
Chapitre 2 : Ogden
Voilà maintenant douze heures que j'admirais ma mère danser au volant sur du Michael Jackson. Elle avait réussi à me dégoûter d'un de mes chanteurs préférés en à peine quelques heures. Malheureusement, même mon cher Michael n'avait pu me faire oublier Angie. Notre dernière conversation restait toujours bien ancrée dans ma mémoire. Le son diminuant de volume, je me tournai vers ma mère :
— Tu as l'air ailleurs. Quelque chose te tracasse ? me demanda-t-elle en restant concentrée sur la route.
— Mh. T'es au courant pour Angie ?
— Bien sûr, sa mère m'en a parlé. Avant que tu cries au meurtre, on voulait te faire la surprise au dernier moment. Je pensais que tu serais contente.
— Je le suis, c'est juste sa réaction que j'ai trouvée bizarre, puis c'est quoi cette université-internat ? On dirait plus une prison qu'autre chose. Il pourra jamais sortir, tu te rends compte ? ajoutai-je en tripotant nerveusement mes doigts.
— C'est une école extrêmement prestigieuse, Ambre. Elle regroupe des adolescents âgés de douze à vingt-cinq ans richissimes et extrêmement ... étranges. Quand j'avais douze ans, une fille en est sortie précipitamment et m'a hurlé au visage qu'elle était une déesse, avoua-elle en pouffant. Bon, c'est vrai qu'elle était très jolie, mais je l'avais trouvée bien prétentieuse.
— Tu as visité cette école ?
— Non, toute la chaîne montagneuse leur appartient. Il y a une partie tout public, mais au-delà, c'est interdit. De toute façon, l'école est enfoncée au fin fond de la forêt, il faut extrêmement bien connaître le coin pour la trouver. Il y a des ours et des loups, c'est plutôt dangereux de s'y aventure.
Pas pour moi, maman. Pas pour moi.
— L'école n'est jamais passée dans les médias ? Aucun hélicoptère n'a survolé les montagnes ? C'est bizarre, non ?
— Et bien ... Les journalistes évitent de s'en approcher. À l'époque où je vivais encore ici, mon patron m'avait formellement interdit d'écrire le moindre article sur l'école. Leur directeur est quelqu'un de très influent, et plein aux as. J'imagine que c'est grâce à cette discrétion et tout ce mystère qu'elle a aujourd'hui cette réputation.
— Et si ils maltraitaient les élèves ? C'est peut-être pour ça qu'ils ...
— Arrête avec tes bêtises, Ambre. Bien sûr que non. Une fois diplômé, ils deviennent des adultes accomplis et jamais l'un d'eux n'a évoqué ce problème. Tu sais, les personnes riches préfèrent rester entre eux sans avoir le petit peuple qui se mêle de leur vie, c'est comme ça.
Bon, parfait. Je savais maintenant que trouver cette école allait s'avérer extrêmement difficile, voire quasiment impossible. Mais ce genre de challenge n'allait pas m'arrêter, loin de là. Ours, loups, aliens, mutants ... j'étais prête à tout. J'espérais surtout avoir le temps de m'y balader et atteindre mon but avant que les cours n'aient commencé.
— On est arrivées ! chantonna ma mère en coupant le contact.
Je ne m'étais même pas rendue compte que la voiture s'était arrêtée. Je contemplai rapidement le quartier à travers la fenêtre et descendis rapidement, impatiente de pouvoir enfin me dégourdir les jambes. Une charmante maison blanche typiquement américaine me fit face, avec un magnifique jardin à la pelouse immaculée. Les maisons voisines étaient similaires à la mienne comme tout bon quartier résidentiel et cela ne changeait pas de Phoenix. Un détail me troubla cependant : une immense montagne trônait fièrement au loin, sous le coucher du soleil. Cet endroit était absolument magnifique. Il y avait même un cours d'eau qui semblait contourner toute la chaîne montagneuse.
— Maman, tu penses qu'on peut se baigner là-bas ?
— Où ça ? me demanda-t-elle en plissant les yeux.
— On ne voit que ça, entre les arbres au fond. Tu ne vois pas ? répondis-je en pointant mon doigt.
— Mais non chérie, pourtant j'ai une excellente vue, je ne vois qu'une masse verte, rien de plus. Mais c'est vrai que je me souviens d'un petit ruisseau dans lequel ma sœur et moi jouions.
Je laissai cette histoire de montagne de côté et m'engouffrai dans la maison, excitée à l'idée de quoi ressemblait mon futur foyer. La porte s'ouvrait directement sur un couloir lumineux aux murs à la couleur taupe. Ma mère me suivit et entra dans ce qui semblait être le salon. Canapé d'angle, vieux tapis bordeaux à franges, table basse en bois vernis ... Tout était exactement comme sur les photos, mais y être en vrai était une sensation étrange. Après tout, j'allais y rester un long moment.
