Chapitre 1 : La Caverne
Deux jours. C'était ce qu'il me restait avant de déménager à Ogden, la ville natale de ma mère. Depuis que j'étais toute petite, elle m'en parlait avec des étoiles dans les yeux, l'appelant même « la ville de l'impossible ».
À tout juste vingt-cinq ans, elle avait quitté sa famille, ses amis et son travail pour suivre mon père en Arizona à des kilomètres de sa ville natale. Apparemment, il y étouffait et avait besoin de changement. Je n'avais jamais mis les pieds là-bas, mais ma mère m'assurait que cette ville était aussi chaleureuse et vivante que Phœnix, chose dont je doutais.
Quelle ville pouvait être meilleure que celle-là ?
Nous avions tout à portée de main ici, que ce soit des centres commerciaux, des restaurants végétariens, des bistrots typiquement français, et des stations thermales de renommées mondiales.
Elle devait être follement amoureuse pour tout quitter du jour au lendemain, alors qu'elle débutait sa carrière de journaliste. C'était donc ÇA d'être amoureuse ... et honnêtement ça ne me donnait pas envie.
— Tu vas adorer la maison, mon ange. Elle est juste au pied des montagnes Wasatch ! Je m'y amusais souvent avec ta tante. Un jour, on y a même aperçu un ...
— Oui, je sais, un ours, la coupai-je en secouant la tête. Maman tu me l'as racontée une bonne centaine de fois cette histoire. On n'a toujours pas fini nos cartons et on doit rendre les clés dans l'après-midi, donc s'il-te-plaît, essaye d'aller plus vite.
De nous deux, j'étais la plus stressée à l'idée de quitter notre charmante ville. Changer d'air d'accord, mais prendre une telle décision en seulement un mois ? Je ne savais pas quelle mouche avait piqué ma mère. Elle avait toujours tout parfaitement géré, mais depuis la mort de mon père, elle était complètement démissionnaire à la maison. Ma tante, Joanna, l'avait convaincue de retourner à Ogden en lui assurant un bon poste dans sa boite. Depuis, elle s'était transformée en adolescente hystérique.
Et pourtant, ça me faisait tellement de bien de voir un sourire spontané se dessiner à nouveau sur son visage !
J'avais bien cru que la mort de mon père allait l'achever, mais je vous épargne les détails de ces années de souffrance. Aujourd'hui ma mère allait mieux, et c'était tout ce qui comptait.
— Tu sais chérie, je comprendrais que tu veuilles rester ici. Après tout ton père détestait Ogden, et tu lui ressembles tellement, commença-t-elle en me caressant tendrement la joue.
— Très malin de me dire ça alors qu'on planifie notre départ depuis un mois, lui dis-je en rigolant. Tout va bien, maman, je veux juste que tu me promettes de me laisser plus de liberté, pas en me laissant faire toute la lessive et le linge, d'accord ?
— Promis ! Mais en échange, essaye de me trouver un gendre. Tu vas finir vieille fille et je n'aurai jamais de petits-enfants, ajouta-t-elle avec un regard lourd de sous-entendu.
— Quoi ? Eh ! Pas encore ! La dernière fois, tu m'as ramené Adrien à la maison, il porte des crocs en plein hiver sérieux ! maugréai-je en levant les yeux au ciel.
Elle me regarda hilare, et continua de faire ses cartons. Si on y réfléchissait bien, ma mère n'avait pas tout à fait tort. J'avais déjà eu des petits copains bien sûr, mais jamais rien de bien sérieux. Je les trouvais tous tellement inintéressants, comparés aux hommes que j'admirais dans mes livres. C'était pas si compliqué, je demandais juste quelqu'un de gentil, attentionné, intelligent, qui mesurerait au minimum un mètre quatre-vingt-cinq , avec des yeux éblouissants, bon cuisinier et qui sorte du lot.
Non, non, cette liste n'était absolument pas contraignante.
Bon ... peut-être un peu. Si je ne revoyais pas mes critères à la baisse, je pensais finir comme la folle aux chats dans les Simpson.
... Oh, puis merde, les chats n'étaient-ils pas plus mignons que les garçons ?
Je traversai le couloir à longues enjambées sans même me rendre compte d'en avoir fait trois fois le tour. Je m'arrêtai en face de cette fameuse pièce : la caverne aux merveilles.
On l'appelait de cette façon avec mon père, quand j'avais à peine deux ans. Lui et moi étions de grands collectionneurs. J'avais hérité de tous ses magnifiques objets venant des quatre coins du monde et depuis maintenant dix-sept ans, je n'avais jamais arrêté de les accumuler. Je ne collectionnais pas des objets spécifiques comme des timbres ou des peintures de grands noms, mais tout ce qui attirait mon attention, de près ou de loin.
