marches menant à l'estrade pour venir me soutenir. Je ne m'étais même pas senti traverser la foule.

— Seungmin, ça y est ! Ça y est, tu as réussi ! m'a-t-il secoué.

Il m'a rapidement pris dans ses bras et m'a aidé à monter sur la scène. Un peu en recul, Chris m'applaudissait. Il a hoché la tête d'un air entendu. Je n'étais pas encore revenu.

— Bravo ! m'a encore une fois soufflé Hyunjin avant de se reculer. Bravo, mon roi.

C'est suite à ces mots que j'ai commencé à réaliser. L'émotion m'a frappé de plein fouet et si je n'avais pas eu tant de fierté, je me serai mis à pleurer. Ma respiration était lourde et mes oreilles venaient à peine de se reconnecter aux bruits ambiants. Je me suis placé devant Changbin, il m'a adressé un grand sourire avant de se retourner. Un surveillant lui apporta ma couronne et il l'attrapa avec la plus grande délicatesse. J'ai incliné la tête.

Quand je me suis relevé, je portais la couronne que j'avais tant espéré.

Je n'avais jamais paru aussi grand. Je ne m'étais jamais senti aussi fort, aussi puissant, aussi intouchable. Je m'étais vengé. Ça y était. Ça y était ! Mon but était accompli. Papa ! Maman ! J'ai réussi !

Changbin a reculé de quelques pas après m'avoir difficilement enfilé mon écharpe et donné un bouquet de roses pourpres, assorties à sa chemise.

Je me suis tourné souriant face au micro qui m'attendait sur son trépied. La lumière jaunâtre du projecteur m'aveugla un peu et je suis resté muet.

Dieu, viens-moi en aide.

Face à la foule, j'étais devenu incapable de parler. Tous les mots que j'avais imaginé, tous les discours que j'avais pu préparer en attendant ce jour s'étaient envolés. Maintenant que j'avais réussi, maintenant que j'étais roi de promo, maintenant que je m'étais vengé, je n'étais plus que ridicule, pathétique et muet. Il fallait que je parle, que je dise quelque chose avant de fondre en larmes, que j'ouvre la bouche avant qu'on ne s'aperçoive de la supercherie. J'étais un imposteur après tout.

— Euh...

Bruyamment, je me suis raclé la gorge. Je suis resté silencieux quelques secondes encore, attirant les murmures intrigués. J'ai senti mes joues chauffer honteusement, j'avais la sensation de ne plus rien contrôler et j'ai détesté cela.

— OUAIS SEUNGMO !

Braillant à travers la foule, j'ai reconnu la voix rauque de Felix. Planté devant les portes, il a tendu ses deux pouces en l'air. Jisung sautillait presque à ses côtés. Je les ai soupçonné d'avoir un peu trop forcé sur la boisson, et peut-être sur autre chose aussi, vu leurs cheveux en pagaille. Néanmoins, c'était plus une déduction qu'une constatation. J'avais bien du mal à les détailler avec cette lumière aveuglante braquée sur moi.

— T'es le meilleur ! a renchéri Sugyeong et Eunji y est aussi allée de son commentaire.

Je devais briller. Pour mes meilleurs amis, pour mes sauveurs.

— Eh, tu tiens le coup ? a murmuré Changbin derrière mon épaule.

Il avait l'air de réellement s'inquiéter pour moi, ça m'a gonflé d'orgueil. Je crois qu'à ce moment-là, je n'avais pas encore réalisé que Changbin était comme moi. Je n'avais pas réalisé que tous les rois et reines de promo s'étaient battus pour leurs titres, qu'ils étaient humains et qu'ils avaient vaincu. Il n'était pas dans notre nature d'être couronnés roi. Il n'était pas légitime d'attribuer une couronne à un imposteur.

Nous étions tous des mensonges. Mais nous étions fiers comme cela.

J'ai simplement hoché la tête. Je n'avais pas remarqué à quel point Changbin était proche de moi. Par réflexe, mes yeux ont fait un aller-retour rapide entre ses lèvres et ses pupilles. Il a esquissé un sourire en coin et je me suis à nouveau tourné face à mes camarades.

— Merci, ai-je simplement lâché, m'inclinant autant que je le pouvais sans faire tomber ma couronne.

Il me semble avoir dit quelques mots de plus mais pris par l'adrénaline du moment, je n'en ai gardé aucun souvenir. Ma voix n'était pas très assurée et j'ai rapidement perdu mon souffle. Le reste de la cérémonie est passé à toute vitesse. Je me suis reculé de quelques pas. Hyunjin a entouré mes épaules de son bras et Changbin s'est encore une fois enquis de mon état, passant rapidement une main timide mais bienvenue dans mon dos. Hyunjin lui a lancé un regard en coin, à la fois méfiant et curieux. Il a ensuite haussé un de ses sourcils, m'adressant une question silencieuse, j'ai simplement acquiescé d'un mouvement de tête. Nous nous sommes compris. Je l'ai entendu rire proche de mon oreille, j'ai souri, notre conversation silencieuse s'est arrêtée là.

Par la suite, la reine de l'année dernière s'est adressée aux lycéens, nommant reine de promo Jeon Heejin. Une envolée de cris extatiques a secoué le gymnase, les applaudissements furent nombreux et longs. La jeune fille est montée sur la scène, Hyunjin a une nouvelle fois grommelé et je lui ai donné un coup de coude bien placé dans les côtes. Elle a reçu sa couronne, a manqué de verser des larmes, a déballé un discours tout fait que je n'ai pas trouvé si sincère et le proviseur a repris sa place pour achever la cérémonie.

Nombre de lycéens ont quitté le gymnase après ça, surement pour rejoindre le parking. Quant aux nommés, Chris nous a conduits vers un coin du gymnase. Là, on nous installa en quinconce devant une affiche kitsch, pailletée de doré et de gros ballons « Bal de promo 20XX ». Heejin se tenait face à moi, j'en ai profité pour la féliciter, paroles qu'elle me rendit les joues rosées. Le photographe nous demanda de nous rapprocher encore. Je fis attention à ne pas marcher sur sa robe et elle glissa timidement sa main dans la mienne. Moqueur, Hyunjin ne put s'empêcher de pouffer. Moi non plus, je n'en menais pas large.

Après quelques clichés des élus de notre promo — entre lesquels le photographe ne put s'empêcher de demander à Hyunjin s'il avait déjà été modèle, nous fûmes rejoints par les anciens rois et reines. Le rouquin râla pour la forme et se moqua de Changbin, bien plus petit que nous autres. Je les supposais amis.

— Je savais que tu serais élu, m'a soufflé Chris une fois l'interminable séance photo achevée.

— C'est gentil, ai-je répondu, plutôt mal à l'aise.

— Tu me rappelles moi à ton âge.

— Oh...