— Les déménageurs ont déjà tout installé. Prends les cartons qui restent et dépose les ici. On les videra demain, la route m'a crevée, je monte me coucher. Bonne nuit mon gros bébé ! dit-elle en m'embrassant sur la joue.
J'avouais qu'une bonne nuit de sommeil s'imposait. Visiter la forêt dès mon arrivée figurait dans mes objectifs, mais la nuit allait bientôt tomber.
Demain matin six heures tapantes, debout !
****
À mon réveil, les rayons du soleil réchauffaient ma peau. J'aurais rouspété si j'étais encore à Phoenix, il m'était impossible de dormir avec les rideaux ouverts, mais bizarrement, ce réveil demeurait plutôt agréable. Du moins, jusqu'à ce que j'aie jeté un coup d'œil à mon radio réveil.
Midi, sérieusement ?
Je me levai d'un bond, ma tête tourna pendant cinq secondes à cause de mon corps encore léthargique, puis je courus vitesse grand V dans la salle de bains. Mes affaires de toilette étaient déjà rangées dans les placards. Apparemment, ma mère s'était levée à l'heure. Je me préparai et attachai mes cheveux en une longue queue-de-cheval bien serrée pour ne pas qu'ils soient une gêne lors de mon expédition. J'enfilai un jean et un t-shirt blanc — excellente idée au passage — puis glissai sur la rambarde des escaliers.
— Maman ? l'appelai-je.
Pas de réponse.
Elle devait sûrement être dehors. J'entrai dans la cuisine spacieuse tout de bois vêtue, et posai ma main sur la poignée du réfrigérateur. Mais en tirant sur la poignée, le frigo ne s'ouvrit pas. Celle-ci demeurait dans ma main, complètement arrachée du frigo.
— Fait chier !
Quelle excuse allais-je devoir encore inventer à ma mère ? Heureusement, je tombai sur son post-it :
Je suis partie chez Joanna. La plupart des cartons ont été vidés, il ne reste plus que les tiens. Tu as le repas dans le frigo, je ne rentrerai pas trop tard. Bisou !
Maman ❤️
J'avais donc de la marge pour trouver une excuse, et surtout la journée de libre pour découvrir la montagne. Je devais m'armer de plus de détermination, si je voulais trouver cette école avant la rentrée. Je comptais bien surprendre Angie, lorsque je lui aurais tout raconté sur mon aventure.
« Alors comme ça aucun journaliste ne peut y entrer ? Peut-être qu'eux n'y arrivent pas, mais comme tu le vois, Shrek n'est pas à prendre à la légère. » Voilà les paroles que je comptais fièrement lui dire, quand il serait de nouveau à mes côtés.
De nouveau motivée, j'étais partie tellement rapidement de la maison, que je n'avais pas vérifié si la porte était bien fermée à clé. Mais cette préoccupation s'envola en morceaux sur le chemin. Mes globes oculaires s'agitaient dans tous les sens comme si j'avais consommé des substances illicites. Ces magnifiques maisons, ce parfait ciel bleu, l'odeur de la nature et le chant des oiseaux me transportaient dans un monde féerique. L'air y était plus pur qu'à Phœnix, et je m'y sentais bien, contrairement à mes attentes.
Ma bonne humeur devait certainement se lire sur mon visage, je n'avais cessé de sourire depuis mon départ. Et cette chaleur ne me donnait que l'envie de chanter. Je commençai à fredonner doucement Prince Ali d'Aladdin, l'un de mes Disney favoris :
— ... venez applaudir, acclamer la superstaaaar... fêter ce grand jour clochette et tambour, venez acclamer l'idole...
— C'est de toi que tu parles ? me demanda une fille, amusée.
Rouge comme une tomate, je me tournai vers cette douce voix féminine. Je n'avais jamais vu quelqu'un d'aussi parfait. Une magnifique chevelure rousse descendait en cascade le long de ses grandes jambes. Sa peau laiteuse et ses yeux verts pétillants donnaient envie de s'y plonger entièrement, comme un amas de feuilles. Son petit nez retroussé et ses taches de rousseur lui donnaient un semblant d'être féerique. Elle était en parfaite adéquation avec le décor, un peu comme une fée dans une forêt enchantée. Oui, c'était absolument à ça qu'elle ressemblait, une fée.
- Ça va ? s'inquiéta-t-elle au haussant ses sourcils.
- Pardon. Je... Oui. Tout va bien, répondis-je en toussant maladroitement.
