Chapitre 8 : Tilion
À huit heures pétante, Hélène m'avait emmenée devant la salle, comme si j'étais sa petite fille qui entrait pour la première fois en crèche. Elle avait même promis avec un grand enthousiasme qu'elle viendrait me récupérer à midi. Dans ces moments là, je ne pouvais m'empêcher de penser à ma véritable mère qui avait parfois quelques petites similitudes avec elle.
J'observai à présent les élèves qui bavardaient en attendant le professeur. Leurs allures apothéotiques me fascinaient, mais aucun ne m'avait jeté un regard ou même adressé la parole.
J'étais seule et à l'écart du groupe comme une paria que l'on voudrait à tout prix éviter. Les étudiants de Diafosa devaient certainement se connaître depuis des années, contrairement aux nouveaux dans mon genre qui n'étaient pas monnaie courante par ici.
Après quelques minutes à fixer le haut plafond aux moulures douteuses, je voulus passer le temps en essayant de chercher Saphira, mais personne ne correspondait véritablement à l'image que je m'en faisais. J'imaginais bien une femme à la peau halée, des cheveux bruns très frisés et un chat perché sur l'épaule. Oui, c'était plutôt allégorique, mais je n'avais encore jamais rencontré de vraie sorcière et encore moins une sorcière avec des pouvoirs aussi particuliers.
Lors de ma contemplation, un garçon soutint anormalement mon regard. Il avait l'air amusé et souriait de toutes ses dents. Voici la première attention que je recevais en quinze minutes. Embarrassée, je regardai soudain le mur qui me faisait face, posture digne d'un naturel sans nom.
La foule se mit soudain à entrer dans la salle, non sans applaudir le professeur dont la tonne de papiers qu'il transportait lui cachait la moitié du visage. Je les suivis, soulagée de ne plus agir en parfaite idiote. Étant parmi les derniers à entrer, je me résignai à passer le reste de l'année scolaire au premier rang. Mais j'aperçus soudainement la place de mes rêves, sous un halo de lumière, située près d'une fenêtre et bien au fond qui me criait de la rejoindre. Je m'assis donc rapidement et collai ma tête contre la fenêtre, profitant du mince filet de soleil qui chauffait délicieusement ma peau, tout en contemplant le paysage un peu plus bas.
Si le campus avait été bien calme ces derniers jours, il était désormais en effervescence. De là où je me situais, les étudiants semblables à des fourmis gesticulaient dans tous les sens pour rejoindre leur salle de classe. Une image plutôt rassurante, moi qui m'attendais à des cercueils, des voûtes et un donjon.
Pour l'instant, ce qui me semblait le plus étrange était certainement leur physique, leur langage - je n'étais pas encore familière à certaines de leurs expressions - et surtout leur instinct. Aujourd'hui par exemple, je n'avais bousculé personne, ni frôlé qui que ce soit, chose pourtant quotidienne dans un lycée normal. Je ne saurais l'expliquer autrement, mais je commençais sérieusement à croire que les étudiants possédaient des yeux cachés derrière la tête.
Le grincement sinistre de la chaise m'éloigna de mes pensées. Je me retournai vivement et vis le garçon au sourire flamboyant me dévisager quelques secondes avant de s'installer gaiement sur la chaise voisine.
— Salut ! Je suis Sean, enchanté. Ambre, c'est ça ? Magnifique ton prénom, j'adore ! Ça fait assez dark, pouvoir ancestral, femme de feu, tu vois l'truc ? Alors, de quelle divinité descends-tu ?
Ce garçon parlait à un débit incroyable, je n'avais presque rien compris de ce qu'il disait.
— Je ne suis...
— Aaaah, attends ! me coupa-t-il en mettant un doigt sur ma bouche. Si Céleste te déteste à ce point, tu dois être la descendante d'Éos, c'est ça ? Quoi que non, Céleste déteste absolument tout le monde ! plaisanta-t-il en posant une main sous son menton.
Éos était une tétanide, déesse de l'aurore qui avait été condamnée à l'érotomanie par pure jalousie.
— Tu peux parler moins vite, s'il te plaît ?
— Oh, désolé, mauvaise habitude !
Je le détaillai plus tranquillement cette fois. Même quand ce garçon ne souriait pas, il avait toujours des yeux rieurs avec quelques petites pattes-d'oie au coin des yeux.
Peut-être, était-ce à cause de ses cheveux d'un blond éclatant presque blanc comme neige, ses yeux bleus translucides et sa peau diaphane qu'il ne me paraissait pas intimidant contrairement à Alec. Il avait même l'air plutôt sympathique avec ses airs de garçon tout droit sortit de la campagne.