Ma mère, elle, détestait mon hobby, mais depuis que papa n'était plus là, elle me laissait faire et trouvait même ça mignon ... sauf quand il avait fallu les mettre dans les cartons. Je lui demandais de bien les recouvrir de papier bulle, qu'elle s'amusait à faire éclater. J'avais failli commettre un meurtre ce jour-là.
— Pense à Angie demain matin ! cria ma mère depuis le salon. Et ne ferme pas la porte à clé, je vais chercher le courrier !
À l'exception d'Angie, je ne traînais avec personne. D'aussi loin que je me souvienne, il avait toujours fait partie de ma vie. Son père et le mien étaient de très bons amis, au point que nous avions presque grandi dans la même maison. Ma mère aimait me rappeler que dans son ventre, je donnais souvent des coups, lorsqu'il était dans la pièce. Même si Angie était plus âgé d'un an, ça ne nous empêchait pas de rester collés ensemble au lycée. Il était extrêmement bizarre avec son dynamisme débordant, mais c'était justement ce qui me faisait tant rire chez lui.
Je me demandais d'ailleurs quel objet loufoque il allait me donner cette fois, comme à chaque événement de ma vie : anniversaire, Noël, jour de l'an ... tout était prétexte à me couvrir de cadeaux, loin de m'en déplaire.
Finalement, ma mère et moi passâmes le reste de l'après-midi dans le reste de nos affaires jusqu'à ce que la nuit tombe. Ma mère m'adressait un regard fier tout en ébouriffant mes cheveux.
— On a bien travaillé. Maintenant au lit, on se lève à sept heures demain. Ah ! J'oubliais.
Elle mit la main dans un carton et contorsionna son bras pour récupérer ma trousse à pharmacie, celle qui sauvait mes nuits. Ces migraines me pourrissaient la vie depuis maintenant un an. Au début qu'une douleur légère, ces dernières étaient si vives que je finissais par tomber dans les pommes, ou gémir de douleur pendant plusieurs minutes. J'avais consulté plusieurs spécialistes à binocles carrés, rondes, souvent munis d'un stéthoscope en guise d'écharpe, et pourtant ces soi-disant « médecins » avaient tous un diagnostic différent : stress, croissance, pollution environnante, grossesse ... Et puis quoi encore ?
En m'allongeant dans mon lit, j'avalais un comprimé sans même me servir un verre d'eau. Avec l'esprit en vrac, je tombai dans les bras de Morphée.
___
Un petit souffle chaud sur mon front troubla mon sommeil. En ouvrant lentement les yeux, je tombai nez à nez avec une touffe épaisse châtain clair presque blond et des yeux d'un noir profond :
— Angie ! Mais qu'est-ce que tu fous là ?
— Moi aussi, je suis heureux de te voir, Ambre ! Enlève ton pyjama dégueulasse et descends, j'ai une surprise pour toi, finit-il en accompagnant sa phrase d'un clin d'œil. Je t'attends en bas.
Quand je regardai mon réveil, il indiquait à peine six heures du matin. Cet abruti l'avait fait exprès, je n'étais pas du matin contrairement à lui.
Tout en le maudissant, j'enlevai mon pyjama et enfilai un jean et un vieux pull noir. Je filai rapidement dans la salle de bains et fis un brin de toilette rapide. Je tombai sans le vouloir devant mon miroir, et le regrettai à la seconde où je croisai mon reflet. Mes longs cheveux noirs et légèrement ondulés étaient complètements emmêlés, et d'énormes cernes soulignaient mes yeux marrons, certainement du à la journée mouvementée d'hier, durant laquelle ma mère et moi-même n'avions cessé de courir partout dans la maison. Je décidai donc de piquer son correcteur et d'en mettre trois bonnes couches. Malheureusement, mes problèmes matinaux ne s'arrêtèrent pas là. En sortant de la salle de bain, je faillis pour la millième fois me cogner contre la porte. Avec mes 1m73, la salle de bain était une véritable salle de torture, en Arizona j'avais l'impression que tout était trop petit.
— Dépêche ! me dépêcha Angie depuis le jardin.
Je descendis les escaliers et l'aperçus enfin avec son corps tout en muscles assis sur la balançoire à paillettes violettes. Voir un grand gaillard de presque deux mètres de haut assis sur un jeu de petite fille était assez drôle.
— Tu veux que je te pousse, princesse ? lui demandai-je en lui lançant un regard séducteur.
— Non merci, Shrek.
J'éclatai de rire. Ce surnom me suivrait jusqu'à la fin de ma vie. Tout ça parce qu'à cinq ans, j'avais éternué un peu trop fort... Une grimace de dégoût marqua soudainement mon visage. Mouais, mieux valait penser à autre chose.
— C'est quoi, cette surprise ?
Il mit plus de temps à répondre que prévu, légèrement peiné par ma question. Je l'interrogeai d'un signe de la tête, mais Angie rappliqua soudain tout joyeux :
— J'ai deux surprises. Choisis une lettre entre B et M.
