Chapitre 3
L'ombre du temple se présenta enfin dans la pénombre nocturne. Une pluie fine s'abattait sur les épaules du voyageur. D'un bon pas, il toqua à la lourde porte du bâtiment vénérable. Des pas se firent entendre de l'autre côté du battant. La clé tourna dans la serrure et le visage du moine se dessina dans l'embrassure.
— Seigneur Morgal ?...
— Je vous avais prévenu de mon retour.
Le clerc se mordit la joue comme s'il hésitait à faire entrer une pareille créature dans le temple. Une forte odeur de sang et de brûlé émanait de l'elfe.
— Êtes-vous sûr qu'aucun Berserk ne viendra nous égorger pendant la nuit ?
— Mmh ?
Le prince montrait des vifs signes d'impatience : il voulait secouer ce moinillon impertinent qui le laissait prendre l'eau à l'extérieur. Mais à côté de ça, l'homme d'Église fixait ses iris fluorescentes avec un frisson de crainte et lui posait des questions inutiles.
— Vous me laissez entrer ?
— Notre père-prieur ne souhaite guère... prendre part à des conflits qui ne nous regardent pas...
— Ah oui ? Ce n'est guère charitable de refuser le logis à un pauvre étranger transi de froid, objecta Morgal en passant la langue sur sa lèvre encore rougie.
Le moine commença à paniquer devant l'aspect plus agressif de son interlocuteur :
— S'il-vous-plait, Seigneur Morgal, supplia-t-il les mains jointes, je ne suis qu'un novice, un humble portier. Cette décision...
— Bon, taisez-vous et laissez-moi passer. Il doit bien vous rester une cellule de libre, non ?
Le novice baissa la tête et se poussa pour laisser entrer le prince. Ses doigts tremblaient encore contre le bois de la porte. Il prit une grande inspiration avant de rejoindre l'elfe et le conduire vers sa nouvelle chambre.
D'un regard désabusé, Morgal emboita le pas, les yeux se baladant nonchalamment sur les murs qu'ils longeaient. D'imposantes statues rythmaient le vaste couloir, alternant avec des colonnes aux futs ouvragés. Face à l'immensité des lieux, les deux hommes semblaient disparaitre dans ce décor religieux où autels et monuments cultuels se dressaient dans une tonalité onirique. Le froid se glissait sur les dalles, la pierre blanches et les vitraux décolorés par la nuit. Quelques rares cierges apportaient des petites touches flamboyantes ici et là. Mais à part cette faible présence, ils étaient seuls. Pas un bruit. Même la pluie ne parvenait à percer le temple de sa douce mélodie.
Le portier emprunta enfin un couloir pour rejoindre l'abbaye. Ils traversèrent le réfectoire vide et montèrent à l'étage où se succédaient les cellules. Morgal soupira d'aise ; il allait enfin dormir. Devant lui, le moine n'osait sortir le moindre mot de sa bouche crispée. Ce dernier ce contenta simplement d'ouvrir une porte sur une chambre modeste où attendait un lit propre.
Le vampire lui envoya un sourire légèrement sarcastique comme remerciement de ses services et referma le battant derrière lui.
— En espérant que ce vieux Tarcenya ne me déloge pas au matin...
En vérité, il en doutait fort. Les Berserks allaient devoir se remettre de l'attaque. Les ordres de Nilcalar passeraient clairement au second plan.
L'elfe étira ses membres fourbus avant de retirer ses bottines maculées de tâches rouges. Une bassine et une cruche d'eau lui permettraient de laver ses vêtements salis par le sang. Rapidement, Morgal se délesta de ses habits, se rafraichit et se glissa sous les draps, sans oublier de garder un poignard sous son oreiller. Petit réflex...
Ses paupières ne tardèrent pas à se fermer, alourdie par le manque de sommeil. Le jeune prince sombra loin de tous les soucis géopolitiques qui secouaient la Dimension.
— Encore en train de dormir ?!
Il grogna avant de se retourner sous son édredon de plumes.
— Djinévix, grommela-t-il la bouche pâteuse, laisse-moi...
La sorcière s'assit sur le coin du lit et secoua le vampire par l'épaule :
— Tu es un elfe, voyons ! Cesse un peu de dormir !
— Va-t-en !
Elle croisa les bras sur sa poitrine plate, mécontente de l'accueil si peu chaleureux. Le dormeur ne semblait pas vraiment s'intéresser à elle, plus occupé par le mur qui lui faisait face.
— Tu es gonflé ! Après tout ce temps !
— C'est toi qui décides d'apparaitre comme bon te semble, pas moi. Je ne vais pas commencer à sacrifier des vierges pour t'invoquer...
— Commence pas ; la dernière fois que nous nous sommes vus, ma sœur était toujours de ce monde.
— Ah oui, toutes mes condoléances, je l'ai tuée. Désolé.
— Tu n'es pas désolé, mon petit Chérubin.