Il m'a souri et nous sommes restés silencieux un petit moment. J'étais incapable de détourner le regard ou de prononcer le moindre mot. Chris n'a rien dit non plus, il se contenta de me fixer en souriant. Je me sentais comme un poisson hors de l'eau. Un désagréable frisson est remonté le long de ma colonne, secouant mon échine. J'étais incapable de deviner ce que Chris pensait de moi, j'en ai eu la nausée. C'est Yoohyeon qui est venue me sauver, alpaguant son copain pour une danse alors qu'un slow s'apprêtait à démarrer. Je n'ai pas revu Chris de la soirée.

— Les gars !

Avec frénésie, Felix se jeta à mon cou et Jisung manqua de faire tomber Hyunjin à la renverse lorsqu'il cala sa tête sous son bras pour lui frotter le crâne.

— Seungmo, je suis si content pour toi ! déblatéra le blondinet.

Il était devenu intarissable et j'avais une folle envie de l'embrasser pour le faire taire. J'ai senti mon meilleur ami terriblement ému, à deux doigts de fondre en larmes. Il lui fallut un incroyable self-control pour ne pas craquer. Felix, il avait l'habitude d'enfouir tout réel sentiment, ce n'était pas surprenant. Pourtant, en public, je ne l'avais jamais vu plus proche de la casse qu'en cet instant. Peut-être que le fait que l'un de nous ait finalement atteint son rêve lui avait donné l'espoir de continuer à se battre, même à des kilomètres de nous, dans sa maison de fous.

— Mec, t'as pas intérêt à prendre le melon, me menaça Jisung en riant. Hors de question que tu nous donnes des ordres et qu'on devienne tes larbins.

— Dommage... ai-je rigolé.

— D'ailleurs, qu'est-ce qui vous a pris autant de temps pour revenir ? a grogné Hyunjin, boudeur.

Felix et Jisung se sont fixés du coin de l'oeil et ils décidèrent de jouer les imbéciles. C'était devenu leur passe-temps. Il ne fallait pas être sorti de Saint-Cyr pour deviner ce qu'ils avaient pu fabriquer. Ça m'a un peu détendu après cette étrange altercation avec Chris.

— Seungmin, la voix d'Heejin a résonné à mes oreilles alors que je riais de mes amis qui se chamaillaient.

— Hum ?

— Tu veux bien danser avec moi ?

Elle avait les joues rouges et le regard fuyant. Elle était mignonne et amoureuse de moi. Je n'aimais pas les filles.

— Oh, euh... ai-je bafouillé, ne sachant pas quoi répondre. Oui, si tu veux. Pourquoi pas ?

Jisung n'a pu retenir ses gloussements et ses « Ouuuuh » lubriques. Felix s'est emparé de mon bouquet, décrétant qu'il le garderait ou irait le ranger à ma place. Je l'ai remercié, supposant tout de même que je ne le reverrais jamais. Je lui ai aussi donné ma couronne qu'il m'a promis de ranger dans son sac à dos.

Nous sommes allés danser. Elle avait ses deux mains sur mes épaules, j'avais les miennes sur sa taille. Je n'étais pas très bon danseur, elle était pire.

— Je suis vraiment désolée, s'excusa-t-elle piteuse alors que ses talons m'écrasaient une énième fois les pieds.

Ça faisait un mal de chien mais je n'ai rien dit. Elle devait se sentir honteuse, je n'ai pas voulu l'enfoncer.

— Je suis contente que tu aies été élu, j'ai vu à quel point ça te tenait à coeur durant la campagne.

— J'étais si lisible que ça ?

— Hum hum, acquiesça-t-elle avec un sourire sur ses lèvres glossées.

Je la fis tourner. Ce que nous faisions n'avait ni l'air d'un slow ni l'air d'une valse mais ça nous amusait. Du coin de l'oeil, j'aperçus Eunji qui, encore en train de mâcher, avait sauvé Hyunjin de prétendantes en l'amenant sur la piste. Il y avait peu de danseurs, seulement quelques couples et quelques amies. J'aperçus même le proviseur et sa femme parmi nous.

— Seungmin, je... J'ai quelque chose à t'avouer.

Heejin sembla si embarrassée que nous fûmes obligés de nous arrêter de voguer dans tous les sens, nous contentant de tourner en rythme sur l'incontournable Hotel California.

My head grew heavy and my sight grew dim.

— Oui ?

Ça y est. Il n'avait plus manqué que ça. Je savais que ce moment viendrait un jour ou l'autre. J'ai détesté le fait que nous soyons en public et que les regards avides nous observaient. Peut-être qu'ainsi, elle m'empêchait de l'humilier, j'aurai bien du mal à la repousser. Pas quand ses amies me menaçaient du regard. Pas quand la plupart des garçons du lycée rêvaient d'être à ma place. Je me suis senti pris au piège, ça m'a énervé. Relevant le regard alors qu'Heejin cherchait encore ses mots, j'ai envoyé des SOS mentaux à Hyunjin et Eunji. Ils n'ont rien remarqué, j'étais condamné.

— Voilà, ça fait un bail qu'on se côtoie et je t'ai toujours trouvé mignon. T'aides toujours les autres, t'es toujours volontaire. Et puis, tu me fais rire et j'aime beaucoup les moments qu'on passe ensemble... Je veux dire... Même pendant les conseils de classe ou les réunions du BDE, je passe mon temps à te regarder. Qu'est-ce que je dis ? Oh mon dieu, c'est bizarre...

Elle s'emmêla les pinceaux et je lui ai souri, cherchant à la rassurer. Je devais avoir l'air calme, je paniquais. Je ne la croyais pas courageuse au point de faire une déclaration aussi embarrassante.

— Bref, je t'aime beaucoup Seungmin, et... Et je voulais savoir si tu... Si tu...

— Bonsoir, a prononcé une voix à ma gauche, nous faisant tous les deux sursauter.

Heejin a manqué de se liquéfier, interrompue au pire moment. Qui que soit la personne, je l'ai remerciée en pensée une dizaine de fois.

— Oh pardon, je dérange ?

Le roi d'il y a deux ans se tenait devant nous, une main sur ses hanches. Ses cheveux de feu étaient rabattus vers l'arrière, dévoilant un des visages les mieux proportionnés qui m'avaient été donnés de voir. C'était la première fois de la soirée que je le détaillais vraiment, j'ai regretté de ne pas l'avoir fait avant.

— Non, non... a soupiré Heejin. Tu voulais quelque chose ?

— Je peux danser avec toi ?

Ni Heejin ni moi ne savions réellement à qui il s'adressait. Je crois qu'il aimait bien susciter le mystère. Il aurait été impoli de refuser alors j'ai simplement répondu un « on se voit plus tard », espérant jamais, et j'ai reculé d'un pas pour lui laisser Heejin. Elle était encore plus rouge que tout à l'heure, sûrement touchée qu'un ancien roi — et aussi beau garçon — vienne jusqu'à couper une danse pour elle. Je comptais en profiter pour m'éclipser rapidement.