— B, répondis-je du tac au tac.
— Bon choix. Alors voici mon cadeau de départ, annonça-t-il en sortant un paquet de sa poche. Vu que t'es obsédée par les objets chelou, j'ai vidé ma chambre hier et je suis tombé sur ça.
Il me tendit un petit paquet blanc orné d'un élégant nœud rose.
— Un nœud rose, t'es sérieux ? m'étonnai-je avec un sourire.
— Oui bon, j'ai demandé à ma sœur de le faire. Mais si t'es pas contente, je peux toujours le reprendre ... répliqua-t-il en commençant à saisir le paquet de mes mains.
— Non ne touche pas ! criai-je en ramenant l'objet vers ma poitrine. C'est mon précieux !
Je commençai à tirer délicatement sur le nœud rose, et sentis de légers picotements au creux de ma main. Oooh, très bon signe !
— Ambre, tu baves.
Je ne fis pas attention aux remarques moqueuses d'Angie, et arrachai d'un coup sec l'emballage. Au creux de ma main se tenait un fin collier argenté, avec en son bout une petite pierre rouge. Je fixai la pierre pendant un moment, mais Angie m'interrompit dans ma contemplation :
— C'est le collier de mon arrière grand-mère. Je sais que t'aimes bien tout ce qui brille, alors j'ai pensé que ça te ferait plaisir. C'est un vrai rubis au centre, donc fais pas de bêtises avec.
— Il est magnifique, merci Angie ! Tu me l'attaches ? proposai-je en lui tournant le dos.
— Je croyais que tu les gardais dans un endroit spécial, remarqua-t-il en faisant allusion à la caverne aux merveilles.
— Ouais, mais celui-là je veux absolument le porter.
Sans rouspéter, il prit le délicat objet et l'attacha soigneusement à mon cou. Parfait. Je garderai un souvenir de lui à Ogden comme ça.
— Ah au fait, j'ai une nouvelle plutôt surprenante, murmura-t-il. Je crois que tu risques de me croiser souvent dans ta nouvelle ville. Plus souvent que tu ne le penses.
— Quoi ?
— Hein ?
— Répète ce que tu viens de dire, lui ordonnai-je, agacée par ses remarques sibyllines.
— J'emménage à Ogden.
Mon cerveau bloqua pendant de longues secondes. Angie avait bien fini le lycée, mais il avait toujours rêvé d'aller à l'université de Phoenix, surtout pour le football.
— Quoi ? Comment ça se fait ? Je croyais que t'avais une bourse pour Phoenix ? Et ta mère part avec toi ? Ton père est d'accord au moins ? Et pourquoi tu...
— Stop, stop, stop, me coupa-t-il. Je pars seul, et il y a bien une école qui me plaît. C'est plus un internat pour richou, mais le niveau en sport est excellent. Je veux juste m'émanciper, le problème c'est que tu pars aussi à Ogden et ...
— En quoi c'est un problème ? Tu veux pas qu'on se voie ? le coupai-je aussitôt en arquant un sourcil.
Je croisai mes bras sur ma poitrine et inspirai bruyamment.
— Quoi ? Non pas du tout. C'est juste que... que... fit-il avec un regard gêné. Arrête de me lancer ce regard. Cette ville n'est pas pour toi. C'est super dangereux et ... y a beaucoup de racailles !
— Angie, depuis quand j'ai peur de la racaille ? C'est plutôt eux, qui ont peur de moi. Bon, pas besoin de te fatiguer, je sais que t'as une raison valable, et j'essayerai de le découvrir par moi-même sur place, pauvre abruti, fulminai-je en croisant mes bras sur la poitrine.
— Écoute. Tu crois vraiment que ça me dérange qu'on soit dans la même ville ? me demanda-t-il cette fois en soutenant mon regard. C'est beaucoup plus complexe que ça. Puis, au cas où tu l'aurais oublié, ton lycée est à l'exact opposé du mien, on risque de ne jamais se croiser.
— Tu ne peux pas sortir le week-end ?
— Le week-end est consacré uniquement aux matchs, en plus des entraînements de la semaine. Je te l'ai dit ça risque d'être...
— Compliqué, oui, je sais, répétai-je en levant les yeux au ciel.
Je savais très bien qu'Angie me cachait quelque chose, et c'était bien la première fois. Ça devait être extrêmement grave pour qu'il en arrive à ce point ... Mais il fallait que je laisse couler. Moi la première, j'avais besoin de mon jardin secret et je comprenais très bien son choix. Puis ... moi qui craignais de mourir d'ennui à mon arrivée, j'avais là une bonne occupation. Avant de partir rejoindre ma mère, qui s'acharnait sur le klaxon, je frappai une dernière fois Angie sur la tête en espérant découvrir bientôt le secret qu'il me cachait.
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