Elle éclata soudain d'un rire mi-cochon mi-singe. En entendant son rire, je ne pus me retenir et m'esclaffai aussi. Je n'avais jamais entendu un son pareil de ma vie. Pendant trois longues minutes, nous rigolâmes à en avoir mal au ventre. Puis à bout de souffle, elle rappliqua :
— Ta tête était vraiment hilarante.
— C'est plutôt ton rire qui l'était ! m'empressai-je de dire en rigolant.
— Aussi, avoua-t-elle. Mais, c'est surtout mon plus gros complexe, ça gâche absolument toute ma féminité.
— Personne n'est sans complexe, je veux bien qu'on échange. Entre un rire de cochon et une tête de clown, qu'est-ce que tu préfères ?
— Pas du tout ! Tu es aussi grande que moi et tu as le visage fin. J'ai toujours envié les femmes au physique, disons, mûr. Moi, je ressemble à une petite fille en comparaison, finit-elle avec un demi-sourire.
Moi, fille mûre ? C'était bien la première fois qu'on me faisait un tel compliment. Ça changeait d'Angie. J'aimais déjà cette fille !
— Tu as quel âge ? Tu vis ici ?
— J'ai dix-sept ans, et oui c'est ici que je vis avec mes parents et mon frère... je suis juste à côté de...
Elle ne finit pas sa phrase. Son téléphone sonna, et elle s'empressa de décrocher avec un air paniqué sur le visage. Son correspondant n'avait pas l'air commode, certainement son père qui s'inquiétait de son absence, comme aurait pu faire le mien s'il était encore en vie.
— Oui ? ... Tout de suite ? ... Non non bien sûr... Alors dans deux minutes ? ... D'accord.
Elle rangea son portable et ajouta d'un air navré :
— Désolée, je dois partir de suite, comment t'appelles-tu ?
— Ambre, me présentai-je rapidement.
— Et bien, on se reverra Ambre, à plus ! cria-t-elle en courant dans la direction opposée.
Elle était partie tellement vite que je n'avais même pas eu le temps de lui demander son nom ni le lycée qu'elle fréquentait. Il fallait absolument que j'aille raconter à Angie ma rencontre avec la fée ! Je ne perdis donc pas plus de temps et continuai mon ascension jusqu'à la lisière de la forêt.
Soudain, je m'arrêtai net. Mes poils se hérissèrent et un frisson me parcourut tout le long du corps. Mes sens étaient aux aguets.
La foret était tellement dense que son fond en était presque noir.
Un sentiment étrange, d'excitation et de peur, pulsa au plus profond de mon être. Je n'avais jamais été courageuse, comme toutes ces filles dans les films d'horreur qui allaient chercher leur chien perdu dans une maison hantée. À leur place, j'aurais directement fait demi tour et dit mes adieux à « Clifford ». Étrangement, je restai immobile, et me décidai finalement à avancer en faisant de petits pas.
Je continuai ainsi mon chemin en respirant cette odeur de pins frais. Cette nature luxuriante me fit un bien fou, j'avais l'impression de respirer à nouveau. La sensation de peur s'était volatilisée, sans que je ne m'en sois vraiment rendu compte. Seul comptait le moment présent, et ma petite balade dans cette forêt qui regorgeait d'espèces animales et végétales en tout genre.
Quand je regardai finalement mon téléphone, il était quinze heures. Ça devait bien faire deux heures que je me promenais dans cette forêt enchanteresse, à chantonner et à sautiller partout comme une folle. Ce signe pourtant si simple aurait du me motiver à rentrer chez moi, mais je n'en fis rien.
Je sentais que je me rapprochais de quelque chose. J'en étais même persuadée, l'école n'était pas loin.
Mon attention fut soudainement attirée au sol vers un buisson feuillu. Je m'accroupis et commençai à fouiller malgré les quelques épines, lorsqu'un objet brillant passa furtivement.
Oui ! Encore un trésor supplémentaire !
J'avais pour habitude de collectionner de petits objets que je trouvais en forêt, dans la rue, sur la plage, mais plus ils brillaient et plus je m'en délectais.
Je retrouvai avec peine le dit objet. Mes mains étaient pleines de boue et mon t-shirt blanc avait changé sa belle couleur pour du marron.
Mais je ne regrettais pas ces efforts.
Une magnifique bague dorée, extrêmement fine dont l'intérieur était gravé de quelques écritures mystiques, ornait désormais mon index.
J'eus tout juste le temps de me remettre débout, lorsque j'aperçus au dessus de ma tête une silhouette dans les arbres. Son visage était caché, mais il avait l'air de porter un uniforme scolaire. Chemise blanche avec des manches retroussées jusqu'au coude, dont les trois premiers boutons ouverts laissaient découvrir une peau dorée par le soleil, et un simple chino noir en guise de pantalon qui épousait des jambes légèrement musclées.
Je ne savais pas encore que j'allais faire la pire rencontre de ma vie.
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