— Seungmin ! me retint Heejin, embarrassée au possible.

— Je crois qu'il y a un malentendu, s'amusa le rouquin avec un sourire fier. C'est avec toi que je veux danser.

Je suis resté pantois, la bouche ballante comme un poisson. Ça avait tout d'un traquenard et pourtant il n'avait jamais eu l'air aussi sincère. Heejin a cru à une mauvaise plaisanterie et a manqué de s'étouffer dans un rire nerveux quand elle s'est aperçue du sérieux de la situation.

— C'est une blague ? a-t-elle soufflée d'une voix blanche. C'est ridicule ! 'Min, tu ne vas quand même pas danser avec... un mec.

J'ai senti toutes couleurs quitter mon visage. Non, pas maintenant. Pas après tout ce temps passé à me cacher. L'expression déroutée d'Heejin m'explosa à la figure et j'ai senti une désagréable boule se former dans ma gorge. Elle avait raison, c'était ridicule. J'ai eu un rire nerveux et je me suis empressé de démentir.

— Haha, désolé mec. C'est gentil mais je ne-

Il me coupa, s'adressant à Heejin.

— C'est quoi ton problème ? Tu ne vois pas qu'il ne t'aime pas. Il se chie dessus depuis que t'as ouvert la bouche, a balancé le rouquin d'un ton je-m'en-foutiste. Tu devrais arrêter de t'accrocher à lui. Faut apprendre à lâcher l'affaire poupée.

J'ai eu envie furieuse de coller mon poing sur son visage, d'exploser son nez parfait et de le rouer de coups jusqu'à ce qu'il geigne à mes pieds. Je ne sais pas quelle force intérieure m'en a empêché. Pourtant, il n'a pas sous-entendu que j'étais un pédé. Il n'a pas renchéri sur l'idée de danser entre mecs. J'ai soufflé par le nez une inspiration que je ne me savais pas retenir.

— C'est vrai Seungmin ? couina-t-elle vexée, blessée, apeurée, humiliée... Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

J'ai pincé mes lèvres, détournant le regard. Je n'osai pas la regarder, j'avais bien trop peur de la voir pleurer.

— Un an ! Un an que tu te fous de ma gueule sans rien me dire... T'es qu'un putain de lâche, Kim Seungmin. Va bien te faire foutre !

Elle ne pleurait pas, elle était furieuse et dévastée. Cela faisait des mois que je la savais espérer et je n'avais rien fait pour l'en empêcher. Je crois qu'elle aurait pu me frapper. A la place, elle s'est simplement enfuie. Je n'ai pas bougé. Je n'ai même pas pensé à lui courir après, à m'excuser. Le rouquin a posé ma main droite sur son épaule et a passé une des siennes contre ma taille. Il a tenu mon autre main et il m'a fait valser.

J'ai perdu le domaine du sensible, j'aurai du me débattre, le repousser, pas après ce qu'il avait provoqué, pas quand tant de commères ne cessaient de nous fixer, mais j'étais bien incapable de faire quoi que ce soit. Je l'ai laissé m'entraîner dans une valse lente. La musique allait bientôt changer.

— Eh bah, c'était moins une. J'ai bien cru que t'allais nous faire une syncope.

Plus petit, il a un peu levé le menton vers moi et a ri seul un moment. Je ne savais pas ce qui me retenait.

— Si t'avais vu ta tête quand elle a commencé à te parler ! Y avait écrit « à l'aide » sur ton front, je n'ai pas pu m'en empêcher.

— T'es un gros connard, ai-je réalisé, ailleurs. T'espères quand même pas que j'te remercie ?

Je m'en voulais d'avoir fait souffrir Heejin inutilement. Elle ne méritait pas ça, je n'avais vraiment pas été cool. Ce n'était pas digne d'un roi, seulement d'un imposteur. Pourtant, le rouquin a simplement haussé les épaules en souriant, il se savait détestable.

— Non, ce serait trop demander... Alors comme ça, personne sait que t'es en couple avec un mec ?

J'ai haussé un sourcil circonspect. Qu'est-ce qu'il me chantait ?

— La grande perche là-bas, Hyunjin je crois bien. Je vous ai vu tout à l'heure dans le hall.

Il avait du sentir tout mon corps se crisper alors il a effectué une pression un peu plus forte au-dessus de ma hanche pour détendre mes muscles.

— Déstresse. Y a deux ans, personne n'ignorait les penchants de Lee Minho. Pourtant, ils m'ont quand même élu roi de promo !

Il parlait de lui-même à la troisième personne. Il avait vraiment de drôle de manières. J'ai supposé qu'il me disait ça pour m'assurer de sa sexualité et non pas pour montrer le niveau de tolérance des autres lycéens. J'ai franchement douté que ce lycée soit aussi blanc que ce qu'il sous-entendait.

— Oh...

Il m'a fait tourner une dernière fois et la musique a changé. La piste s'est remplie, le volume a augmenté et je me suis rapproché de Minho pour pouvoir lui parler. Je ne me suis pas rendu compte tout de suite que ses mains m'entouraient encore. Je me sentais étrange, presque trop à l'aise. Minho était un sale con arrogant, mais dieu ce qu'il pouvait être attirant. J'aimais me voir en lui, c'était honorant d'avoir tant d'estime de soi. Peu m'importait l'orgueil, moi j'aurai aimé être un sale con si j'avais pu être comme lui.

— Je ne suis pas en couple avec Hyunjin, ai-je presque crié dans son oreille. C'est un de mes meilleurs amis.

— A d'autres ! ricana-t-il. S'il n'y avait pas eu d'urgence, je suis sûr que vous auriez pu baiser devant moi.

Minho était un homme extrêmement beau. Ses yeux brillaient et se plissaient dans ses sourires. Il dégageait une sensualité étouffante. Il avait quelque chose de dangereux dans le corps, une hargne brûlante, une langueur pécheresse. Ce n'était pas anodin, il ne semblait avoir aucune limite. Il portait un ensemble chemise et veston sans manche noir. Seule sa cravate était d'un blanc nacre. Il avait, accrochée à la poche haute du veston, la broche à rose blanche du bal de cette année. Mes joues ont pris feu.

— Peut-être, ai-je finalement soufflé, taquin. Il n'empêche que nous ne sommes pas ensemble.

— Tu couches souvent avec tes meilleurs amis, toi ? a-t-il rigolé, incrédule.

Je lui ai répondu d'un sourire mutin en inclinant la tête sur le côté. J'ai tendu mon doigt devant mes lèvres pour qu'il garde le secret. Il ne lui en a pas fallu beaucoup pour comprendre.

— Oh, je vois... Putain...