— Comme je le disais, je ne suis pas une divinité. Et avant que tu ne me poses la question, je n'ai absolument aucune idée de ce que je suis, repris-je en m'accoudant contre le bureau.
— Maintenant que tu le dis, je sens que tu es différente. C'est bizarre, mes sens ne me trompent jamais d'habitude, fit-il en se tournant vers le tableau avec un regard songeur. Bon, tant pis ! On sera à côté désormais, t'inquiète pas, je te protégerai d'Alec. Apparemment, il t'a plutôt violentée à ton arrivée. Tu t'y feras, il m'a fracassé au moins une bonne dizaine de fois en à peine un an, blagua-t-il en farfouillant ma trousse. Mais bon, que veux-tu ? Entre divinités, c'est toujours comme ça.
— Dois-je en conclure que tu es un descendant, toi aussi ?
— Dionysos, pour te servir, se présenta-t-il en inclinant pompeusement la tête.
— Ça ne m'étonne pas, m'esclaffai-je. Tu es si vivant, sans oublier cette déme...
— Démesure ? Tu n'as encore rien vu, résuma-t-il avec un sourire malicieux. Le descendant du dieu de la folie, des excès et ... du vin. Enfin, mon ancêtre ne sait pas ce qu'il a raté ! Vivre sans vodka ni whisky ? Impossible.
— Tes dons doivent être assez drôles à voir, m'exprimai-je plus pour moi-même que pour lui. Rendre un rugbyman soul en moins d'une minute ? Oh, mieux ! Faire apparaître une pina colada bien fraîche ?
Je ramenai désormais mes mains sous mon menton en clignant plusieurs fois des yeux et en attendant patiemment que Sean me montre ses tours de passe-passe.
— Ça ma belle, faudra attendre le Capflag, l'utilisation de nos pouvoirs est relativement limitée en classe, déplora-t-il en regardant discrètement à sa droite.
Mais je savais qu'il en mourrait d'envie, autant que moi.
— Depuis quand Dionysos respecte-t-il les règles ? le défiai-je en agitant mes sourcils avec condescendance.
Son regard se fit plus malicieux. Il plissa légèrement les yeux et me fixa intensément. Je ne le lâchai pas des yeux, et continuai de me perdre dans ses yeux bleus cristallins. Ils semblaient tourner continuellement dans une spirale infernale, j'étais totalement hypnotisée. Je ne pouvais m'empêcher de penser à Kaa, le serpent du livre de la jungle. Le temps s'était comme arrêté, je n'entendais plus le brouhaha incessant de la classe, et ne ressentais plus la chaleur étouffante du mois d'août. Je ne voyais plus que lui. C'était un sentiment de bonheur, une envie irrésistible qui m'animaient, et je voulais rester comme ça pour toujours quitte à devenir son esclave.
Un bruit sourd me fit brusquement revenir sur terre. Je secouai légèrement la tête, hébétée, et me tournai vers l'intrus qui avait brisé ce moment cabalistique.
Alec avait son poing sur la table et ne lâchait plus des yeux Sean. Je remarquai que toute la classe nous dévisageait. Ces regards curieux me mettaient mal à l'aise. Je me revoyais, cinq ans plus tôt lors de notre spectacle de fin d'année où des centaines de parents attendaient avec impatience que notre prestation commence.
Tous, sauf une semblait apprécier notre petit manège.
Près de la porte, j'aperçus Céleste et sa bouche crispée, les jointures de son poing étaient blanches tant elle le serrait. Oh non, s'il vous plaît, ne me dîtes pas qu'ils étaient dans cette classe.
Je me concentrai de nouveau vers Alec qui n'avait toujours pas quitté des yeux Sean. L'ambiance était pesante, presque irrespirable, je me risquai donc à m'adresser au garçon face à moi, mais Sean fut plus rapide.
— Salut, Alec. Comment vas-tu aujourd'hui ? tenta-t-il en se levant, comme si de rien était.
— Si je te surprends de nouveau à utiliser tes pouvoirs ici, tu en payeras les conséquences. Si ma mémoire est bonne, tu me suppliais d'arrêter la dernière fois. Tu sais donc à quoi t'attendre mieux que personne, cracha-t-il sans le lâcher des yeux.
Sean était blanc comme un linge, le voir avec un visage sérieux était étrange, lui qui n'avait pas arrêté de sourire jusqu'à maintenant. Pourtant, il se reprit rapidement et se tourna vers moi avec son habituel air enjoué.