Il leva les yeux au ciel sans accorder un regard pour l'Entité du passé ou même sortir de son lit.
— En effet. Mais Locea avait perdu la raison. Toutes ces histoires de prophéties lui ont siphonné la cervelle.
Djinévix soupira en remettant de l'ordre dans ses dreadlocks sales entrechoquant ses bijoux tribaux.
— Elle t'aimait beaucoup je crois.
— Parce que j'étais un Réceptacle. Elle a voulu se servir de moi pour mettre à profit son plan de vengeance contre les dieux. Toute cette affaire ne me regarde pas.
— Si justement, c'est toi que l'on voit dans la prophétie.
— Ce sont des conneries, cracha-t-il en ramenant la couverture jusqu'à son menton.
— J'ai bien peur que non. Et elle voulait être une pièce indispensable dans tout ce cataclysme.
— Djinévix, je n'avais pas vraiment envie que Locea et moi nous formions une joyeuse famille avec six adorables enfants, prêts à réduire la cité divine en cendres.
— Cesse ton mauvais esprit. C'était son rêve.
Il secoua la tête dans un ricanement amère :
— Et bien pas le mien ! D'ailleurs, tu n'aurais pas des attrapes-rêves à me donner ? J'ai perdu les miens et les cauchemars gâchent mon sommeil.
Djinévix poussa un long soupir et se pinça les lèvres dans un air désespéré :
— Combien de fois t'ai-je rappelé que tu devais apprivoiser les visions ? Tu négliges un pouvoir incroyable en te murant dans ton déni.
Cette fois-ci, Morgal se redressa contre son oreiller et perça la sorcière de ses yeux froids :
— Qu'est-ce que tu y gagnes, hein ? Pourquoi t'es toujours là à me suivre ?
Elle haussa innocemment les épaules :
— Tu veux que je sois honnête avec toi ?
— A ton avis ?
— Je veux aussi que la cité divine soit détruite.
Il la scruta ; une mèche blonde retomba sur son œil droit comme pour appuyer sa lassitude : elle était vraiment sérieuse ?
— Djinévix, autant ta sœur était jolie... ça ne me conviendrait encore moins d'être le père de tes enfants.
— Mais qu'est-ce que tu racontes ! s'esclaffa-t-elle, Locea était stupide de penser que c'était elle la pièce manquante à la prophétie. Il faudrait une Réceptacle...
— Et tu en es une. Et sans vouloir te vexer, tu ferais fuir un orc tant tu es laide et sale.
— Tu sais parler aux femmes, Chérubin... Quoiqu'il en soit, il ne s'agit pas de moi. Je vais te trouver la Réceptacle qu'il te faut.
L'elfe écarquilla les yeux : il s'était déjà débarrassé d'une Entité du Passé et il sentait qu'il allait devoir faire de même avec celle-ci. Djinévix aussi voulait se servir de lui pour accomplir un plan dont il n'avait que faire.
En attendant, il avait plus urgent à faire. Comme sauver ses congénères en Narraca et rentrer chez lui pour y installer son prochain empire.
— Écoute, Djinévix, tu perds ton temps. Je regagne aujourd'hui Calca et une fois là-bas, tu me laisseras tranquille. Oublie cette maudite prophétie. De toute façon, j'épouserai une jolie brune et m'occuperai de mes projets sans t'avoir dans les pattes.
— Brune ? releva-t-elle dans un sourire mesquin, pourquoi brune ?
Morgal papillonna des paupières, à bout de patience. Pourquoi cette vieille bigote ne voulait pas disparaitre ?
— Je n'en sais rien. J'ai dit ça comme ça. Dans mes rêves, je vois souvent une femme brune.
— Ce n'est pas une elfe.
Il se pinça les lèvres laissant son interlocutrice continuer :
— Je doute que le roi Elaglar laisse son fils trainer avec une non-elfe.
— Tu sais de qui il s'agit ?
— Oui.
— J'imagine que tu ne me le diras pas.
Djinévix ricana, découvrant ses dents noircies :
— En effet. Mais si ça peut aider, c'est une Réceptacle.
— Sors de cette chambre !
— Bien, bien. Mais sache que je veille aux grains.
Ces mots étant dits, elle se leva du lit et s'avança dans la chambre avant de se téléporter dans un nuage noir.
Morgal poussa un long soupir et se laissa retomber sur l'oreiller. S'il devait maintenant se méfier de toutes les femmes brunes qu'il croisait, il n'était pas rendu. Mais maintenant qu'il y repensait, le haut-maître Hervan lui avait conseillé de se méfier de cette mystérieuse inconnue. Même Locea affirmait que cette dernière provoquerait la destruction du prince. Guère rassurant.
Mais pour l'instant, le problème ne se posait pas.
Morgal sortir des draps et ramassa ses vêtements ainsi que ses affaires. Il comptait bien quitter l'abbaye au plus tôt et rejoindre la frontière.
Il était resté bien trop longtemps dans les royaumes astraux.
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