Minho n'a rien ajouté. Ses sourcils se sont froncés, je crois qu'il ne savait pas vraiment comment réagir. Il est resté interdit quelques secondes. Quand son visage s'est de nouveau détendu, je n'ai pas manqué le regard pétillant qu'il me portait, sa lippe prisonnière de ses dents. Ses mains ont formé des cercles sur mes hanches alors que nous nous déhanchions sur une musique commerciale. Trop pris dans l'instant, enivré par mon titre et par l'alcool, je n'ai pas fait attention au secret que je venais de déballer à un inconnu. Je n'ai pas eu peur qu'il soit divulgué, alors que Minho détenait désormais les clés pour me déchoir. Je ne savais pas pourquoi je lui avais immédiatement fait confiance, peut-être parce que c'était un salaud. Je n'aurai peut-être pas du à la réflexion, mais je savais pertinemment comment cette soirée allait se terminer alors je n'y avais porté aucune importance.

De l'autre côté de la salle, du mouvement a capté mon regard. Je me suis promptement reculé de Minho pour voir Felix m'adresser de grands signes de bras, indiquant la porte et inclinant son pouce devant sa bouche comme s'il buvait. Je lui ai répondu d'un « OK » de la main et j'ai retourné mon attention sur le rouquin face à moi. Immobile, je l'ai regardé danser un moment, perdu sur le rythme de la musique. Le chanteur annonçait que « ce soir, il me baiserait » et j'ai cru halluciner quand j'ai lu les paroles sur les lèvres du rouquin, son regard braqué sur moi.
Il y avait dans ses yeux quelque chose de dur, de sérieux et de magnifique, il paraissait sûr de lui. Lee Minho était une façade de perfection qui ne semblait avoir aucune fissure.

— On a infiltré de l'alcool avec mes potes, tu veux venir ? ai-je fini par lui demander.

— Ouais, pourquoi pas.

Sur mes talons, nous nous sommes frayés un passage dans la foule jusqu'à la grande porte. Une fois dans le hall, je n'ai pu m'empêcher de soupirer de soulagement. Je ne réalisais pas encore tout ce qui venait de m'arriver.

— Ce n'est pas trop tôt, a pesté Eunji, les mains sur sa taille.

— Déso' beauté, j'ai mis trente ans à voir 'Lix s'agiter comme un singe.

— Ouais et on se demande bien pourquoi, tiens... A peine roi que ça oublie ses potes !

— Mais pourquoi tout le monde me répète ça... ai-je grommelé.

J'ai entendu Minho rire dans mon dos.

— Oh, t'es le mec qui se faisait chier au micro, a commenté Sugyeong.

— Exact ! s'est marré notre ainé. Lee Minho. Honnêtement, si Changbin n'avait pas insisté je ne serai pas venu. Ah, Changbin c'est le nain aux gros bras avec la panoplie entière de l'émo pas fini.

Eunji a éclaté de rire, moi aussi. Sugyeong a validé d'un « excellente description » et je devais avouer que ça correspondait bien au petit noiraud. Néanmoins, aucun de nous n'avait besoin d'une description pour reconnaître Changbin maintenant que nous l'avions rencontré. Nous ne risquions pas de l'oublier. Nous avions mangé son exploit à la pelle toute l'année. Son apparition quelques minutes plus tôt avait d'autant plus marqué les esprits.

— M'enfin, poursuivit-il en m'adressant un regard en coin. Je ne regrette pas le moins du monde.

Il y avait chez Minho quelque chose d'intangible. C'était loin d'être une étincelle, ce n'était pas ça. Il avait le corps et le regard brûlant, une envie de constance, il portait la force du toujours et l'éternel de la renaissance. J'ai mis plusieurs mois avant de mettre le doigt sur cette impression. Je trouvais chez Minho une passion charnelle, crue, sale et décadente. Il avait la droiture de la justice, la rage du roi, l'orgueil d'un vainqueur et l'insouciance de l'enfance.

Lee Minho ne se prenait pas pour de la merde. Il savait ce qu'il valait et il ne s'en était jamais caché. Il obtenait toujours ce qu'il convoitait et la flamme hypnotisante dans ses yeux lorsqu'il me regardait m'apportait chaque fois un frisson.

Eunji ne put s'empêcher de ricaner en levant les yeux au ciel.

— Ils sont où les autres ?

— Toilettes, m'a répondu Sugyeong. Partis chercher les bouteilles.

J'ai hoché la tête. Ils mettaient bien longtemps. Je n'ai pas fait de remarque. Les filles ont entamé une conversation avec Minho, apprenant à connaître le rouquin. Il n'est pas entré dans les détails, redirigeant la conversation vers l'année scolaire qui s'achevait, les examens et leurs choix d'avenir. Eunji avait été reçue sur dossier dans une école d'ingénieur, ce n'était pas la meilleure du pays mais elle restait respectable. Ses parents étaient très fiers — en comparaison à son « incapable de frère » elle était admirable, j'étais content pour elle. Sugyeong n'était pas très sûre de ce qu'elle voulait faire. Parmi toutes les orientations, elle avait choisi communication. Ça ne lui convenait pas tant, je lui ai jamais dit. J'ai pensé qu'elle s'en rendrait compte plus tard, c'était mieux comme ça. Il fallait qu'elle s'en aperçoive seule.

A cette époque-là, je ne connaissais rien de la vie mais j'avais l'impression de tout savoir mieux que tout le monde. C'était peut-être pour ça que je m'étais évertué à copier Chris, Minho, Changbin et Hyunjin. Parce qu'ils avaient l'esprit, l'image, le courage et la patience de ceux qui ont réussi. Pourtant, j'avais été le premier à découvrir combien Hyunjin avait pu être détruit.
Sauf qu'à ce moment-là, je venais d'atteindre mes rêves ridicules et sans-intérêts, je pensais que j'avais atteint l'absolu et que rien ne pourrait me changer. J'avais tout vu, tout vécu, j'avais terminé avant même de commencer, et j'allais tout foutre en l'air. Je devais tout foutre en l'air puisque c'est ainsi que doit s'achever le règne de l'imposteur. En apothéose.

— Bah v'z'êtes pas encore sortis ?

— On vous attendait, s'est enflammée Eunji. Sérieux, vous auriez pu vous grouiller un peu plus, ou au moins faire vos conneries plus tard ! J'ai soif moi !

Sa voix bourrue contrasta avec le vol doux du drapé irisé de sa robe champagne lorsqu'elle se retourna vers Felix. Mon meilleur ami avait déjà du mal à tenir debout, et même si autant Sugyeong que Minho firent les yeux ronds, je n'avais pas été tant surpris de le voir s'appuyer de tout son poids sur Changbin. Le noiraud le soutenait par la taille et il y avait quelque chose d'affreusement sensuel à voir les bras tatoués de Changbin autour du corps du blond. Jisung s'avança pimpant, ses cheveux bruns dans tous les sens et seul Hyunjin eut la décence de rougir au sous-entendu de sa cavalière. Il n'était secret pour aucune de nos deux amies que nous nous étions livrés à de bien licencieuses activités à plusieurs fins de soirées. Peut-être aussi parce que Felix avait une tendance trop certaine portée sur l'exhibition et qu'elles en avaient malheureusement vu plusieurs fois les prémices.