— Désolé, Ambre, je m'en vais pour le moment, mais j'espère te revoir ce soir à ma soirée.
Il me fit un clin d'œil et partit lentement en direction des portes. Tout le monde le suivit du regard, sans que qui que soit ne se soit étonné de sa soudaine fuite. Sécher les cours était donc quelque chose de normal ici ?
Quant à Alec, il s'assit simplement à mes côtés.
Je n'avais absolument rien suivi. Et tout cela s'était passé en seulement quelques secondes.
— Je te déconseille d'y aller. Tu as bien vu ce dont il est capable.
Je mis du temps à comprendre qu'il s'adressait à moi. Cependant, je ne répondis pas, toujours préoccupée par ce que venait de faire Sean. Ses pouvoirs étaient fascinants. Quel bonheur d'assouvir ma curiosité !
Le professeur se racla bruyamment la gorge et le cours put enfin commencer. Comme Alec était à mes côtés, rester concentrée était plutôt difficile... du moins au début. Il s'agissait d'un cours que j'avais déjà étudié l'année dernière : l'Iliade. Il était seulement beaucoup plus détaillé comme si Homère avait tout bonnement retranscrit ce qu'il avait vu de ses propres yeux. Les deux heures étaient passées à une vitesse folle. Comme quoi, Alec n'avait pas eu raison de ma concentration et je n'en étais pas peu fière.
— Ce sera tout pour aujourd'hui. J'aimerais une synthèse de deux pages pour la prochaine fois, ordonna d'une voix forte le professeur.
Je rangeai lentement mes affaires, espérant en apprendre plus sur l'école grâce à Alec à mes côtés, mais il disparut en un nuage de fumée.
Lui qui disait de ne pas utiliser ses pouvoirs en classe ...
La matinée avait filé à grande vitesse. Hélène était avec moi pour le reste des cours, nous avions donc fait que bavarder. Pour un premier jour, les cours n'étaient pas bien compliqués, je remerciais intérieurement ma mère pour l'aide qu'elle me fournissait depuis que j'étais petite. Je la soupçonnais d'avoir des origines asiatiques, car pour elle, l'école guérissait. Il était donc normal qu'en plus des leçons en classe, je suive des cours intensifs avec elle à la maison.
Avant de retourner aux dortoirs, j'avais évidemment raconté à Hélène ma matinée agitée. À mon grand désarroi, elle avait seulement éclaté de rire pendant cinq bonnes minutes.
— Sean est quelqu'un d'adorable, plus qu'Alec en tout cas. Il voulait simplement te faire une blague, c'est tout. Tu verras ce soir, ses fêtes sont les meilleures de l'année.
— En vérité, ça ne m'a pas dérangée qu'il utilise ses dons sur moi, je l'avais provoqué. Mais il aurait quand même pu me prévenir. J'étais comme hypnotisée et quand je suis enfin revenue à moi, je n'ai rien compris, pérorai-je avec une bouteille d'eau à la main.
— C'est assez complexe. Je crois qu'il peut contrôler les émotions ou un truc dans le genre, mais à un niveau extrême.
— Comment ça fonctionne ?
— Aucune idée, je ne suis pas une divinité et heureusement, grimaça-t-elle. Que comptes-tu porter ce soir ?
À vrai dire, je n'avais absolument aucune envie d'aller à cette fête. Même si Sean était un chouette type, je préférais errer dehors à la quête de nouveaux trésors. Pourtant, les paroles d'Alec restaient dans ma mémoire. J'avais réellement envie de faire tout le contraire de ce qu'il me disait.
— Je n'ai rien pris avec moi. Ma mère est celle qui porte le plus de robes en général. Mais je t'y accompagnerai quand même, soupirai-je avant de boire trois gorgées.
— Tu pourras y voir les trophées de ton père. Il me semble qu'il y a même des photos.
J'avalai de travers.
— Pourquoi tu me l'as pas dit plus tôt ? m'exclamai-je en m'étouffant.
Je commençais à me diriger vers je-ne-sais-où, espérant tomber sur le lieu de la fête par hasard.
— Attends ! Ambre ! Les photos ne vont pas disparaître, me coupa-t-elle en m'arrachant presque le bras.
Dès qu'on parlait de mon père, mon cerveau n'arrivait plus à fonctionner. J'inspirais un bon coup, et suivis Hélène jusqu'aux dortoirs. J'avais désormais une bonne raison de participer à cette soirée sans culpabiliser.
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