Elles nous taquinaient là-dessus parfois, mais jamais elles n'avaient jugé nos ébats. Jamais elles n'avaient dit que c'était bizarre, alors qu'elles en auraient été légitimes. C'était bizarre. Même pire que ça. Mais c'était comme ça que nous nous divertissions à cette époque, c'était comme ça que nous aimions vivre. On se fichait d'un peu tout et pourtant, je n'avais jamais été autant porté sur l'apparence et le regard des autres qu'au lycée. J'ai fini par me dire que nos moments d'orgie avaient été les consécrations de tout ce que j'avais jamais refoulé. Ils me détendaient, m'exaltaient, j'y trouvais un absolu que la drogue n'a jamais pu m'apporter. J'ai fini par me dire que les caresses de ceux qui avaient toujours été les seuls sur mon corps n'étaient qu'une énième manière de glorifier mon existence. Ces garçons me rassuraient, m'offraient une forme de confiance et une partie d'eux. Ils m'adoraient, je les aimais et c'était ainsi que nous nous le prouvions, quand bien même c'était bizarre. C'était devenu récurrent, habituel. C'était notre manière à nous de faire tomber nos masques.

Nous sommes finalement sortis du hall pour rejoindre le parking. Une violente bourrasque a fait valser les rares mèches de ma frange que Felix n'avait pas réussi à plaquer en arrière. L'air n'était pas particulièrement frais mais cela n'empêcha pas Eunji de frissonner et de vigoureusement frictionner ses bras nus. C'est Hyunjin qui s'est porté volontaire pour retirer sa veste et la déposer sur ses épaules.

— Oh putain, le moustique du siècle, s'est marré Minho.

— T'es jaloux ? lui a lancé Jisung en réponse, haussant tendancieusement un sourcil.

Sans la veste de costume pour cacher, l'encolure plongeante de la chemise blanche de Hyunjin avait dévoilé son cou gracile, ses clavicules ainsi qu'une partie de son torse. Là, sa peau qu'il blanchissait était parsemée de légères marques rouges et violines. La réponse du petit brun n'avait laissé planer aucun doute sur l'origine des tâches. Jisung était un sacré moustique à sa manière...

Cela faisait presque trois ans que nous n'avions plus couché avec Hyunjin. Je n'ai jamais compris pourquoi ce soir-là, et même après, il avait accepté la récidive. Peut-être que ça lui avait manqué, à lui aussi, aussi hétéro curieux pouvait-il être. Peut-être que c'était Jisung qui l'avait incité et qu'il avait craqué. Peut-être qu'il avait les crocs et que nous étions là. Peut-être parce qu'il en avait eu envie, tout simplement. Ça n'aurait pas été surprenant. Nous aussi, nous crevions ça.

— Allez lààà ! A boire, c'est la fête ! s'est impatienté Felix en brandissant son bras libre en l'air. After chez moi après, vous êtes tous invités !

— Il va finir au sol votre pote, a rigolé Changbin.

Pourtant, j'étais persuadé qu'il tenait Felix bien trop fort pour qu'il puisse tomber. Il lui portait un regard bien trop attendri et bien trop prévenant. J'ai adoré voir tant d'affection dans ses pupilles brunes, j'ai adoré savoir cette douceur adressée à mon meilleur ami, il la méritait, mais un désagréable sentiment s'était mêlé dans mon estomac. Je n'irai pas jusqu'à dire que j'étais jaloux, que ce soit de Felix ou de Changbin, mais j'avoue avoir voulu que l'attention des deux garçons soit sur moi. Pourtant, qu'il était doux le sourire de Changbin lorsqu'il a relevé la tête vers moi. Il y avait quelque chose de glorifiant à avoir l'attention du noiraud.

— Vous avez toujours le club de journalisme ? a soudainement demandé Minho.

On l'a tous regardé comme s'il venait de dire une énormité. Hyunjin passa près du ricanement cynique, Jisung se recula d'un pas comme si deux cornes avaient poussé sur son crâne. J'ai imaginé Minho revêtant l'habit du diable et j'ai espéré que la nuit masque la couleur révélatrice de mon visage.

— Alors toi comment tu pètes l'ambiance, a soufflé Sugyeong. C'est dingue...

— C'est ça, moque-toi. Du coup ?

— Ouais, y en a toujours un.

— C'est Soobin qui s'en occupe, ai-je ajouté. C'est le grand type là-bas, avec les cheveux bleus.

Minho a lancé un « Super, merci ! » avant de s'en aller retrouver le président du club. Je l'ai observé quelques secondes tapoter l'épaule de Soobin et entamer une conversation animée. Le plus grand revêtait un sourire particulier et il était amusant de l'observer se pencher pour parler à Minho.

— Il est chelou lui, a commenté Jisung, un sourcil haussé.

J'ai entendu Hyunjin murmurer « mais il est canon ». Ça m'a fait doucement sourire. Pourtant, j'étais du même avis que Jisung. Je n'avais pas compris le soudain enjouement de Minho à l'idée du club de journalisme. Certes, ils produisaient des hebdomadaires que les lycéens adoraient, gorgés de potins et d'infos sur tout le monde. Hyunjin a été en première page bien des semaines et j'avais malgré moi été au coeur de certains papiers. Même Changbin avait eu droit à son article en début d'année. Néanmoins, je n'irai pas jusqu'à dire que c'était passionnément intéressant. Je n'y portais aucun intérêt.

— Vous ne le savez sûrement pas, a expliqué Changbin en raffermissant sa prise sur mon meilleur ami, mais Minho a été président du club de journalisme en première et terminale. Au début, c'était juste un repère de squatters et de branleurs qui s'étaient inscrits là pour justifier leurs absences en cours. Minho, c'était un gars comme eux, mais il s'est pris de passion pour le journalisme et il s'est démené comme un fou pour remettre le club debout. Il est devenu le centre des rumeurs et potins du lycée, il connaissait tout sur tout le monde et tout le réseau informatif passait par lui à un moment ou à un autre. Ça lui a donné du pouvoir et valu une certaine renommée. Il ne gardait rien pour lui. Ça lui a causé des problèmes et il s'est battu bien des fois à cause de ça.

Par la suite, Changbin a expliqué que c'était aussi la raison pour laquelle Minho avait été élu roi, même s'il était ouvertement gay. C'était parce que les élèves avaient bien trop peur de lui pour vouloir se le mettre à dos. Minho s'est présenté à l'élection du roi de promo parce qu'il savait qu'il allait être élu. Ce n'était qu'une machinerie. Minho était un imposteur au même titre que moi. J'ai adoré ça. Lee Minho était un connard mais je l'ai admiré, même après avoir entendu ce qu'il avait fait. Changbin a continué son récit et nous sommes restés les bras ballants, la bouche presque pendante. Jisung s'est mâchouillé la lèvre dans un geste nerveux, Felix s'est détaché du petit noiraud, reprenant un peu ses esprits. Hyunjin est resté de marbre, habitué. Eunji a baissé les yeux, jouant avec le drapé de sa robe, et Sugyeong a serré les dents et les poings.

Nous avions tous souffert des rumeurs au collège, nous savions à quel point on pouvait en pâtir. Ce n'était pas quelque chose que l'on pouvait pardonner et savoir que Minho, sans en être l'instigateur, avait détenu le pouvoir de les arrêter, nous avait rendu anxieux, amers, et presque envieux. Si nous aussi, à cette époque, nous avions été plus puissants, les choses se seraient sûrement passées autrement.

Changbin m'a adressé un regard inquiet et je lui ai fait signe de poursuivre. Il a un peu cherché à nous rassurer en disant que Minho n'avait jamais agi envers ceux qui n'avaient rien fait, et que jamais, il n'avait révélé quelque chose qu'il savait faux simplement pour blesser. Ce n'était pas son boulot et ce n'était pas ce qu'il aimait faire. Je pense que ça nous a suffi. Au final, Minho avait du créer le journal du lycée tel qu'on le connaît aujourd'hui.

Un peu ailleurs, j'ai doucement attrapé la lèvre inférieure de Jisung pour la retirer de l'emprise de ses dents. S'il avait continué, elle se serait fendue. Il m'a adressé un regard écarquillé, une expression d'animal pris entre deux phares de voiture, avant de me sourire un peu et de baisser les yeux.

— C'est bizarre que vous n'ayez jamais entendu parler de cette histoire. Minho avait un surnom quand on était au lycée, un vieux bruit de couloir. M'enfin, depuis la seconde, c'est normal que vous ayez oublié.

— Dis toujours.

— On l'appelait Lee Know-It-All.

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— Allez Hyung, s'il te plaît ! suppliait Jeongin, les sourcils froncés. Sérieux, j'ai mon permis et je sais conduire. C'est quoi ton problème à la fin ? J'vais pas te la défoncer ta moto.

Nous avions fini par nous installer sur le parking. La musique de l'enceinte du groupe à côté de nous était suffisamment puissante pour que nous en profitions. Ça n'empêchait pas Jisung de crier quand le son ne lui plaisait pas. Nous nous étions assis en cercle, à moitié sur le trottoir et sur le goudron du parking. Nous avions rassemblé les bouteilles au centre, Jisung avait sorti son paquet de tabac avec un soulagement palpable et nous n'avons plus rien contrôlé. Jeongin nous avait rejoint avec une terminale qui semblait vouloir disparaître. Elle s'appelait Yoorim, elle était plus grande que Minho et elle faisait partie du club de basket. Elle nous a adressé un sourire gêné et elle s'est grattée la nuque quand nous lui avons tous rendu. J'ai étouffé un rire : nous savions tous comment Jeongin et Yoorim allaient finir la soirée. Une coucherie facile, nécessaire et sans prise de tête, pour les deux. Eunji l'a invitée à venir s'assoir et elles ont fait connaissance.

— Tu peux très bien rentrer à pied, Hyunjin n'a pas lâché le morceau. Et puis comment je vais aller chez Lix, moi ?

— Putain, c'est vrai ça... interrompis-je le débat en m'adressant à Felix. Mec, les bus ne passent plus à cette heure, comment on est censé aller chez toi ?

— Kakao ? a proposé mon meilleur ami, allongé en étoile sur le goudron, la tête sur les cuisses de Minho.

— Sinon, on peut juste prendre ma caisse, a balancé le rouquin et il a eu pour nous l'image du sauveur.

Il avait eu vite fait de revenir parmi nous après sa discussion avec Soobin. Il avait simplement haussé les épaules, l'air satisfait.

— T'es v'nu comment 'Bin ? continua-t-il, expulsant un nuage de fumée d'une cigarette que lui avait roulé Jisung.

— Ma soeur m'a prêté sa bagnole.

Jeongin a frappé dans ses mains, l'affaire semblait pliée. Il avait sur le visage un rictus des plus fiers et des plus vantards. Ses yeux pétillaient d'orgueil, je me suis vu à travers lui. Il avait recouvert son intérieur sous une masse d'étincelles et de paillettes.

— Super ! Tu vois, tu n'as plus besoin de ta moto Hyung.

— C'est toujours non, ne s'est pas déridé le grand noiraud.

— Oh allez mec, l'encouragea Jisung en posant une main sur son épaule. Tu peux bien faire ça, tu vois bien qu'il veut draguer une p'tite minette !

— Ce que tu peux être beauf parfois Jisung, ça me désespère.

Le brun a soupiré, écrasant son mégot sur le sol entre ses genoux.

— Mais t'as fini de râler Su' ? T'es grave chiante ce soir, t'as tes règles ou quoi ?

— Cours.

Jisung ne demanda pas son reste et détala à l'autre bout du parking en criant, poursuivi par Sugyeong qui le menaçait, le poing en l'air. La jeune fille lui asséna une taloche bien méritée tandis que nous nous tordions de rire.

— Ji a raison n'empêche, me confia Eunji en grimaçant. Je ne sais pas trop ce qu'elle a en ce moment... Je sais qu'elle se pose pas mal de questions depuis le collège mais elle ne veut plus trop en discuter. J'sais pas trop de quoi elle a peur mais bon, je suppose qu'elle m'en parlera quand elle sera prête.

— Tu veux que j'aille lui parler ? ai-je proposé.

— Bah j'veux pas la forcer non plus, mais tu peux toujours essayer. Peut-être qu'elle s'ouvrira à toi, ce ne serait pas la première fois...

J'ai fait un petit sourire à Eunji qu'elle m'a rendu. J'ai passé ma main dans ses cheveux et elle a soupiré. Elle a repris sa conversation avec Yoorim, regardant de temps à autre Jeongin et Hyunjin se chamailler sans s'en mêler. Jisung est revenu vers nous en courant, Sugyeong a pris son temps. J'ai décidé que c'était le moment. J'ai étendu mes jambes devant moi et je me suis levé en râlant. J'avais tout le mollet droit engourdi.

— Tu vas où Min ? m'a demandé Felix.

— Pisser.

J'ai volé deux bouteilles de bière et j'ai indiqué à Sugyeong de me suivre avant qu'elle ne se rassoie. Je n'ai pas posé de questions tout de suite. Elle m'a suivi derrière le gymnase et je lui ai tendu les deux bouteilles.

— T'es sérieux ? T'avais vraiment besoin de moi pour ça ? Compte pas sur moi pour te la tenir.

— Calmos, je veux simplement qu'on discute. J'avais juste trop envie d'pisser, ça fait d'une pierre deux coups.

— Tu m'en diras tant... Bon, grouille-toi.

J'ai lâché un rire rauque. Je commençais à avoir un peu bu. Mon esprit était léger, mes jambes tanguaient doucement. Je me sentais bien. J'ai fait mes affaires dans un buisson derrière le gymnase.

— Passe les bouteilles, j'vais les ouvrir tant que j'y suis.

Je me suis retourné vers elle, le pantalon refermé mais la ceinture détachée.

— Mais merde Seungmo, a-t-elle râlé en levant les yeux au ciel.

— C'est bon, j'ai pas de décapsuleur et il est hors de question que j'abime mes dents. Tranquille ça va prendre deux secondes et tu pourras arrêter de faire semblant que tu ne me matais pas le cul.

Elle a simplement haussé les épaules et nous avons ri. Sugyeong, qu'est-ce qu'elle pouvait s'en foutre du fessier des garçons. Je me suis rhabillé et nous avons trinqué. Nous étions totalement caché par l'ombre mais nous avions une vue prenante sur le parking. Un couple s'était dirigé vers nous, et ne nous voyant pas, avait commencé ses affaires à quelques mètres seulement.

— OH ! a gueulé Sugyeong d'une voix bourrue pendant que je m'esclaffai, la bière me remontant dans le nez. Un peu de pudeur ici ! C'est pas possible ça.

Nous avons éclaté de rire et sommes repartis en trottinant vers le parking alors que les deux lycéens nous insultaient. Nous ne sommes pas retournés avec les autres de suite, on s'est assis sur un bout de trottoir et elle a pris une gorgée de sa bière.

— Comment tu te sens en ce moment ?

— On est obligés de parler de ça maintenant ? Sérieux, c'est la fête.

Sugyeong a ravalé un rire nerveux quand j'ai tourné mon regard vers elle. Longuement, elle a soupiré, avalant une énième gorgée.

— Pas terrible, je t'avoue. Ça va. C'est Eunji qui t'a demandé de me parler ?

— Ah, je suis démasqué... Mais il n'y a pas qu'elle qui s'inquiète pour toi, tu sais. Je ne te forcerai pas à tout me déballer mais si tu veux parler, on est là pour toi.

Elle a posé sa tête sur ses genoux repliés contre son buste, le corps penché en avant.

— Hum... a-t-elle simplement lâché. Je sais.

Nous n'avons rien dit pendant un moment. On a fini nos bières en se distrayant des groupes disparates qui s'amusaient. Il devait être une ou deux heures du matin, le bal allait bientôt se terminer. Les dernières musiques devaient être en train de passer à l'intérieur et les surveillants devaient déjà s'occuper du ménage, rêvant de rejoindre rapidement leurs pénates.

— Dis Seungmin...

— Hum ? ai-je prononcé à mon tour dans ma grande éloquence.

— Tu réagirais comment si je n'étais pas totalement une fille ?

Je suis resté interdit un moment. Je ne savais pas comment réagir, je ne savais pas quoi penser. Je ne m'attendais pas à ça.

— Tu veux dire que...

— Je pense, enfin... Je le sais, j'suis sûre quoi. Je ne me sens pas fille, pas que en tous cas...

Je me suis demandé ce que c'était encore que cette lubie, cette mode, cette nouvelle manière de prouver sa différence. Je me suis demandé pourquoi tout d'un coup, on s'était mis à porter tant d'importance au genre. Qu'est-ce qui n'allait pas dans la binarité millénaire ? Les remarques insultantes de mes parents se sont rappelées à ma mémoire et j'ai manqué d'éclater de rire. Sugyeong a compris que je ne captais pas deux mots de ce qu'elle disait.

— Laisse tomber, c'était des conneries.

Mon amie a soupiré encore une fois avant de se lever. Elle a récupéré sa bouteille vide et j'ai sauté sur mes pieds. Je l'ai attrapée par le poignet et l'ai serrée dans mes bras. Je devais l'enlacer trop fort parce qu'elle m'a soufflé un « j'étouffe ! » étranglé. J'ai préféré la lâcher, aucun de nous n'aimait trop les câlins de toutes manières.

— Je me fiche de ce qu'on peut penser Su'. J'avoue que je comprends pas tout, mais que tu te sentes mec, les deux à la fois ou je ne sais pas trop quoi, ça m'est complètement égal. Je t'adore quand même et c'est pas un genre qui va changer ça.

Elle n'a rien dit mais m'a pris à son tour dans ses bras et c'est moi qui me suis senti étouffer. Je me suis dit que si mes parents m'avaient entendus prononcer de tels mots, ils auraient fait une syncope. Il y avait quelque chose de follement amusant à imaginer leurs réactions, à leur désobéir, à incarner à la fois leur fierté et leur honte. C'était divertissant. C'était pitoyable comme raisonnement.

— Merci...

— Tu devrais le dire aux autres aussi tu sais, surtout Eunji, elle s'inquiète pour toi.

— Je veux attendre encore un peu, j'suis pas sûre de mes pronoms, ni rien. J'veux pas. J'ai trop peur.

— Quand tu seras prête alors, mais rassure-les au moins. Et ne te prend pas la tête à propos de leurs réactions, on t'aime Su'.

— C'est gentil...

Je crois qu'elle était trop émue pour dire quelque chose d'autre, pour exprimer correctement ses sentiments. Elle n'avait jamais trop donné dans les effusions d'affection. Ça me convenait aussi. Je ne comprenais pas grand chose à la non-binarité à cette époque. Ça me paraissait bizarre et j'avais du mal à croire que ce n'était pas simulé. J'avais du mal à comprendre comment le cerveau humain pouvait être à ce point dérangé, et je ne comprenais pas vraiment comment on pouvait détacher le sexe du genre. J'ai estimé que c'était une lubie due à sa crise d'adolescence, elle devait être perdue.

J'ai surement eu raison puisque ça a fini par lui passer.

Pourtant, Sugyeong avait l'air sûre d'elle quand elle m'en a parlé alors je l'ai cru, quand bien même ça me paraissait invraisemblable. Je n'ai pas voulu la froisser en posant plus de questions que nécessaire, j'avais peur de dire le mot de trop et que l'image de l'imposteur ne repeigne ma façade couronnée. J'ai accepté Sugyeong parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire. J'ai simplement pensé qu'elle n'aimait pas être une fille, elle n'aimait pas la fausse image qu'on avait attribué au mot et elle ne voulait pas s'y conformer. Au final, je me fichais bien de ce qu'elle pouvait se croire être, tant qu'elle était heureuse.

« T'aurais pu te moquer... » m'avait-elle opposé quelques années plus tard. Je lui ai rétorqué qu'elle n'avait jamais jugé nos pratiques sexuelles à plusieurs. J'aurai été le dernier des salauds à lui faire la morale après ça.

— On retourne avec les autres ? a-t-elle fini par proposer.

Maintenant la bombe lâchée, elle voulait s'échapper rapidement de ses possibles répercussions, de la dizaine de questions maladroites et invasives que je mâchais et remâchais pour m'empêcher de les sortir. J'ai hoché la tête et elle m'a emboîté le pas. Ses épaules avaient l'air libérées d'un poids, je me suis dit que son combat devait en valoir la peine. Il devait valoir le risque que la bombe explose et terrasse tout sur son passage.

Pourtant, je savais déjà qu'elle n'allait pas s'en sortir indemne.

— Seungmo, dépêche ! On décale ! m'a appelé Felix. J'ai récupéré ta veste au fait.

En une trentaine de minutes, ils s'étaient bougés, avaient jeté les cadavres de nos bouteilles et m'attendaient pour prendre la poudre d'escampette. J'ai remercié mon meilleur ami.

— Vous êtes sûres que vous ne voulez pas venir ? s'est assuré Changbin. On a largement la place de vous prendre dans les voitures.

— Certaines ! s'est esclaffée Eunji, enroulant son bras autour de celui de Sugyeong. Je n'ai jamais eu pour projet de voir la bite de mon frère, et encore moins celle de mon meilleur ami. Merci bien !

Changbin a haussé un sourcil, un sourire amusé sur les lèvres. A ce stade de la soirée, nous étions tous conscients de la manière dont elle allait se terminer.

— La mienne, ça t'dérangerait pas alors ?

— Ferme ta gueule 'Lix, ça vaut mieux pour toi, a grogné Jisung, la mine sombre.

J'ai étouffé un rire significatif, Minho ne s'est pas retenu d'exprimer son hilarité, sifflant entre ses dents.

— Quelqu'un vous ramène ? ai-je demandé aux deux filles de notre groupe. Sinon on peut vous déposer.

— T'en fais pas, j'ai appelé mon frère en début de soirée, m'a répondu Sugyeong. Je vais lui envoyer un message. S'il ne s'est pas endormi, il devrait bientôt arriver.

— On va rester avec vous jusqu'à ce que vous partiez.

Yoorim n'a pas laissé à Jeongin le choix. Il n'a pas eu l'air offensé mais j'ai lu de l'impatience dans ses yeux onyx. Je ne me suis pas demandé si Hyunjin avait abandonné la bataille et prêté sa bécane à son cousin : Yoorim avait enfilé la veste de moto de Hyunjin, Jeongin avait son casque sous le bras et jouait éhontément à faire tourner les clés autour de son index. J'ai remercié les deux plus jeunes et j'ai fait mes au revoir. Ils avaient le goût d'adieux. Ceux de Felix furent durs et amers, il prit les deux jeunes filles à part pour annoncer la nouvelle que j'étais seul à connaître. Eunji a éclaté en sanglots bruyants, Sugyeong l'a frappé au torse plusieurs fois, de rage et de tristesse. Elles l'ont serré entre leurs bras pendant une éternité, refusant de le laisser partir, refusant de le voir disparaître. Si elles le lâchaient, elles étaient certaines qu'elles ne le reverraient jamais. Personne n'a été d'accord avec le choix de Felix, de partir ainsi, de rentrer en Australie, de retourner en enfer, à la charge de ses parents.

Nous l'avons compris bien plus tard. Bien, bien plus tard, quand il nous est revenu.

Alors, ce soir-là, Felix a donné rendez-vous à Eunji et Sugyeong à l'aéroport le surlendemain et je suis resté passif, impuissant et incapable devant l'inévitable. Ce soir-là, nous étions persuadé que Felix ne reviendrait jamais. J'ai fait figure de. Moi aussi, j'aurai voulu pleurer.

Les autres n'ont pas fait attention à eux. Ils se dirigeaient vers les voitures, Jisung animant une discussion dynamique qui ne faisait aucun sens, l'alcool jouant dans ses veines. Ils criaient, riaient. Je les ai suivi. Plusieurs groupes de lycéens rentraient à pied, déambulants sur la route. Certains amis me firent « au revoir » de la main, m'interpelant parfois en criant, me félicitant, me souhaitant une bonne fin de soirée et je réciproquai le geste, leur souhaitant de bonnes vacances.

— Vous vous grouillez oui ! s'est égosillé Hyunjin, impatient.

Il avait déjà pris place à l'arrière de la voiture de Changbin. J'ai pressé le pas. Préférant ne pas m'interposer entre Minho et Jisung qui se faisait plaquer sur le capot de la voiture du rouquin, je me suis engouffré à la place du mort dans la voiture de Changbin. J'ai détesté l'ironie de cette information.

Felix est arrivé vers nous en courant, son sac rebondissant comiquement sur son dos.

— Putain ! Qui m'a sacrifié et abandonné avec les deux chauds du cul ? Ils sont intenables comparés à vous !

— Seungmin, m'a vendu Hyunjin sans une once de remord.

— Faux frère ! a-t-il râlé. 'Bin-Hyung... J'peux pas monter dans ta voiture ?

Le blondinet a imité une moue suppliante alors que Changbin se marrait, peu compatissant pour deux sous.

— C'n'est même pas la peine d'y penser, ils seraient capables de s'arrêter au bord d'un fossé pour faire leurs affaires avant même d'arriver !

— Abuse pas ! s'est soudainement insurgé Jisung en se dégageant de l'emprise de notre ainé. On sait se tenir, on n'est pas aussi pressés.

Le silence a été éloquent, même Minho n'y a pas cru. Felix s'est assis à l'arrière de la voiture voisine en râlant, leur criant dessus de se dépêcher et de démarrer avant qu'il « ne les démarre » justement. Vite, vite, que nous soyons arrivés, Minho et Jisung n'étaient pas les seuls à être capables de s'arrêter au bord d'un fossé.

— Pars devant, je te suis, a lancé Changbin.

A travers la vitre ouverte, Minho a fait un signe d'assentiment de la main et il a quitté le parking à toute vitesse. Changbin a suivi, peut-être même plus rapidement. J'ai prié pour que Hyunjin ait un estomac bien accroché.

Le trajet dura six minutes de moins qu'habituellement. J'ai passé mon temps à fixer les doigts tatoués de Changbin enserrer le volant.

Vite, vite, que nous soyons arrivés, ce soir, le règne du nouvel imposteur doit s'achever.

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Deuxième partie de GSPK ! Encore une fois, j'espère qu'elle vous aura plu. J'avoue avoir pressé la relecture de la fin donc n'hésitez pas à signaler des couacs ^^'

Le prochain (et dernier :( ) chapitre promet des étincelles, des bêtises et de la limonade (beaucoup) ! Il est toujours en cours d'écriture alors je ne donnerai pas de date de publication, mais je vais tenter de le finir pour la fin de la semaine voire début de semaine prochaine si possible.

Prenez soin de vous,
Ash (:

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